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20 octobre 2012 6 20 /10 /octobre /2012 09:21

« La table des autres » est un roman, mi fiction mi réalité, de Michael ONDATJEE, écrivain d'origine anglo-srilankaise, né en 1943 à Colombo, vivant au Canada depuis 1962, actuellement à Toronto. Déjà connu en France pour « le Patient anglais », porté à l'écran en 1996, inspiré d'un personnage réel, Laszlo Almasy, aventurier et aviateur hongrois qui en 1930 crut découvrir l'oasis mythique de Zerzuradans le désert de Libye.

La critique a parlé d'une sorte de « traversée initiatique » concernant « la table des autres ». En effet, ses parents s'étant séparés, le jeune Michael, douze ans, le héros du livre, s'embarque sur un navire, l' « Oronsay », pour une traversée jusqu'en Angleterre pour y rejoindre sa mère. Durant ce voyage, il va explorer, en pleine mer, ce milieu, clos certes, mais infiniment plus varié et animé que celui où il avait vécu jusque là, et de plus se déplaçant sans cesse. En compagnie de deux complices de son âge, il y découvre une foule de choses nouvelles pour lui et aussi les gens, vivant de multiples petites aventures.

Citation de l'auteur, Michael ONDATJEE :

« Combien d’immigrés ne gardent de leur voyage qu’une photo ? Combien d’entre eux recherchent leur identité tout au long de leur vie ? Combien de fils d’immigrés interrogent leurs parents sur cet événement, cette migration ? Sans trop rien y comprendre à ce qui fut le monde d’avant, envoûtés par la magie d’un ailleurs qui leur est étranger. Les trois semaines de mer, telles que je me les suis rappelées furent tranquilles. C’est maintenant seulement, des années plus tard, après que mes enfants m’eurent poussé à le raconter, que mon voyage, vu à travers leurs yeux, est devenu une aventure et même un événement significatif dans le cours de mon existence. ».

 

Étant légèrement plus âgé que l'auteur, cette traversée m'a rappelé celle que je fis moi même, de Marseille à Haïfa, ayant marqué une étape dans ma vie. Celle-ci, alors que j'avais vingt cinq ans, avait pris un bon départ, avec tout pour réussir, pourtant elle rata pour des raisons personnelles. Il me fallut partir, vivre autre chose, ailleurs, avant de pouvoir recommencer.
 

 

 

-Traversée-

 

 

 

Départ-

Comme je ne tenais pas à arriver juste pour l'embarquement, je décidai de partir la veille. O... me conduisit à la gare dans l'après midi. Pour tout bagage j'avais mon sac à dos contenant un peu de linge de rechange, un nécessaire de toilette, une petite trousse à couture et une autre à pharmacie, un seul livre, un guide avec cartes et un gros calepin à couverture de moleskine. Plus un appareil photo et quelques pellicules. Enfin un drap cousu et un tapis de sol me permettant à l'occasion de coucher n'importe où. J'allais arriver là bas à la belle saison.

 

A Paris je pris un train de nuit pour Marseille. Il était encore tôt quand je descendis à la gare Saint-Charles le lendemain matin. Je ne connaissais que cette gare et le port d'où j'étais parti et revenu d'Algérie. Je passai donc la journée à me promener dans la cité phocéenne et montai naturellement à Notre Dame de la Garde. De là haut la ville apparaissait superbe et, en redescendant, j'avais l'impression de plonger vers son cœur et le port. Dans les rues l'atmosphère était bruyante, déjà orientale avec toute cette foule cosmopolite. J'achetai des olives noires et des fruits. Il faisait un temps magnifique et déjà chaud.

 

Les passagers devaient se présenter au quai de la Joliette en fin d'après midi. J'y arrivai très en avance mais il y avait déjà pas mal de gens. En attendant l'ouverture de la grille, entre deux hangars, on pouvait apercevoir le « Césarée ».

 

On commença à nous faire monter à bord au crépuscule. En troisième classe nous étions à six par cabine, en couchettes superposées. Je déposai mon sac sur la mienne et remontai

aussitôt sur le pont pour assister au départ. Quand les lourds cordages furent largués, le navire commença à glisser lentement, tracté par le remorqueur jusqu'à la sortie du port, avant de mettre cap au large. Avec ses millions de lumières, toute l'étendue de la grande ville escaladant les collines alentour nous apparut alors. Au milieu de cette nébuleuse se devinait la présence tutélaire, avec ce geste figé de la main, de Celle qui assiste à tous les départs comme à toutes les arrivées et à laquelle nul je pense ne peut rester indifférent.

 

Après le repas, je remontai sur le pont supérieur. Le « Césarée » taillait sa route dans la nuit et, de l'arrière où je me trouvais, on ne remarquait plus que la traînée blanche du sillage sur les flots sombres. Le ciel se déroulait au dessus de nous, d'un bord à l'autre, criblé d'étoiles. Il en descendait une clarté un peu froide.

 

Il était déjà tard quand je retournai à ma couchette où je demeurai encore longtemps les yeux grands ouverts.

 

1er jour - Gênes

Dès le lendemain matin, la vie commença à s'organiser à bord, rythmée par les trois repas quotidiens, copieux et savoureux. Dans la salle à manger des  troisièmes nous étions sur de longues tables auxquelles étaient fixés des bancs (la « table des autres » comme a dit Michael ONDATJEE par opposition à celle que préside le commandant en première classe).

Je m'étais retrouvé, dès le premier soir, à côté d'une Française prénommée Éliane et d'une Israélienne prénommée elle aussi Éliane qui rentrait au pays après un séjour en France. Elles avaient déjà fait connaissance se trouvant dans la même cabine et nous en étions venus à parler de ce que j'allais faire là bas et des kibbutzim. Or, justement, Éliane l'Israélienne vivait dans un kibbutz avec son mari, Zvi Berger, qui en était l'économe en quelque sorte. Elle était allée voir leur fils étudiant à Paris. Elle me renouvela l'invitation qu'elle avait déjà faite à Éliane (l'autre) de venir faire un séjour dans son kibbutz puisque je n'avais rien de prévu sinon de me présenter dès mon arrivée à l'Agence juive chargée des placements. Yad Hanna était un petit kibbutz, non loin de Natanya, station balnéaire de la plaine du Sharon, face à la ville de Tulkarem en territoire jordanien. A cette époque (1964) il n'y avait que de rares incidents aux frontières. L'O.L.P. venait d'être créée par Yasser Arafat (Abbu Amar) pas encore très connu mais allait rapidement le devenir.

Mon intention était de travailler dans plusieurs kibbutzim et dans différentes régions du pays. Le fait de commencer par celui-ci ne pouvait que me convenir et j'acceptai bien entendu tout comme Éliane, la Française. Celle-ci était de Rouen, étudiante dans une école supérieure de commerce, de parents industriels. Elle aurait été à mes yeux infiniment mieux à son avantage sans cette façon de se coiffer, ramenant ses cheveux d'un beau blond sur le dessus de la tête en un vague chignon. Elle se maquillait pas mal mais enfin sympa et assez simple finalement.

Nous avions fait notre première escale dans le port de Gênes, courte, ne nous laissant pas assez de temps pour aller visiter la ville. Mais nous étions quand même descendus à terre et étions montés jusqu'à un belvédère d'où l'on avait une belle vue sur le port et le golfe.

 

2ème jouren mer

Le temps se maintenait au beau. Éliane et moi, allèrent étrenner la piscine à une heure de faible affluence c'est à dire tôt le matin. En me séchant sur un transat, je fis la connaissance d'un Israélien d'origine égyptienne, excessivement volubile, le sourire tout en or, prénommée Eliyaou qui travaillait dans une grande banque de Tel Aviv. Il m'apprit beaucoup de choses notamment qu'on avait commencé le creusement d'un nouveau port à Ashdod, au sud de Tell Aviv, appelé à surpasser l'actuel et unique, Haïfa. Il me laissa son adresse.

Éliane tenait à faire un tour aux premières, voir les horaires des soirées dansantes, ayant l'intention de s'y rendre et de m'y emmener. Il y avait soirées et soirées en fait, certaines réservées strictement aux premières avec la présence du commandant, d'autres plus « populaires » où nous étions admis, nous les troisièmes dessous. Au casino aussi, mais ni l'un ni l'autre n'avions d'argent à foutre en l'air.

Je fis une autre rencontre laquelle devait avoir un prolongement insoupçonné. La nuit était tombée depuis un moment, j'étais sur le pont, à l'arrière, admirant le ciel étoilé, peu pressé de regagner ma couchette. Pas très loin de moi quelqu'un d'autre était là, pareillement accoudé au bastingage, un gars que j'avais déjà vu en compagnie d'une joyeuse bande de jeunes parlant espagnol. Plutôt trapu, une courte barbe, les cheveux noirs bouclés, brun de peau. M'avait-il remarqué ? Pas plus que lui sans doute je ne cherchai à troubler ce genre d'instant où l'on savoure d'être seul. Ce n'est que le lendemain que je trouvai l'occasion de l'aborder et d'échanger quelques mots.

 

3ème jourPalerme.

Après être passés au large de l'île de Capri, face à la pointe de Sorrente, nous arrivâmes en vue des côtes de Sicile et accostâmes à Palerme en début d'après-midi, ayant pu admirer l'approche. Comme nous ne devions repartir que vers 20heures, cela nous laissait le temps d'aller faire un tour en ville. Premier contact avec l'île triangulaire où, par la suite, je devais revenir par deux fois. On ne pouvait guère faire autre chose que se balader dans les rues. Éliane marchanda, comme il se doit car elle avait déjà voyagé en Italie du sud et en Grèce, l'achat d'un joli châle qu'elle comptait mettre à la soirée dansante. De mon côté, je choisis une chemise noire flottante avec des liserés de couleur qui ferait bien avec mon pantalon de toile beige. Marchander me gênait n'étant pas habitué, mais elle m'expliqua que c'est ce à quoi s'attend tout vendeur en Orient, même de la part des plus riches, et que celui qui ne le fait pas passe pour un nigaud, à la limite ce serait même un affront, c'est une tradition. Le soir venu, il y avait foule aux terrasses des cafés mais je remarquai qu'il n'y avait pratiquement pas de femmes. Nous nous arrêtâmes à l'une d'elle pour déguster une tranche de cassata servie avec un verre d'eau fraîche.

Quittant Palerme, le Césaréese dirigea vers Messine pour passer le détroit. A la nuit tombée, nous pûmes apercevoir les lueurs du Stromboli.

Pour être présentable à la soirée « publique » des premières,

je donnai à repasser mon pantalon « de sortie » à Éliane qui avait pu dégoter un fer.

Elle était en beauté dans une robe évasée, couleur pistache, s'accordant bien à ses cheveux blonds, et sur les épaules ce joli châle acheté à Palerme. Elle avait chaussé de petits escarpins noirs. Ma chemise flottante sur le pantalon bien repassé lui plaisait aussi, moins ce que j'avais dans les pieds, des mocassins type « Yowa », un peu trop sport sans doute pour l'occasion, mais je n'avais rien d'autre sinon une paire de sandales.

Nous allâmes nous installer à une table et je commandai deux coupes de champagne. La piste était déjà pleine et nous attendîmes la prochaine danse. J'étais piètre danseur, à part le slow, quelques rudiments de rock, de madison, alors qu'Éliane elle dansait bien et aimait çà, connaissant beaucoup de pas. Ça ne nous empêcha pas de nous amuser mais, au bout d'un moment, j'allai m'asseoir pour la laisser se faire plaisir avec des cavaliers plus experts.

Éliane l'Israélienne « sortait » peu ou alors pour aller lire allongée dans un transat. Elle vint une ou deux fois avec nous se baigner de bonne heure dans la piscine. Elle nageait d'ailleurs très bien. De toutes façons, on se retrouvait toujours à l'heure des repas.

Entre temps, j'avais fait la connaissance d'Edouardo. Il était Péruvien, de Lima, ne parlant pas le Français mais suffisamment d'anglais pour qu'on se comprenne. Il se rendait en Israël avec un groupe d'étudiants pour un stage en agronomie, lui-même était professeur à l'université agricole de la Molina, à Huancayo, en pleine Cordillère des Andes. La chaleur de sa conversation me le rendit tout de suite sympathique. Sa sœur et sa mère habitaient le quartier de la Victoria où il revenait de temps en temps mais c'était un long voyage depuis la sierra. Il était marié et avait une petite fille. On se revoyait au hasard de nos déambulations dans les coursives et sur les ponts. Il m'annonça que ce soir là ils allaient donner un petit concert sur le pont des troisièmes. Il y aurait des chants et danses du Pérou mais aussi d'autres pays d'Amérique latine.

 

4ème jour en mer

Éliane étant déjà retenue pour la soirée dansante, je proposai à l'autre Éliane de venir avec moi au concert latinosur le pont des troisièmes, ce qu'elle accepta.

C'était tout à fait improvisé mais, attirée par les sons de kena et le rythme d'un bongo, il y eut tout de suite une petite foule faisant cercle. Edouardo, dans son mauvais anglais, avait présenté sommairement son groupe et cela dura une bonne heure au cours de laquelle se succédèrent chants et danses principalement des régions andines du Pérou de la Bolivie et de l’Équateur. La foule bon enfant applaudissait et voulut même s'essayer au huayno, carnavalito et autre morenada ... Devant ce succès, je demandai à Edouardo s'ils ne pouvaient pas remettre çà le lendemain soir pensant à Éliane a qui cela aurait plu.

Au cours de cette traversée, il y eut aussi, certains soirs, projection d'un film sur le pont. Personnellement je n'y trouva aucun intérêt.

Le lendemain qui tombait un dimanche et le dernier jour du mois de mai, nous allions aborder l'île de Crête (l'ancienne Candie) en fin de matinée.

 

5ème jour - Heraklion

Par une matinée splendide, le « Césarée » se présenta à l'entrée du port d'Heraklion où il devait relâcher jusqu'au soir, ce qui allait nous laisser du temps à passer à terre.

L'eau bleu de la Méditerranée, la douce température de fin Mai, y incitant, Éliane me proposa d'emblée d'aller nous baigner ; je n'étais pas contre, loin de là, mais Edouardo m'avait vaguement parlé la veille d'un endroit qu'il voulait voir et j'aurais aimé qu'on en discute, mais une fois le navire à quai et la passerelle descendue, ç'avait été la dispersion générale.

Il n'y avait pas de plage à proximité mais, au pied du fort portant fièrement sculpté sur ses murs le Lion de Venise, nous trouvâmes un endroit tranquille et abrité, favorable aux ébats aquatiques. De la jetée, quelques pêcheurs laissaient traîner leur fil (sans canne à pêche) qu'ils retenaient de la main et, régulièrement, le tiraient d'un coup sec, amenant vivement un poisson scintillant sous l'éclat du soleil, gigotant dans une gerbe de gouttelettes d'eau. Éliane nageait bien. L'eau était calme, limpide, juste un peu fraîche encore et nous fîmes durer le plaisir, sans trop nous éloigner à cause de nos effets dissimulés sous des galets. Nous entendions rire les hommes quand ils tournaient la tête dans notre direction. Nous nageâmes jusqu'à leur hauteur leur faisant quelques signes amicaux auxquels ils répondirent tout en rigolant et plaisantant entre eux.

Vers midi, nous nous mîmes en quête de quelque chose à manger et à boire, tout en flânant dans les petites rues. A des marchands ambulants nous achetâmes quelques brochettes assaisonnées de sauce piquante et des fruits. Éliane était déjà venue en Grèce et me fit connaître l'ouzo que nous dégustâmes béatement à la terrasse d'un café. Puis nous montâmes vers la ville proprement dite où les boutiques et les échoppes étaient nombreuses. Éliane put marchander à loisir quelques souvenirs. Elle avait raison, c'est toujours ainsi qu'il faut faire en Orient, ce qui de plus vous attire la considération du vendeur. Nous débouchions parfois sur de délicieuses petites places très ombragées qui reposaient de la grande lumière crue. Nous entrâmes aussi dans une jolie petite église orthodoxe pleine de dorures et d'icônes magnifiques.

Le soir nous ramena sur le quai où le « Césarée » se préparait à l'appareillage. Remontés à bord, je me mis en quête d'Edouardo. Je retrouvai facilement quelques jeunes gens de son groupe mais aucun ne l'avait vu de la journée.

Nous appareillâmes juste avant la nuit et, tandis que je suivais la manœuvre accoudé au bastingage, Edouardo vint me taper sur l'épaule, tout sourire. Je lui demandai comment il avait passé sa journée. Il me raconta alors sa course jusqu'à Knossos.

Il commença par me dire qu'il y avait bien vingt kilomètres du port jusqu'aux ruines minoennes, (Knossos était la capitale du roi Minos) et que pour y aller et en revenir à pieds en comptant le temps de visite, il avait dû courir presque tout le chemin et même forcer pour le retour. Il aurait dû être fourbu, mais il n'y paraissait pas, si ce n'est la poussière sur ses vêtements et ses chaussures. Me demandant si c'était du lard ou du cochon cette histoire, je finis par admettre qu'il était bien capable d'une telle performance, râblé comme il était. Je n'aurais pas pu le suivre à ce rythme de toutes façons. Et pourquoi n'avoir pas essayé le stop ? Parce qu'il n'avait rencontré (ou dépassé) que quelques carrioles bourriques, avait pris des raccourcis. Diable, comment ça sans connaître le pays ni la langue, sans carte, sur des chemins de traverse ? Surprenant tout de même. Il m'avait bien vu partir avec Éliane mais comme il n'avait pas de temps à perdre. Enfin bref.

Sur ce, nous étions allés prendre un pot au bar des troisièmes.

 

6ème jouren mer

Nous naviguions à présent au large des côtes d'Anatolie en direction de Chypre, notre prochaine escale. Le temps toujours au beau.

Or la situation politique de l'île, partagée entre communautés grecque et Turque, était alors extrêmement agitée.

Après avoir été colonie britannique et à la suite de quatre années de guerre civile entre Chypriotes grecs et troupes coloniales britanniques auxquelles étaient alliées des milices chypriotes turcs, l'île avait acquis son indépendance en 1960, ayant pour Président l'évêque grec orthodoxe Mg Makarios. Mais deux ans plus tard, Grecs et Turcs commencèrent à s'affronter de nouveau. En début d'année (1964) des destructions de villages et de mosquées, assassinats, viols, s'étaient produits du fait des Chypriotes grecs, ce qui avait provoqué des représailles du côté turc. Les Chypriotes grecs les plus nombreux revendiquaient le rééquilibrage des pouvoirs selon le stricte prorata démographique qui leur était nettement favorable. Les Chypriotes turcs eux réclamaient la séparation pure et simple et usait d'une politique du pire consistant pour la milice chypriote turque à provoquer des incidents auxquels les Chypriotes grecs répliquaient, de façon de plus en plus disproportionnée, voulant ainsi démontrer que leur sécurité était en jeu et que la partition était la seule solution possible. Elle avait d'ailleurs déjà fait appel à la Turquie pour qu'elle intervienne militairement pour assurer leur protection. Les Grecs de leur côté réclamaient leur rattachement à la Grèce, ce qui devait finir en 1970 par un véritable conflit dans lequel la Turquie intervint et qui prit fin sans que n'ait été réglé véritablement le problème de cohabitation entre les deux communautés.

Suite aux événements de début 1964, des casques bleus de l'ONU avaient été envoyés sur l'île au mois de mars.

La veille de notre arrivée à Limassol, une manifestation avait dégénéré sur le port et il y avait eu plusieurs blessés et même mort d'hommes.

Limassol n'était d'ailleurs prévu que comme escale technique, de sorte que nous fûmes consignés à bord tout le temps que le « Césarée » resta le long du quai où patrouillaient des soldats en arme.

Nous repartîmes au bout de deux ou trois heures, la nuit tombée depuis un moment.

Nous touchions au terme du voyage, Haïfa, où nous devions arriver dans la matinée.

 

7ème jour - Haïfa

En bavardant avec Éliane Berger, celle-ci nous apprit que le khamsin souffle parfois en Israël, à la saison où nous étions. Ce vent venu d’Égypte, chaud et énervant, pouvait être responsable de crises de nerfs, voire de suicides. C'est du moins ce qu'elle nous affirma. J'avais connu le sirocco en Afrique du Nord et effectivement en gardait un souvenir pénible.

Nous arrivâmes en vue des côtes israéliennes ce Mardi 2 juin 1964, dans la matinée, comme prévu, mais un ciel de plâtre rendant l'horizon indistinct ne nous permit pas de les distinguer de loin.

Comme le « Césarée » entrait dans le port et allait s'amarrer le long du quai très animé, je ressentis une vive émotion. J'imaginais tous ces gens qui, ayant traversé mille périls, étaient parvenus jusque là, enfin, sur de vieux rafiots, fuyant la barbarie, découvrant cette terre promise depuis si longtemps, « comme dans un rêve » selon l'expression du Psalmiste, terre si petite mais pourtant si convoitée, perdue pendant si longtemps et reconquise au prix du sang et des larmes.

Quand, au bas de la passerelle, je posai à mon tour le pied sur ce sol, je me rappelai le passage du livre de Moïse « Tu seras béni à ton arrivée ... ». D'une certaine manière c'était vrai puisqu’Éliane et moi, avant même d'avoir débarqué, avions déjà un point de chute.

 

Ce n'est que cinq mois plus tard que je retrouvai ce quai pour rembarquer sur ce même « Césarée » et faire la traversée dans l'autre sens mais via le Pirée, le port d'Athènes, et sans escale à Chypre ni Heraklion.

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19 juin 2012 2 19 /06 /juin /2012 15:02

Echo de l'île de la Réunion de Juillet 2012 (n° 163)

 

Les mois de vacances Juillet/Août vont voir comme chaque année des milliers de touristes à part "pérégriner" sur les sentiers vers St Jacques de Compostelle dans la tradition des "jacquets" du Moyen Age.  Ses différents "caminos" soint devenus très populaires et attirent au delà des frontières de l'Hexagone depuis les pays du Nord et de l'Est. Les motivations ne sont plus uniquement religieuses mais, si diverses qu'elles peuvent être, elles gardent toujours une connotation religieuse, inévitablement dirais-je, du fait même de fouler ces chemins jalonnés de rappels constants aux origines (toponymie, croix, bornes, fontaines, édifices, églises et chapelles, etc...) Rome et Jérusalem (les "roumieux"), Saint-Jacques de Compostelle (les "jacquets"), étaient les trois grands pélérinages de la Chrétienté mais il y avait aussi, moins connus aujourd'hui, celui du Mont Saint Michel (les "miquelots") et celui de Saint Gilles du Gard.  J'ai parlé du premier dans l'"Echo de l'île de la Réunion" de Février 2008 (n°110), "sur les chemins de Saint Michel", je vais parler aujourd'hui du second, très ancien, qui a été relancé en 1965 par un passionné érudit, Marcel GIRAULT.

Ce nom de Regordane vient d'un terme local, gord, désignant une vallée encaissée.  Ce pays, voire cette province (provincia Regordana dans les documents anciens) correspond approcimativement au territoire situé entre Alès des Cévennes et Chamborigaud (Gard), Pradelles (Haute-Loire) et Largentière (Ardèche).  Le chemin de Regordane (et non "voie" qui fait romain certes mais le terme n'était pas employé anciennement) constitue en fait le tronçon cévenol de la route très importante qui reliait l'Ile de France au Bas-Languedoc ayant coinnu son essor à partir de l'an 893 quand le traité de Verdun divisa l'Empire carolingien en trois royaumes : la Francia Occidentalis de Charles le Chauve, le royaume de Lothaire et celui de Louis le Germanique..Or toute la vallée du Rhône jusqu'à la mer ne faisait pas partie de cette Francia Occidentalis mais du Royaume germanique, en constituant en fait la limite orientale, si bien que c'est du port de Saint-Gilles, sur le Petit-Rhône (et qui lui se trouvait en deçà de cette frontière) qu'embarquaient et débarquaient vers/de l'Orient marchandises et marchands puis pélerins pour la Terre Sainte et même Croisés au début, avant qu'il ne soit supplanté par celui d'Aigues-Mortes au bord même de la Méditerranée relié à celle-ci par le canal du Grau du Roi.


Primitivement Saint-Gilles s'appelaitPonte Aerarium  cité comme tel dans le récit du  "Pélerin de Bordeaux", ce qu'on pourrait presque traduire par Pont de l'Octroi (sur le Petit-Rhône), aerarium désignant à Rome le Trésor Public, ce qui laisse  à penser que c'était déjà un site commercial, avant de prendre le nom d'un saint ermite, moine d'origine athénienne, qui y fonda une abbaye vers la fin du VIIème siècle et où il fut inhumé. On connait la légende selon laquelle, voulant sauver un grand cerf pourchassé par des chasseurs et qui s'était réfugié devant la grotte où il priait, Saint Gilles fit apparaitre entre ses bois une grande croix lumineuse.  Son tombeau devint un lieu de pélérinage célèbre.  Les pélerins qui s'y rendaient venant du Nord passaient par Le Puy, point de départ de la Via Podiensis vers Saint-Jacques de Compostelle, de même que ceux (les "roumieux" ) qui se rendaient à Rome ou en Terre Sainte par mer et qui devaient embarquer au port fluvial de Saint Gilles.  Si bien qu'on finit presque par oublier que l'itinéraire Le Puy-Saint-Gilles était aussi celui d'un pélérinage propre sur le tombeau du Saint et s'arrêtant là, non point seulement étape (importante certes puisqu'on y quittait la terre ferme) vers Jérusalem.

Saint Gilles devint le siège du grand prieuré de l'Ordre de Saint Jean de Jérusalem et possession des comtes de Toulouse. 

Son importance sur le plan commercial comme sur celui des "voyageurs" était telle qu'on y comptait une trentaine de changeurs de monnaie, et à noter aussi la présence de chevaliers "pariers", confrérie laïque où tous étaient égaux (d'où le terme "pariers") dont la fonction essentielle était d'assurer la sécurité sur cette voie commerciale. 


Le chemin de Regordane (ou de Saint-Gilles) s'étire sur 242 kilomètres au départ du Puy-en-Velay (Haute-Loire) passant par l'Ardèche, la Lozère et le Gard.  Une voie très très ancienne en réalité, née avant l'homme d'une dislocation géologique nord-sud ayant ouvert des vallées encaissées et des cols, une faille qui a généré de nombreuses sources qu'instinctivement les animaux suivirent dans un mouvement spontané de transhumance.  Bien plus tard les hommes suivirent les animaux créant ainsi une draille.  Les Phéniciens, les Romains l'ont empruntée avant qu'elle devienne cet axe majeur, le plus oriental du Royaume de Francia Occidentalis.  Avec le développement du charroi, elle devint route véritable taillée dans le schiste sur les versants des vallées, jalonnés d'entrepôts à l'abri de villages fortifiés.  Une chanson de geste, "le charroi de Nîmes", parle de ce pays de Regordane où l'on rencontre chars et charrettes à foison.  Le climat aussi était favorable à l'élevage, à la culture produisant des récoltes abondantes, créant des richesses qui ne demandaient qu'à circuler.  Donc une région particulièrement riche et active économiquement, culturellement aussi avec le va et vient de voyageurs et pélerins, bien peuplée, alors qu'aujourd'hui on en parle plutôt comme du désert français. Pourtant, au XIVème siècle, il s'y produisit un changement climatique, plus froid et humide, provoquant une raréfaction des récoltes jusqu'à la disette de ses habitants qui avec le fléau de la peste noire virent leur nombre diminuer de plus de moitié.  Un malheur en entraînant d'autres, ce fut la Guerre de cent ans et ses ravages.  Le charroi arrêté, la route se dégrada rapidement, on n'y rencontrait plus que de rares convois de mulets et encore fréquemment dévalisés par les routiers anglais.  L'insécurité y était permanente.  Pourtant, vers la fin du XVIIème siècle, elle devait reprendre vie.  Au fil de temps elle fut réaménagée, reconstruite  voire déplacée à certains endroits pour éviter trop de dégâts dûs à la violence des eaux de ruissellement lors d'orages fréquents, elle redevint artère commerciale pour les vins, épices, sel, huile, fromages, vers les riches foires de Champagne.  Mais pas seulement car, pendant des siècles, elle draina les pélerins descendus du Nord pour aller  vénérer le tombeau de Saint Gilles, voire plus outre vers Rome, la Terre Sainte et Jérusalem. La littérature médiévale s'y est intéressée et en parle même comme du premier pélérinage du pays. Une autre chanson de geste nous parle d'un certain Guilhem à Cort Nes (au nez court) qui à la tête de son armée emprunta la Regordane pour aller reprendre Nîmes au Sarazins :


"Ils vêtent leurs hauberts, lacent leurs heaumes gemmés,

Ceignent leurs épées à la garde incrustée d'or,

Montent leurs destriers harnachés,

Pendant à leur flanc leurs écus sont bouclés.
Quittant la ville en rangs serrés,

L'oriflamme porté devant eux,

Tout droit vers Nîmes ils s'acheminent,

En tout dix mille Français bien armés,

Et fin prêts pour la bataille.

Au petit trot à travers bois ils chevauchèrent

Passant Regordane, allant plus outre,

Et du Puy jusqu'ici jamais ne s'arrêtèrent."

 

En 1878 un écrivain écossais bien connu, Robert Louis STEVENSON, déprimé suite à un amour malheureux et voulant se changer les idées décida de visiter les Cévennes à pieds et aux pas d'une petite anesse appelée "Modestine" portant son bagage.  Il partit du Monastier sur Gazeille (Haute-Loire) pour atteindre Saint Jean du Gard une douzaine de jours plus tard. Cet itinéraire devait être redécouvert pour devenir le GR Stevenson très prisé des randonneurs moyens.  Puis ce fut tout le parcours complet du Puy en Velay à Saint Gilles du Gard qui devint le GR700 "chemin de Regordane". 

 

Etant jeune j'ai visité cette région, non point au pas d'une anesse mais - plus prosaïquement - avec une deux chevaux (vapeur).  J'avais adoré, n'ayant  malheureusement jamais pu y retourner.  Mais aujourd'hui j'en rêve encore en relisant ces noms évocateurs comme Costaros, Pradelles, la Bastide Puylaurent, la Garde Guérin, Villefort, Portes, etc... etc...


Ayant en Métropole de nombreux petits-neveux et nièces, il se pourrait que certain(e)s aient eux-mêmes foulé ces sentiers...  J'en profite pour les saluer tous et toutes leur souhaîtant de bonnes vacances (si c'est le cas).

 

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13 mai 2011 5 13 /05 /mai /2011 11:40

Un nom dont se souviennent peut être ceux qui ont lu la vie de Charles de FOUCAULD à propos du voyage d'exploration que fit celui ci au Maroc dans les années 1883-4 alors que ce CharlesdeFoucauld1886.gifterritoire que convoitait la France déjà implantée en Algérie était strictement interdit aux "roumis". Il fut le guide interprète sans lequel il n'aurait jamais pu effectuer incognito ce voyage qui dissimulait en fait une mission d'espionnage au profit de l'armée et du gouvernement français, un détail que Mardochée (Mordechaï en hébreu), juif marocain, semble avoir ignoré presque jusqu'à la fin. Lors de la 2ème rencontre mondiale du "judaïsme francophone" qui s'est tenue à Natanya (Israël) en 2008, le conférencier Tobie NATAN, né en Egypte en 1948, professeur de psychologie à l'Université de Paris 8, conseiller de coopération et d'action culturelle près l'embassade de France en Israël (Tel Aviv), a prétendu avoir rencontré un descendant de ce Mardochée ABI SROUR ce qui a pu autoriser le romancier d'origine algéro-marocaine Kebir AMMI dans son  livre "Mardochée" à faire présenter le récit-confession qu'il fit avant de mourir par son petit-fils.

La vie de cet homme, ecclipsée en quelque sorte par l'ombre de celui qui devint le Père de FOUCAULD, est tout à fait passionnante.  Tobie NATAN a cité dans sa conférence le livre que lui a consacré Jacob OLLIEL (originaire de Colomb Béchard) intitulé "de Jérusalem à Tombouctou" (auteur par ailleurs de l'histoire peu connue des Juifs du Sahara implantés bien avant la conquête arabe). Je ne l'ai pas lu mais tout ce que j'ai pu glaner par ailleurs à son sujet a suffi pour me prendre de passion pour ce personnage hors du commun. 

 

Mordechaï ABI SROUR naquit en 1826 à Akka, une oasis de l'extrême sud marocain, à proximité de la vallée du Drâa, région de Guelmin-Smara (à la verticale de Marrakech et l'horizontale d'Ifni sur la côte atlantique).

A l'âge de 9 ans il partit seul pour Marrakech y étudier l'hébreu et le Talmud.  A 13 ans on l'envoya à Jérusalem pour y suivre des études rabbiniques.  Il mettra trois ans pour atteindre la Palestine à pieds ( de communauté en communauté).  Au bout de quatre ans il sortit rabbin de la yeshiva (séminaire) et fut envoyé dans la communauté juive d'Alep en Syrie d'où il prépara son retour au Maghreb. De 1847 à 1858 il fut rabbin en Algérie (Philippeville puis Alger). Il eut l'occasion de se rendre à Tamentit l'ancienne capitale juive du Touat (sud-ouest algérien) et plaque tournante du commerce caravanier. Depuis les débuts de l'ère chrétienne, il y eut toujours  des Juifs en Afrique (pas uniquement au Maghreb) issus de la Diaspora. Mordechaï prit ainsi contact avec des caravaniers et décida de donner à sa vie une nouvelle orientation en devenant commerçant itinérant. Ayant amassé une petite fortune, il revint à Akka en faire bénéficier sa famille mais nourrissant d'autres projets de voyages commerciaux au Sahara et surtout de se rendre à Tombouctou.

p-18-Tombouctou.jpgTombouctou ou Timbouctou, sur le fleuve Niger, dans l'actuel Mali, ville sainte de l'Islam, mystérieuse perle du désert aux mosquées de terre cuite, avec sa bibliothèque composée de près de cent mille manuscrits, mais où aucun non-musulman ne pouvait pénétrer sans risquer sa vie. Ainsi le Major anglais Gordon LAIGN y avait été assassiné en 1826, plus tard René CAILLE et Heinrich BARTH n'avaient dû leur salut, de justesse, qu'en réussissant à dissimuler leur identité. Pourtant, quelques Juifs y étaient tolérés pour stricte raison commerciale : il y avait des mines d'or à proximité et c'est en or que la ville de Tombouctou réglait tous ses achats de marchandises. C'était tentant mais très risqué, néanmoins Mordechaï décida de partir avec son jeune frère Isaac, bien décidé à forcer les portes de la cité interdite. Après quelques étapes sans histoire (Tindouf, Teghazza, Taoudenni, Bir Ounane) ils furent arrêtés et faits prisonniers à Araouane. Mordechaï maitrisait complètement la langue arabe et avait aussi une très bonne connaissance du Coran. Grâce à celà et déployant un véritable génie, il désarma pour ainsi dire ses adversaires et au bout d'un an on l'autorisa à poursuivre sa route vers Tombouctou. Mais ce n'était que le début de leurs peines. Plusieurs fois arrêtés, menacés de mort, relâchés in extremis, arrêtés de nouveau, battus, emprisonnés et finalement retenus comme esclaves.  Mordechaï seul réussit à s'enfuir et par le fleuve Niger à atteindre la capitale du royaume peul de Macina dont il connaissait la langue et où il put se faire recevoir au palais du roi. Moyennant paiement d'un tribut annuel il réussit à obtenir de lui l'autorisation de résider et de commercer à Tombouctou.  Victoire totale !  Il retourna chercher son frère et fit ainsi son entrée à Tombouctou, en toute légalité, et où il devait résider jusqu'en 1863, son commerce étant devenu très prospère et lui très riche.  Mais il éprouva le besoin de rentrer au Maroc, revoir sa famille, écouler son or en se réapprovisionnant en divers articles et persuader certains parents et amis de le suivre. Il renouvela l'opération tant et si bien que la petite colonie juive de Tombouctou s'agrandit grâce à lui et put s'organiser en communauté et suivre paisiblement son culte, ce qui émerveilla le Consul de France à Mogador, Auguste BEAUMIER, impatient de rencontrer ce Mordechaï Abi Srour, l'artisan d'une aussi exceptionnelle réussite.  

Mais tout homme qui réussit se fait fatalement des ennemis.  Ceux de Mordechaï avaient commencé à lui nuire en faisant attaquer ses caravanes par des sbires mais celà ne suffit pas à l'abattre. Profitant d'une absence prolongée et d'un changement politique, ils intriguèrent pour faire confisquer tous ses biens par le gouverneur de Tombouctou.  Rentré en catastrophe, Mordechaï tenta de plaider sa cause mais fut débouté.  Recouvrant ce qu'il put de ses créances qu'il convertit en poudre d'or, il quitta la ville pensant ne plus jamais y revenir. 

A trois jours de marche d'Akka, son village natal, il fut attaqué par des pillards.  Il put sauver sa vie et celle de son frère Isaac mais se trouvait cette fois totalement ruiné.

Le Consul de France BEAUMIER qui s'était intéressé à lui depuis ses débuts à Tombouctou lui vint en aide en lui demandant de raconter par écrit son aventure en fournissant le plus de détails possibles sur les itinéraires qu'il avait suivis, ses étapes et bivouacs, les puits qu'il avait rencontrés ainsi que les caravanes, les marchandises qu'elles transportaient, leurs prix, etc...etc...  Ce haut fonctionnaire avait pris toute la mesure des ressources d'un tel homme qui connaissait parfaitement l'ouest saharien, ses habitants, parlant arabe, berbère, peul, bambara,  pouvant donc être très utile aux visées colonialistes du gouvernement français ce dont il avait informé ses supérieurs.

Le récit de Mordechaï fut publié traduit de l'hébreu dans le Bulletin de la Société de Géographie de mai-juin 1870 sous le titre de "Premier établissement des Israélites à Timbouctou".

En attendant que lui soient confiées des missions plus importantes, BEAUMIER lui demanda de se mettre au service des sociétés savantes parisiennes (Société de Géographie, Museum d'Histoire naturelle, notamment) pour collecter informations, échantillons botaniques, géologiques, archéologiques, etc... C'est ainsi qu'il put rencontrer des savants comme Henri DUVEYRIER (voyageur et géographe) et d'autres. On parlait de lui dans "le Monde illustré" et son portrait était reproduit.

Le récit de son voyage à pieds de "Mogador au Djebel Tabayoudt" parut danf1.highres.pngs le Bulletin de la Société de Géographie de Paris en 1875, présenté par Duveyrier.

 

 

 

ci-contre parution du récit de Mardochée présenté par Duveyrier dans le bulletin de la Société de Géographie (site Gallica de la BDF)

 

 

 

 

 

 

 

 

En ethnologie il fit même une étonnante révélation : la découverte p-11--Rebbi-_small_small.jpgparmi les Touareg d'une tribu se disant d'origine juive dont les ancêtres étaient venus de Tamentit, les Daggatoun.

 le Targui ci contre de la tribu des Igdalen porte une tresse

 

 

 


f680.highres.png

 

 

 

 

 

 

itinéraire de Mardochée de Mogador à Tabayoudt (site Gallica de la BDF)

 

 

 

 

 

Le Touat est une région particulirement isolé du Sahara ocidental et c'est là que choisirent de s'installer au début du IIème siècle des descendants de Juifs chassés de Palestine après la destruction du Temple de Jérusalem. Ceux-ci entreprirent alors de recréer une communauté, de fertiliser le désert en réalisant des travaux d'irrigation. Quand le dromadaire fut introduit au Sahara, ils se lancèrent dans la grande aventure du Touat-1.gifcommerce caravanier.   La prospérité du Touat  fit sa renommée en Europe et en Orient et le nom de sa capitale, Tamentit, devint légendaire comme celui de Tombouctou et de Chingetti. On parla même de "petite Jérusalem du Sahara".


Mais la mort d'Auguste BAUMIER, son bienfaiteur, en 1876 allait changer son destin. Il retomba rapidement dans l'oubli et quitta le Maroc pour aller enseigner le Talmud à Oran y vivant fort misérablement. 

C'est alors, en 1879, qu'on se souvint de lui à propos d'une mission à Tombouctou dans le cadre du projet de chemin de fer trans- saharien et il rencontra à cette occasion Ferdinand de LESSEPS et le fameux Colonel FLATTERS qui devait être massacré par les Touareg lors de sa deuxième mission au Sahara. Mais Mordechaï avait décliné l'offre de celui ci de se joindre à lui prétextant des changements politiques susceptibles de compromettre son projet de reconnaissance. Il fit aussi la connaissance d'Oskar LENZ, explorateur autrichien, à qui il apporta son aide et ses conseils pour préparer son voyage à Tombouctou qui devait lui valoir la médaille d'or de la Société de Géographie de Paris.  Mardochée, lui qui avait fait quatorze traversées juqu'à Tombouctou, ne reçut pour sa part ni médaille ni récompense d'aucune sorte, ce n'était qu'un indigène ne pouvant être mis au rang des nationaux

Néanmoins, par égard pour la situation matérielle désastreuse dans laquelle il vivait avec sa femme et ses trois enfants, la Société de Géographie lui fit obtenir la direction d'une petite école israélite à Alger.

220px-Rabbi_Mordechai_1870s-copie-1.jpgEt c'est là, dans un misérable gourbi de la mellah (quartier juif) qu'il fut mandé de la part du Conservateur de la Bibliothèque et membre de la Société de Géographie, Oscar Mac CARTHY : il s'agissait de guider à travers le Maroc un explorateur débutant de 25 ans, vicomte de surcroit, nommé Charles de FOUCAULD, officiellement démissionnaire de l'armée, une aventure où

Mordechaï Abi Srour à l'époque de son exploration du Maroc avec de Faucauld (site Gallica de la BDF)

il risquait sa vie dans cette partie du Maroc en pleine dissidence qui était

précisémentl'objectif principal de son voyage. Mordechaï Abi SROUR accepta néanmoins et en dépit de son mauvais état de santé en lui faisant prendre le costume et l'identité d'un rabbin pour se fondre parmi les Juifs marocains et passer aux yeux des Musulmans pour un de ces collecteurs de fonds venus de Palestine pour quêter au profit des yechivot (séminaires) de Jérusalem.

Le voyage dura onze mois en fait, beaucoup plus longtemps que ne s'y attendait Mordechaï et de plus émaillé de mille incidents pénibles ce qui acheva de ruiner sa santé.  FOUCAULD revenu vivant fut fêté en héros et son livre "Reconnaissance au Maroc" obtint un grand succès. Or, ce qui peut tout de même surprendre, il n'est pas même question dans cet ouvrage du rôle essentiel de Mordechaï. Charles-de-Foucauld-Reconnaissance-au-Maroc.jpgLa "Reconnaissance au Maroc"était avant tout une oeuvre scientifique, à la fois géographique, militaire et politique à la suite de quoi Charles de FOUCAULD rédigea une seconde partie intitulée "Renseignements" où il rassembla tous les détails possibles sur les rivières, les tribus, leurs divisions, le nombre de fusils et de chevaux dont elles disposent, les routes et itinéraires, etc... destinée aux troupes françaises qui opéraient sur la frontière marocaine. Les objectifs de ce voyage étaient donc essentiellement politiques et militaires mais il semble bien que Mordechaï en fut tenu dans l'ignorance. Aurait-il accepté cette mission autrement ? ... On peut se poser la question. Il était sujet marocain (tout en étant Juif) et en tant que tel ne devait guère être favorable à la conquête du pays par la France : les Juifs étaient méprisés au Maroc mais, finalement, on les laissait tranquille.  En France, en revanche, on s'y intéressait beaucoup trop ... et pas en bien !  FOUCAULD, sans doute incapable lui même de surmonter les préventions de l'époque envers eux, a jugé sévèrement ceux qui l'avaient pourtant accueilli, hébergé, nourri, caché à leurs risques et périls, pire dans sa correspondance privée, à sa famille, à ses amis, il accusa son guide de tous les maux. On est tout de même frappé - et fort désagréablement - de celà. Disons tout de même que, beaucoup plus tard, il exprima de la reconnaissance pour son vieux compagnon de route qui lui fut fidèle et honnête jusqu'au bout à défaut de réelle compréhension mutuelle. Ce regrettable état de faits contribua à donner de lui une image détestable et d'occulter ses 49 années d'aventures (y compris les onze mois en compagnie de Charles de FOUCAULD).  Moins de deux ans après, en 1886, il mourut à Alger, dans la misère, âgé d'une soixantaine d'années. 

Paradoxalement, le nom du rabbin Mardochée ne se rencontrait plus que dans les ouvrages consacrés à celui qui devint le Père de FOUCAULD (bienheureux). Moi même l'ai trouvé dans la biographie très complète de Marguerite CASTILLON du PERRON (1982) mais n'aurait sans doute jamais su quel formidable aventurier se cachait derrière si je n'étais tombé par hasard, au rayon liv200904141324 zoomres d'une grande surface, sur le "Mardochée" de Kebir AMMI, algérien de père mais marocain par sa mère.

110780257dCelui-ci a imaginé Mardochée sur le point de mourir, écrivant un récit-confession de sa dernière aventure avec ce jeune vicomte français qu'il prenait pour un simple aventurier-débutant. Or il lui était nettement apparu vers la fin du voyage qu'il menait en fait une mission qui n'était pas seulement scientifiques mais de renseignements à des fins militaires devant servir à la conquête du Maroc par les Français. Profitant d'une occasion unique, il avait fouillé son bagage et découvert les carnets qu'il tenait scrupuleusement.  Ce qu'il avait pu en lire ne laissait pour lui plus aucun doute et il en fut terriblement affligé. Il voulut détruire ces carnets mais aucune occasion favorable ne se présenta plus, Foucauld était toujours sur ses gardes, dormant peu et d'un oeil.  Sans le serment qui le liait à cet homme, il l'aurait peut être tué de ses mains.  Rentrés tous deux en Algérie, cette mission avait donc pleinement réussi et ce grâce à lui, Mardochée, car jamais Foucauld n'en serait revenu vivant, seul ou avec un guide moins expérimenté. Il avait donc, involontairement certes, pactisé avec la France contre son pays, le Maroc, devenu un traitre en somme et il en éprouva un véritable remords qui le tarauda jusqu'à la fin de sa vie.  

Avant de mourir il écrivit sa confession, volontairement en arabe, alors qu'il maitrisait aussi parfaitement le français et l'hébreu, estimant n'avoir à rendre compte qu'à ses frères musulmans. 

Longtemps après, ce manuscrit fut retrouvé au Maroc dans une famille amie de son père par un de ses petits fils qui s'était rendu sur la tombe de son aïeule, Mardochée n'ayant pas eu de tombe, ses cendres ayant été dispersées.

Charles_de_Foucauld-copie-1.jpgMais ce petit fils voulut aussi voir celle de l'homme de qui son grand'père avait été le guide, devenu plus tard ermite au Hoggar où il fut assassiné (le 1er Décembre 1916) par des sénoussistes et reconnu saint homme des Chrétiens sous le nom de Père de Foucauld. L'ayant retrouvée et ayant creusé tout à côté un trou dans le sable, c'est là qu'il déposa, et à jamais, la confession de Mardochée.

Ce geste était, inconsciemment sans doute extrêmement significatif car c'est suite à cette expérience au Maroc que la vie de Charles de Foucauld devait changer radicalement laissant retentir en lui, de plus en plus insistant, l'appel du silence.

Trois ans plus tard la dépouille du général LAPERRINE, son grand ami, mort au cours d'une reconnaissance aérienne, fut enterrée à côté de sa tombe.


 

 




 

 

 


    


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30 mars 2011 3 30 /03 /mars /2011 13:46

kibbutz Yad Hanna

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Lev Hasharon

ISRAEL

(mon adresse du moment) 

 

4  Juin 1964

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................................. Fait de nombreuses connaissances au cours de cette traversée (Marseille-Haïfa à bord du "Césarée" de la Cie Française de Navigation, du 27/5 au 2/6) : d'un receveur des Postes à Jérusalem qui m'a parlé d'Ein Gueddi et de la Mer Morte, à un étudiant péruvien en économie se rendant en voyage d'études avec un groupe de Sud-Américains, en passant par un directeur d'agence bancaire  à Tel Aviv et, last but not least, d'une jeune femme membre d'un kibbutz de la plaine du Sharon, d'origine allemande, mariée à un Hongrois qui en est le secrétaire. Or c'est précisément de ce kibbutz que je vous écris ce soir car elle m'avait proposé d'y venir travailler ainsi qu'à une autre passagère française. De sorte que je n'ai même pas eu besoin de passer par l'Agence juive. Nous sommes ici à la frontière jordano-israélienne à seize kilomètres à l'Est de Nathanya sur la côte, entre Haïfa et Tell Aviv. De l'autre côté de la frontière c'est la ville jordanienne de Tulkarem.  Pour le moment je travaille dans les bananeraies : débarrasser les troncs de leurs enveloppes et feuilles sèches d'abord puis nous jetterons l'engrais dans les rangs qui se présente comme du sel  et qui se lance à la volée comme pour les semailles. Un coup à attraper.


 C'est un petit kibbutz d'une centaine de membres (y compris les enfants) auxquels viennent s'ajouter une trentaine de jeunes gens effectuant leur service militaire dans le cadre de la Nahal, combinant en fait un service armée dans une unité combattante et un service civil. Fondé en 1950 par un groupe de pionniers d'origine hongroise il a pris le nom de Hanna Szenes, une héroïne hongroise de la seconde guerre mondiale.
Nous nous levons à 4h du matin (en avance d'une heure par rapport à l'heure de Paris) pour commencer le travail dès 5h après une collation. A 8h on fait la pause de trois quarts d'heure pour un petit déjeuner très copieux : pain, beurre, confiture, oeufs durs ou au plat, crudités (radis, concombre, poivrons) lait, chocolat ou thé. On reprend le travaille jusqu'à 13h30 avec entre temps une pause-thé qu'on nous apporte sur place. La journée de travail normale s'arrête là pratiquement avec le déjeuner (poisson ou plus rarement viande ou oeufs, légumes, fruits, shamenet qui est une sorte de fromage blanc). Comme boisson de l'eau plate mais aussi du mitz (jus de fruit) et du thé. Pas de vin réservé aux fêtes ou évènement exceptionnel. Après le déjeuner on va faire la sieste  et puis après c'est comme on veut  (courrier pour moi aujourd'hui) jusqu'au repas du soir qui est à 18h30 et, comme il faut se lever de très bonne heure le lendemain, on se couche finalement assez tôt.
Un mot maintenant sur la structure sociale des villages qui n'est pas uniformément le kibbutz. Il existe aussi une forme de collectivisme atténué caractérisée par le "mochav" ou village coopératif qui peut prendre lui même deux formes :  celle d'un village coopératif étant ni plus ni moins qu'un regroupement d'exploitations familiales indépendantes où chacun cultive son "dounam" (lopin) comme il l'entend et qui ne sont associés qu'en vue de la vente des récoltes, ou bien celle d'un village coopératif mixte "mochav chitoufi", ce qui serait le cas de Yad Hanna, dans lequel le principe collectiviste  est maintenu pour la terre travaillée et gérée en commun tandis que la vie familiale demeure assez individuelle. A Yad Hanna chaque famille dispose de tout ou partie d'un bungalow construit avec l'argent de la communauté et meublé, décoré, au goût de chacun. La notion d'argent  n'y est pas exclus, à chaque famille est allouée une somme forfaitaire estimée selon son importance pour l'habillement (en dehors des habits de travail qui sont fournis), les loisirs, les fantaisies, etc... Les frais de logement, d'alimentation, d'éducation des enfants, de soins médicaux sont couverts par la communauté.  Cette somme forfaitaire est actuellement de cinquante Livres israéliennes par personne soit environ  cent de nos Francs et en gros.  La communauté de Yad Hanna comporte un bureau-secrétariat composé d'un secrétaire, Zvi BERGER, un trésorier, un agent pour les relations avec l'extérieur (banques, coopératives d'achat et de vente, etc...) un planificateur du travail ou premier contremaitre chargé de répartir les différentes tâches entre les travailleurs, assisté sur place, au champ, par deux autres contremaitres pour diriger et surveiller.  Chaque soir le contremaitre principal établit l'emploi du temps pour le lendemain et les deux autres le répercute sur leur effectif dont ils ont la charge.  Les femmes en principe ne travaillent pas au champ (sauf pour les travaux les moins pénibles) mais principalement occupées à la cuisine, à la laverie, à la maison des enfants (beth yeladim), au nettoyage, jardinage. On passe un film deux fois la semaine et il y a une bibliothèque et une discothèque, livres et revues en hébreu pour la plupart évidemment mais aussi quelques uns en anglais.  Le samedi (shabbat) on ne travaille pas et lorsqu'une grande excursion est programmée il arrive qu'on saute le dimanche.
Pour le moment je travaille dans les bananeraies, nettoyer d'abord les "troncs" au coupe-chou de leurs feuilles sèches pour que le pied respire mieux, puis épandage d'engrais à la main à travers les rangs, engrais potassique provenant de la mer Morte et traité sur ses rives mêmes.  Il y a un coup à attraper consistant à cadencer le pas avec le bras qui plonge dans le seau d'engrais tenu sous le bras gauche (enfin quand on est droitier) et lance la poignée à la volée, comme pour les semailles. Le "tronc" du bananier comporte de multiples "écorces" (un peu comme les pelures d'un oignon) entre lesquelles se conserve l'humidité. La dernière, plus fine, arrive à se dessécher et il faut alors l'en débarrasser pour que le "tronc" respire mieux. Comme le bananier est une "herbe" en fait (eh oui !) çà fait bizarre de parler de tronc. Les régimes sont sortis mais la récolte ne se fera que dans quatre mois. Je suis dans une équipe de huit (25 ans de moyenne d'âge, elle est de 35-40 ans environ dans tout le kibbutz). La chaleur est très supportable à cette saison (25° environ). Nous en avons pour une bonne semaine de ce boulot.  Après on passera à autre chose.
C'est aussi un peu à la volée que je vous écris ce soir, donc vite et plutôt mal, mais trouvant tant à dire sans avoir épuisé le sujet mais je dois m'arrêter.
J'ai prévenu l'Agence juive à qui j'avais écrit et qui se charge de placer les visiteurs en Israël dans les différents kibbutzim,  je pensais devoir m'y rendre en débarquant, mais les choses ont tourné autrement, et pour le mieux en fait, toutefois rien ne dit que je n'aurais pas besoin de leurs services plus tard.
Si ma carte des Auberges est arrivée, pourriez vous me la poster,  elle pourrait m'être utile car il y a des A.J. ici aussi.
A très bientôt (aussi longuement ?...)

 

Yad Hanna, dimanche 21 Juin 1964
 
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Toujours à Yad Hanna et peu pressé d'en  partir.  Je m'y plais bien. J'y assure ma subsistance comme journalier agricole et en dehors je fais du tourisme, soit seul soit en compagnie.  Quand je pars loin, pour un ou deux jours, je préviens le kibbutz de mon absence et çà ne fait pas de problème. Moyennant quoi, à moi de me débrouiller pour me déplacer, manger et dormir, tapant dans mon "pécule". L'auto-stop marche bien en Israël, j'y ai déjà eu recours. L'inconvénient c'est qu'on peut perdre pas mal de temps à attendre. Pour mois c'est donc selon, mais il y a des cars pour aller partout, des taxis collectifs, le train aussi pour les grandes distances, soit 3 lignes : de Haïfa à Jérusalem (par Lydda) 154 Kms - de Haïfa à Naharya (vers le Nord) 30 Kms et enfin de Lydda à Beershéva  (le plus au sud) 82Kms.  Depuis ma grande sortie avec la Nahal à Ein Gueddi sur les bords de la Mer Morte, je suis allé à Nazareth pour une première approche de la Galilée avec trois copains du kibbutz.  Le 13 une rencontre avec un monsieur qui est professeur de Français à Tel Aviv m'a valu d'être invité ainsi qu'Eliane (la française rencontrée sur le bateau) à une petite garden-party nocturne chez lui (belle villa!).  Sa femme est américaine et ils ont cinq enfants.  Tous les invités (une vingtaine à peu près) parlaient français et parmi eux un médecin et sa femme, un architecte et sa femme, le conseiller culturel près l'embassade de France en Israël (Monsieur Teynier) qui m'a d'ailleurs laissé sa carte, un technicien agricole, et d'autres encore, un "diner de têtes" en somme !... mais peu guindé.  En Israël on est assez relax.  Je m'y trouvais à l'aise, alors c'est vous dire. Monsieur Freudmann dont nous étions les hôtes est particulièrement sympathique.  Il a trouvé très intéressante notre façon de visiter le pays, Eliane et moi, même assez courageuse selon lui, pourquoi ? Evidemment ce n'est pas le Club Méditerranée. Expérience d'un nouveau milieu, plutôt intello. 
La semaine passée, j'ai été invité dans la famille d'un ouvrier qui travaille à Yad Hanna, habitant Shikun Vatikim pas bien loin du kibbutz. Pas mal de difficulté à nous faire comprendre, personne ne parlant anglais dans la famille, juste deux mots de français de la part d'une des filles.  Shmouel qui est un israélite orthodoxe était plutôt déconcerté de me voir arriver à pieds, ce qui ne se fait pas un jour de Sabbah, mais il n'y avait pas de car de toutes façons. Et puis Yeshou (Jésus) marchait bien le jour du Sabbah et je suis un Notzri (Nazaréen, autrement dit un Chrétien). Alors !
Avec les jeunes de la Nahal nous sommes allés à Mikhmoreth, village de pêcheur, à quelques kilomètres de Nathanya pour un bain de minuit. Il faisait un beau clair de lune et l'eau était bonne.  Très romantique.
J'ai en projet d'allée à Césarée où se trouvent les ruines de la capitale romaine de la Palestine.
Un camarade a des amis à Shamir, kibbutz dans le nord du pays, à la frontière syrienne où il peut me recommander.  Il ne tient qu'à moi d'y aller travailler tout en pouvant explorer la région.  C'est parfait çà, mais pas encore pour l'immédiat. 
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Yad Hanna, lundi 29 Juin 1964.
................................................ .......... (du Jeudi 25 Juin)
Profitant d'un véhicule se rendant dans cette direction, me voilà parti pour Benyamina (par Hadera), agglomération de quelque trois mille habitants fondée en 1920 par des immigrants venus d'Allemagne et du Caucase, siège de plusieurs industries : meuneries, distilleries d'essences à parfum, carrières et cultures spécialisées : betterave sucrière avec usine sucrière et de raffinage, oranges, viviers à carpes.  Les carrières de Benyamina qui occupent cent cinquante ouvriers et dotées d'un puissant matériel américain (tapis roulants, concasseuses, grues, tracteurs, bulldozers, bennes automobiles) sont exploitées par une société israélo-américaine, l'Israel-America Agregate Limited. Les matériaux tirés des carrières sont traités pour être utilisés dans le bâtiment (gravier, chaux, ...) C'est là aussi qu'on extrait d'énormes blocs de rocher pour servir à la construction de la digue du futur port d'Ashdod. Après avoir visité les carrières et observé le fonctionnement des engins notamment le chargement d'un camion faisant la navette Benyamina-Ashdod, un puissant Mack de vingt tonnes, semi remorque de marque américaine, je suis tout simplement monté à côté du chauffeur, parlant un peu d'anglais, enchanté d'avoir un compagnon de route, et moi donc !  Occasion d'aller voir ce fameux port en construction dont un Israélien m'avait parlé sur le bateau. Avec seize tonnes de chargement, les 85/90 kilos à vue de nez du chauffeur, très barraqué, et mes soixante douze kilos personnels, le mastodonte nous a donc menés à une petite moyenne de cinquante kilomètres heure de Benyamin à Ashdod, entre Tell Aviv et le couloir égyptien.  C'est là, dans un paysage de dunes, qu'a été mis en chantier il y a déja quatre ans le troisième port israélien après Haïfa et Eilath (sur la mer Rouge), le deuxième sur la Méditerranée, car celui de Yaffo (Jaffa) et d'Acco (St Jean d'Acre) ne peuvent recevoir des bateaux de fort tonnage.  Voir se construire un port entièrement artificiel et d'une telle importance  (égale voire supérieure à celle de Haïfa) pour le pays n'est pas une occasion qui se rencontre tous les jours.  J'ai été très impressionné par ce chantier énorme qui occupe mille cinq cents ouvriers et un matériel considérable.  Dès la fin de l'année ou début de l'année prochaine, il pourra déja être utilisé pour l'exportation d'agrumes notamment, le creusement du bassin sera alors terminé.  Et d'ici peu surgira à cet emplacement où il n'y avait rien  un grand centre industriel  avec entrepots, fabriques, magasins généraux, ... On avance très vite dans ce pays où l'on ne s'arrête jamais d'entreprendre.  Une fois achevé le port d'Ashdod, la pose d'un pipe-line sera mise en chantier  pour acheminer le pétrole depuis le port d'Elath sur la mer Rouge jusqu'à Ashdod.  Je suis rentré le soir avec le même camion retournant à vide jusqu'à Nathanya et de là en stop jusqu'à Yad Hanna.  A côté des vestiges de civilisations disparues - et "nous savons que les civilisations son t mortelles"- ce pays offre le spectacle de réalisations modernes stupéfiantes, dignes du génie de l'homme.
................................................................  (du Vendredi 26 Juin)
 
Après le boulot (desherbage dans les champs de cacahuetes) et le déjeuner, départ avec trois gars de la Nahal et Eliane, sac au dos avec une tente et quelques provisions, pour Césarée- Quesarya par le car  d'abord puis deux kilomètres à pieds pour arriver sur le site. Il s'agit de Césarée-maritime, à ne pas confondre avec Césarée de Philippe ou Banyas sur les hauteurs du Golan. Ce fut d'abord un port phénicien qui devint sous l'occupation romaine capitale de la Palestine et siège des procuraties romaines.  Césarée connut au IIIème siècle, VIème et mi-Vème de notre ère une exceptionnelle grandeur tant par son commerce florissant  que par le centre intellectuel  qui s'y développa.  Le Nouveau Testament la cite fréquemment car ce fut aussi un centre de la chrétienté primitive.  L'apôtre Pierre y prêcha et Paul y fut emprisonné deux ans.  De l'époque romaine subsistent les ruines de ce qui dût être un magnifique amphithéâtre, face à la mer, où étaient jouées des tragédies mais où se donnaient aussi des combats de gladiateurs, un acqueduc qui, outre son rôle utilitaire, est une oeuvre architecturale remarquable, les vestiges du temple d'Auguste et de l'hippodrome ainsi que les restes de piliers de l'ancienne jetée dont certains gisent au fond de l'eau de marbre blanc et de porphyre.
De la ville médiévale en face du port subsistent encore les ruines de la forteresse des croisés, de la chapelle, de la cathédrale, des portes nord et sud.  Ces ruines, disséminées dans un site naturel d'une grande beauté, prennent au couchant des tons et un relief extraordinaires et, la nuit, au clair de lune, un aspect presque surnaturel.  Nous avions planté la tente dans ce décors, sur la plage, et allumé un petit feu pour chauffer l'eau du thé et nous éclairer en attendant que la lune se lève. Comment oublier l'émotion ressentie cette nuit là quand elle surgit, énorme et toute ronde, jetant un jour fantômal sur ces murs écroulés sous le poids des siècles, sur ce port désert où entraient jadis les nefs ballonnées. Et la mer, elle que les âges et les âges n'atteignent point, qui toujours ourle ses vagues sur les rivages en dépit du temps et des hommes, la mer symbole d'éternité, affirmant cette fragilité des oeuvres humaines, de l'homme lui-même. Mélange d'admiration et d'effroi, sentiment de transport et d'écrasement, d'une domination divine. 
Peu dormi, les pensées affluant et refluant comme les vagues toute proches.
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Pris le car pour Tell Aviv où je retrouve Hava, jeune fille de la Nahal qui travaille à Yad Hanna, en permission, qui m'a invité chez elle.  Ses parents viennent de Bulgarie où elle même est née.  Ils habitent Jaffa en fait.  Elle me propose  de visiter les vieux quartiers et le port.  Jaffa (Yafo) a une histoire qui remonte fort loin.  Très souvent cité dans la Bible (A.T.).  C'est de Jaffa que Jonas s'était embarqué quand il fut avalé par la baleine.  Ce nom vient de Japhet, l'un des fils de Noé.  Le port a subi des vicissitudes sans nombre, de l'époque pharaonique aux guerres napoléoniennes (Kléber s'en empara en 1799) en passant par l'épisode idylique d'Antoine et Cléopatre (cadeau d'Antoine à la reine d'Egypte en gage d'amour, pas moinsss !)  Plus près de nous, au cours de la guerre d'indépendance d'Israel, Jaffa fut le théâtre de  violents combats de rue dont la ville, malgré la rapidité de son relèvement, porte encore des cicatrices. Devenu aujourd'hui faubourg immédiat de Tell Aviv, Yafo est joliment situé sur un monticule rocheux autour d'une petite baie formant un abri naturel contre la violence de la mer parfois dangereuse dans ces parages. Bon pour recevoir les galères de jadis, le port est incapable d'accueillir  les gros vapeurs, ceux-ci devant stopper un peu au large, passagers et marchandises étant transbordés dans des barques pour rejoindre la côte.  Ce qui explique l'activité très réduite de ce port.
Les vieux quartiers avec leurs venelles, leurs maisons arabes, la mosquée Mahmoudiyeh et une belle fontaine, leurs ateliers artisanaux, sont extrêmement pittoresques et je dois à mon guide d'avoir pu si bien les visiter. Hava ne parlant que peu d'anglais, la conversation fut parfois laborieuse mais ce fut aussi très amusant.  On pratique ici l'hospitalité telle qu'on ne peut la rencontrer en France ou ailleurs aussi je pense.  Le visiteur est presque reçu comme un envoyé des dieux !  me rappelant l'histoire de Philémon et Baucis recevant Hermès déguisé en paysan.  Si bien que j'ai terminé la soirée dans sa famille (père, mère, une soeur) installée ici depuis dix sept ans. Ses parents travaillent dans un restaurant et sont gentilment logés dans un immeuble moderne à l'extrémité de Jaffa.  Après le dîner nous sommes tous allés au Théâtre Habima (célèbre) de Tell Aviv voir une pièce française d'Henry Becque, "la Parisienne" mais en hébreu.  Je n'ai rien compris, ne pouvant que deviner le fil de l'action, aidé un peu aussi par la gentille Hava. Néanmoins je me suis beaucoup amusé à l'instar des autres.  J'ai passé la nuit chez ces gens charmants que je ne savais comment remercier.  Hava et moi sommes rentrés ce matin au kibbutz.
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Yad Hanna, dimanche 5 Juillet
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Aujourd'hui je suis allé à Athlit ( sur la côte, entre Haïfa et Hadera) par le car de 6H30 qui m'a déposé à quatre kms du site. Le passé d'Athlit remonte aussi loin que celui de Césarée.  On y a retrouvé les ruines d'un port phocéen.  Le Pélerin de Bordeaux le cite dans son itinéraire sous le nom de Certha. Les Croisés construisirent à cet emplacement une puissante forteresse que les Templiers renforcèrent encore par la suite et à laquelle ils donnèrent le nom de "Château-Pélerin" car c'était, avec Saint-Jean-d'Acre, le principal lieu de débarquement des Chrétiens venant en pélérinage à Jérusalem. Ayant été plusieurs fois attaquée par les Mameluks, la forteresse finit par tomber entre leurs mains et ils la démantelèrent.  Ne subsistent aujourd'hui que les ruines de deux tours de guet, des pans de plusieurs salles voûtées de style gothique (dans l'une d'elle on voit encore les stalles et les abreuvoirs pour les chevaux) ainsi que les restes de l'enceinte fortifiée faite de pierres rectangulaires de près d'un mètre cinquante de long.  Au milieu des ruines poussent à profusion des cactus arborescents  tandis que la mer sans fin se brise en gerbes d'écume sur les rochers de la côte.  Après la visite de ce site, je suis revenu sur la route où un scootériste s'est arrêté pour me prendre en selle jusqu'à Foureidis, village arabe, et de là j'ai pu me rendre à pieds  (3kms environ) au site arabe de Tantoura, au bord de la mer.  C'est à cet emplacement que se trouvait la cité cananéenne de Dor (1600 av JC).  Elle fut commandée par un officier du roi Salomon.  On peut encore voir les ruines d'une grande tour et d'un fort.  Des fouilles récentes ont mis à jour les restes d'une basilique chrétienne du IIIème siècle et d'un théâtre romain. Après que les Anglais eurent coulé sa flotte à St-Jean-d'Acre, Bonaparte battant en retraite jeta ses canons pour alléger  les vaisseaux qui lui restaient. Tantoura forme une petite baie fermée par une chaine de quatre îlots reliés entre eux sur lesquels les vagues se brisent, de sorte que l'eau est parfaitement calme rendant la baignade très agréable. Ce dont j'ai profité bien entendu, j'aurais même aimé pouvoir en profiter plus longtemps mais l'heure passant j'ai dû rejoindre la route de Haïfa-Tell Aviv où j'ai pris un autobus jusqu'à Beit Lid puis au plus près de Yad Hanna en passant par Zikron Yakov, célèbre en Israël  pour ses vins et l'Atatuk-Forest, plantations de sapins à l'emplacement du champ de bataille où s'opposèrent les troupes du général Allenby aux troupes turques en 1918.
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Yad Hanna, Mardi 7 Juillet
............................................................... Nous avons commencé la récolte des melons, des pêches, des betteraves. J'ai travaillé aux betteraves ces deux derniers jours.  Depuis aujourd'hui ce sont les melons et quels melons !... je n'en avais jamais vu d'aussi gros et d'aussi bons.  On suit le tracteur tirant une remorque-plateau pleine de caissettes vides et on ramasse les melons mûrs en les mettant dans un sac-goni.  Quand celui-ci est à moitié plein (car ils sont lourds ces melons!) on va le décharger sur la remorque où d'autres les mettent en caissettes. La remorque une fois pleine, le tracteur emporte le chargement jusqu'à un camion au bord de la route qui, lui même une fois plein, emporte le tout directement à la coopérative de vente (Tnouva).  C'est plus agréable que l'épandage d'engrais mais plus dur physiquement, surtout pendant les deux dernières heures où le soleil donne,  mais tout se passe dans la bonne humeur et ça c'est chouette. On a aussi une sacrée compensation dans ce boulot : s'en payer une tranche, de temps en temps, de ces merveilles. Enfin,  ne pas abuser quand même (si vous voyez ce que je veus dire !)
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Pas encore fait de plan pour Jérusalem où je compte me rendre avant de quitter Yad Hanna (chose que j'envisage vers fin Juillet).  La Vieille Ville se trouvant en Jordanie, je vais avoir de sérieuses difficultés pour m'y rendre, voire si c'est seulement possible ?... Il faut, parait-il, une autorisation spéciale des autorités jordaniennes mais comment celà ? Il faudrait que je me renseigne sérieusement.  Les Israëliens ne peuvent absolument pas se rendre dans la Vieille Ville ou Bethléem, sauf une fois par an, à Noël, pour ceux (rares) qui sont chrétiens, preuve à l'appui. En tant que touriste isolé, je n'ai surement pas grande chance.
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Yad Hanna, 17 Juillet 1964.   
...................  Mardi dernier je suis parti pour Jérusalem.  Suis passé par Antipatris, emplacement d'une ville construite sous Antipater, père d'Hérode. Ruines d'une forteresse franque.  Puis Ramleh dont Souleyman voulait faire la capitale de la Palestine.  La grande mosquée est une ancienne église des Croisés transformée sous la seconde période arabe.  La Tour des Quarante construite par Baïbar,  ruines de la mosquée Jamir el Abiad.  Une tradition veut que Ramleh soit le lieu de naissance de Joseph d'Arimathie, mais rien ne permet  vraiment d'identifier Arimathie à Ramleh.  Un couvent franciscain a pourtant été fondé ici et porte le nom de couvent Joseph d'Arimathie et Nicoldème.  Tout un quartier de la ville est typiquement arabe avec de très vieilles maisons à terrasses et coupoles.  De Ramlah je me suis rendu au kibbutz Gezer, fondé en 1945 par des colons venus d'Afrique du Nord) où j'ai demandé à visiter le site archéologique de Tell el Gezer dépendant du kibbutz, juste à la limite de la frontière jordanienne.  L'accueil a été sympa, on m'a prêté un bouquin sur l'historique des lieux répertoriant les découvertes faites par un archéologue anglais lors de fouilles commencées en 1902, enterrompues en 1910.  Les outils, poteries, bijoux, etc... ont été tranférés dans des musées de Londres. J'ai pu dîner et coucher au kibbutz et le lendemain matin de bonne heure je me suis rendu sur la butte de Gezer en compagnie d'un guide.  Nous avons visité une à une les nombreuses grottes qu'occupèrent les premiers habitants des lieux, il y a 3000 ans avant notre ère.  Il a fallu crapahuter à travers les rochers et la pierraille. A l'entrée d'une de ces grottes, nous avons dérangé un énorme chat sauvage  qui m'a fait une sacrée impression.  Il s'est enfui en faisant un bond prodigieux.  Un matou pareil ne doit pas avoir patte de velours !  Nous sommes rentrés au kibbutz vers les midi. Après avoir remercié mes hôtes, je suis allé reprendre le car pour Jérusalem enfin, à travers les collines de Judée, parcours magnifique, serpentant à travers une terre de haute antiquité, jusqu'à la Ville de Lumière (Yeroushalaïm shel Or), la trois fois sainte où je suis arrivé courant d'après midi. me laissant le temps d'entamer une première visite de la Nouvelle Ville : quartiers de Mea Shearim, Porte Mandelbaum (stop! frontière), le tombeau du roi David et le Cénacle, l'abbaye de la Dormition de la Vierge Marie.  De là on peut apercevoir, de l'autre côté des murs crénelés,  une partie de la Vieille-Ville.  Mais ce n'est qu'une première visite, je compte bien y revenir. Je suis revenu vers le centre ville par la Knesset (Parlement israélien), la maison de la radio (Kol Israel). Rencontré deux militaires en permission parlant bien français.  Nous avons pris un pot ensemble.  N'ayant rien prévu et étant donnée l'heure tardive, j'ai tout bonnement passé la nuit dans le Parc de l'Indépendance, allongé sur un banc dans un coin discret, la tête sur mon sac. Réveillé au lever du soleil salué par le chant du muezzin (côté Jordanie) et de cloches d'église (côté Israël) je suis allé prendre le car  pour Aïn Karem, lieu de naissance de Jean-Baptiste. C'est un pittoresque village accroché au flanc d'une colline parmi les vergers  et les couvents qui y sont nombreux.  De retour à Jérusalem j'ai pris le train pour Tel Aviv (où j'ai dû perdre ce carnet de notes) puis pour Nathanya et de là en bus jusqu'à Yad Hanna.  Plutôt fatigué mais content.
C'est décidé, dimanche prochain je quitte Yad Hanna pour Gaaton en Galilée occidentale où je vais retrouver Eliane mais n'y resterai qu'un ou deux jours avant de repartir pour Shamir où je suis attendu.  Sac léger puisque je laisse une partie de mes affaires à Yad Hanna où je reviendrai dans ... je ne sais pas encore.
Ma nouvelle adresse devient donc ( et jusqu'à nouvel ordre) : Kibbutz Shamir
Doar Na
Upper Galil (Israël).
   
Kibbutz Gaaton                                                      Lundi 20 Juillet 1964
Je suis arrivé à Gaaton venant de Naharya, kibbutz se trouvant à une quinzaine de kilomètres de la frontière libanaise.  Fondé en 1948 par des immigrants roumains, on y fait beaucoup d'exploitation fruitière (pommes, poires, pêches, raisin de table) mais en plus on y fabrique des boulons.  La situation est pittoresque au milieu des collines pierreuses de la Galilée occidentale avec, en face, sur un piton rocheux, les ruines de la forteresse franque de Kalat Djeddine.  J'y ai retrouvé Eliane qui y a des amis.  En tant que visiteur, je suis invité à y séjourner deux jours. De là je vais donc pouvoir visiter la forteresse de Montfort et la ville de Saint-Jean-d'Acre.....................................................................
 
Mardi 21 Juillet 1964
Je suis parti de bon matin à pieds par les collines, m'étant fait expliquer l'itinéraire la veille au soir.
Le sentier pittoresque s'amorce tout près de Gaaton. Il suit d'abord une ligne de crête avec une vue étendue sur la région et les confins libanais.  Après être passé par un moshav, le sentier redescend sur le village de Méona à travers les oliviers.  Puis remontée vers le village arabe de Mahallia bien situé sur une crête.  Particularité de ce village déjà typique en lui même, ss'y trouve un couvent grec-orthodoxe.  A son extrémité, ruines du Castel del Rei datant de l'époque franque et qui fit partie avec Montfort d'un fief appartenant aux chevaliers teutoniques. Après deux heures de marche sous le soleil et ces chemins poudreux, il fait soif !  Arrêt dans une buvette pour boire un mitz. Conversation cahin-caha avec le patron qui m'indique l'embranchement pour Montfort. Encore une heure de marche sur un sentier qui part dans tous les sens et sans aucun panneau. J'aperçois un troupeau de chèvres égayé sur une pente, le berger ne doit pas être loin.  En effet. C'est un gamin qui me dit d'aller à droite.  Comme le sentier descend dans une vallée encaissée, je dois être dans la bonne direction.  Et je tombe littéralement sur ce manoir fortifié de Montfort, bâti sur un éperon rocheux s'avançant dans la vallée du wadi Qern. Pour isoler complètement la forteresse et la rendre quasiment inexpugnable, les bâtisseurs avaient creusé un fossé du côté restant rattaché à la colline.  Position vraiment exceptionnelle. Saladin réussit quand même à s'en emparer et la rasa.  Il ne subsiste qu'une tour carrée, des pans de la grande salle de réunion des chevaliers et de la chapelle.  L'altitude est ici de cent quatre vingt cinq mètres.  Je rencontre un groupe de jeunes israéliens venus faire des exercices de topographie.  Je leur demande s'il est possible de revenir sur Gaaton par le wadi. Affirmatif.  Ils me donnent de bonnes explications (en anglais).  Après l'avoir suivi sur 3 kms environ, je coupe par la colline pour retomber sur la route de Naharya d'où je rejoins le kibbutz en stop.  
Demain avec Eliane et Jean-Pierre, un français qui vient d'arriver, nous allons à Acco (St Jean-d'Acre)
 
Mercredi 22 juillet
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Acco, la ville des Croisés. On peut imaginer l'impression ressentie par ces pélerins du Moyen Age débarquant après un voyage aventureux sur les nefs franques et leur effarement au premier contact avec l'Orient. 
Le clou de la vieille ville est sans conteste la mosquée de Jazzar qui fut construite en 1781 par le Pacha el Djazzar (surnommé le boucher pour sa cruauté), dernier émir d'Acre.  La cour intérieur est bordée sur trois côtés de galeries à colonnes de marbre provenant des ruines de Tyr, Sidon et Ashkalon. Des bougainvilliers, des palmiers-dattiers, dispensent leur ombrage et les fontaines leur fraicheur murmurante. L'intérieur est magnifiquement décoré de versets coraniques (l'écriture arabe est par elle même très ornementale) et le mur du fond ou se trouve le mirhab (niche indiquant la direction de la Mecque) est en marbre brun, vert et blanc, du plus bel effet.  Dans un coffret damasquiné déposé à l'intérieur d'un petit édifice, genre tabernacle, se trouvent enfermés des poils de la barbe du Prophète que l'on promène en procession chaque année au vingt septième jours du mois de Ramadan. 
A St-Jean-d'Acre est associé le souvenir de la cuisante défaite de Bonaparte à son retour de la campagne d'Egypte.  Celui-ci y mit le siège en 1799 mais Jazzar Pacha soutenu par les Anglais commandés par Sydney Smith repoussa l'attaque et le contraignit à quitter la Palestine.
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22 Juillet 1964
 
J'ai quitté Gaaton de bon matin par le bus jusqu'à Naharya  d'où j'ai pris la direction de la frontière libanaise pour le kibbutz Hanita. Après avoir longé la côte la route s'en écarte pour s'élever en lacets jusqu'à 130 mètres, sur les premières pentes des monts du Liban à travers les afforestations du Jewish National Fund.  Fondé vers 1938 par quelques pionniers venus d'Europe centrale auxquels se sont joints plus tard des immigrants d'Afrique du Nord, de sorte qu'on y parle aussi le français à 80%. Devenu très prospère, il s'adonne entre autres à l'arboriculture fruitière et à l'horticulture. On y trouve aussi une usine de fabrication d'outils  ainsi qu'une Rest-House (assez huppée) pour les touristes, source importante de revenus pendant six mois de l'année.  Des hauteurs d'Hanita on a une belle vue sur toute la Galilée occidentale et sur la côte.  L'accueil n'a cependant pas été ce que j'attendais.  Je pensais en fait y passer la nuit mais, devant la froideur du personnage qui m'a reçu, même en me recommandant de ce camarade du kibbutz, me donnant l'impression très nette d'être un intrus, je n'ai pas insisté. Avant de "vider" les lieux, j'ai quand même pris le temps de jeter un coup d'oeil au musée où se trouvent des collections d'objets anciens dont  des céramiques provenant d'une chapelle du VIIIème siècle.
J'ai donc repris un car en sens inverse jusqu'à Arziv en bordure de mer, emplacement d'un ancien village fortifié des Croisés et où se trouve un Club Méditerranée (il y en a un autre à Ashkalon, beaucoup plus au sud) ainsi que l'unique camping aménagé d'Israël.  Non loin de là l'auberge de jeunesse de Yad Layad où je pensais descendre mais plus de place.  Mais par cette température clémente, on peut se permettre de passer la nuit dehors avec pour baldaquin les branches d'un eucalyptus et pour plafond le ciel étoilé.  L'Auberge de la Grande Ourse quoi.  C'est donc le soleil levant qui allait me réveiller le lendemain matin. A quelques mètres de mon trou dans le sable, la mer accourait sur le rivage en vaguelettes rieuses au devant de l'astre du jour.
Revenu à Acco par un bus matinal, j'ai pris une correspondance pour Sfad (Safed) traversant la plaine d'Acco aux champs fertiles puis celle de  Beit Hakerem   (maison des vignes) au sud de la Haute Galilée où poussent sur la terre rougeâtre oliviers, tabac, arbres fruitiers, vignes alors que sur les pentes assez abruptes sont égayés de nombreux villages  dont la population est en grande majorité arabe. Puis la route s'élève en lacets sur le plus haut massif montagneux d'Israël le Har Jarmak, 1140 mètres d'altitude, traversant d'abord un plateau à 730 mètres puis s'élevant encore d'une centaine de mètres avant d'arriver à Sfad, la ville la plus haute du pays, construite à l'emplacement d'un ancien volacan.  
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Kibbutz Shamir
fin Juillet 1964
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.........................  Samedi dernier j'ai fait le tour des lieux avec un kibbutznik et admiré la beauté du coin. Il se trouve au nord du lac Huleh (les "eaux de Mérom" de l'Ancien Testament) dans la dépression géologique du Jourdain et de la mer Morte, dans une vallée encaissée de l'nti-Liban, à quelques deux cents mètres d'altitude.  Région basaltique où la roche à fleur de terre est noire.  Les sommets avoisinants qui se trouvent en territoire libanais et syrien (on se trouve ici dans la partie extrême nord du pays formant une avancée entre Liban et Syrie, le "goulot de la bouteille" comme on dit ici) avoisinant les mille cinq cents mètres. En hiver ces sommets sont enneigés.  Le kibbutz se trouve sur la pente côté Syrie. La frontière passe tout près (500 mètres environ).  Comme tous les kibbutzim frontaliers, Shamir est équipé en prévention d'attaque arabe : tranchées, abris contre les bombardements, arsenal militaire. Pour l'instant les actes d'hostilité se bornent à quelques coups de feu, parfois à balles incendiaires pour mettre le feu aux récoltes.
Le mont Hermon (en territoire syrien) se détache indistinctement sur le ciel, son sommet dénudé culminant à 2.800 mètres.
Une particularité archéologique : des tumuli ressemblant beaucoup à nos dolmens.  Des fouilles ont été faites mais on n'a découvert que des restes de la période hellénistique donc postérieure à celle où  furent construits ces tumuli.
Le kibbutz Shamir s'appuie sur une solide organisation, certes nécessaire étant donné son importance, mais où l'on sent moins de décontraction qu'à Yad Hanna en revanche. J'y ai déjà fait quelques connaissances.
C'est la cueillette des poires. Nous sommes répartis par groupe de trente.  Nous arrêtons à onze heures à cause de la chaleur qui persiste jusque vers les quatre heures de l'après midi, après quoi une brise fraiche s'établit. 
Lundi je suis allé à Kyriat Shmoné, plus proche agglomération, à une quinzaine de kilomètres, puis jusqu'à Tibériade (Tiberias).  Le site est superbe, encastré entre les monts de Galilée.  L'eau du lac est d'un bleu profond, à peine ridée de vaguelettes, mais par grand vent, elle est capable de se soulever en véritable tempête.  Tibériade n'était pas le but de ma sortie, je n'ai fait qu'y passer pour prendre le car de Tell Aviv et descendre au village de Kfar Thabor, au pied du mont éponyme, d'où à travers champs j'ai rejoint le kibbutz Ein Dor. J'y ai retrouvé le groupe d'étudiants en agronomie qui y effectue son stage de fin d'études et me suis recommandé d'eux en fait pour y rester  deux nuits, ce qui me permettra de monter au Thabor demain et visiter la forteresse franque de Belvoir.  En fin d'après midi je me suis joins au groupe pour assister à une conférence sur la culture des céréales en Israël : préparation du sol, semailles, fertilisation, récolte.  Nous avons ensuite visité la salle de traite des vaches (à la machine). Ein Dor compte quelque trois cent cinquante membres, possède un important cheptel (vaches et moutons) et s'adonne à l'aviculture, à la culture du coton, de la vigne et des agrumes. Après dîner nous avons prolongé la soirée agréablement.
Le lendemain matin lever à 4H30 avec les gens du kibbutz mais quant à moi c'est pour filer vers le Thabor.  C'est un mont trapu, 588 mètres d'altitude, faible altitude mais fort dénivelé, isolé au milieu d'une vallée.  Je l'attaque par le flanc sud faisant face au kibbutz Ein Dor.  Mont chauve avec de grosses dalles de roche calcaire au milieu desquelles poussent  chênes-verts et thérébinthes. Au sommet une grosse touffe de sapins, d'oliviers et d'ifs.  Quand Jésus y monta accompagné de Pierre, Jacques et Jean (épisode de la Transfiguration), ce fut par le flanc nord où serpente aujourd'hui la route asphaltée par où passent les voitures et les cars de tourisme et que, précisément, j'ai voulu éviter en passant par le flanc opposé, plus difficile. Bien que le temps soit couvert, la récompense est là au bout de l'effort avec un point de vue étendu sur toute la Galilée.  Mais les lointains sont brumeux.  Visite de la vieille forteresse sarazine et de la basilique de la Transfiguration inaugurée en 1924, tenue par de moines Franciscains. Un groupe de pélerins italiens venait juste d'arriver en car, suscitant une grande effervescence chez les moines, de sorte que j'en ai profiter pour visiter seul.  Il se trouve aussi un couvent grec-orthodoxe installé depuis 1911. A noter également des traces d'enceinte fortifiée  datant de l'époque romaine. Je suis redescendu par la route, plus rapidement.  Passant par le village arabe de Daborya (lieu où seraient restés les neuf autres apôtres le jour de la Transfiguration) j'ai eu une conversation amusante avec de jeunes bergers arabes, en anglais rudimentaire, mêlé de quelques mots hébreu et de force gestes. Ces garçons intelligents et sympathiques ont voulu me donner leur adresse pour que je leur envoie une carte postale de France pour épater leurs copains. Nous avons mangé ensemble quelques figues de barbarie.  De retour à Ein Dor, en pleine chaleur,  j'ai pu profiter de la grande piscine, la bienvenue ! puis suis allé dormir ... jusqu'à six heures du soir !
Demain le groupe français va visiter Belvoir et je me joindrai à eux.  C'est un véritable belvédère  sur toute la vallée du Jourdain  et de Bethshaan.  De l'ancienne forteresse franque damantelée par Saladin  il ne subsiste pas grand'chose (portion de rempart, tour de guet avec meutrières et une porte.  
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De retour à Shamir
Le groupe d'étudiants français partant en excursion en car du côté de Tibériade et Sfad, je m'y trouve une petite place.  Arrêt à Tiberias au bord du lac puis poursuivons vers Tabgha en suivant la rive. Nous nous sommes arrêtés à cet endroit même où se situe l'épisode du Sermon sur laMontagne, les Béatitudes, et de la multiplication des pains.  On y trouve les ruines d'une basilique byzantine du IVème siècle aux belles mozaïques (les plus belles de toute la Palestine dit-on, voire au delà) représentant des scènes aquatiques avec faune et flore du lac. Derrière l'autel une composition symbolisant la multiplication des pains (et poissons).  Puis nous sommes remontés juqu'à Hazor où, sur le tell du même nom, on a exhumé les restes d'une ville cananéenne.  Passé également par un endroit connu sous le nom  de "Cornes de Hattin", deux collines presque juxtaposées imitant des cornes de boeuf) C'est là que Saladin inflige aux Croisés une défaite telle qu'ils ne devaient plus s'en relever et qui marqua en fait la fin de l'empire latin de Jérusalem.  C'est là que j'ai quitté le groupe sympathique pour prendre un autre car me ramenant à Kyriat Shmoné puis Shamir. Parmi les passagers un couple de Français, instituteurs, de Besançon, visitant Israël et devant justement passer quelques jours à Shamir. A nous revoir donc.
Il parait qu'en mon absence il s'est produit un léger tremblement de terre, en pleine nuit, ce qui, pour ne pas être très courant, n'est pas non plus surprenant m'a-t'on dit.  De plus deux personnes ont été piquées par des vipères, (énervées peut être par cette secousse sismique) et traitées sur place au sérum mais envoyées quand même en observation à l'hôpital.   Il y en a, on nous en avertit, et il faut donc s'en méfier, le soir notamment sur les pelouses, à la fraicheur, moment qu'elles affectionnent. Et toujours travailler aux champs ou vergers en brodequins. Toute cette région fut autrefois un marécage abritant plusieurs espèces de serpents venimeux.
Demain au boulot, aux poires.
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Sfad, Mercredi 5 Août 1964
C'est de l'auberge de jeunesse Beth Benyamin de Sfad queje vous écris ce soir.  Je vais y passer la nuit.  Parti de grand matin de Shamir.  Arrêt à Hazor, cité de l'âge de bronze qui occupa une position clé.  Cette ville est citée dans l'Ancien Testament au livre de Josué qui appartenait au roi Jabin de Canaan mais conquise par les Israélites.  Le roi Salomon la fortifia et y fit construire des écuries (dontvestiges).  Elle fut détruite par les Assyriens vers 700 avant JC. Le site archéologique a été mis à jour vers 1926. Il st découpé en huit zones, la ville et son enceintecouvrant jadis une quarantaine d'hectares. En visitant ce lieu de très ancienne civilisation je foulais des pierres vieilles de treize siècles  d'avant notre ère : ruines d'un ancien palais cananéen, d'anciens magasins à vivres, silos, vestiges de remparts et de canalisation d'eau, etc... De ce qui fut une cité florissante, le temps et les destructions des hommes  n'en ont laissé que tas d'os de pierre, blancs sous le soleil.  De Tell Hazor j'ai rejoint Sfad en stop.
Sfad est une ville d'altitude (850 mètres) et climatique dominant le lac de Tibériade. A cette saison elle regorge  d'Israéliens en vacances. La visiter c'est faire de la grimpette.  Beaucoup d'ateliers d'artistes. Ce fut un centre kabaliste célèbre, comptant plusieurs synagogues et, au vieux cimetière sont enterrés plusieurs grands maitres comme les rabbis Isaac Louria, Pinhas Ben Yair, Moïse Cordovero.
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Aout 1964 -
................ Arrivé à Tibériade par le car.  Il est encore tôt mais il fait déjà chaud. Tiberiade se trouve à deux cent sept mètres au dessous du niveau de la mer.  Le lac de Huleh, celui de Tibériade, toute la vallée du Jourdain et la mer Morte se trouvent dans une profonde dépression qui se creusa dans les temps géologiques  à la suite d'un cataclysme naturel.  Tibériade (Tibérias) compte aujourd'hui vingt mille habitants environ et s'étend en longueur sur la rive occidentale du lac (appelé aussi mer de Galilée, lac de Génésareth ou encore de Kinereth, de l'hébreu kinor, lyre, en raison de sa forme). Il ne subsiste que peu de chose de l'ancienne ville laquelle n'est d'ailleurs pas la Tibériade du temps du Christ, celle-ci fondée par Hérode Antipas, tétrarque de Galilée, qui lui donna le nom de l'empereur Tibère, se situait plus au sud. Des fouilles archéologiques ont mis à jour quelques vestiges de cette ancienne cité , quelques pans de la muraille d'enceinte en pierre basaltique.  Dans lactuelle Tibériade, on trouve de vieilles habitations de stylearabe et des mosquées datant de l'occupation turque.  Au centre de ces vieux quartiers, je suis tombé à l'improviste sur un pittoresque marché mi-juif, mi-arabe, où se frayer un chemin parmi les caisses de fruits et légumes , les marchands accroupis, la foule des acheteurs et curieux n'était pas chose facile. J'en ai profité pour acheter des fruits et deux petits pains à grains d'anis. Arrivé à l'embarcadère d'où partent de petits vapeurs emmenant des touristes sur le lac, je décide de faire la pause. Le lac est toujours poissoneux et la pêche s'y pratique toujours mais avec des bateaux modernes, bien équipés, les pêcheurs en barques traditionnelles sont devenus rares. J'avance un peu sur la jetée.  Il y a des enfants qui se baignent.  Je vais les imiter et pique une tête. L'eau est calme, presque tiède.  J'aperçois deux séminaristes juifs (en chapeau noir, longue lévite noire, bas et souliers noirs) qui se débarrassent de leur attifaille pour plonger à leur tour.  Ils sont jeunes, 16/18 ans, parlent anglais (l'un d'eux me dit être né en Angleterre), ils étudient dans un collège rabbinique de Jérusalem. Ils sont sympathiques et très diserts. Une fois rhabillés, je leur demande la permission de les prendre en photo.  Ils refusent, ça leur est interdit (je m'en doutais d'ailleurs), je m'incline et m'excuse.  Après m'être restauré, je vais visiter le musée des antiquités (anciens pressoirs à olives, stèles, pierres de sarcophages, très belle collection de pièces de monnaie certaines à l'effigie de Tibère et de Trajan. Tout ça à découver  à l'emplacement de la Tibériade romaine.  Je me rends ensuite aux sources chaudes.  En effet Tibériade était autrefois (et encore) une station thermale. L'eau jaillit à soixante degrés d'une source souterraine très profonde. Elle a des propriétés contre les rhumatismes, l'arthrite, le lumbago.  La petite histoire raconte aussi qu'elle aurait des pouvoirs en gynécologie et, selon une légende très répandue dans le Moyen Orient, les femmes ne pouvant avoir d'enfant verraient leur voeu exaucé en s'y baignant. Aujourd'hui la station thermale accueille de nombreux curistes ce qui a profité à l'activité hotelière du lieu. L'eau de Tibériade serait même mis en bouteille et exportée. Les anciens thermes ont été récemment mis à jour à proximité, peut être les plus anciens du monde.  Un peu plus loin se trouve le mausolée du célèbre rabbi Meïr Baal Hannes surnommé l'illuminé qui vivait au IIème siècle. Le sarcophage en marbre blanc est placé dans la partie droite d'un temple à double coupole à proximité duquel se trouvent des bâtiments servant d'hôtellerie aux pélerins. Je suis entré, couvert naturellement, et me suis trouvé dans une ambiance très curieuse.  Autour du sacophage, des hommes et des femmes (descendants parait-il des anciens juifs, de ceux qui ne quittèrent jamais la Palestine) se lamentaient bruyamment tout en baisant la pierre alors qu'un peu plus loin d'autres pélerins mangeaient et discutaient bruyemment, comme s'ils se disputaient. De vieux Juifs barbus demandaient l'aumône en agitant leur sébille, d'autres dormaient à même le sol.  On se serait davantage cru dans un caravansérail. 
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De Tibériade je pensais filer sur Kinéreth mais j'ai décidé de revenir à Tabgha où il y a une auberge de jeunesse. J'y coucherai ce soir pour demain matin aller visiter les anciennes synagogues de Kfar Nahoum (Capharnaum) et Korazine.  Cette auberge de jeunesse (Beit Yoram) est admirablement située.  Le soir commence à tomber sur le lac qui de bleu a pris une teinte un peu verte.  Les collines environnantes se sont débarrassées de leur brume de chaleur, le ciel est clair et, du côté où le soleil se couche, a pris la couleur d'un abricot bien mûr.  Moment crépusculaire où l'on se sent proche de ce cette "natural piety" de Wordsworth.  C'est sur cette lyre (kinor) de Kinéreth que la poétesse Rachel Blaustein (plus connue sous son seul prénom) chanta l'amour de ces lieux dans des poèmes devenus classiques pour les jeunes Israéliens. 
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Me voici depuis hier soir au kibbutz Kinéreth, sur la rive sud du lac, où je suis arrivé en car depuis Tibériade. Je pensais y trouver la soeur d'Eliane mais j'apprends qu'elle est déjà repartie pour Gaaton.
Après Dégania,  Kinéreth est le plus ancien kibbutz du pays (1908) et compte plus de huit cents membres, immense à côté de Shamir !  ne parlons pas de Yad Hanna !  On y cultive beaucoup la vigne, les palmiers-dattiers. Pendant l'été il reçoit et héberge de nombreux visiteurs  étrangers (actuellement une quarantaine de différentes nationalités : français, italiens, espagnols, américains, anglais, hollandais et même un étudiant africain venu de l'Angola).  
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Comme je ne suis pas là pour travailleur je fais la grasse matinée............... L'après midi suis allé jusqu'aux rives du lac voir le tombeau de la poétesse Rachel.
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à suivre ....................
 
What is said now of "Yad Hanna" on Wikipedia :
  Yad Hanna (   יַד חַנָּה  Hannah's Memorial) is a community settlement   and former kibbutz  in Israel's Sharon Plain. Covering 2,600 dunams,   it is located within the Hefer Valley Regional Council   near Highway 57 north of the country's center. In 2006 it had a population of 208. In 2010, the Kibbutz movement newspaper Daf HaYarok reported that it numbered 140 members. The kibbutz was established in 1950 by a gar'in group of Habonim Dror members and was named in honour of Hannah Szenes. In 1953, as a result of the split in Mapam (with which the kibbutz members were affiliated), most of the kibbutz members defected to Maki. However, 120 members who disagreed with this left the kibbutz to found a new one nearby by the name of  Yad Hana Szenesh (which was disbanded in 1972). As a result, the kibbutz became known as the "only communist  kibbutz." In 2003 the kibbutz was officially rezoned and popularly renamed Yad Hana-Homesh, when the kibbutz accepted the government's generous privatization package which included absorbing settlers evicted from Homesh as part of Israel's unilateral disengagement plan (see Protocol N.31 of the Knesset Ombudsman sub-committee on the disengaged, 5 Jan-2009). Today Yad Hana is a collective suburb, whose main industry is its own commercial real estate development.

 

 

 

... Août 1964

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Je reprends le sac et en compagnie de mes deux gars d'hier nous marchons jusqu'à l'intersection de nos routes respectives.  Je prends à droite vers Degania-Aleph la plus ancienne kvoutza d'Israël (54 ans) où les bâtiments sont disséminés parmi des arbres de différentes essences, très nombreux, presque une petite forêt.  La maison de Gordon abrite une belle collection d'oiseaux, d'oeufs, de reptiles, de minéraux avec une bibliothèque composée principalement d'ouvrages techniques (sciences naturelles et agricoles).  Gordon (David Aaron) natif de l'Ukraine fut un mystique du retour à la terre, montrant l'exemple de la reconversion des Juifs aux tâches agricoles pour la résurrection de leur pays.  Il mourut en 1922 à soixante quatorze ans, la pioche à la main.  Sur sa tombe cette simple épitaphe "ci-git Gordon, homme et travailleur". 

Après cette visite direction Bethshaan.  Je fais du stop.  Un énorme camion Mack s'arrête et me prend à son bord.  Le chauffeur est un homme charmant, d'origine polonaise, parlant bien l'anglais et même assez bien le français.  Il a quitté la Pologne à dix sept ans et a attendu plus de six mois à Marseille avant de trouver un bateau où s'embarquer pour Israël.  C'était en 1948.  Il me dépose à deux kms et je rejoins à pieds le centre ville.  Je vais frapper chez Raphaël.  Je sais qu'il travaille encore à cette heure mais sa mère est là qui est prévenue et me reçoit avec un grand sourire. Elle ne connait que l'hébreu et l'arabe marocain mais je lui fais comprendre que je vais laisser là mon sac et en attendant aller faire un tour jusqu'au Sahné  laissant un mot pour Raphaël.  C'est à 5kms une fois sur la route je commence à lever le pouce.  Une jeep s'arrête et me dépose  au lieu dit.  C'est un magnifique parc aménagé autour d'un bassin naturel alimenté par une source qui descend des Monts de Guilboa. De grandes pelouses bien vertes, des ifs, eucalyptus, pins, accacias, un endroit merveilleux et om la baignade est délicieuse dans l'eau claire, profonde par endroits de près de six mètres.  A l'intérieur du parc se trouve actuellement une exposition de sculptures de l'artiste israélien Joshua Ségal. C'est assez moderne mais j'aime beaucoup sa composition de Noé et la colombe.  Je m'arrache de là à regret mais il faut rentrer.  Je marche près de trois kms avant de trouver un "lift", une camionnette qui me ramène au centre ville.  Raphaël est là qui m'attend, heureux de me revoir.  Nous causons.  Avant dîner nous allons faire un tour en ville.  C'est sous la treille de son shikun que je vous écris avant d'aller dormir. Demain  départ de bonne heure pour Beth Alpha et Meggido.  Je coucherai à l'auberge de jeunesse de Ramat Hashofet. 

 

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Avant de quitter Bethshaan, je vais jusqu'au Tell el Hosen, dominant la ville.  C'est un site de très haute antiquité où les fouilles archéologiques entreprises par l'université américaine de Pennsylvanie ont exhumé les vestiges de plusieurs villes superposées (strata) dont la plus ancienne remonte à l'époque de Thoutmès III (1500 env avant JC). Viennent ensuite les périodes pré-Aménophis II, cananéenne, philistine, hellénistique, romaine, byzantine enfin arabe et moyen âgeuse. C'est sur cette colline que le roi Saül trouva la mort dans un combat contre les Philistins.  Curieuse impression de fouler ces lieux bibliques tout en ayant autour de soi l'agglomératon très moderne de Beithshaan. 

Je vais à la station d'autobus pour prendre le car pour Beth Alpha.  Il me dépose à un kilomètre de l'endroit devenu célèbre depuis la découverte par des kibbutznik de Heftzi Ba  des ruines d'une ancienne synagogue.  Le clou est un magnifique pavement en mozaïque de couleurs divisé en trois panneaux représentant le sacrifica d'Abraham, l'Arche d'Alliance et le zodiaque.  Ensemble remarquable, très harmonieux,  même si le dessin est assez primitif. 

Je poursuis ma route, en stop d'abord jusqu'à Ein Harod, de là en car jusqu'à Affouleh où je me précipite vers une buvette.  Toute cette vallée de Bethshaan  extrêmement fertile (et comptant le plus grand nombre de kibbutzim) est aussi très chaude. En cette saison la température atteint les 38/40°c.  Attablé à la buvette, j'échange quelques mots avec un Juif-Arabe qui est maître d'école à Nazareth.  Mais je dois continuer.  J'achète une livre de raisins que je grapille tout en marchant.  Je m'arrête au premier arrêt de bus et pose sac à terre pour m'asseoir.  A peine le temps car en voilà un qui surgit et qui me dépose tout près des ruines de Meggido.

Le Tell de Meggido domine toute la plaine de Jezréel aussi fût-il choisi comme emplacement d'une forteresse.  C'est l'une des plus anciennes villes découvertes en Palestine, ses origines remontant à six mille ans, avec plusieurs couches de villes s'y étant accumulées.  Conquise vers 1470 av JC par Thoutmès III, elle le fut pour la dernière fois en 1948 par les forces israéliennes.  Salomon fortifia la ville et s'y fit construire d'immenses écuries  pouvant contenir jusqu'à cent vingt chevaux et dont on voit aujourd'hui des vestiges.  Ce grand roi devait les aimer car il se fit également construire de grandes écuries à Hazor et Gezer. Il y avait à Meggido un très ingénieux système d'adduction d'eau.  On peut voir les restes d'un temple du troisième millénaire dédié à la divinité de la guerre (Meggido signifiant colline des batailles) .  A noter enfin que, selon l'Apocalypse de Saint Jean, ce serait à cet endroit  que devrait se dérouler la bataille finale des forces du bien contre le mal ( "... et il rassemblera ses forces en un endroit appelé en hébreu : Har Maggedon, colline des batailles." ).  Pour être longue (plus de trois heures) et fatiguante, cette visite est passionnante.  

Ma montre ne marche plus depuis quelques jours ce qui au début m'a beaucoup gêné mais je commence à m'y habituer.  Je ne peux la faire réparer à moins d'être fixé quelque par un minimum de temps.  J'estime qu'il doit être dans les dix-huit heures.  Je marche jusqu'au plus proche arrêt de bus mais il se fait tard, pas sûr qu'il y en ai encore.  J'essaye le stop.  Une jeep s'arrête et me dépose à une dizaine de kilomètres.  Toujours ça de fait.  Je voudrais bien arriver ce soir à l'auberge de jeunesse Ramat Yohanan (16kms au nord de Haïfa) mais ... le soleil accroche déjà le Mont Carmel et la nuit sera bientôt là.  J'ai faim et soif, mal aux pieds, crevé quoi.  A quoi bon continuer à marcher.  De rares véhicules passent sans s'arrêter.  Il n'y a sûrement plus de car.  J'envisage donc, mal gré bon plutôt que bon, de passer la nuit à la belle étoile dans un coin abrité. J'ai une couverture de l'armée dans mon sac.  Si je pouvais seulement trouver un peu d'eau.  Je vais quand même attendre au bord de la route jusqu'à la tombée de la nuit pour ne pas laisser échapper une occasion.  Et voilà que - contre tout espoir - une jeep surgit les veilleuses allumées.  Je fais signe, elle s'arrête.  Le chauffeur se rend à Yogour qui est à près de dix kilomètres de Ramat Yohanan.  La perspective de les faire à pieds ne m'enchante guère.  Enfin, c'est la journée qui veut ça... Le chauffeur baragouoine quelques mots d'anglais.  Il me demande où je vais au juste et apprenant que je voulais passer la nuit à l'A.J., il se décide finalement à m'y conduire car l'endroit n'est pas facile à trouver, de nuit en plus.  J'en reste confondu.  Très très chic de me tirer ainsi d'affaire en rallongeant sa route. C'est ça aussi Israël. 

Grâce à ce brave type, je me retrouve à l'A.J. alors qu'il fait déjà nuit .  Je ne sais comment le remercier.  Le soleil a disparu derrière le Carmel et on voit scintiller les lumières de Haïfa.  L'auberge fait aussi camp de vacances pour de jeunes scouts juifs.  Je dîne en compagnie de deux Anglaises et un Danois et ensuite nous allons faire un tour dans le parc.  Je suis fatigué et j'ai hâte d'aller me coucher après cette dure journée. 

Le lendemain ..................

05h du mat, déjà débout et plus fatigué que la veille.  Comme il arrive quand on l'est trop je n'ai pu trouver le sommeil d'autant plus que la colo a chahuté jusqu'à passé minuit ce qui a pour effet de me mettre les nerfs en pelote.  Ces petits cons s'amusaient à marcher au pas de l'oie sur une allée bétonnée tout près du dortoir avec des chaussures à clous.  Eux n'ont évidemment pas connu cette époque mais leurs parents si, à moins qu'ils faisaient ça par dérision,  mais tout de même pas une chose à laisser faire par les moniteurs. 

Je dois faire mon deuil de mon carnet de notes perdu (je ne sais vraiment pas trop comment) dans le train de Tell Aviv.

Je pars à 7H pour Haïfa où je dois aller au bureau de la  CFN (Cie Française de Navigation) au sujet de mon retour. Et aussi au Ministère de l'Intérieur  israélien pour prolonger mon permis de séjour.  

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Pour la prolongation du permis de séjour, je dois m'adresser au bureau divisionnaire de Sfad, district dont dépend "Shamir" où je suis basé présentement.

Suis allé au Consulat de France perché sur les hauteurs de la ville.  Impossible de passer en Jordanie avec le cachet israélien sur mon passeport.  A la rigueur  un laissez passer pourrait d'être délivré par le Consulat à Jérusalem pour entrer en Jordanie lors des fêtes de Noël mais sans pouvoir revenir en Israël.  Donc, rien à faire.  Dommage !... pire, déception.  En fait il n'aurait pas fallu que j'entre en Israël par la mer mais "par derrière", par les terres en débarquant à Beiruth (Liban) par exemple et descendre via la Jordanie, il n'y aurait eu en ce cas aucun problème avec les autorités frontalières israéliennes.  J'aurais dû le savoir avant.

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Je vais prendre le train de Naharya pour me rendre ensuite à Gesher Aziv

sur la côte où il y a une A.J.  Je repasserai par Sfad avant de rentrer à Shamir.


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Mercredi 12 Août 1964.

Finalement j'ai couché hier soir à l'Auberge de la Grande Ourse sur la plage car l'autre était pleine comme un oeuf avec des colonies de vacances (ce qui est contraire au règlement des Auberges, du moins en France).  Je suis déjà passé plusieurs fois par ici, un endroit que j'aime bien.  J'ai pu me baigner jusqu'à tard et, pour ne pas avoir beaucoup dormi, j'étais quand même d'attaque ce matin.  Il y avait un clair d'étoiles formidables (et la lune aussi fine qu'une lame de faucille) et c'est une curieuse sensation que de passer la nuit ainsi, dans un trou de sable, sous ce regard là!

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Pas très commode pour trouver la Station de Police de Sfad, perché tout en haut de la ville.  Perdu beaucoup de temps à expliquer ma démarche, passant d'un policier à l'autre, avant d'atterrir devant le chef qui m'indique la direction du Misrad Haperim (bureau divisionnaire du Ministère de l'Interieur). Je perd encore un temps fou à trouver l'endroit où je suis reçu par un préposé barbu en kippa et lévite noire d'âge indéfinissable, qui me donne un imprimé à remplir.  En attendant il sort et me fait poiroter une bonne demi heure avant de revenir. Il prend ma feuille, la photo d'identité exigée, mon passeport et après plusieurs coups de tampon, m'annonce que ça fait trois Livres israéliennes (environ cinq cents francs anciens).  Il me donne un reçu mais garde mon passeport qui me sera retourné à "Shamir" d'ici quelques jours. J'aime pas beaucoup ça.

Pas le temps de faire autre chose, décidément.  Je retourne à la gare routière et prend une correspondance pour Kyriat Shmoné et de la un car pour Shamir où je vais m'ancrer pour quelque temps.

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Shamir, 19 Août 1964.

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Ici c'est toujours la récolte des pommes qui bat son plein.  Une abondance !  (des Jonathan, des Golden délicious, ...) des fruits magnifiques. C'est une bonne année dit-on. 

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J'ai en projet pour le mois prochain de faire un grand circuit dans le Neguev (huit jours au minimum) d'où je reviendrai probablement à Yad Hanna

Le sympathique groupe "Horizon d'Israël" doit quitter Shamir demain.  Il y aura une petite soirée d'adieu à laquelle je participerai moi même et pour laquelle nous avons préparé quelques chants et scenettes.

D'après vos lettres il fait très chaud en France.  Les gens d'ici disent qu'il fait moins chaud que d'habitude, mais personnellement ça me suffit.  

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J'ai été très touché de la sympathie témoignée à mon égard à Shamir au moment du départ. Quelques kibbutznik que j'y ai connus plus intimement m'ont invité à une petite réunion d'adieu et chacun de me laisser un petit cadeau. Une belle gerbe d'amitié.

 

 

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Donc ce matin départ à 5H par le car pour Kyriat Shmone, puis Tibériade.  De là par le car également jusqu'à Nazareth par Kfar Kana, village du miracle des noces.  Nazareth, ville des églises et des couvents, à population majoritairement arabe, étagée sur la colline, lumineuse, avec le Thabor dominant de son sommet arrondi la belle et riche vallée de Jezréel fermée à l'Est par les Monts de Guilboa..........

Après Nazareth, je me suis rendu à Beth Shearim où j'ai visité les catacombes où sont enterrés plusieurs rabbis célèbres ainsi que les ruines d'une synagogue du Vème siècle.  Cet endroit est lui aussi très beau avec, sous les yeux, toute l'étendue du Carmel d'un côté, de la vallée de Jezréel de l'autre. La colline sous laquelle sont creusés les catacombes est crayeuse, plantée de pins qui embaument. 

Après une sieste je me remets en route.  Beth Yoshua (kibbutz) en stop (voiture) puis en camion jusqu'à l'embranchement de la petite route montant à Ramat Hashofet.  L'auberge de jeunesse installée sur les dépendances du kibbutz est à quatre kilomètres que je fais à pieds.  Pas fâché d'être arrivé à l'étape qui est très confortable avec plusieurs douches, chambres, réfectoire où bien que l'après midi soit déjà avancé on me sert quand même à déjeuner.  La mère-aub est charmante et on bavarde un peu en anglais.  Ce kibbutz compte plus de deux cents membres et s'adonne aux cultures du blé, sorgho, tournesol, à l'arboriculture fruitière.   Il y a aussi une fabrique de caissettes en bois pour l'exportation des fruits et légumes.  Restauré et douché je pique un roupillon jusqu'au coucher du soleil.  En me réveillant j'ai un compagnon de chambre, un Canadien parti depuis deux ans pour un tour du monde.  Un gars sympa à la conversation très intéressante.  Il doit prochainement embarquer pour l'Europe.  Il pense être en France courant Octobre et je l'ai invité, si d'aventure c'est sa route, de passer chez moi.  Nous allons dîner ensemble et faisons honneur au repas.  On nous sert un thé du tonnerre.  Il y a des grandes manoeuvres sur le Carmel et le silence du soir est (désagréablement) troublé par l'éclat d'obus et des crépitements d'armes automatiques.  Ken se demandait si c'était pour de bon ou quoi... Nous partirons demain ensemble par le car de 7H30.  Je pense être de retour à Yad Hanna en fin de matinée.  Je vais y rester un peu de temps pour travailler avant de repartir vers l'extrême sud (Elath) en passant par Jérusalem. 

 

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Retour à Yad Hanna d'où je vous écris ce soir.  Heureuses retrouvailles avec tout ce petit monde .  Je n'en finissait pas de raconter. 

Le kibbutz organise pour Vendredi une sortie collective au Sahné près de Bethshaan.  J'y suis invité bien entendu.  Je connais déjà mais j'y retournerai avec plaisir ne serait-ce que pour la baignade dans l'eau fraiche. 

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Jérusalem, dimanche 30 Août 1964.

Je me trouve ce soir dans la salle de lecture de l'auberge Waterman Wise dans la Jérusalem nouvelle ville (zone israélienne). J'ai fait la route en stop depuis Petah Tikva dans une Taunus, un prof d'Histoire de l'Université de Tell Aviv se rendant directement à Jérusalem.  Mais je me suis fait déposer près du petit village arabe d'Abou Gosh qui m'avait frappé par son pittoresque quand j'étais passé par là la première fois.  Le prof me conseille d'aller voir à deux pas d'Abou Gosh  les ruines d'un monastère de l'époque des Croisés (XIIème) qui fut tenu par des Bénédictins.  Pour commencer je me rends à Aqua Bella. Un petit sentier poudreux y mène à travers les vignes.  Chemin faisant j'admire ce paysage de Judée aux collines pierreuses couvertes d'anciennes terrasses de culture, certaines très anciennes, de vignes et de vergers.  Aqua bella (Belles Eaux) tire son nom  de la source d'Abou Gosh que les Hospitaliers appelèrent "source d'Emmaüs" . En réalité rien ne prouve que ce village fut  l'Emmaüs du temps du Christ.  Le monastère d'Aqua Bella était fortifié.  On peut voir une salle voûté percée de meutrières, assez bien conservée et, au dessus,  une seconde salle à ciel ouvert percée de fenêtres et meurtrières avec des arceaux de voûte encore apparents.  Je reviens sur mes pas jusqu'au village très ancien.  On y a mis à jours des ruines d'époque byzantine  et de nombreux objets tels vases, lampes à huile, ...Parmi les nombreuses pièces de monnaie retrouvées sur le territoire, l'une d'elles porte l'effigie et le nom de Ponce pilate gouverneur romain de Judée.

Le nom actuel d'Abou Gosh vient de celui d'une famille berbère venue du Hedjaz au XIXème siècle et qui se faisait payer tribu par les pélerins se rendant et revenant de Jérusalem par la vallée de Bab el Ouad.  Les habitants actuels en sont les descendants.  C'est à cet emplacement que les Croisés fondèrent Castel Fontenoy comprenant un chateau fort et une église construite sur la source d'Emmaüs que la Xème Légion romaine (celle qui détruisit le deuxième Temple de Jérusalem et la ville elle même sous Titus) utilisait pour abreuver  ses hommes et ses chevaux.  Au dessus de la crypte, l'église est un bel édifice aux lignes sobres, puissantes. Je remarque que la retombée des arcs de voûte repose sur des entablements eux mêmes supportés par un début de colonne à chapiteau.  Les murs étaient recouverts de fresques byzantines qui furent grattées par les Turcs qui utilisèrent l'église comme mosquée. Les lieux sont sous la garde de trois Pères Lazaristes  dont la maison-mère se trouve à Beiruth au Liban.  Sur les conseil de l'un d'eux, j'emprunte un petit sentier à travers les vignes et les vergers jusqu'au sommet d'une petite colline où campa jadis la Xème Légion. Le cadre est paisible, enchanteur même. De retour sur la route menant à Jérusalem, je rejoins en stop le centre ville (Ouest) où je casse la croûte dans le Parc de l'Indépendance.

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J'ai promis à un jeune du kibbutz Yad Hanna qui est marié, de faire une commission à ses parents qui habitent Hir Ganim (ville des jardins) dans les nouvelles cités qui se construisent en périphérie.  J'arrive à retrouver l'endroit.  Ces gens m'offrent une bière (bienvenue) et nous parlons.  Je perds souvent le fil de ce qu'ils me disent au sujet de ce jeune couple qui se serait trouvé en difficulté et faute de mieux se serait réfugié au kibbutz. Ils semblent s'en faire soucis. Je les rassure du mieux que je peux. C'est très bien là bas à Yad Hanna, l'ambiance y est excellente et ils semblent heureux et bien s'y plaire (là je m'avance peut être un peu ...).  La maman me dit aussi trouver le temps long qu'ils n'aient pas encore d'enfant ... Suis-je marié moi-même? Ai-je des enfants, oh là là ... J'ai du mal à prendre congé ....

Puis je me rends au Centre médical universitaire de la Haddasah sur une colline dominant le petit village d'Ein Karem (où naquit Jean Baptiste, cousin de Jésus). Sa mise en service ne date que de trois ans. Ilcomporte onze étages et quinze services différents.  C'est dans la synagogue que l'on peut admirer les douze vitraux de Marc Chagall représentant symboliquement les douze tribus d'Israêl et formant une couronne.  Chagall passa deux ans à leur conception. 

Avant de me rendre à l'auberge, visite du Mont Hertzl d'où l'on découvre un beau point de vue sur Jérusalem. Au sommet se trouve le monument de Théodore Hertzl, père du Sionisme. 

A l'auberge il y a foule, plusieurs groupes d'italiens, anglais et français.  Je ne tarde pas pour aller me coucher. 

 

Le lendemain -

Après une nuit perturbée par les moustiques (la propreté du dortoir laisse aussi à désirer) réveil à 7H, douche, casse croûte et en route.  Des amis de Yad Hanna m'avaient donné l'adresse d'un de leurs camarades qui habite un quartier neuf de Jérusalem-Ouest, près de l'Université, à Beth Hakerem.  Je m'y rends à pieds.  C'est extraordinaire les proportions que prend aujourd'hui la nouvelle ville. La construction y marche à un rythme accéléré.  Des immeubles de quatre, cinq étages, pas mal d'ailleurs.  Le camarade en question n'est pas là. J'essayerai de repasser plus tard.  Je rejoins la station de bus et prend le numéro 7 pour Ramat Rahel, kibbutz situé au sud de Jérusalem sur la frontière jordanienne.  Ce kibbutz fondé en 1928 fut complètement détruit par les Arabes durant la guerre d'Indépendance d'Israël, puis reconstruit.  Sur ses dépendances on a dégagé les restes d'une cité antique remontant peut être à l'Ancien Testament et les ruines d'une basilique byzantine. Des hauteurs de Ramat Rahel on embrasse un vaste panorama et juste en face à quelques kilomètres seulement, Bethléem étage ses maisons blanchesen hémicycle sur une colline.  C'est une agglomération de vingt mille habitants quand même, en majorité chrétiens.  Au milieu s'élève la basilique de la Nativité au dessus de la grotte où l'on vénère la naissance du Christ, Prince de la Paix.  J'en suis si près !... et pourtant ... barbelés et panneaux en trois langues (hébreu, arabe, anglais) jettent leur "halte-là frontière, danger de mort" ... A gauche de Bethléem s'étendent les Monts de Moab et le désert de Judée.  A droite sur une colline le monastère grec de Saint Elie et le gros village de Beth Jala où est installée la station de radio-diffusion jordanienne.  Au delà encore les collines d'Hebron en direction d'Amman capitale de la Jordanie.   J'ai longuement contemplé ce paysage (les jumelles d'Olivier me rendant bien service) où il m'est interdit de pénétrer.  Un bus me ramène au centre ville d'où je me rends au Monastère de Notre Dame de France où se trouve une hostellerie de pélerins, ne tenant pas à passer une autre nuit dans cette AJ.  La formule la plus économique en dortoir coûte une Livre israélienne la nuit (175 anciens francs) c'est encore moins cher qu'à l'AJ et c'est propre. Je me retrouve avec pas mal de Français venus d'un peu partout.  Douche et sieste.  Je sors en ville  et flane un peu à distance de l'enceinte de la Vieille Ville.  Je remarque postés sur des terrasses d'immeubles des soldats israéliens armés de fusils-mitrailleurs.  De l'autre côté, en zone jordanienne, la Légion arabe fait de même. Jérusalem, ville partagée, ici aussi un "mur", de honte, d'incompréhension. En rentrant à N.D. de France j'achète quelques provisions pour dîner.  Les Français du dortoir sont bavards mais, de toutes façons, je reste demain à Jérusalem et n'aurai donc pas à me lever aux aurores.

 

le lendemain (1er Septembre)

Tôt (5h30) visite au Tombeau des Juges (catacombe du Sanhedrin).  De cet endroit où passe la ligne de démarcation on a un beau panorama sur les collines pierreuses de Judée et sur le Mont Nebi Shmouel en territoire jordanien, le "Montjoy" des Croisés d'où les pélerins de jadis découvraient pour la première fois Jérusalem. 

Quartier juif ultra orthodoxe de Mea Shearim aux nombreuses synagogues et yechivot (séminaires rabbiniques).

Mont Sion et abbaye de la Dormitio sur le clocher de laquelle veillent des guetteurs israéliens.  Les murailles de la vieille Jérusalem sont là, presque à portée de main, mais : Halte-là, frontière, zone interdite, danger de mort. Je ne peux que "repérer" d'après la carte quelques uns des lieux saints.

Je m'en retourne à N.D. de France.

L'après midi, je me rends à pieds à Beit Hakerem près de la nouvelle université pour rendre visite à des amis du Kibbutz Yad Hanna.  Un ménage avec deux enfants : elle d'origine égyptienne, secrétaire à l'université, lui encore étudiant en mathématiques et physique.  Sympa.  Nous dînons ensemble simplement.  Beit Hakerem est une des plus belles cités résidentielles de Jérusalem, des immeubles blancs au milieu des pins.

Je rentre tard à mon hostellerie alors que tout le monde est couché, ce que je fais moi même très discrètement. 

Je pars demain dès 7h pour Beersheva où je dois retrouver une Suissesse (de Zurich) qui a passé quelques jours à Yad Hanna.  Nous avions convenu de faire route ensemble dans le Neguev.

 

.......................................;

2 Septembre (Mercredi)

Beersheva. 

Arrivée directe de Jérusalem par le car. Il est  midi.  Beersheva (le puits des sept) fait allusion aux sept brebis que le Patriarche Abraham offrit au roi des Philistins en gage d'alliance.  On montre encore aujourd'hui son emplacement près du marché du jeudi  (souk el khemis comme on dirait en Afrique du Nord mais ici c'est un dialecte différent).  Après avoir erré depuis Ur et Harran en Chaldée, Abraham et sa tribu étaient arrivés là pour y planter leurs tentes aux confins de la "Terre promise", Canaan dont les limites en ces temps là allaient de Dan à Beersheva. Aujourd'hui Israël s'étend de Metoullah à Elath.  On se souvient aussi qu'Abraham répudia sa femme esclave Agar et son fils Ismael pour prendre Sarah, femme libre.  C'est dans le désert, au sud de Beersheva, qu'Agar et son fils (dont descendent les Ismaélites ou Arabes) errèrent longtemps mourant de faim et de soif avant de trouver à s'abreuver à l'endroit qu'aujourd'hui les Bédouins appellent  Bir Turkya, le puits des Turcs.  C'est là aussi pratiquement que s'est arrêtée la pénétration des Croisés en Terre Sainte. Ceux ci désignaient le reste du désert par le vague terme d'outre-Jourdain.  Beershéva fut longtemps occupé par les Turcs.  Subsistent de cette époque la mosquée transformée aujourd'hui en Musée du Neguev contenant une collection d'objets anciens trouvés dans les ruines des villes nabatéennes du Néguev, et un ancien sérail où est installée aujourd'hui l'administration militaire.  La première colonie juive à s'installer à Beersheva remonte à 1902, elle fut détruite pendant la guerre d'indépendance.  Aujourd'hui Beersheva est une ville  en plein développement comptant près de cinquante mille habitants.  Des usines de tissage et des meuneries s'y sont installées et occupent une partie de la population.  Du haut du minaret de l'ancienne mosquée on découvre la ville dans son ensemble, profusion d'immeubles blancs et symétriques entrecoupés de quelques espaces verts et de stations militaires (il y a beaucoup de troupe à Beersheva).  Les derniers immigrants viennent d'Afrique du Nord.  La population est d'ailleurs très bigarrée et la ville offre bien des contrastes, Bédouins du désert côtoyant pionniers des kibbutzim et touristes, voitures à âne et chameaux voisinant avec de grosses voitures.

A SUIVRE : "Lettres d'Israël" 2

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29 avril 2010 4 29 /04 /avril /2010 16:14

 

 

Grands chemins ... grand' routes ... J'ai déjà parlé de cette fascination qu'exercent sur moi les grandes voies de passage que furent les chemins de pèlerinage (Jérusalem, Compostelle, ... ), la route de la soie, la route de l'encens , la route de l'Inca. C'est sur cette dernière que je reviendrai un peu en détail aujourd'hui. Mais s'agissant des Amériques et avant de remonter dans son passé, un mot sur la « Panaméricaine » que j'ai eu l'occasion d'emprunter au Pérou et la mythique « 66 Road  ».

La « PanAm »

434px-PanAmericanHwy ou « transaméricaine » conçue à l'origine (1923) pour être une route unique est en fait un système de voies rapides et d'autoroutes reliant l'ensemble des 3 Amériques (du Nord, Centrale et du Sud) d'une longueur (variable selon les sources) d'environ 30.000 Kms. La connexion complète du Nord au Sud ne s'est achevée qu'en 1997 car il restait deux tronçons d'une centaine de Kms au niveau du Panama et de la Colombie. Partant dePrudhoe Bay au Nord de l'Alaska, la Panam traverse leYukon , la Colombie britannique, l'Alberta, l'Étatde Washington , l'Oregon, laCalifornie , l'Arizona puis le Mexique, le Guatemala, le Salvador, l'Honduras, le Nicaragua, le Costa Rica, le Panama, la Colombie, l'Équateur, le Pérou, le Chili et enfin l'Argentine jusqu'à la Terre de feu.

 

Quant à la célèbre « Route 66 »

ziriako 1098356763 carteus66chantée par la beat generation de Jack Kérouac, elle rejoint Chicago à Los Angeles traversant 8 états : Illinois, Missouri, Kansas, Oklahoma, Texas, Nouveau Mexique, Arizona, Californie. Ce fut la première route transcontinentale asphaltée d'Amérique aussi l'a-t'on appelée « Mother Road » ou « Main Street USA » . Longue de 2500 miles (environ 4000 Kms) elle remonte quant au tracé à 1926 mais ne fut « revêtue » qu'en 1937. Elle fut déclassée officiellement en 1985 mais garde de nombreux tronçons que parcourent (et encore pour longtemps) les nostalgiques, beaucoup à motos.


quelques dates sur la colonisation espagnole et portugaise des Amériques -

Christophe Colomb, Gênois au service des rois catholiques espagnols, et ses trois caravelles, découvre les Grandes Antilles lors de son premier voyage (1492/93). Son second voyage (1493/96) lui fera explorer les Petites Antilles. Lors de son 3ème voyage (1498/1500) il atteindra les côtes du Vénézuela et reconnaitra celles du Panama à la fin de son 4ème voyage (1502/04).  

1499, Alonso de Ojeda aborde les côtes colombiennes.  

1500, Pedro Alvarez Cabral aborde le Brésil à Bahia de San Salvador qui fut sa première capitale.

1501, Rodrigo de Bastidas aborde les côtes du Panama.  

1513, Vasco Nunez de Balboa traverse l'isthme de Panama et atteint le Pacifique.  

1519, Hernann Cortes débarque au Mexique à la Vera Cruz.

1526, Au Panama, les frères Pizarro, Diego de Almagro et Hernando de Luque s'associent pour découvrir les côtes ouest de l'Amérique du Sud. 1527/28, simple voyage d'exploration jusqu'aux côtes d'Equateur. 1531,Francisco Pizarro et ses quatre frères s'embarquent pour Tumbez.  

1532, Conquête du Pérou par Pizarro.  

 

La civilisation inca a pris naissance au début du XIIIème siècle dans la région du Cuzco pour se développer le long du Pacifique et de la Cordillère des Andes et couvrir toute la partie occidentale de l'Amérique du Sud.

324px-Inca-expansion fr

L'empire incasique (Tahuantinsuyu) fut au XVème et XVIème siècles le plus vaste de toute l'Amérique précolombienne s'étendant à son apogée sur 4000 kilomètres de Cali (Colombie) jusqu'à Santiago du Chili. Au début du règne de l'Inca (terme désignant l'empereur) Pachacutec (1438-1471), l'Empire s'étendait en gros du lac Titicaca au sud à la région de Huaras au nord. Sur la fin de son règne et sous celui de ses successeurs,Tupac Yupanqui (1463-1493) etHuayna Capac (1493-1527) cet Empire atteignit l'Équateur. L'extension vers le sud jusqu'à Santiage du Chili débuta sous le règne de Huayna Capac. Cet immense empire n'avait qu'un seul chef suprême, l'Inca, descendant deViracocha incarnation du dieu Soleil. Sa singularité fut de réussir l'intégration socio-culturelle au sein d'une organisation étatique original d'un ensemble de populations hétérogènes. Mais son point faible était la trop grande centralisation au niveau de l'Inca ce qui devait causer sa perte. La réalisation d'une « route de l'Inca » ou Qhapac Nian , parcourant cette empire du Nord au Sud et sans interruption à travers les Andes constitue un exploit qui force l'admiration assimilable à un véritable monument historique à l'instar de la Muraille de Chine. En 1968 quand je préparais mon voyage au Pérou, outre l'immense réseau de communications que les incas avaient développé en dépit du relief exceptionnel et que parcouraient incessamment au pas de course les «  chaskis » de relai en relai (tambo) porteurs des messages à destination de l'Inca siégeant au Cuzco où émanant de lui à destination des provinces les plus éloignées, j'avais lu que le chroniqueur espagnol Cieza de Leon (1553) avaient pressenti l'existence d'une telle route unique. Ce n'est que de nos jours pourtant qu'on prit conscience que les différents tronçons devaient être reliés autrefois et que les recherches sur le terrain commencèrent et qu'on devait parvenir à reunir les parties de cette voie unique exceptionnelle constituant aujourd'hui le plus fabuleux trek qui soit.

 

Ci-dessous un texte du Péruvien Ricardo ESPINOZA grand découvreur de la Gran Ruta Inca .

 

Dix ans après mon retour à Lima, ma ville natale, je décidai d’arpenter à pied l’immense côte du Pérou, qui demeurait aussi mystérieuse que la lune, et de coucher mes découvertes sur le papier. La côte m’a beaucoup appris, en particulier les souffrances inhérentes à la marche à pied : se réveiller au 115e jour, frigorifié en plein été à l’intérieur d’une petite tente ; être paralysé du dos comme si le monde pesait sur ses épaules depuis des décennies entières, avoir les pieds trop enflés pour qu’ils entrent dans les chaussures ; sentir la faim, qui fait désormais partie de sa personnalité, et se souvenir vaguement d’avoir vécu un jour dans une maison sans avoir à porter de sac à dos et marcher vingt ou trente kilomètres quotidiennement... Dans ces conditions, arriver à se lever et marcher relève de l’exploit et n’a pas grand-chose à voir avec une bonne forme physique. C’est plus une question d’état d’esprit. Ce sont les habitants de la côte qui m’inoculèrent le virus des chemins anciens. Ils associaient évidemment mon sobriquet El Caminante, « le marcheur », avec les chemins de leurs ancêtres – un réseau qu’eux aussi parcouraient de long en large et qui est aujourd’hui invisible mais toujours présent et plein de sens.map  Ainsi, après avoir exploré les chemins secondaires pendant deux ans, mon équipe et moi-même nous lançâmes à l’assaut du grand Qhapaq Ñan. Ce chemin immense et fabuleux incarnait l’ingénierie inca, un art dans lequel aucune autre civilisation n’avait pu rivaliser avec eux, même de loin, dans toute l’histoire de cette partie de l’hémisphère. De plus, sa direction nord-sud lui a donné le statut de colonne vertébrale du monde andin.

Dès les premières heures de la colonisation, les Espagnols, outre le démembrement social du territoire, imposèrent une nouvelle dynamique qui saigna ce grand corps au profit de l’Europe, en cessant de nourrir Cuzco, son plexus solaire. Cet axe qu’ils avaient abandonné nous apparaissait comme une légende faite réalité. Cinq siècles s’étaient écoulés, sans que cela ne se remarque tant sa dimension demeurait imposante !
Guidés par la main immense de ce géant endormi, qui semblait encore rêver à la grandeur des hommes qui l’avaient construit, nous fûmes récompensés au-delà de nos attentes les plus fiévreuses. La gigantesque Grande Route Inca, encore visible à des altitudes inhabitées, accidentées et solitaires, pouvait être empruntée à pied. Plus qu’un chemin, c’était un monument.

La question qui surgissait immédiatement était : Pourquoi construire un chemin aussi majestueux ? Tracer des chemins dans ces montagnes vertigineuses, sans instruments de taille ni carte, était déjà une prouesse incroyable. Pourquoi avoir été au-delà de ce qui était indispensable ? Le réseau de routes incas, et surtout cette Grande Route à laquelle nous nous intéressons, était un signe d’autorité tant sur les hommes que sur les forces naturelles. On racontait que les peuples soumis ouvraient pour l’Inca un nouveau chemin prestigieux en signe de respect. Ainsi, ce chemin principal fut construit à un moment donné, non pas pour permettre des déplacements plus commodes et rapides, mais bien pour affirmer la grandeur du souverain qui l’utilisait.

Il faut être sur ce chemin, dans un paysage extravagant, pour réellement se rendre compte de sa majesté. Nous pourrions tenter l’expérience d’aménager une route moderne similaire. Imaginez alors un groupe d’hommes qui serait capable de construire une autoroute de douze voies, à cinquante mètres au-dessus du sol, avec tous les services imaginables, dont certains n’auraient jamais été conçus auparavant, et qui irait de Lisbonne à Moscou. C’est ainsi que les Andins de l’époque ont dû voir la Grande Route Inca.

La recherche du Qhapaq Ñan entreprise par les auteurs, la divulgation des résultats de leur expédition, et également les projets qu’ils désireront mener à l’avenir sur ce sujet sont pour moi d’une importance vitale. Ce savoir inédit est un capital qui a besoin d’être analysé et mis en ordre, mais surtout vulgarisé. En effet, c’est en médiatisant ces valeurs qu’il sera possible d’en retransmettre aux populations locales – les seules héritières de ce patrimoine – la connaissance et la gestion. Ce sera aussi le moyen de sensibiliser la communauté internationale sur l’énorme potentiel du Qhapaq Ñan à unifier et à favoriser le développement de ces mêmes populations locales.

Les actions de celui qui « a vu » la Grande Route, avec un sens de l’observation critique et professionnel et qui a la capacité de toucher un large public, seront parfois plus efficaces que celles de certaines institutions ou bureaucraties gouvernementales.

Les architectes de ces chemins, de temps à autre empruntés par leurs héritiers, voyaient le monde avec un regard que nous avons perdu, se posaient des questions que nous pensons avoir résolues et vivaient sous la protection rassurante d’une nature, que nous cherchons à assujettir sous le joug de notre arrogance scientifique. Or cette nature aurait plutôt besoin que nous cessions de la maltraiter.

250-1-quiLe trait d’union possible entre ces perspectives divergentes est la marche. À n’en pas douter, il existe des êtres imperméables à cette idée, mais vraisemblablement marcher entraîne chez toute personne, illustre ou pas, une identification à ce qu’elle observe et qui ressemble quelque peu à cette vision de nos ancêtres. Le marcheur s’intègre aux cultures locales, soutenu par l’hospitalité de ceux qu’il rencontre, tout en étant confronté à leurs questions existentielles et à leurs rêves. Marcher transporte dans le passé, à l’époque où ces chemins furent construits et fréquentés par les Incas. Presque rien n’a changé dans cette nature intacte.

À présent, fermez donc ce livre et lancez-vous sans plus tarder sur un de ces chemins ! Épuisé, mais rempli d’énergie, vous serez plus à même d’en saisir l’essence. Une leçon du passé pour apprendre à lier, à tous les niveaux, les peuples entre eux, l’homme et la nature et l’homme avec lui-même.

Ricardo Espinosa, les Andes, mars 2008

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14 février 2010 7 14 /02 /février /2010 14:53

J'ai lu quelque part qu'allait bientôt sortir à la télé (France 5 je crois) une série documentaire sur la « route de l'encens ». On en parle beaucoup moins que de la « route de la soie » et je trouve bien qu'on comble aujourd'hui cette lacune. Ayant un goût marqué pour ce genre de grands « déplacements » qu'ils aient été à but commercial ou religieux (pèlerinages) je suis impatient de voir çà, si toutefois çà arrive jusqu'à nous.

Cette route caravanière reliait la région du Dhofar (dans l'actuel émirat d'Oman), grand producteur d'encens, à l'Égypte et la Méditerranée via le Yémen, toute la côte ouest de l'Arabie sur la mer Rouge, la Jordanie, le désert du Néguev et Gaza. Elle est évoquée dans l'Ancien Testament (livre des Rois, IIIème) à propos de ce voyage que fit la reine de Saba pour rencontrer le grand roi Salomon à Jérusalem, mais aussi, d'une certaine façon, dans l'évangile de Mathieu à propos de ces « mages venus d'Orient » porteur d'or, d'encens et de myrrhe. Le Coran en fait mention également.

L'encens que l'on appelait aussi oliban est une gomme aromatique produite à partir de la résine du Boswellia sacra, arbre épineux originaire du Dhofar dans l'actuel émirat d'Oman. Il faut attendre une dizaine d'années pour qu'il produise la résine que l'on exploite de cette façon : on commence par inciser l'écorce et en enlever un lambeau long et étroit, puis on attend trois semaines environ pour racler les concrétions de gomme qui s'y sont formées. La meilleure résine se récolte en automne sur les incisions de l'été (encens blanc) contrairement à l'encens roux qui lui est recueilli au printemps suite aux incisions de l'hiver. Les autres lieux de production de l'encens étaient le Yémen (Hadramaout), la Somalie, l'Éthiopie.

L'importance de l'utilisation religieuse de l'encens apparaît très tôt, dans le culte du dieu assyrien Baal tout autant dans celui de Yahvé dans l'Ancien Testament. Sur tous les sites archéologiques d'Orient les fouilles ont exhumé des brûle parfums diversement ouvragés, de pierre ou de métal, jusqu'au christianisme (église d'orient et d'occident) qui en a perpétué l'utilisation jusqu'à nos jours (encensoirs) la symbolique restant la même : la prière s'élevant vers la divinité telle une fumée odorante mais aussi hommage rendu au corps du défunt dans le rite d'enterrement rappelant celui des Égyptiens. Mais l'encens connut aussi et parallèlement une utilisation thérapeutique par fumigations pour chasser les miasmes lors d'épidémies, en pharmacopée et aussi bien entendu en cosmétique. Dans l'Antiquité l'encens valait plus que l'or aussi fit il la fortune de plusieurs royaumes arabes et en particulier celle de ce peuple qui se chargea de le convoyer à travers le désert jusqu'en Égypte, les Nabatéens.

Au départ ce furent probablement des nomades descendus progressivement de Syrie pour venir s'installer dans cette région du sud de la mer Morte appelée Idumée (de l'hébreu édom = rouge, référence à la couleur de la roche) une fois celle-ci désertée par ses habitants, les Édomites, montées plus au Nord vers la Judée. Ils s'y développèrent progressivement, formant un royaume, fondant deux grandes cités, celle de Reqem (l'actuelle Petra en Jordanie) qui devint leur capitale et celle d'Hegra (aujourd'hui Madaïn Sâlih en Arabie Saoudite), témoignant de leur richesse qu'ils durent à trois choses : leurs techniques pour trouver, stocker et cacher l'eau dans le désert, l'extraction et le commerce du bitume de la mer Morte, le commerce caravaniers des aromates de l'Arabia felix au bassin méditerranéen. Les Nabatéens parlaient et écrivaient un dialecte araméen, battaient leur propre monnaie (de bronze, d'argent et d'or). A l'époque romaine leur aire d'implantation fut appelée la Nabatène. La racine sémitique de ce nom serait nabat (surgir, apparaître)

Ceci dit, en raccourci, revenons en à notre « route de l'encens ». Longue de plus de 2000 kilomètres il fallait près de six mois aux caravanes qui comptaient outre les chameaux plusieurs milliers de personnes dont une bonne escorte armée, l'itinéraire comportant une cinquantaine d'étapes (caravansérails, fortins, gîtes, villes) passant par l'Hadramaout et le Yémen, remontant ensuite le long de la mer Rouge à distance de la côte, traversant l'Asir et le Hedjaz, puis l'Idumée, Pétra, la vallée de l'Arava à hauteur de la localité frontalière d'Ein Yahav dans l'actuel état d'Israël et le désert du Néguev, jusqu'à Gaza. Parcours difficile et mouvementé rendu dangereux aussi par la présence des pillards.


ci dessous itinéraires de Pétra à Gaza à travers le Néguev.

Lien vers Petra Med Sea 550 logo


 

 

La « portion israélienne » de la route de l'encens sur laquelle je suis allé en 1964 est longue d'environ 150 kilomètres, depuis le site de Moa, proche de l'agglomération d'Ein Yahav (frontière israëlo-jordanienne) jusqu'à Gaza qui se trouvait, à l'époque où j'étais là bas, en territoire égyptien. C'est sur cette dernière portion réduite mais dense en vestiges, étant en outre la plus accidentée de tout le parcours, que nous allons à présent nous focaliser.

Le désert du Neguev (mot signifiant terre aride) occupe près des deux tiers du territoire israélien actuel. Il s'étend, du Nord au Sud, des environs de Birshéva (le puits des sept) jusqu'à Elath sur la mer Rouge (golfe d'Akaba). Il est délimité à l'Est par la vallée de l'Arava faisant frontière avec la Jordanie et à l'Ouest par la frontière égyptienne et la péninsule du Sinaï. L'ensemble représente un long triangle isocèle reposant sur sa pointe (Elath au sud). D'une superficie d'une dizaine de milliers de Km2, il est partagé par le massif montagneux, très tourmenté, aux tons rouges et violacés, du Makhtesh Ramon (Makhtesh = cirque) ayant pour points culminants le Har Ramon (1033 mètres) et le Har Hemet (923 m). Plus au Nord et vers l'Est, à hauteur de l'extrême sud de la mer Morte, deux autres ensembles montagneux beaucoup plus petits, le Makhtesh-ha-gadol et le Makhtesh-ha-katan (grand et petit cratère). Le Neguev comporte par ailleurs des régions de dunes, de plaines et de plateaux et d'innombrables wadis (cours d'eau à sec en dehors des pluies). La pluviométrie est en moyenne de 250mm au Nord et de 50mm au sud. La température varie normalement entre 13/16 ° en hiver et 27/40° en été. Mais il peut arriver que le Néguev soit couvert de neige, ce fut le cas dans l'hiver 1950. Il arrive aussi que le ruissellement des grosses pluies de l'hiver sur les montagnes de Judée pourtant très éloignées y provoquent des crues torrentielles.

Ceci étant, on peut s'étonner que les Nabatéens n'aient pas cherché à éviter plutôt cette région inhospitalière en remontant plus au Nord avant de bifurquer vers la Méditerranée. Mais c'est qu'ils tenaient avant tout à éviter les Romains dont la zone d'occupation n'allait guère au delà de Birshéva, à la limite du désert pour eux terra incognita. C'est pourquoi les Romains ne purent jamais avoir la main-mise sur ce commerce très lucratif des aromates dont les Nabatéens eurent le monopole absolu du IIIème siècle avant JC au IIème siècle après JC soit sur une période d'environ 500 ans. Peuple caravanier et commerçant ces Nabatéens mais pas seulement car, accessoirement à leur activité principale, ils furent les initiateurs d'une remarquable « agriculture du désert » grâce à leurs systèmes extrêmement sophistiqués de récupération de l'eau dont, à ses débuts et grâce aux fouilles archéologiques, l'État d'Israël s'est lui même inspiré. Pour protéger, accueillir et ravitailler toutes ces caravanes dans leurs allers et retours il fallait bien qu'ils implantent des forts, des caravansérails, des villes et assurent la subsistances de leurs propres populations, en un mot ils leur fallait coloniser ce désert le long de cette voie de passage. Et d'abord trouver l'eau pour les hommes, les bêtes et l'agriculture, et s'assurer de son approvisionnement.

J'ai trouvé sur internet que cette voie de passage de la route de l'encens à travers le Néguev jusqu'à Gaza avait fait l'objet de la part de l'État israélien en 2003 d'une demande de classement au patrimoine mondial. Celle-ci concernait les quatre villes nabatéennes d'Avdat (ou Oboda), de Halutza, de Mamshit (Kurnub) et de Shivta (Soubeita) et leur paysage agricole environnant ainsi que quelques forteresses associées. Au départ de Petra (devenue leur capitale) les Nabatéens avaient deux pistes en fait, l'une continuait plein Nord en direction de Damas, l'autre prenait la direction de l'ouest-nord-ouest pour couper le wadi Arava au sud de la mer Morte qu'on appelait alors Yam Ha-melah, la mer de sel).

La première des 4 villes jalonnant cette traversée horizontale du Néguev était Avdat (ou Oboda). Elle se trouve en bordure de l'actuelle route Birshéva-Elath, une dizaine de kilomètres après le kibbutz Sde Boker où se retira David Ben Gourion, le vieux Lion, fondateur de l'État d'Israël, où il est enterré avec sa femme. Elle se dresse sur un promontoire s'élevant à 80mètres au dessus de la plaine environnante, masse de ruines superbes à l'intérieur d'une enceinte carrée comportant des vestiges d'habitations de surface mais aussi troglodytiques, de bains, de temple, d'un fort, d'une voie principale, d'un caravansérail et même de deux églises mais datant elles de l'époque byzantine. 100MoaAlentour d'autres vestiges témoignent de leur parfaite maîtrise de l'eau et son adduction parcimonieuse jusque dans les champs à partir de citernes profondes encore très bien conservées. Parti de Birshéva par le car, j'étais descendu devant Avdat en même temps qu'une Suissesse prénommée Véra, originaire de Zurich et qui poursuivait elle aussi par étapes jusqu'à Elath et nous fîmes ainsi la route ensemble. Tout en visitant le site, nous avions rencontré un vieil homme barbu à tête de prophète qui nous avait abordé comme çà, en yiddish qui est un mélange d'allemand et d'hébreu. Véra (germanophone) semblait le comprendre, en gros. Elle m'avait traduit après. Le vieux était féru d'hydraulique et d'agriculture en zone désertique. Il lui avait expliqué, entre autres, que les Nabatéens utilisaient la moindre goutte d'eau et que comme la rosée est abondante le matin dans cette contrée, ils la récupéraient pour leurs plantations en coiffant chaque plant d'une espèce de cloche de pierres sur lesquelles la rosée se condensait et tombait goutte à goutte pour humidifier la plante.

De là nous nous rendîmes à Shivta (ou Soubeita). Le stop (hitch hiking) marchait très bien à l'époque en Israël, avec les particuliers comme avec les routiers,, parfois même avec les bahuts militaires comme vous le verrez. Nous devions remonter un peu au nord jusqu'à hauteur du kibbutz Sdé Boker déjà cité pour prendre la piste menant au site. Nous levâmes donc le pouce et sans avoir à attendre bien longtemps nous nous fîmes « lifter » jusqu'à la dite intersection d'où nous partîmes à pieds. Cinq ou six kilomètres seulement jusqu'aux ruines que nous pouvions déjà apercevoir car se trouvant au milieu d'un paysage plat, d'une couleur ocre jaune avec laquelle elles se confondaient d'ailleurs à l'œil nu, mais aux jumelles on les distinguaient parfaitement.

33341

Ce site, un peu à l'écart de la route marchande, occupait une superficie beaucoup plus importante qu'Avdat. Il n'avait été que peu fouillé mais les restes en étaient remarquablement conservés. Nous y remarquâmes des vestiges d'habitation à deux et même trois étages, des pressoirs à olives et à raisins, plusieurs citernes, immenses, creusées profondément dans le substratum de calcaire dur, recueillant les eaux de pluie et de ruissellement, des restes de barrages et de canalisations, des traces de rues, une église byzantine à abside intacte avec des restes de fresques. La ville, contrairement à Avdat , ne comportait pas de remparts.

L'après midi étant déjà assez avancé, nous décidâmes de rejoindre, toute proche, la route reliant Nitzana (frontière égyptienne) au grand axe routier Birshéva-Elath que nous avions emprunté à l'aller avec le car. Notre idée était d'aller à Revivim (mot qui signifie précisément gouttes de rosée) un kibbutz proche du site de Halutza

 

Halutza

 

où nous nous serions faits héberger pour la nuit. Ayant rejoint cette route de Nitzana, nous commencions à marcher quand arriva derrière nous un convoi militaire soulevant un nuage de poussière et nous levâmes le pouce de conserve. Le véhicule de tête s'arrêta et le chef de convoi nous demanda en anglais d'où nous venions et où nous allions. Halutza il n'était plus question pour nous d'y aller, l'armée y faisait actuellement des manœuvres, c'était un no man's land. Le convoi rentrait sur Birshéva et il voulait bien nous y ramener. Nous n'avions pas le choix. Nous grimpâmes dans le premier bahut. Les jeunes soldats des deux sexes nous posèrent naturellement beaucoup de questions, en anglais qu'ils parlaient couramment. De jeunes « sabrés » (nés en Israël) très sympathiques, appelés au service militaire obligatoire pour trois ans. Beaucoup étaient encore étudiants et allaient reprendre leurs études une fois fini leur temps. Pas évident après une si longue interruption et, semblait-t'il, sans pouvoir obtenir un sursis pour les terminer avant. Mamshit Kurnub

Mampsis, excavations vues de l'ouest tb n121701

s'avéra tout autant destination impossible, ni par car, ni par taxi collectif, pour des raisons militaires. De sorte que nous allions en rester là quant à la visite de ces anciennes villes, mais ces deux là nous avaient donné suffisamment à comprendre et à nous émerveiller de la ténécité et de l'ingéniosité de ces gens là. Nous redescendîmes en stop cette fois jusqu'à Mitzpé Ramon en bordure du Makhtesh Ramon cité plus haut. Puis de là jusqu'à Elath où nous restâmes quelques jours.

Après la conquête romaine de Petra, ces villes furent annexées à la province romaine d'Arabie (ou Arabie pétrée) et les beaux jours du commerce caravanier nabatéen commencèrent à décliner au profit de la voie maritime contrôlée par les Romains. Après la conquête arabe de 636 après JC elles furent abandonnées pour la plupart.

Ainsi le commerce caravanier de l'encens a bien directement mené à la colonisation du désert et au développement de villes s'épanouissant grâce à ce commerce lucratif, ainsi qu'à l'apparition d'une véritable agriculture du désert, grâce à une connaissance parfaite du milieu et du régime des pluies qu'ils surent utiliser de façon remarquable et efficace pour nourrir des milliers d'hommes. Mais il ne faut pas oublier non plus que cette route, tout comme celle de la soie et d'autres, n'était pas seulement un moyen de passage pour les aromates et autres marchandises mais aussi pour les hommes et les idées donc route culturelle.

 

St-Benoît-de-la-Réunion 13/2/2010


 

 


 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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7 septembre 2009 1 07 /09 /septembre /2009 15:08

Ce congrès FNOGEC à Perpignan, quand même ... le contraire d'un cheveu sur la soupe ! ... une vraie « aubaine ». Même qu'il m'a fallu un peu de temps pour réaliser, mais au fil des jours me rapprochant du départ j'y pensais de plus en plus jusqu'au soir du Jeudi 26 Mars où Daniel et moi nous sommes retrouvés à l'aéroport avec une vingtaine de présidents, trésoriers, membres actifs d'O.G.E.C. d'écoles, collèges et lycées de l'île. Belle délégation d'autant plus que c'était la première fois pour la Réunion. Un OGEC (Organisme de Gestion d'Etablissement Catholique) est une association loi 1901 composée de bénévoles (le plus souvent parents ou ex parents d'élèves) doté d'un Conseil d'administration élu par ses membres, ayant en charge la gestion financière de l'établissement en étroite collaboration avec le chef de cet établissement qui est l'ordonnateur des dépenses qu'il s'agisse de la gestion scolaire proprement dite ou de la gestion dite patrimoniale (entretien des bâtiments, installations, matériels). Il fait partie de la communauté éducative au même titre que l'A.P.E.L. (Association de Parents d'élèves de l'Enseignement Libre). OGEC et APEL sont fédérés sur le plan local par l'UDOGEC (Union Départementale des OGEC) et l'UDAPEL (Union Départementale des APEL) lesquels sont rattachés au CODIEC (Comité Diocésain de l'Enseignement Catholique) lequel est « chapeauté » par l'Evêque. Maintenant, sur le plan national, UDOGEC et UDAPEL sont eux mêmes fédérés au sein de la FNOGEC et de la FNAPEL (Fédération Nationale des ...) La FNOGEC a son siège au 277 de la rue Saint-Jacques à Paris et sort un bulletin d'informations mensuels intitulé « l'arc boutant ». Pour sa part l'OGEC de l'école primaire Ste Marguerite à Saint-Benoît qu'a fréquentée Denis a été créé officiellement le 23/9/1995 mais Daniel et moi avions déjà préparé le terrain depuis deux ans avec sœur Thérèse CLAIN (originaire de l'Entre-Deux, décédée il y a 6 ans), Directrice de l'époque et qui pour nous deux était très présente à ces journées car sans elle nous n'aurions pas été là. Des onze membres de départ restent quatre (dont le Président et le Trésorier) et nous ne sommes actuellement que six (c'est insuffisant mais les volontaires sont rares!) Il y a deux ans à peine j'ai réussi à trouver une remplaçante en la personne de Christine Leste (née Ho Yew) mais je reste encore à ses côtés le temps qu'elle ait tout bien assimilé. Cette mise au point était nécessaire je pense pour situer un peu les choses. Ces journées nationales à Perpignan étaient les Trentièmes qu'organisait la FNOGEC depuis sa fondation en 1952. Elles permettent de confronter les problèmes, spécifiques mais le plus souvent communs, ainsi que les idées ou propositions pour améliorer. Pour nous domiens en particulier c'était une belle occasion d'ouverture et de rencontre avec nos « homologues » métropolitains, d'élargir nos horizons. Après un vol sans histoire et je dirais presque « confortable » vu que l'avion n'était pas plein et qu'il y avait de la place pour s'étirer un peu, nous débarquions à Orly, Vendredi 27 Mars, pour reprendre une heure trente plus tard notre « correspondance » pour Perpignan (une heure de vol, contre 11 depuis la Réunion) et arrivions en vue sous un soleil magnifique faisant étinceler les neiges du massif du Canigou au sommet magique de 2784 mètres. La rivière la Têt étincelait elle aussi vue d'en haut tel un long ruban argenté. Une délégation de l'UDOGEC 66 (Pyrénées orientales) nous attendait à la sortie du petit aéroport de Rivesaltes pour nous mener tout d'abord à nos hôtels car nous n'étions pas tous dans le même, dans 7 hôtels en fait pour les congressistes métropolitains devant coucher sur place la nuit du Samedi au Dimanche. C'est la végétation méditerranéenne qui nous a frappés dès l'abord. Daniel, moi et le vice-président du collège St Charles (St Pierre) Harold CAZAL étions dans le même hôtel « Ibis ». Le temps de s'installer et une rapide toilette le car repassait nous prendre pour nous ramener à Rivesaltes, au Domaine de Rombeau, un ancien chai aménagé en restaurant, propriété de la famille de la Fabrègue depuis plusieurs siècles avec 50 hectares de vignes (crû « Château de Rombeau ») Ce très bon repas aux spécialités locales était d'ailleurs offert par les membres du groupe Réunion à leurs hôtes perpignanais pour leur accueil et prise en charge. Les vins de là bas qui existent en rouge, blanc et rosé, sont doux et corsés, les trois étaient sur la table, mais personnellement j'évite le mélange, préférant m'en tenir à une seule couleur. L'après midi étant déjà avancé, nous prenions la route pour Collioure par Canet en Roussillon, Canet-plage, suivant la côte basse et l'étang du même nom, Saint Cyprien jusqu'à Argelès avant d'atteindre le petit port de Collioure par les collines couvertes de vignobles en terrasses. Son phare-clocher (ND des Anges) est sans doute le plus connu (déjà rendu célèbre par les peintres fauvistes qui s'installèrent dans le coin), mais c'est un endroit enchanteur avec sa promenade des remparts, ses petites rues montantes, son château royal, son couvent des Dominicains devenu cellier abritant la coopérative des 160 vignerons de l'endroit (véritables « artisans » de la vigne) et dominant le tout le puissant fort Saint Elme du haut de sa colline. Soufflait ce jour là le « marin » sous un ciel pur et au dessus d'une Méditerranée d'un bleu intense légèrement crêtée d'argent, bien moins froid que la tramontane mais qui quand même en surprit plus d'un nous faisait rechercher les endroits abrités et ensoleillés. Nous n'étions pas loin de Port-Vendres et je me suis souvenu d'un certain 7 Mars 1960 où j'embarquai avec les copains sur l'El Mansour, le Victorieux, tu parles, avant nous il transportait des moutons !...destination Oran. Retour à l'hôtel pour une bonne nuit de repos car demain commencent les choses sérieuses. Samedi 28 Mars, Réveil matinal, le temps de bien tout préparer car nous ne devons pas revenir à l'hôtel avant très tard ce soir. Il s'agit de ne rien oublier, y compris l'imper car on a entendu dire que le temps pourrait changer. Au petit déjeuner libre-service de l'hôtel « ibis » il y a l'embarras du choix. Comme c'est un moment de la journée que j'adore et où j'ai toujours faim j'y fais honneur. A 8h pétantes le bus de ramassage arrive et nous embarque tous les trois pour le Palais des Congrès de la ville. De fait le temps est couvert ce matin. Nous prenons au passage quelques autres congressistes à l'hôtel « Mondial» en plein centre ville avant d'arriver devant l'immense palais de verre et d'acier au bout d'une vaste esplanade (Place Armand Lanoux). Il est 8h30 la première journée commence. Et tout d'abord distribution des badges et remise d'une pochette bourrée de documents plus stylo et bloc papier. Nous sommes près de 650 venus de toute la France !... Nous commençons par visiter des stands d'organismes en lien avec les établissements d'enseignement privé : Société Générale, au service des Associations, le Groupe B2V pour la retraite et la prévoyance, les logiciels APLON, l'UNIP société d'assurance, Scolarest (restauration scolaire) etc... A 10H15 nous entrons dans le grand amphithéâtre et c'est de là en regardant autour de soi que l'on se rend compte de la moyenne d'âge très élevée des participants, trop élevée, on en reparlera. Mot d'accueil du représentant du maire Monsieur PUJOL puis discours d'introduction de M.Jacques GIROUX, président de la FNOGEC. Suivra l'intervention attendue de Monsieur Olivier BONED, responsable de l'observatoire de la gouvernance du Centre des Jeunes Dirigeants de l'économie sociale (CIDES)... Docteur en Sciences de Gestion, chargé des relations institutionnelles et internationales à la Confédération Nationale du Crédit Mutuel, ayant travaillé également à la MGEN, qui allait pendant deux heures nous parler « gouvernance » thème de ces journées. Un peu d'étymologie ne fait jamais de mal. En vieux français, governance était synonyme de gouvernement. Ce terme passa tel quel dans la langue anglaise tandis qu'en France il tombait en désuétude parce qu'associé à l'Ancien Régime. Le plus curieux c'est que le terme anglais governance devait revenir dans la langue française au cours des années 90 mais pour désigner autre chose en fait. De quoi s'agit-il ?...  succinctement d'une notion  impliquant « décentrement » de la prise de décision. Le monarque décidait seul même s'il avait des conseillers, aujourd'hui le patron d'une entreprise ne « gouverne » plus seul, il est dépendant de son conseil d'administration, des assemblées générales, des représentants des salariés, des syndicats, des banques, de l'État, etc... La prise de décision n'est plus le fait d'un individu mais d'un consensus et ceci s'étend à tous les niveaux : on parle de gouvernance d'entreprise, comme de gouvernance politique et de gouvernance mondiale ce qui témoigne de notre dépendance de plus en plus grande entre nations notamment sur les grands problèmes planétaires. Des plus petits jusqu'aux plus grands groupements on fait de la gouvernance, il nous faut discuter avec des partenaires. Pour le déjeuner nous allons nous rendre en bus au lycée technique Louise de Marillac (fondatrice des sœurs de la charité ayant œuvré aux côtés de St Vincent de Paul). Surprise en sortant du Palais des Congrès, il pleut. Le repas a été préparé par des élèves de section hôtelière dans le gymnase de l'établissement (il fallait bien çà pour autant de monde !) Nous sommes Daniel et moi à côté d'un groupe d'auvergnats. Notre provenance nous rend quelque peu « exotiques ». Ils nous questionnent beaucoup sur la Réunion. Et pourquoi ne pas y faire les prochaines journées FNOGEC ?... !!! ... ouais mais prévoir un budget ... costaud !... L'après-midi sera consacré aux « ateliers » se tenant dans des classes du lycée. Il y en a 24 au total entre lesquels nous avons été répartis : je suis dans le C3 et le D4 avec comme sujets de réflexion : contrôle, évaluation et communication (C3), stratégies de réseaux et sentiment d'appartenance (D4). Le groupe est présidé par un meneur de jeu avec un rapporteur à ses côtés. L'ambiance n'est pas guindée (on craint toujours un peu) et finalement chacun est à même de s'exprimer librement, et l'on apprend des choses. A 18h nous en avions fini avec l'aspect travail de la journée et allions nous rendre à pieds (et sous la pluie) à la cathédrale Saint Jean Baptiste pour l'office de 18h30 célébré par l'évêque du lieu Mg Marceau. Ce monument du 14ème siècle fondé par le roi Sanche de Majorque à nef unique, chevet à trois absides et grand orgue classé (fin XVème) sera pratiquement plein. Très belle cérémonie que j'ai ressentie très priante avec pour l'offertoire le défilé de porteurs de pancartes avec le nom de toutes les provinces de France et d'outre-mer représentées et la participation de la maîtrise des Petits Chanteurs de Saint Grégoire (tiens tiens ...) Ce n'est que lentement que la foule s'écoula de ce lieu vénérable pour se répandre sur l'esplanade et emprunter de petites rues pour se rendre à la chapelle Saint Dominique toute proche, dépendance du couvent royal des Dominicains de Perpignan, pour le grand dîner festif. C'est par un immense portail en plein cintre et bois massif que nous sommes entrés dans ce qui était en fait la salle capitulaire, immense elle aussi avec un éclairage en couleur et indirect faisant ressortir la hauteur de la voûte. Des centaines de tables décorées étaient disposées là pour accueillir sûrement plus que 650 personnes avec les invités. Je dois avouer que nous en sommes restés quelque peu pantois ! A l'opposé des hautes verrières, une estrade aménagée pour les spectacles et décoré des couleurs emblématiques du Languedoc-Roussillon, le rouge et l'or. Tout ce monde ayant fini par trouver place, on s'attendait presque à voir surgir des hérauts avec leur longue trompette pour nous annoncer le souper du roi (du roi Sanche bien entendu) ... mais faute de trompettes, croyez m'en, ce souper lui fût vraiment royal... Vous le décrire j'y renonce me limitant au menu : soupe de champagne, foie gras de canard et son chutney, zarzuela, trou catalan, grenadin de veau à la crème de morilles, gratin dauphinois et son bouquet de légumes, péché mignon d'Elodie, je vous laisse imaginer mais non sans préciser que nous devions ce festin aux chefs de SCOLAREST et leurs collaborateurs ainsi qu'aux élèves du Lycée Hôtelier  Léon Blum de Perpignan et leurs professeurs. Après le trou catalan, une troupe folklorique nous interpréta une série de danses locales dont la célèbre sardane, cette « jolie sardane« que Charles TRENET natif de Narbonne a chanté : Qu'elle est jolie la sardane / Que l'on danse la main dans la main /Au pays des tramontanes / Jeunes filles jeunes gens l'aiment bien / Et même les vieux de l'Arcane / La martèlent sur les pierres du chemin / Ils la connaissent la sardane / Ils l'ont chantée quand ils étaient gamins (Bis) Amis c'est la fête à Collioure / On a pavoisé le vieux port / Et devant la mer qui l'entoure / Voici l'éternel clocher d'or / Sur les galets verts et roses / Les barques aux tendres couleurs / Commencent la métamorphose / De leurs voiles changées en fleurs / Et sous la lune vagabonde / La sardane forme sa ronde / Qu'elle est jolie la sardane / Que l'on danse main dans la main / Du pays des verts platanes / Elle vole jusqu'au pays voisin / Ce soir combien d'amourettes / Vont éclore dans les cœurs de vingt ans / Combien vont perdre la tête / Oh toi sardane du pays catalan. danse qui fut interdite en Espagne sous Franco parce que trop identitaire et devenue dès lors celle de la liberté pour les Catalans d'au delà comme d'en deçà des Pyrénées. Avant le dessert nous serons invités à nous lever tous, à allumer la bougie sur chaque table et , après extinction des lumières, nous prendre par la main pour un pas de sardane tandis que le groupe folklorique évoluait parmi nous. Ainsi s'acheva cette soirée formidable alors qu'il était largement passé minuit. Dans la ville endormie et toujours sous la pluie par petits groupes nous regagnâmes nos hôtels. Lendemain, Dimanche 5 Avril, nous sommes debout à l'heure pour reprendre le bus direction Palais des Congrès. Le temps est encore couvert, il pleuvasse. Cette matinée sera longue car nous sommes tous un peu fatigués de la veille il faut dire. Nous nous retrouvons (moins nombreux toutefois que précédemment ...) dans le même amphithéâtre avec une première intervention, celle de Monsieur Éric de LABARRE, universitaire Bordeaux-Montesquieu, Secrétaire général de l'enseignement catholique, venu récemment donner une conférence à la Réunion. Nous sommes loin de l'époque où les établissements d'enseignement privé catholiques étaient des « corps étrangers » et la loi de 1959 dite loi Debré a bien défini les rapports entre l'État et ces établissements et ce au nom de la liberté d'enseignement comme au nom de la liberté de croyance. L'enseignement privé est partie intégrante de l'éducation nationale, au service de la Nation, dans un partenariat (relevant de la gouvernance, justement ) tout en gardant sa spécificité, son caractère propre, ce qui est un vrai challenge en fait : maintenir un équilibre entre une ouverture à tous quelles que soient les convictions (philosophiques, religieuses, politiques) et conserver son orientation chrétienne, plus spécialement catholique. Il semblerait que cela fait débat dans la « hiérarchie » mais quoi qu'il en soit au juste il est évident qu'il y a deux risques à éviter : celui d'un enfermement « confessionnel «  et celui d'un copier-coller pur et simple de l'enseignement public. Étant sous contrat, donc par définition non administré, l'enseignement privé catholique dispose à cet égard d'espaces de liberté. Mais pour revenir au plan pratique qui est le nôtre à l'OGEC, Daniel et moi, nous avons été amenés à rencontrer le directeur des affaires scolaires de la commune pour discuter de ce fameux forfait d'externat selon lequel elle est tenue de participer aux frais de fonctionnement (exclusivement et hors dépenses de type caractère propre) de l'établissement, à hauteur de ce qu'il est pour un établissement public équivalent, déduction faite des frais de personnels pouvant être mis à disposition par la commune (ASEM, dames de cantine). Il a fallu près de trois ans pour que son montant soit arrêté, voté et commence d'être débloqué mais nous comprenons tout à fait les propres difficultés des communes face à toutes les obligations qui sont les leurs. Autre challenge, étant par nécessité des établissements payants (à l'encontre de l'enseignement obligatoire, gratuit et laïc) le montant de la participation demandée aux parents ne doit pas avoir pour conséquence de les réserver à une certaine catégorie sociale. Sur ce plan là tout autant, ils doivent être (du moins doit-on s'y efforcer) ouverts à tous. Ceci dit çà reste un choix pour les familles. Nous aurions aimé avoir plus de « retours » sur ces fameux ateliers de la veille, sans doute plus tard car le temps faisait manifestement défaut. La difficulté de recrutement des bénévoles est apparue clairement. Nous avons appris sur place que certains établissements de Métropole qui couvrent le primaire et le secondaire n'ont en fait qu'un seul OGEC par manque de volontaires, que la plupart des présidents et trésoriers sont des retraités, depuis des années, certains aujourd'hui très âgés... Sans nier le fait qu'il existe des cas d' « incrustation » de la part de certains, il y a problème, c'est clair. Alors que nous a-t'on conseillé à ce sujet? D'abord se rappeler qu'une association doit inscrire le recrutement dans ses objectifs prioritaires. Où trouver les bénévoles ? Chez les parents d'élèves et anciens élèves qui s'avère être le vivier principal, les anciens élèves eux mêmes, du côté de la paroisse, les relations personnelles. L'ennui c'est que la plupart des gens qui travaillent toute la semaine ne disposent guère de temps en dehors de celui déjà consacré aux activités des enfants, voire à d'autres bénévolats. Mais avons nous suffisamment fait appel à l'extérieur? Se faire mieux connaître (l'APEL l'étant bien davantage que nous en fait parce que plus proche des élèves) et puis - c'est une idée neuve à tenter - se tourner vers des jeunes en quête de stage (dans la mesure où celui ci ne sera pas rémunéré) voulant faire une expérience dans le mouvement associatif. Pourquoi pas ?... mais combien y resteront après ?... On dit ici « Pas capab' l'est mort sans essayer » alors il faudrait quand même tenter quelque chose dans cette voie. La dernière intervention (last but not least) fut celle de François MOOG, docteur en Théologie, directeur de l'ISPC (Institut Supérieur de Pastorale Catéchétique) ... Assez jeune, plutôt bien de sa personne fort bien mise de surcroît quoiqu'un tantinet ... imbue d'elle même, nous eûmes droit plus d'une heure durant à un exposé sûrement très brillant mais qui – la fatigue aidant sûrement – nous passa assez largement au dessus de la casquette. La Foi n'est-elle pas d'avantage affaire de cœur que de raison (pour reprendre Pascal) et vouloir raisonner voire ratiociner sur ce qui est irrationnel (mystères) ou à tout le moins inaccessible à la seule raison me paraît ... vain. Restait à conclure ce que firent l'un après l'autre Jacques GIROUX, Président de la FNOGEC et Bernard NAZON, Président de l'UDOGEC66 (Pyrénées Orientales) très applaudi pour tout le travail d'organisation que ces 2 journées représentaient. Après avoir rendu nos badges, nous étions conviés à monter au 7ème (et dernier) étage pour un déjeuner libre service. De là haut belle vue sur toute la ville et le Canigou, montagne magique, car le temps s'était définitivement éclairci, le soleil revenu. Après ces nourritures terrestres, nous (le groupe Réunion seulement) devions rejoindre l'hôtel Moderne pour y attendre le car. Ce faisant nous avons traversé à pieds une petite partie de la ville, fort calme, passant devant le Castillet, franchissant le canal. En passionné d'héraldique, voici la description du blason de la ville. D'or (jaune) aux 4 pals (bandes) de gueules (rouges) – les couleurs du Languedoc-Roussillon en fait – chargé d'un St Jean Baptiste (patron de la ville) debout, auréolé tenant un agnelet. Perpignan qui en catalan s'écrit Perpinyà vient de Per (Pierre en catalan) et Pinyà qui est un nom de famille, celui d'un berger des montagnes, souffrant de solitude et qui, assis près de la source de la Têt et regardant l'eau couler vers la plaine loin en contrebas, se décida à en suivre le cours et il arriva ainsi à l'endroit où il devait demeurer et qui devint la ville de Perpinyà. Le car allait nous mener à une quarantaine de kilomètres à l'ouest de la ville, dans un premier temps jusqu'à la très ancienne abbaye de Saint Michel de Cuxà (en catalan prononcez Couchà) sur la petite commune de Codalet, (3Kms de Prades) à 430 mètres d'altitude. Nous sommes ici au cœur du Conflent ou vallée de la Têt, avec en amont la Cerdagne, en aval le Ribéral. Lu à propos de l'abbaye qu'' il est des lieux qui tirent l'âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l'émotion.  C'est tout à fait çà. Datant du Xème siècle, avec son cloître partiellement détruit, second en importance après Moissac, sa tour lombarde (la seconde s'est écroulée) son église abbatiale comportant des arcs en fer à cheval (influence sarrasine), sa crypte, et puis ses vergers d'amandiers et de pêchers en fleurs par dessus lesquels se dresse le massif du Canigou enneigé, Saint Michel de Cuxà qui se trouvait aussi sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle (chemin dit du Piémont) m'a laissé une impression inoubliable. Elle abrita jusqu'à une vingtaine de religieux. Il n'en reste que cinq aujourd'hui, assez âgés, logeant en dehors de l'abbaye mais y célébrant l'office chaque jour (public admis le dimanche), s'occupant de la taille des vignes et des vergers attenants, produisant un peu de miel. Dans un deuxième temps, nous avons poursuivi un peu plus loin jusqu'à Villefranche de Conflent (49 Kms de Perpignan) ville fortifiée par Vauban, au confluent de la Têt et du Cady, très pittoresque, construite en marbre rose des Pyrénées (jusqu'aux trottoirs sur lesquels nous marchions ...) classée parmi les plus beaux villages de France. Le Fort Libéria bâti sur une crête la domine. Bâti lui aussi par Vauban après la division de la Catalogne entre la France et l'Espagne, il est relié à la ville par un escalier souterrain. Les empoisonneuses dans l'affaire Marquise de Brinvilliers sous Louis XIV y furent incarcérées et l'une d'elles dit-on y survécut quinze ans !... L'après midi étant bien avancée, nous reprîmes la route du retour, sans plus d'arrêt. Avant de quitter le car devant l'hôtel Ibis, je souhaitai bon voyage de retour au groupe-Réunion puisque là se séparait notre route et je profitai de la soirée pour me rendre à la gare (à une petite demi-heure) prendre mon billet pour le lendemain. Lundi matin 30 Mars, bon réveil après une bonne nuit, petit déjeuner copieux car je n'arriverai à Bordeaux-St Jean que vers 14heures. Une demi heure avant le départ je suis devant cette gare dont Dali (Salvador), génial autant que farfelu, disait qu'elle était le centre du monde sidéral (sic !) (il prenait le train pour  monter à Paris). Peu après le départ, avant Narbonne, nous longeons l'étang de Leucate, immense, avec sur ses rives ces « roseaux mouillés » dont parle « le fou chantant » (encore lui) dans « la mer «  : « Voyez, près des étangs, ces grands roseaux mouillés / Voyez ces oiseaux blancs et ces maisons rouillées / La mer les a bercés le long des golfs clairs / Et d'une chanson d'amour, la mer a bercé mon cœur pour la vie. ». J'ai changement à Toulouse-Matabiau car ce train continue sur Paris par Cahors et Vierzon. Je n'y gagne pas à ce changement, l'autre est déjà plein et j'ai du mal à trouver ma place, fort mal placée au demeurant. Néanmoins le temps passe vite et après avoir traversé cinq départements : Pyrénées Orientales, Aude, Haute Garonne, Tarn et Garonne, Lot et Garonne et Gironde (soit 460 kilomètres SNCF) me voici arrivé à la gare Saint Jean. Simone m'y attend, sortie côté taxis, comme il y a onze ans, et comme il y a onze ans je me plante et dois revenir sur mes pas ... mais aussi c'est plein de travaux !... Joie et émotion ... vous pensez ! Pas changée ma Simone ... un peu plus voûée peut être, enfin pour trouver quelque chose quoi ... et nous allons à petits pas jusqu'à l'arrêt bus laissant passer le tram flambant neuf dont l'alimentation électrique se fait par le bas, donc pas de caténaire, l'esthétique y gagne. A Caudéran la pelouse du parc des Tourelles en face du 16 de la rue Ste Élisabeth est toute blanche de pâquerettes. Mais Louis n'est plus là pour m'attendre sur le perron avec sa canne ... Sim a prévu pour ce soir une petite réception en mon honneur. Il y aura Colette et ses trois enfants (Gabriel, Hugo et Margot), François bien sûr, Véronique et Jeannot (les « voisins » de Cestas) en compagnie d'Annie et Alain venus les voir. Céline à Pau avec ses trois gars, Henry à Paris en semaine pour son travail, Agnès et Yves trop loin eux aussi à Barbezières, nous manqueront mais on se dira quand même un p'tit bonjour par téléphone. Le lendemain (Mardi 31 Mars) nous profiterons du balcon Simone et moi, pour prendre le soleil avec nos chapeaux tandis que la chatte (celle de Céline) se prélasse elle aussi sur le toit de tuiles. Dans le jardin le lilas fleurit déjà ainsi que le tulipier. Tout est en bourgeon, la Nature explose. Le Printemps est roi. Comme Annie et Alain doivent remonter en Touraine le lendemain Mercredi 1er Avril ils m'ont proposé de m'emmener et me déposer à Tours-Nord chez Odile et Gilbert. Épatant ! Ma première étape s'achève ... Première à t'avoir revue, première à te quitter ... quoique ce mot me déplait ... je m'éloigne seulement dans l'espace ... ce sera la même chose avec les autres. Au cours de ce trajet Bordeaux-Tours par l'autoroute, route sèche et ciel bleu, nous aurons l'occasion de bavarder tous les trois de choses et d'autres, des uns et des autres de la famille. Nous arrivons vers les midi à Chagall, 2ème étape de mon périple familial. Étreintes fraternelles et prolongées avec ma « cadette » et Gilbert, je dirai « notre » Gilbert parce qu'il est, aussi, notre dernier beau-frère vivant. Cœurs brûlants. Odile a préparé une très jolie table pour tous les cinq et nous y faisons honneur. Tandis qu'Annie et Alain vont reprendre leur route jusqu'à Bouloire, tous les trois nous apprêtons à rendre visite à Jeannette, à l'Ermitage, sur les hauteurs de Sainte Radegonde. Certes Agnès, Odile et Antoinette m'ont préparé quant à son état physique, très fragile, mais malgré moi j'ai le cœur serré d'appréhension. Couloirs d'hôpital ... la voici, assise près de son lit, qui nous attend. « Louis est là » dit Odile. « Ah, mon p'tit Louis» et ce sourire merveilleux qui vient illuminer son visage amaigri et que je n'oublierai plus jamais... Mon cœur se détend d'un coup et nous nous laissons aller l'un et l'autre à notre émotion. Nous nous rendons dans la salle commune d'où l'on domine la Loire et la ville de Tours pour bavarder. Elle me dit alors  « Tu as une cravate jaune » et c'est vrai ! Je me suis demandé si, au fond, il ne valait pas mieux la cécité complète qui pratiquement ne changerait rien pour elle, plutôt que ce « flou », peut être encore plus éprouvant moralement. A travers les larges baies vitrées la ville, par delà le fleuve, s'étale dans une brume de chaleur. Mais cette journée n'est pas finie pour autant puisque nous attendons cousin Michel pour dîner. Heureux, très heureux de nous revoir, dommage seulement qu'Annick souffrante n'ait pu l'accompagner. J'avais regretté la dernière fois de ne pas avoir eu le temps d'aller jusqu'à chez eux à Fondettes. Je ne le trouve nullement changé physiquement, même après son grave accroc de santé. Toujours autant super-actif avec un jardin de 2000 m2 et autres travaux de maison. Il a extrait pour nous de sa cave deux bonnes bouteilles et deux pots de ses excellentes confitures maison. La nuit est tombée depuis un bon moment et nous allons quitter Chagall ensemble puisqu'Odile et Gilbert préfèrent rentrer à Azay sur Indre où il y a davantage de place. Je ne reconnaitrai pas grand'chose de l'itinéraire car il fait noir et puis aussi je suis un peu fatigué. Une petite chambre mansardée entre celle de Marc et le bureau de Gilbert m'attend pour une nuit douillette et sans rêve. Jeudi 2 Avril, je suis réveillé avant six heures mais après avoir dormi d'une traite, donc bien reposé. Je flemmarde sous la chaude couette aux motifs japonais tout en repensant aux évènements passés. Le jour filtre à travers les volets. Mais ... c'est le coucou !... eh oui !... çà faisait longtemps. Je pousse doucement les volets et je vois le soleil se lever tout rouge ... Il y a un peu de brume sur la rivière. Il fera beau. Après le petit déjeuner nous faisons le tour du propriétaire, parcours pentu d'ailleurs, bon pour les mollets. Je comprends que çà leur soit tapé dans l'œil ! Très agréable avec sous sol occupant toute la surface de la maison en fait et où Gilbert a installé son atelier de sculpteur sur bois. Vu sous la neige de l'hiver blanc 2009 c'est carrément « ma cabane au Canada » ... Et pour ce qui est de cabane, « Panpan » n'est pas le plus mal servi... heureux lapin il m'a semblé ... Etant dans un fond, pour téléphoner avec un portable il faut « monter sur la colline » (comme Joe Dassin allait y siffler...) Dans un vieux chaudron à cochons, les muguets pointent leurs têtes vertes dont l'une est déjà entrouverte, l'herbe est tapissée de violettes et de coucous et en haut de la pente, à la limite des champs, l'aubépine est en fleur (Bel aubespin, fleurissant, verdissant, etc ...), sans oublier les narcisses et les jonquilles que soigne Odile. Mes Azéens vont me déposer dans la matinée à Montrésor où nous tombons dans les bras l'un de l'autre Toinette et moi, elle y allant de sa petite larme. Oui c'est bon de se retrouver, çà fait vraiment chaud au cœur. Le pommier du japon contre le vieux mur est en pleine floraison, magnifique, et puis à l'intérieur je retrouve, là aussi, une potée de sanseveria de la Réunion plus verts et plus beaux que sur place ... c'est dire s'ils s'y plaisent (peut être à cause de moi ?...) Christian et Nelly qui rentrent justement de Perpignan sont invités pour le café, chaudes retrouvailles car ce sont vraiment de bons amis. Nelly a maigri, ce qui est bon signe, Christian toujours aussi dynamique. Il a apporté son ordinateur portable pour nous montrer un peu la famille, les filles, les petits enfants, Roland le vieux frère dans leur maison parmi les oliviers. Bien entendu nous reparlons de Perpignan où ils partagent leur temps avec la Touraine, et aussi de Collioure. Vendredi 3 Avril, nous allons à Marigny-Marmande, Résidence Saint Vincent, voir Marie-Louise, notre aînée, 88 ans, où elle sera en compagnie d'Hélène et Françoise. Peu de temps avant mon départ nous avions reçu une photo où elle est avec son dernier petit enfant (Thomas, le fils des petits Bignon, Anne-Laure et Jérôme) et nous lui avions trouvé très bonne mine, impression tout à fait confirmée malgré ce problème d'aphasie mais elle suit toute la conversation et ses yeux m'exprimeront davantage tout ce qu'elle ressent. En revanche la mobilité est réduite avec le fauteuil roulant. Nous ferons « quatre heures » tous les six dans cette chambre tapissée de quantité de photos de famille, de toutes les générations. Tu auras donc été la dernière sur mon parcours, ma « Lisette », car demain il me faudra remonter sur Paris. Mais ce soir à Azay nous attendons Marc. La dernière fois c'était à Bruyères et nous avions fait des paniers ensemble dans le jardin, c'était au mois de Mai, on avait dîné dehors. Grand gaillard lui aussi, passionné de photos d'art (sachant de qui tenir après tout) et de surf, ayant apprivoisé un rat, animal qu'on savait très intelligent, mais auquel il peut faire faire des choses plutôt étonnantes. Odile ressortira l'album-journal de leur venue tous les 3 à la Réunion en Août 90. Souvenirs ! Eh oui ! ces deux p'tits là ont bien poussé depuis !... Samedi 4 Avril, après le déjeuner, Odile fait un saut à Montrésor prendre Antoinette pour le café, qu'accompagnent les petits sainte maure en chocolat et les cages de fer de Loches, aux délices d'Agnès Sorel ... Nous partons tous les cinq pour la gare de Tours. Les gares ... Orly ... où les uns arrivent d' autres partent ... « çà m'fait d'la peine mais il faut que je m'en aille... » sûr ... La compagnie de Marc durant ce trajet jusqu'à Mont parnasse me fera un peu oublier. Une heure de TGV (et encore du dernier cri !...) c'est vite passé. Jacques nous attend en bout de ligne, il me guette mais c'est moi qui le vois en premier. Marc doit filer sur la Défense avant de rentrer à la Pierre Levée. Jacques est garé tout près dans le parking souterrain. Il branche son GPS, aide à la navigation routière en quelque sorte, une découverte pour moi, mais attention, il peut y a avoir des mises à jour manquantes (nouveau sens interdit par exemple ... ou déviation ...) mais quant au reste c'est formidable. Jacques connait la route bien entendu mais il voulait me montrer çà. A la Ville du Bois, Paulette-Méry est en pleine préparation de « pains d'épice aux parfums de son île » spécialité qu'elle s'est découverte ce qui n'est pas surprenant puisque Jacques, à la retraite, s'est reconverti dans l'apiculture. Du four se dégage des effluves exotiques ... Leur fils Thierry, 22 ans et Magalie (Portugaise) rentrant d'un voyage d'une semaine en république dominicaine, passent juste pour me dire un petit bonjour mais ils sont fatigués et ont hâte de rentrer chez eux. Dimanche 5 Avril, jour des Rameaux, Paulette-Méry m'emmène à pieds à l'église de la Ville du Bois où la foule est rassemblée sur le parvis avec les traditionnelles branches de rameau mais aussi d'olivier, ce qui est assez rare ici, au Nord de la Loire. La communauté portugaise est importante dans le coin et ce depuis longtemps. Magalie est née ici où ses parents vivent depuis près de trente ans. Au retour de la messe, P.M. me fait passer devant l'endroit où vécut Ambroise Paré, père de la chirurgie moderne, inventeur de la ligature des artères. J'admire dans les cours et jardins la beauté somptueuse des magnolias en fleurs (des magnolias par centaine ...) et aussi quelques camélias. Après déjeuner nous allons faire un tour à la foire au miel installée dans le grand parc du château de Gillevoisin (commune de Janville sur Juine) où se trouve le siège des Apiculteurs de l'Essonne, puis, et ce sera l'ultime étape de mon circuit, comme je l'avais souhaité, un arrêt à la basilique Notre Dame de Bonne Garde de Longpont sur Orge qui pour les « jacquets » était la première étape du pèlerinage de Compostelle au départ de Paris. De retour à la maison, je n'ai plus qu'à boucler mon sac et nous partons pour Orly. Je n'ai pas parlé du temps ces derniers jours mais il fût magnifique jusqu'au bout et une fois passé les contrôles, j'ai regardé le soleil se coucher, tout rouge comme il était à son lever à Azay. Je ne retrouverai personne de connaissance dans l'avion (mis à part Monsieur Ecormier, de la Météo) qui cette fois est plein, beaucoup de touristes il m'a semblé. Je suis mal placé, au milieu, entre deux personnes, néanmoins je vais pouvoir dormir un peu. Je n'aurai pas emporté le soleil avec moi car à la Réunion il a fait et continue de faire un temps exécrable depuis le samedi. Ce Lundi matin 6 Avril, nous atterrissons dans la grisaille. Yvette m'attend à la sortie avec Josiane qui nous ramène en voiture « at home » sous des grains de plus en plus violents au fur et à mesure que l'on s'en rapproche. Il me reste à conclure ... et que dire sinon que ce voyage s'est déroulé de façon parfaite, sans aléa de santé ou autre, qu'il m'a procuré beaucoup de joies, joies partagées, et que j'en garde au cœur une infinie reconnaissance.

Saint-Benoît, île de la Réunion, achevé le 30 Avril 2009

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19 février 2008 2 19 /02 /février /2008 08:50

Nous avions cette semaine au programme de notre deuxième chaine TV la série "à la conquête de Mars", les deux épisodes l'un après l'autre.  Je l'ai regardée jusqu'au bout.  Pas mal ... mais sortant de là (3 heures à peu près !) on se demande si l'objectif pourrait raisonnablement être atteint vers 2036 comme dans cette fiction ( tenant compte des dernières données scientifiques) ?... Où en sommes nous actuellement au fait ?... A voir ... et je me suis couché la dessus.
En cette période, sous notre ciel nocturne austral, Mars nous est assez familière car aisément repérable par sa couleur (plutôt orange que rouge ce qui dépend de son éloignement en fait) au dessus de l'horizon Nord, à proximité de la constellation du Taureau avec sa brillante alpha Aldébaran et l'amas des Pleïades. Je la vois tous les soirs en fermant les volets, en l'absence de nuages évidemment.  Alors, imaginer qu'un jour des hommes puissent faire ce "voyage" jusque là bas ... à soixante millions de kilomètres pour le moins !... de quoi laisser rêveur ... Et comment ne pas évoquer, en dépit du décalage dans le temps, ces vers des "Conquérants" de José Maria de Hérédia que nous apprenions à l'école :

... Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango murit dans ses mines lointaines
Et les vents alizés inclinant leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde occidental.

Chaque soir espérant des lendemains épiques
L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantaient leur sommeil d'un mirage doré.

Ou penchés à l'avant des blanches caravelles
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l'océan des étoiles nouvelles.

Aujourd'hui que l'homme a posé le pied partout sur la Terre, où il n'a plus rien à y découvrir vraîment, c'est hors de celle ci (et de son son satellite) que tend désormais son rêve d' "évasion".  Depuis le début des années soixante avec les premières sondes spatiales en direction de la planète rouge, on peut dire que ce rêve se prépare sérieusement.  En moins d'un demi siècle, nous avons beaucoup appris sur Mars au point que celle ci est à présent véritablement cartographiée grâce aux photos prises, avec ses sommets, ses cratères, ses vallées, ses "mers", ses canyons, ses calottes polaires ...  Son atmosphère nous est connue de même que sa météorologie, sa géologie en partie grâce aux prélèvements d'échantillons de sol par engin téléguidé. "Phoenix", dernier en date, a été lancé le 4 Août 2007 et devrait s'y poser en Mai 2008.  Organisée par la NASA en partenariat avec le Canada, le milieu universitaire et l'industrie aérospatiale, cette mission a pour objectif l'analyse du sol martien à proximité de son pôle nord ... ce qui nous fait bien mesurer les avancées considérables de la science, s'accélérant au fur et à mesure.  Qui alors pouvait imaginer qu'on enverrait un jour un automate gratter le sol martien à soixante millions de kilomètres et ramener les échantillons sur Terre ?... Il est tout à fait avéré que Mars est, après la Terre, la planète la mieux "apte" à recevoir l'homme.  Mais avant que d'y envoyer un vaisseau habité, de très gros problèmes restent à résoudre et certains et non des moindres du fait même de la présence humaine sur ce vol.  Le moteur chimique actuel devrait faire place à un moteur nucléaire pour la propulsion d'un engin beaucoup plus lourdement chargé d'une part, et d'autre part pour réduire la durée de vol par une plus grande vitesse.  Psychologiquement et physiologiquement, l'astronaute "de la nouvelle espèce" subira des contraintes énormes au cours d'un voyage qui durera plusieurs années (2 ans et demi à trois ans, le temps de l'aller, du "séjour" et du retour.  L'équipage devra donc être capable de gérer toutes les situations, parer à tous les imprévus, tout affronter, tout en restant uni et cohérent dans l'action.  Trente ans pour y parvenir ?... C'est bien peu !... On est beaucoup moins sûr de se tromper en disant qu'on y sera parvenu avant la fin de ce siècle.
En attendant imaginons ces nouveaux "conquérants", penchés aux hublots de leur vaisseau spatial, filant dans l'obscurité sidérale vers cet astre dont la couleur n'étant dû qu'à la présence en grande quantité d'oxyde de fer  pourrait être rebaptisé d'un nom plus pacifique, sachant qu'ils n'y rencontreront personne mais ayant pour mission d'y préparer la venue d'autres hommes.  
Je signale le site très documenté de Philippe Labro (non point le journaliste, écrivain et présentateur bien connu) mais ingénieur agronome et informaticien de trente cinq ans, ancien administrateur système :
http://www.nirgal.net/main.htlm
C'est en explorant ce site que j'ai eu confirmation qu'un des cratères de Mars (situé très précisément par 41°8 Nord et 44°4 Est) portait bien le nom de l'abbé Moreux, astronome, géophysicien et météorologiste oublié et avec qui je vais conclure.
Théodore Moreux naquit en 1867 à Argent-sur-Sauldre (Cher), fils d'instituteur.  Il fréquenta le lycée de Bourges puis le séminaire du même lieu où il devint professeur de mathématiques déjà passionné d'astronomie, de géophysique et de météo.  Ordonné prêtre en 1891 il devint secrétaire du futur évêque de Bourges et commença ses publications scientifiques et aussi de vulgarisation.  Adhérent à la Société Astronomique de France il entra en relation étroite avec Camille Flammarion et entreprit une étude Mars à son observatoire de Juvisy avant de fonder le sien au séminaire de Bourges, participant à de nombreux travaux scientifiques notamment sur les taches solaires.  En 1906, suite à la loi de "séparation" il fut dépossédé de son observatoire et de ses instruments.  Il acheta alors un petit terrain à Bourges pour y construire une maison-observatoire.  En 1943 il fut arrêté par la Gestapo et interné à Fresne puis à Orléans.  Il mourut en 1954, à 87 ans, dans l'oubli de ses contemporains.  Concernant la planète Mars, il estimait tout à fait plausible qu'il y eut "autrefois" de l'eau ruisselante du fait d'une température beaucoup plus élevée et d'une atmosphère plus dense qu'aujourd'hui, que ces failles en étaient une preuve et aussi peut être des restes de glace se trouvant dans le sous sol, autant de faits officiellement reconnus depuis.  On lui doit entre autres un ouvrage de météorologie "Comment prévoir le temps" (1919) avec des tables valables pour toute la France et un baromètre (dit baromètre Moreux) basé sur deux observations principales : pression atmosphérique et direction d'où vient le vent.  Né quinze ans avant le Père Teilhard de Chardin, pour lui aussi science et foi allaient de paire, sans se contredire.
C'était donc lui rendre justice que de proposer son nom pour baptiser le nouveau cratère (cratère Moreux) découvert sur une des photos ramenées en 1998 de la mission américaine Vicking.

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29 décembre 2007 6 29 /12 /décembre /2007 12:36
Sur les chemins … du Mont Saint Michel
Dès le Haut Moyen Age (V°/VIII° siècle) le pèlerinage par excellence fut celui de Jérusalem, le plus long, le plus risqué que peu de gens (hors croisade) étaient à même d’entreprendre. Celui de Rome sur le tombeau des apôtres Pierre et Paul étaient plus accessible et le terme de « Romieu » désignait ceux qui s’y rendaient et même, au début, ceux qui prenaient les chemins de Saint Jacques de Compostelle avant qu’on ne les appelle les « jacquets ». Bien des lieux de pèlerinage naquirent et se développèrent aussi en France naturellement, notamment sur le tombeau de Saint Martin de Tours, l’apôtre des Gaules, devenu sanctuaire des Mérovingiens, de Saint Hilaire de Poitiers, à Notre Dame du Puy en Velay, à Sainte Foix la Grande à Conques, … Mais celui qu’on a presqu’oublié et qui pourtant s’assimilait à celui de Compostelle (en plus court) est celui du Mont Saint Michel. Comme lui en effet il comportait plusieurs itinéraires et ceux qui s’y rendaient recevaient le nom de « miquelots ». Le premier sanctuaire dédié à St Michel Archange fut consacré en 492 sur le Mont Gargano dans les Pouilles (Italie du sud). S’inspirant de lui, d’autres naquirent en Normandie (baie du Mont Tombe), en Cornouaille britannique (baie de Penzance), dans le val de Suse en Piémont (Sacra di San Michele), au Puy (chapelle du Mont Aiguilhe), au pied du Canigou dans les Pyrénées (St Michel de Cuxa)… C’est l’évêque d’Avranche, Aubert, qui, sur ordre d’une apparition du saint, fit édifier au sommet de l’îlot rocheux dominant la baie une église qu’il consacra en 709.  Le duc de Normandie, Richard Ier Cœur de Lion y fit édifier une abbaye où il établit des moines venus de Saint Wandrille et dès lors le Mont Saint Michel connut une grande renommée en tant que lieu de pèlerinage qu’accomplirent d’abord des rois de France (Saint Louis, Philippe de Bel, Louis XI, Françoise Ier, …), des nobles mais aussi beaucoup de modestes gens et même d’enfants venus pas uniquement de France mais aussi d’Allemagne, de Suisse, de Flandre, de Belgique (Saint Michel est le patron de la ville de Bruxelles).
Les chemins du Mont Saint Michel partaient de Paris, Chartres, Rouen, Caen, Barfleur et Cherbourg. Les « miquelots » qui portaient aussi la coquille comme emblème, pouvaient recevoir hospitalité dans les hôtels-Dieu, abbayes, prieurés, … La traversée des grèves pour se rendre au Mont Tombe, pleine de dangers, se faisait accompagnée de guides locaux. On se souvient de cet épisode dans Victor Hugo où un homme est happé par les sables mouvants et lentement aspiré par le fond … Il existait aussi des confréries de « miquelots » dont la Révolution marqua la fin ainsi que le départ des moines de l’abbaye du Mt St Michel. Après avoir été prison d’état (Blanqui y fut enfermé) le Mont fut classé monument historique et l’abbaye restaurée par Violet le Duc. En 1878 il fut relié à la côte par une digue. 
Nombreux sont ceux aujourd’hui, de France et d’ailleurs, qui empruntent les chemins de Compostelle dans les pas des « jacquets », le plus souvent pour partie seulement. Mais ils sont encore un certain nombre chaque année à se rendre au Mont Saint Michel dans ceux des « miquelots ». Il existe même une association ayant signé un pacte d’amitié avec celle des Amis de Saint Jacques de Compostelle regroupant des membres de divers pays européens.
Cf. site ci-dessous, très intéressant, pour tout savoir

 http://www.lescheminsdumontsaintmichel.com/spip

 
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