kibbutz Yad Hanna
Mobile Post
Lev Hasharon
ISRAEL
(mon adresse du moment)
4 Juin 1964
............................................................................................................
................................. Fait de nombreuses connaissances au cours de cette traversée (Marseille-Haïfa à bord du "Césarée" de la Cie Française de Navigation, du 27/5 au 2/6) : d'un receveur des Postes à Jérusalem qui m'a parlé d'Ein Gueddi et de la Mer Morte, à un étudiant péruvien en économie se rendant en voyage d'études avec un groupe de Sud-Américains, en passant par un directeur d'agence bancaire à Tel Aviv et, last but not least, d'une jeune femme membre d'un kibbutz de la plaine du Sharon, d'origine allemande, mariée à un Hongrois qui en est le secrétaire. Or c'est précisément de ce kibbutz que je vous écris ce soir car elle m'avait proposé d'y venir travailler ainsi qu'à une autre passagère française. De sorte que je n'ai même pas eu besoin de passer par l'Agence juive. Nous sommes ici à la frontière jordano-israélienne à seize kilomètres à l'Est de Nathanya sur la côte, entre Haïfa et Tell Aviv. De l'autre côté de la frontière c'est la ville jordanienne de Tulkarem. Pour le moment je travaille dans les bananeraies : débarrasser les troncs de leurs enveloppes et feuilles sèches d'abord puis nous jetterons l'engrais dans les rangs qui se présente comme du sel et qui se lance à la volée comme pour les semailles. Un coup à attraper.
C'est un petit kibbutz d'une centaine de membres (y compris les enfants) auxquels viennent s'ajouter une trentaine de jeunes gens effectuant leur service militaire dans le cadre de la Nahal, combinant en fait un service armée dans une unité combattante et un service civil. Fondé en 1950 par un groupe de pionniers d'origine hongroise il a pris le nom de Hanna Szenes, une héroïne hongroise de la seconde guerre mondiale.
Nous nous levons à 4h du matin (en avance d'une heure par rapport à l'heure de Paris) pour commencer le travail dès 5h après une collation. A 8h on fait la pause de trois quarts d'heure pour un petit déjeuner très copieux : pain, beurre, confiture, oeufs durs ou au plat, crudités (radis, concombre, poivrons) lait, chocolat ou thé. On reprend le travaille jusqu'à 13h30 avec entre temps une pause-thé qu'on nous apporte sur place. La journée de travail normale s'arrête là pratiquement avec le déjeuner (poisson ou plus rarement viande ou oeufs, légumes, fruits, shamenet qui est une sorte de fromage blanc). Comme boisson de l'eau plate mais aussi du mitz (jus de fruit) et du thé. Pas de vin réservé aux fêtes ou évènement exceptionnel. Après le déjeuner on va faire la sieste et puis après c'est comme on veut (courrier pour moi aujourd'hui) jusqu'au repas du soir qui est à 18h30 et, comme il faut se lever de très bonne heure le lendemain, on se couche finalement assez tôt.
Un mot maintenant sur la structure sociale des villages qui n'est pas uniformément le kibbutz. Il existe aussi une forme de collectivisme atténué caractérisée par le "mochav" ou village coopératif qui peut prendre lui même deux formes : celle d'un village coopératif étant ni plus ni moins qu'un regroupement d'exploitations familiales indépendantes où chacun cultive son "dounam" (lopin) comme il l'entend et qui ne sont associés qu'en vue de la vente des récoltes, ou bien celle d'un village coopératif mixte "mochav chitoufi", ce qui serait le cas de Yad Hanna, dans lequel le principe collectiviste est maintenu pour la terre travaillée et gérée en commun tandis que la vie familiale demeure assez individuelle. A Yad Hanna chaque famille dispose de tout ou partie d'un bungalow construit avec l'argent de la communauté et meublé, décoré, au goût de chacun. La notion d'argent n'y est pas exclus, à chaque famille est allouée une somme forfaitaire estimée selon son importance pour l'habillement (en dehors des habits de travail qui sont fournis), les loisirs, les fantaisies, etc... Les frais de logement, d'alimentation, d'éducation des enfants, de soins médicaux sont couverts par la communauté. Cette somme forfaitaire est actuellement de cinquante Livres israéliennes par personne soit environ cent de nos Francs et en gros. La communauté de Yad Hanna comporte un bureau-secrétariat composé d'un secrétaire, Zvi BERGER, un trésorier, un agent pour les relations avec l'extérieur (banques, coopératives d'achat et de vente, etc...) un planificateur du travail ou premier contremaitre chargé de répartir les différentes tâches entre les travailleurs, assisté sur place, au champ, par deux autres contremaitres pour diriger et surveiller. Chaque soir le contremaitre principal établit l'emploi du temps pour le lendemain et les deux autres le répercute sur leur effectif dont ils ont la charge. Les femmes en principe ne travaillent pas au champ (sauf pour les travaux les moins pénibles) mais principalement occupées à la cuisine, à la laverie, à la maison des enfants (beth yeladim), au nettoyage, jardinage. On passe un film deux fois la semaine et il y a une bibliothèque et une discothèque, livres et revues en hébreu pour la plupart évidemment mais aussi quelques uns en anglais. Le samedi (shabbat) on ne travaille pas et lorsqu'une grande excursion est programmée il arrive qu'on saute le dimanche.
Pour le moment je travaille dans les bananeraies, nettoyer d'abord les "troncs" au coupe-chou de leurs feuilles sèches pour que le pied respire mieux, puis épandage d'engrais à la main à travers les rangs, engrais potassique provenant de la mer Morte et traité sur ses rives mêmes. Il y a un coup à attraper consistant à cadencer le pas avec le bras qui plonge dans le seau d'engrais tenu sous le bras gauche (enfin quand on est droitier) et lance la poignée à la volée, comme pour les semailles. Le "tronc" du bananier comporte de multiples "écorces" (un peu comme les pelures d'un oignon) entre lesquelles se conserve l'humidité. La dernière, plus fine, arrive à se dessécher et il faut alors l'en débarrasser pour que le "tronc" respire mieux. Comme le bananier est une "herbe" en fait (eh oui !) çà fait bizarre de parler de tronc. Les régimes sont sortis mais la récolte ne se fera que dans quatre mois. Je suis dans une équipe de huit (25 ans de moyenne d'âge, elle est de 35-40 ans environ dans tout le kibbutz). La chaleur est très supportable à cette saison (25° environ). Nous en avons pour une bonne semaine de ce boulot. Après on passera à autre chose.
C'est aussi un peu à la volée que je vous écris ce soir, donc vite et plutôt mal, mais trouvant tant à dire sans avoir épuisé le sujet mais je dois m'arrêter.
J'ai prévenu l'Agence juive à qui j'avais écrit et qui se charge de placer les visiteurs en Israël dans les différents kibbutzim, je pensais devoir m'y rendre en débarquant, mais les choses ont tourné autrement, et pour le mieux en fait, toutefois rien ne dit que je n'aurais pas besoin de leurs services plus tard.
Si ma carte des Auberges est arrivée, pourriez vous me la poster, elle pourrait m'être utile car il y a des A.J. ici aussi.
A très bientôt (aussi longuement ?...)
Yad Hanna, dimanche 21 Juin 1964
...................................................................
Toujours à Yad Hanna et peu pressé d'en partir. Je m'y plais bien. J'y assure ma subsistance comme journalier agricole et en dehors je fais du tourisme, soit seul soit en compagnie. Quand je pars loin, pour un ou deux jours, je préviens le kibbutz de mon absence et çà ne fait pas de problème. Moyennant quoi, à moi de me débrouiller pour me déplacer, manger et dormir, tapant dans mon "pécule". L'auto-stop marche bien en Israël, j'y ai déjà eu recours. L'inconvénient c'est qu'on peut perdre pas mal de temps à attendre. Pour mois c'est donc selon, mais il y a des cars pour aller partout, des taxis collectifs, le train aussi pour les grandes distances, soit 3 lignes : de Haïfa à Jérusalem (par Lydda) 154 Kms - de Haïfa à Naharya (vers le Nord) 30 Kms et enfin de Lydda à Beershéva (le plus au sud) 82Kms. Depuis ma grande sortie avec la Nahal à Ein Gueddi sur les bords de la Mer Morte, je suis allé à Nazareth pour une première approche de la Galilée avec trois copains du kibbutz. Le 13 une rencontre avec un monsieur qui est professeur de Français à Tel Aviv m'a valu d'être invité ainsi qu'Eliane (la française rencontrée sur le bateau) à une petite garden-party nocturne chez lui (belle villa!). Sa femme est américaine et ils ont cinq enfants. Tous les invités (une vingtaine à peu près) parlaient français et parmi eux un médecin et sa femme, un architecte et sa femme, le conseiller culturel près l'embassade de France en Israël (Monsieur Teynier) qui m'a d'ailleurs laissé sa carte, un technicien agricole, et d'autres encore, un "diner de têtes" en somme !... mais peu guindé. En Israël on est assez relax. Je m'y trouvais à l'aise, alors c'est vous dire. Monsieur Freudmann dont nous étions les hôtes est particulièrement sympathique. Il a trouvé très intéressante notre façon de visiter le pays, Eliane et moi, même assez courageuse selon lui, pourquoi ? Evidemment ce n'est pas le Club Méditerranée. Expérience d'un nouveau milieu, plutôt intello.
La semaine passée, j'ai été invité dans la famille d'un ouvrier qui travaille à Yad Hanna, habitant Shikun Vatikim pas bien loin du kibbutz. Pas mal de difficulté à nous faire comprendre, personne ne parlant anglais dans la famille, juste deux mots de français de la part d'une des filles. Shmouel qui est un israélite orthodoxe était plutôt déconcerté de me voir arriver à pieds, ce qui ne se fait pas un jour de Sabbah, mais il n'y avait pas de car de toutes façons. Et puis Yeshou (Jésus) marchait bien le jour du Sabbah et je suis un Notzri (Nazaréen, autrement dit un Chrétien). Alors !
Avec les jeunes de la Nahal nous sommes allés à Mikhmoreth, village de pêcheur, à quelques kilomètres de Nathanya pour un bain de minuit. Il faisait un beau clair de lune et l'eau était bonne. Très romantique.
J'ai en projet d'allée à Césarée où se trouvent les ruines de la capitale romaine de la Palestine.
Un camarade a des amis à Shamir, kibbutz dans le nord du pays, à la frontière syrienne où il peut me recommander. Il ne tient qu'à moi d'y aller travailler tout en pouvant explorer la région. C'est parfait çà, mais pas encore pour l'immédiat.
...............................................................
Yad Hanna, lundi 29 Juin 1964.
................................................ .......... (du Jeudi 25 Juin)
Profitant d'un véhicule se rendant dans cette direction, me voilà parti pour Benyamina (par Hadera), agglomération de quelque trois mille habitants fondée en 1920 par des immigrants venus d'Allemagne et du Caucase, siège de plusieurs industries : meuneries, distilleries d'essences à parfum, carrières et cultures spécialisées : betterave sucrière avec usine sucrière et de raffinage, oranges, viviers à carpes. Les carrières de Benyamina qui occupent cent cinquante ouvriers et dotées d'un puissant matériel américain (tapis roulants, concasseuses, grues, tracteurs, bulldozers, bennes automobiles) sont exploitées par une société israélo-américaine, l'Israel-America Agregate Limited. Les matériaux tirés des carrières sont traités pour être utilisés dans le bâtiment (gravier, chaux, ...) C'est là aussi qu'on extrait d'énormes blocs de rocher pour servir à la construction de la digue du futur port d'Ashdod. Après avoir visité les carrières et observé le fonctionnement des engins notamment le chargement d'un camion faisant la navette Benyamina-Ashdod, un puissant Mack de vingt tonnes, semi remorque de marque américaine, je suis tout simplement monté à côté du chauffeur, parlant un peu d'anglais, enchanté d'avoir un compagnon de route, et moi donc ! Occasion d'aller voir ce fameux port en construction dont un Israélien m'avait parlé sur le bateau. Avec seize tonnes de chargement, les 85/90 kilos à vue de nez du chauffeur, très barraqué, et mes soixante douze kilos personnels, le mastodonte nous a donc menés à une petite moyenne de cinquante kilomètres heure de Benyamin à Ashdod, entre Tell Aviv et le couloir égyptien. C'est là, dans un paysage de dunes, qu'a été mis en chantier il y a déja quatre ans le troisième port israélien après Haïfa et Eilath (sur la mer Rouge), le deuxième sur la Méditerranée, car celui de Yaffo (Jaffa) et d'Acco (St Jean d'Acre) ne peuvent recevoir des bateaux de fort tonnage. Voir se construire un port entièrement artificiel et d'une telle importance (égale voire supérieure à celle de Haïfa) pour le pays n'est pas une occasion qui se rencontre tous les jours. J'ai été très impressionné par ce chantier énorme qui occupe mille cinq cents ouvriers et un matériel considérable. Dès la fin de l'année ou début de l'année prochaine, il pourra déja être utilisé pour l'exportation d'agrumes notamment, le creusement du bassin sera alors terminé. Et d'ici peu surgira à cet emplacement où il n'y avait rien un grand centre industriel avec entrepots, fabriques, magasins généraux, ... On avance très vite dans ce pays où l'on ne s'arrête jamais d'entreprendre. Une fois achevé le port d'Ashdod, la pose d'un pipe-line sera mise en chantier pour acheminer le pétrole depuis le port d'Elath sur la mer Rouge jusqu'à Ashdod. Je suis rentré le soir avec le même camion retournant à vide jusqu'à Nathanya et de là en stop jusqu'à Yad Hanna. A côté des vestiges de civilisations disparues - et "nous savons que les civilisations son t mortelles"- ce pays offre le spectacle de réalisations modernes stupéfiantes, dignes du génie de l'homme.
................................................................ (du Vendredi 26 Juin)
Après le boulot (desherbage dans les champs de cacahuetes) et le déjeuner, départ avec trois gars de la Nahal et Eliane, sac au dos avec une tente et quelques provisions, pour Césarée- Quesarya par le car d'abord puis deux kilomètres à pieds pour arriver sur le site. Il s'agit de Césarée-maritime, à ne pas confondre avec Césarée de Philippe ou Banyas sur les hauteurs du Golan. Ce fut d'abord un port phénicien qui devint sous l'occupation romaine capitale de la Palestine et siège des procuraties romaines. Césarée connut au IIIème siècle, VIème et mi-Vème de notre ère une exceptionnelle grandeur tant par son commerce florissant que par le centre intellectuel qui s'y développa. Le Nouveau Testament la cite fréquemment car ce fut aussi un centre de la chrétienté primitive. L'apôtre Pierre y prêcha et Paul y fut emprisonné deux ans. De l'époque romaine subsistent les ruines de ce qui dût être un magnifique amphithéâtre, face à la mer, où étaient jouées des tragédies mais où se donnaient aussi des combats de gladiateurs, un acqueduc qui, outre son rôle utilitaire, est une oeuvre architecturale remarquable, les vestiges du temple d'Auguste et de l'hippodrome ainsi que les restes de piliers de l'ancienne jetée dont certains gisent au fond de l'eau de marbre blanc et de porphyre.
De la ville médiévale en face du port subsistent encore les ruines de la forteresse des croisés, de la chapelle, de la cathédrale, des portes nord et sud. Ces ruines, disséminées dans un site naturel d'une grande beauté, prennent au couchant des tons et un relief extraordinaires et, la nuit, au clair de lune, un aspect presque surnaturel. Nous avions planté la tente dans ce décors, sur la plage, et allumé un petit feu pour chauffer l'eau du thé et nous éclairer en attendant que la lune se lève. Comment oublier l'émotion ressentie cette nuit là quand elle surgit, énorme et toute ronde, jetant un jour fantômal sur ces murs écroulés sous le poids des siècles, sur ce port désert où entraient jadis les nefs ballonnées. Et la mer, elle que les âges et les âges n'atteignent point, qui toujours ourle ses vagues sur les rivages en dépit du temps et des hommes, la mer symbole d'éternité, affirmant cette fragilité des oeuvres humaines, de l'homme lui-même. Mélange d'admiration et d'effroi, sentiment de transport et d'écrasement, d'une domination divine.
Peu dormi, les pensées affluant et refluant comme les vagues toute proches.
............................................................ (du Dimanche 28 Juin)
Pris le car pour Tell Aviv où je retrouve Hava, jeune fille de la Nahal qui travaille à Yad Hanna, en permission, qui m'a invité chez elle. Ses parents viennent de Bulgarie où elle même est née. Ils habitent Jaffa en fait. Elle me propose de visiter les vieux quartiers et le port. Jaffa (Yafo) a une histoire qui remonte fort loin. Très souvent cité dans la Bible (A.T.). C'est de Jaffa que Jonas s'était embarqué quand il fut avalé par la baleine. Ce nom vient de Japhet, l'un des fils de Noé. Le port a subi des vicissitudes sans nombre, de l'époque pharaonique aux guerres napoléoniennes (Kléber s'en empara en 1799) en passant par l'épisode idylique d'Antoine et Cléopatre (cadeau d'Antoine à la reine d'Egypte en gage d'amour, pas moinsss !) Plus près de nous, au cours de la guerre d'indépendance d'Israel, Jaffa fut le théâtre de violents combats de rue dont la ville, malgré la rapidité de son relèvement, porte encore des cicatrices. Devenu aujourd'hui faubourg immédiat de Tell Aviv, Yafo est joliment situé sur un monticule rocheux autour d'une petite baie formant un abri naturel contre la violence de la mer parfois dangereuse dans ces parages. Bon pour recevoir les galères de jadis, le port est incapable d'accueillir les gros vapeurs, ceux-ci devant stopper un peu au large, passagers et marchandises étant transbordés dans des barques pour rejoindre la côte. Ce qui explique l'activité très réduite de ce port.
Les vieux quartiers avec leurs venelles, leurs maisons arabes, la mosquée Mahmoudiyeh et une belle fontaine, leurs ateliers artisanaux, sont extrêmement pittoresques et je dois à mon guide d'avoir pu si bien les visiter. Hava ne parlant que peu d'anglais, la conversation fut parfois laborieuse mais ce fut aussi très amusant. On pratique ici l'hospitalité telle qu'on ne peut la rencontrer en France ou ailleurs aussi je pense. Le visiteur est presque reçu comme un envoyé des dieux ! me rappelant l'histoire de Philémon et Baucis recevant Hermès déguisé en paysan. Si bien que j'ai terminé la soirée dans sa famille (père, mère, une soeur) installée ici depuis dix sept ans. Ses parents travaillent dans un restaurant et sont gentilment logés dans un immeuble moderne à l'extrémité de Jaffa. Après le dîner nous sommes tous allés au Théâtre Habima (célèbre) de Tell Aviv voir une pièce française d'Henry Becque, "la Parisienne" mais en hébreu. Je n'ai rien compris, ne pouvant que deviner le fil de l'action, aidé un peu aussi par la gentille Hava. Néanmoins je me suis beaucoup amusé à l'instar des autres. J'ai passé la nuit chez ces gens charmants que je ne savais comment remercier. Hava et moi sommes rentrés ce matin au kibbutz.
.......................................................................................
Yad Hanna, dimanche 5 Juillet
..........................................
Aujourd'hui je suis allé à Athlit ( sur la côte, entre Haïfa et Hadera) par le car de 6H30 qui m'a déposé à quatre kms du site. Le passé d'Athlit remonte aussi loin que celui de Césarée. On y a retrouvé les ruines d'un port phocéen. Le Pélerin de Bordeaux le cite dans son itinéraire sous le nom de Certha. Les Croisés construisirent à cet emplacement une puissante forteresse que les Templiers renforcèrent encore par la suite et à laquelle ils donnèrent le nom de "Château-Pélerin" car c'était, avec Saint-Jean-d'Acre, le principal lieu de débarquement des Chrétiens venant en pélérinage à Jérusalem. Ayant été plusieurs fois attaquée par les Mameluks, la forteresse finit par tomber entre leurs mains et ils la démantelèrent. Ne subsistent aujourd'hui que les ruines de deux tours de guet, des pans de plusieurs salles voûtées de style gothique (dans l'une d'elle on voit encore les stalles et les abreuvoirs pour les chevaux) ainsi que les restes de l'enceinte fortifiée faite de pierres rectangulaires de près d'un mètre cinquante de long. Au milieu des ruines poussent à profusion des cactus arborescents tandis que la mer sans fin se brise en gerbes d'écume sur les rochers de la côte. Après la visite de ce site, je suis revenu sur la route où un scootériste s'est arrêté pour me prendre en selle jusqu'à Foureidis, village arabe, et de là j'ai pu me rendre à pieds (3kms environ) au site arabe de Tantoura, au bord de la mer. C'est à cet emplacement que se trouvait la cité cananéenne de Dor (1600 av JC). Elle fut commandée par un officier du roi Salomon. On peut encore voir les ruines d'une grande tour et d'un fort. Des fouilles récentes ont mis à jour les restes d'une basilique chrétienne du IIIème siècle et d'un théâtre romain. Après que les Anglais eurent coulé sa flotte à St-Jean-d'Acre, Bonaparte battant en retraite jeta ses canons pour alléger les vaisseaux qui lui restaient. Tantoura forme une petite baie fermée par une chaine de quatre îlots reliés entre eux sur lesquels les vagues se brisent, de sorte que l'eau est parfaitement calme rendant la baignade très agréable. Ce dont j'ai profité bien entendu, j'aurais même aimé pouvoir en profiter plus longtemps mais l'heure passant j'ai dû rejoindre la route de Haïfa-Tell Aviv où j'ai pris un autobus jusqu'à Beit Lid puis au plus près de Yad Hanna en passant par Zikron Yakov, célèbre en Israël pour ses vins et l'Atatuk-Forest, plantations de sapins à l'emplacement du champ de bataille où s'opposèrent les troupes du général Allenby aux troupes turques en 1918.
................................................................
Yad Hanna, Mardi 7 Juillet
............................................................... Nous avons commencé la récolte des melons, des pêches, des betteraves. J'ai travaillé aux betteraves ces deux derniers jours. Depuis aujourd'hui ce sont les melons et quels melons !... je n'en avais jamais vu d'aussi gros et d'aussi bons. On suit le tracteur tirant une remorque-plateau pleine de caissettes vides et on ramasse les melons mûrs en les mettant dans un sac-goni. Quand celui-ci est à moitié plein (car ils sont lourds ces melons!) on va le décharger sur la remorque où d'autres les mettent en caissettes. La remorque une fois pleine, le tracteur emporte le chargement jusqu'à un camion au bord de la route qui, lui même une fois plein, emporte le tout directement à la coopérative de vente (Tnouva). C'est plus agréable que l'épandage d'engrais mais plus dur physiquement, surtout pendant les deux dernières heures où le soleil donne, mais tout se passe dans la bonne humeur et ça c'est chouette. On a aussi une sacrée compensation dans ce boulot : s'en payer une tranche, de temps en temps, de ces merveilles. Enfin, ne pas abuser quand même (si vous voyez ce que je veus dire !)
............................................................................................................
Pas encore fait de plan pour Jérusalem où je compte me rendre avant de quitter Yad Hanna (chose que j'envisage vers fin Juillet). La Vieille Ville se trouvant en Jordanie, je vais avoir de sérieuses difficultés pour m'y rendre, voire si c'est seulement possible ?... Il faut, parait-il, une autorisation spéciale des autorités jordaniennes mais comment celà ? Il faudrait que je me renseigne sérieusement. Les Israëliens ne peuvent absolument pas se rendre dans la Vieille Ville ou Bethléem, sauf une fois par an, à Noël, pour ceux (rares) qui sont chrétiens, preuve à l'appui. En tant que touriste isolé, je n'ai surement pas grande chance.
.............................................................................................................
Yad Hanna, 17 Juillet 1964.
................... Mardi dernier je suis parti pour Jérusalem. Suis passé par Antipatris, emplacement d'une ville construite sous Antipater, père d'Hérode. Ruines d'une forteresse franque. Puis Ramleh dont Souleyman voulait faire la capitale de la Palestine. La grande mosquée est une ancienne église des Croisés transformée sous la seconde période arabe. La Tour des Quarante construite par Baïbar, ruines de la mosquée Jamir el Abiad. Une tradition veut que Ramleh soit le lieu de naissance de Joseph d'Arimathie, mais rien ne permet vraiment d'identifier Arimathie à Ramleh. Un couvent franciscain a pourtant été fondé ici et porte le nom de couvent Joseph d'Arimathie et Nicoldème. Tout un quartier de la ville est typiquement arabe avec de très vieilles maisons à terrasses et coupoles. De Ramlah je me suis rendu au kibbutz Gezer, fondé en 1945 par des colons venus d'Afrique du Nord) où j'ai demandé à visiter le site archéologique de Tell el Gezer dépendant du kibbutz, juste à la limite de la frontière jordanienne. L'accueil a été sympa, on m'a prêté un bouquin sur l'historique des lieux répertoriant les découvertes faites par un archéologue anglais lors de fouilles commencées en 1902, enterrompues en 1910. Les outils, poteries, bijoux, etc... ont été tranférés dans des musées de Londres. J'ai pu dîner et coucher au kibbutz et le lendemain matin de bonne heure je me suis rendu sur la butte de Gezer en compagnie d'un guide. Nous avons visité une à une les nombreuses grottes qu'occupèrent les premiers habitants des lieux, il y a 3000 ans avant notre ère. Il a fallu crapahuter à travers les rochers et la pierraille. A l'entrée d'une de ces grottes, nous avons dérangé un énorme chat sauvage qui m'a fait une sacrée impression. Il s'est enfui en faisant un bond prodigieux. Un matou pareil ne doit pas avoir patte de velours ! Nous sommes rentrés au kibbutz vers les midi. Après avoir remercié mes hôtes, je suis allé reprendre le car pour Jérusalem enfin, à travers les collines de Judée, parcours magnifique, serpentant à travers une terre de haute antiquité, jusqu'à la Ville de Lumière (Yeroushalaïm shel Or), la trois fois sainte où je suis arrivé courant d'après midi. me laissant le temps d'entamer une première visite de la Nouvelle Ville : quartiers de Mea Shearim, Porte Mandelbaum (stop! frontière), le tombeau du roi David et le Cénacle, l'abbaye de la Dormition de la Vierge Marie. De là on peut apercevoir, de l'autre côté des murs crénelés, une partie de la Vieille-Ville. Mais ce n'est qu'une première visite, je compte bien y revenir. Je suis revenu vers le centre ville par la Knesset (Parlement israélien), la maison de la radio (Kol Israel). Rencontré deux militaires en permission parlant bien français. Nous avons pris un pot ensemble. N'ayant rien prévu et étant donnée l'heure tardive, j'ai tout bonnement passé la nuit dans le Parc de l'Indépendance, allongé sur un banc dans un coin discret, la tête sur mon sac. Réveillé au lever du soleil salué par le chant du muezzin (côté Jordanie) et de cloches d'église (côté Israël) je suis allé prendre le car pour Aïn Karem, lieu de naissance de Jean-Baptiste. C'est un pittoresque village accroché au flanc d'une colline parmi les vergers et les couvents qui y sont nombreux. De retour à Jérusalem j'ai pris le train pour Tel Aviv (où j'ai dû perdre ce carnet de notes) puis pour Nathanya et de là en bus jusqu'à Yad Hanna. Plutôt fatigué mais content.
C'est décidé, dimanche prochain je quitte Yad Hanna pour Gaaton en Galilée occidentale où je vais retrouver Eliane mais n'y resterai qu'un ou deux jours avant de repartir pour Shamir où je suis attendu. Sac léger puisque je laisse une partie de mes affaires à Yad Hanna où je reviendrai dans ... je ne sais pas encore.
Ma nouvelle adresse devient donc ( et jusqu'à nouvel ordre) : Kibbutz Shamir
Doar Na
Upper Galil (Israël).
Kibbutz Gaaton Lundi 20 Juillet 1964
Je suis arrivé à Gaaton venant de Naharya, kibbutz se trouvant à une quinzaine de kilomètres de la frontière libanaise. Fondé en 1948 par des immigrants roumains, on y fait beaucoup d'exploitation fruitière (pommes, poires, pêches, raisin de table) mais en plus on y fabrique des boulons. La situation est pittoresque au milieu des collines pierreuses de la Galilée occidentale avec, en face, sur un piton rocheux, les ruines de la forteresse franque de Kalat Djeddine. J'y ai retrouvé Eliane qui y a des amis. En tant que visiteur, je suis invité à y séjourner deux jours. De là je vais donc pouvoir visiter la forteresse de Montfort et la ville de Saint-Jean-d'Acre.....................................................................
Mardi 21 Juillet 1964
Je suis parti de bon matin à pieds par les collines, m'étant fait expliquer l'itinéraire la veille au soir.
Le sentier pittoresque s'amorce tout près de Gaaton. Il suit d'abord une ligne de crête avec une vue étendue sur la région et les confins libanais. Après être passé par un moshav, le sentier redescend sur le village de Méona à travers les oliviers. Puis remontée vers le village arabe de Mahallia bien situé sur une crête. Particularité de ce village déjà typique en lui même, ss'y trouve un couvent grec-orthodoxe. A son extrémité, ruines du Castel del Rei datant de l'époque franque et qui fit partie avec Montfort d'un fief appartenant aux chevaliers teutoniques. Après deux heures de marche sous le soleil et ces chemins poudreux, il fait soif ! Arrêt dans une buvette pour boire un mitz. Conversation cahin-caha avec le patron qui m'indique l'embranchement pour Montfort. Encore une heure de marche sur un sentier qui part dans tous les sens et sans aucun panneau. J'aperçois un troupeau de chèvres égayé sur une pente, le berger ne doit pas être loin. En effet. C'est un gamin qui me dit d'aller à droite. Comme le sentier descend dans une vallée encaissée, je dois être dans la bonne direction. Et je tombe littéralement sur ce manoir fortifié de Montfort, bâti sur un éperon rocheux s'avançant dans la vallée du wadi Qern. Pour isoler complètement la forteresse et la rendre quasiment inexpugnable, les bâtisseurs avaient creusé un fossé du côté restant rattaché à la colline. Position vraiment exceptionnelle. Saladin réussit quand même à s'en emparer et la rasa. Il ne subsiste qu'une tour carrée, des pans de la grande salle de réunion des chevaliers et de la chapelle. L'altitude est ici de cent quatre vingt cinq mètres. Je rencontre un groupe de jeunes israéliens venus faire des exercices de topographie. Je leur demande s'il est possible de revenir sur Gaaton par le wadi. Affirmatif. Ils me donnent de bonnes explications (en anglais). Après l'avoir suivi sur 3 kms environ, je coupe par la colline pour retomber sur la route de Naharya d'où je rejoins le kibbutz en stop.
Demain avec Eliane et Jean-Pierre, un français qui vient d'arriver, nous allons à Acco (St Jean-d'Acre)
Mercredi 22 juillet
................................................
Acco, la ville des Croisés. On peut imaginer l'impression ressentie par ces pélerins du Moyen Age débarquant après un voyage aventureux sur les nefs franques et leur effarement au premier contact avec l'Orient.
Le clou de la vieille ville est sans conteste la mosquée de Jazzar qui fut construite en 1781 par le Pacha el Djazzar (surnommé le boucher pour sa cruauté), dernier émir d'Acre. La cour intérieur est bordée sur trois côtés de galeries à colonnes de marbre provenant des ruines de Tyr, Sidon et Ashkalon. Des bougainvilliers, des palmiers-dattiers, dispensent leur ombrage et les fontaines leur fraicheur murmurante. L'intérieur est magnifiquement décoré de versets coraniques (l'écriture arabe est par elle même très ornementale) et le mur du fond ou se trouve le mirhab (niche indiquant la direction de la Mecque) est en marbre brun, vert et blanc, du plus bel effet. Dans un coffret damasquiné déposé à l'intérieur d'un petit édifice, genre tabernacle, se trouvent enfermés des poils de la barbe du Prophète que l'on promène en procession chaque année au vingt septième jours du mois de Ramadan.
A St-Jean-d'Acre est associé le souvenir de la cuisante défaite de Bonaparte à son retour de la campagne d'Egypte. Celui-ci y mit le siège en 1799 mais Jazzar Pacha soutenu par les Anglais commandés par Sydney Smith repoussa l'attaque et le contraignit à quitter la Palestine.
................................................
22 Juillet 1964
J'ai quitté Gaaton de bon matin par le bus jusqu'à Naharya d'où j'ai pris la direction de la frontière libanaise pour le kibbutz Hanita. Après avoir longé la côte la route s'en écarte pour s'élever en lacets jusqu'à 130 mètres, sur les premières pentes des monts du Liban à travers les afforestations du Jewish National Fund. Fondé vers 1938 par quelques pionniers venus d'Europe centrale auxquels se sont joints plus tard des immigrants d'Afrique du Nord, de sorte qu'on y parle aussi le français à 80%. Devenu très prospère, il s'adonne entre autres à l'arboriculture fruitière et à l'horticulture. On y trouve aussi une usine de fabrication d'outils ainsi qu'une Rest-House (assez huppée) pour les touristes, source importante de revenus pendant six mois de l'année. Des hauteurs d'Hanita on a une belle vue sur toute la Galilée occidentale et sur la côte. L'accueil n'a cependant pas été ce que j'attendais. Je pensais en fait y passer la nuit mais, devant la froideur du personnage qui m'a reçu, même en me recommandant de ce camarade du kibbutz, me donnant l'impression très nette d'être un intrus, je n'ai pas insisté. Avant de "vider" les lieux, j'ai quand même pris le temps de jeter un coup d'oeil au musée où se trouvent des collections d'objets anciens dont des céramiques provenant d'une chapelle du VIIIème siècle.
J'ai donc repris un car en sens inverse jusqu'à Arziv en bordure de mer, emplacement d'un ancien village fortifié des Croisés et où se trouve un Club Méditerranée (il y en a un autre à Ashkalon, beaucoup plus au sud) ainsi que l'unique camping aménagé d'Israël. Non loin de là l'auberge de jeunesse de Yad Layad où je pensais descendre mais plus de place. Mais par cette température clémente, on peut se permettre de passer la nuit dehors avec pour baldaquin les branches d'un eucalyptus et pour plafond le ciel étoilé. L'Auberge de la Grande Ourse quoi. C'est donc le soleil levant qui allait me réveiller le lendemain matin. A quelques mètres de mon trou dans le sable, la mer accourait sur le rivage en vaguelettes rieuses au devant de l'astre du jour.
Revenu à Acco par un bus matinal, j'ai pris une correspondance pour Sfad (Safed) traversant la plaine d'Acco aux champs fertiles puis celle de Beit Hakerem (maison des vignes) au sud de la Haute Galilée où poussent sur la terre rougeâtre oliviers, tabac, arbres fruitiers, vignes alors que sur les pentes assez abruptes sont égayés de nombreux villages dont la population est en grande majorité arabe. Puis la route s'élève en lacets sur le plus haut massif montagneux d'Israël le Har Jarmak, 1140 mètres d'altitude, traversant d'abord un plateau à 730 mètres puis s'élevant encore d'une centaine de mètres avant d'arriver à Sfad, la ville la plus haute du pays, construite à l'emplacement d'un ancien volacan.
.........................................................................
Kibbutz Shamir
fin Juillet 1964
..............................
......................... Samedi dernier j'ai fait le tour des lieux avec un kibbutznik et admiré la beauté du coin. Il se trouve au nord du lac Huleh (les "eaux de Mérom" de l'Ancien Testament) dans la dépression géologique du Jourdain et de la mer Morte, dans une vallée encaissée de l'nti-Liban, à quelques deux cents mètres d'altitude. Région basaltique où la roche à fleur de terre est noire. Les sommets avoisinants qui se trouvent en territoire libanais et syrien (on se trouve ici dans la partie extrême nord du pays formant une avancée entre Liban et Syrie, le "goulot de la bouteille" comme on dit ici) avoisinant les mille cinq cents mètres. En hiver ces sommets sont enneigés. Le kibbutz se trouve sur la pente côté Syrie. La frontière passe tout près (500 mètres environ). Comme tous les kibbutzim frontaliers, Shamir est équipé en prévention d'attaque arabe : tranchées, abris contre les bombardements, arsenal militaire. Pour l'instant les actes d'hostilité se bornent à quelques coups de feu, parfois à balles incendiaires pour mettre le feu aux récoltes.
Le mont Hermon (en territoire syrien) se détache indistinctement sur le ciel, son sommet dénudé culminant à 2.800 mètres.
Une particularité archéologique : des tumuli ressemblant beaucoup à nos dolmens. Des fouilles ont été faites mais on n'a découvert que des restes de la période hellénistique donc postérieure à celle où furent construits ces tumuli.
Le kibbutz Shamir s'appuie sur une solide organisation, certes nécessaire étant donné son importance, mais où l'on sent moins de décontraction qu'à Yad Hanna en revanche. J'y ai déjà fait quelques connaissances.
C'est la cueillette des poires. Nous sommes répartis par groupe de trente. Nous arrêtons à onze heures à cause de la chaleur qui persiste jusque vers les quatre heures de l'après midi, après quoi une brise fraiche s'établit.
Lundi je suis allé à Kyriat Shmoné, plus proche agglomération, à une quinzaine de kilomètres, puis jusqu'à Tibériade (Tiberias). Le site est superbe, encastré entre les monts de Galilée. L'eau du lac est d'un bleu profond, à peine ridée de vaguelettes, mais par grand vent, elle est capable de se soulever en véritable tempête. Tibériade n'était pas le but de ma sortie, je n'ai fait qu'y passer pour prendre le car de Tell Aviv et descendre au village de Kfar Thabor, au pied du mont éponyme, d'où à travers champs j'ai rejoint le kibbutz Ein Dor. J'y ai retrouvé le groupe d'étudiants en agronomie qui y effectue son stage de fin d'études et me suis recommandé d'eux en fait pour y rester deux nuits, ce qui me permettra de monter au Thabor demain et visiter la forteresse franque de Belvoir. En fin d'après midi je me suis joins au groupe pour assister à une conférence sur la culture des céréales en Israël : préparation du sol, semailles, fertilisation, récolte. Nous avons ensuite visité la salle de traite des vaches (à la machine). Ein Dor compte quelque trois cent cinquante membres, possède un important cheptel (vaches et moutons) et s'adonne à l'aviculture, à la culture du coton, de la vigne et des agrumes. Après dîner nous avons prolongé la soirée agréablement.
Le lendemain matin lever à 4H30 avec les gens du kibbutz mais quant à moi c'est pour filer vers le Thabor. C'est un mont trapu, 588 mètres d'altitude, faible altitude mais fort dénivelé, isolé au milieu d'une vallée. Je l'attaque par le flanc sud faisant face au kibbutz Ein Dor. Mont chauve avec de grosses dalles de roche calcaire au milieu desquelles poussent chênes-verts et thérébinthes. Au sommet une grosse touffe de sapins, d'oliviers et d'ifs. Quand Jésus y monta accompagné de Pierre, Jacques et Jean (épisode de la Transfiguration), ce fut par le flanc nord où serpente aujourd'hui la route asphaltée par où passent les voitures et les cars de tourisme et que, précisément, j'ai voulu éviter en passant par le flanc opposé, plus difficile. Bien que le temps soit couvert, la récompense est là au bout de l'effort avec un point de vue étendu sur toute la Galilée. Mais les lointains sont brumeux. Visite de la vieille forteresse sarazine et de la basilique de la Transfiguration inaugurée en 1924, tenue par de moines Franciscains. Un groupe de pélerins italiens venait juste d'arriver en car, suscitant une grande effervescence chez les moines, de sorte que j'en ai profiter pour visiter seul. Il se trouve aussi un couvent grec-orthodoxe installé depuis 1911. A noter également des traces d'enceinte fortifiée datant de l'époque romaine. Je suis redescendu par la route, plus rapidement. Passant par le village arabe de Daborya (lieu où seraient restés les neuf autres apôtres le jour de la Transfiguration) j'ai eu une conversation amusante avec de jeunes bergers arabes, en anglais rudimentaire, mêlé de quelques mots hébreu et de force gestes. Ces garçons intelligents et sympathiques ont voulu me donner leur adresse pour que je leur envoie une carte postale de France pour épater leurs copains. Nous avons mangé ensemble quelques figues de barbarie. De retour à Ein Dor, en pleine chaleur, j'ai pu profiter de la grande piscine, la bienvenue ! puis suis allé dormir ... jusqu'à six heures du soir !
Demain le groupe français va visiter Belvoir et je me joindrai à eux. C'est un véritable belvédère sur toute la vallée du Jourdain et de Bethshaan. De l'ancienne forteresse franque damantelée par Saladin il ne subsiste pas grand'chose (portion de rempart, tour de guet avec meutrières et une porte.
........................................................................................................
De retour à Shamir.
Le groupe d'étudiants français partant en excursion en car du côté de Tibériade et Sfad, je m'y trouve une petite place. Arrêt à Tiberias au bord du lac puis poursuivons vers Tabgha en suivant la rive. Nous nous sommes arrêtés à cet endroit même où se situe l'épisode du Sermon sur laMontagne, les Béatitudes, et de la multiplication des pains. On y trouve les ruines d'une basilique byzantine du IVème siècle aux belles mozaïques (les plus belles de toute la Palestine dit-on, voire au delà) représentant des scènes aquatiques avec faune et flore du lac. Derrière l'autel une composition symbolisant la multiplication des pains (et poissons). Puis nous sommes remontés juqu'à Hazor où, sur le tell du même nom, on a exhumé les restes d'une ville cananéenne. Passé également par un endroit connu sous le nom de "Cornes de Hattin", deux collines presque juxtaposées imitant des cornes de boeuf) C'est là que Saladin inflige aux Croisés une défaite telle qu'ils ne devaient plus s'en relever et qui marqua en fait la fin de l'empire latin de Jérusalem. C'est là que j'ai quitté le groupe sympathique pour prendre un autre car me ramenant à Kyriat Shmoné puis Shamir. Parmi les passagers un couple de Français, instituteurs, de Besançon, visitant Israël et devant justement passer quelques jours à Shamir. A nous revoir donc.
Il parait qu'en mon absence il s'est produit un léger tremblement de terre, en pleine nuit, ce qui, pour ne pas être très courant, n'est pas non plus surprenant m'a-t'on dit. De plus deux personnes ont été piquées par des vipères, (énervées peut être par cette secousse sismique) et traitées sur place au sérum mais envoyées quand même en observation à l'hôpital. Il y en a, on nous en avertit, et il faut donc s'en méfier, le soir notamment sur les pelouses, à la fraicheur, moment qu'elles affectionnent. Et toujours travailler aux champs ou vergers en brodequins. Toute cette région fut autrefois un marécage abritant plusieurs espèces de serpents venimeux.
Demain au boulot, aux poires.
......................................................................................................
Sfad, Mercredi 5 Août 1964
C'est de l'auberge de jeunesse Beth Benyamin de Sfad queje vous écris ce soir. Je vais y passer la nuit. Parti de grand matin de Shamir. Arrêt à Hazor, cité de l'âge de bronze qui occupa une position clé. Cette ville est citée dans l'Ancien Testament au livre de Josué qui appartenait au roi Jabin de Canaan mais conquise par les Israélites. Le roi Salomon la fortifia et y fit construire des écuries (dontvestiges). Elle fut détruite par les Assyriens vers 700 avant JC. Le site archéologique a été mis à jour vers 1926. Il st découpé en huit zones, la ville et son enceintecouvrant jadis une quarantaine d'hectares. En visitant ce lieu de très ancienne civilisation je foulais des pierres vieilles de treize siècles d'avant notre ère : ruines d'un ancien palais cananéen, d'anciens magasins à vivres, silos, vestiges de remparts et de canalisation d'eau, etc... De ce qui fut une cité florissante, le temps et les destructions des hommes n'en ont laissé que tas d'os de pierre, blancs sous le soleil. De Tell Hazor j'ai rejoint Sfad en stop.
Sfad est une ville d'altitude (850 mètres) et climatique dominant le lac de Tibériade. A cette saison elle regorge d'Israéliens en vacances. La visiter c'est faire de la grimpette. Beaucoup d'ateliers d'artistes. Ce fut un centre kabaliste célèbre, comptant plusieurs synagogues et, au vieux cimetière sont enterrés plusieurs grands maitres comme les rabbis Isaac Louria, Pinhas Ben Yair, Moïse Cordovero.
.....................................................................................
Aout 1964 -
................ Arrivé à Tibériade par le car. Il est encore tôt mais il fait déjà chaud. Tiberiade se trouve à deux cent sept mètres au dessous du niveau de la mer. Le lac de Huleh, celui de Tibériade, toute la vallée du Jourdain et la mer Morte se trouvent dans une profonde dépression qui se creusa dans les temps géologiques à la suite d'un cataclysme naturel. Tibériade (Tibérias) compte aujourd'hui vingt mille habitants environ et s'étend en longueur sur la rive occidentale du lac (appelé aussi mer de Galilée, lac de Génésareth ou encore de Kinereth, de l'hébreu kinor, lyre, en raison de sa forme). Il ne subsiste que peu de chose de l'ancienne ville laquelle n'est d'ailleurs pas la Tibériade du temps du Christ, celle-ci fondée par Hérode Antipas, tétrarque de Galilée, qui lui donna le nom de l'empereur Tibère, se situait plus au sud. Des fouilles archéologiques ont mis à jour quelques vestiges de cette ancienne cité , quelques pans de la muraille d'enceinte en pierre basaltique. Dans lactuelle Tibériade, on trouve de vieilles habitations de stylearabe et des mosquées datant de l'occupation turque. Au centre de ces vieux quartiers, je suis tombé à l'improviste sur un pittoresque marché mi-juif, mi-arabe, où se frayer un chemin parmi les caisses de fruits et légumes , les marchands accroupis, la foule des acheteurs et curieux n'était pas chose facile. J'en ai profité pour acheter des fruits et deux petits pains à grains d'anis. Arrivé à l'embarcadère d'où partent de petits vapeurs emmenant des touristes sur le lac, je décide de faire la pause. Le lac est toujours poissoneux et la pêche s'y pratique toujours mais avec des bateaux modernes, bien équipés, les pêcheurs en barques traditionnelles sont devenus rares. J'avance un peu sur la jetée. Il y a des enfants qui se baignent. Je vais les imiter et pique une tête. L'eau est calme, presque tiède. J'aperçois deux séminaristes juifs (en chapeau noir, longue lévite noire, bas et souliers noirs) qui se débarrassent de leur attifaille pour plonger à leur tour. Ils sont jeunes, 16/18 ans, parlent anglais (l'un d'eux me dit être né en Angleterre), ils étudient dans un collège rabbinique de Jérusalem. Ils sont sympathiques et très diserts. Une fois rhabillés, je leur demande la permission de les prendre en photo. Ils refusent, ça leur est interdit (je m'en doutais d'ailleurs), je m'incline et m'excuse. Après m'être restauré, je vais visiter le musée des antiquités (anciens pressoirs à olives, stèles, pierres de sarcophages, très belle collection de pièces de monnaie certaines à l'effigie de Tibère et de Trajan. Tout ça à découver à l'emplacement de la Tibériade romaine. Je me rends ensuite aux sources chaudes. En effet Tibériade était autrefois (et encore) une station thermale. L'eau jaillit à soixante degrés d'une source souterraine très profonde. Elle a des propriétés contre les rhumatismes, l'arthrite, le lumbago. La petite histoire raconte aussi qu'elle aurait des pouvoirs en gynécologie et, selon une légende très répandue dans le Moyen Orient, les femmes ne pouvant avoir d'enfant verraient leur voeu exaucé en s'y baignant. Aujourd'hui la station thermale accueille de nombreux curistes ce qui a profité à l'activité hotelière du lieu. L'eau de Tibériade serait même mis en bouteille et exportée. Les anciens thermes ont été récemment mis à jour à proximité, peut être les plus anciens du monde. Un peu plus loin se trouve le mausolée du célèbre rabbi Meïr Baal Hannes surnommé l'illuminé qui vivait au IIème siècle. Le sarcophage en marbre blanc est placé dans la partie droite d'un temple à double coupole à proximité duquel se trouvent des bâtiments servant d'hôtellerie aux pélerins. Je suis entré, couvert naturellement, et me suis trouvé dans une ambiance très curieuse. Autour du sacophage, des hommes et des femmes (descendants parait-il des anciens juifs, de ceux qui ne quittèrent jamais la Palestine) se lamentaient bruyamment tout en baisant la pierre alors qu'un peu plus loin d'autres pélerins mangeaient et discutaient bruyemment, comme s'ils se disputaient. De vieux Juifs barbus demandaient l'aumône en agitant leur sébille, d'autres dormaient à même le sol. On se serait davantage cru dans un caravansérail.
..................................................
De Tibériade je pensais filer sur Kinéreth mais j'ai décidé de revenir à Tabgha où il y a une auberge de jeunesse. J'y coucherai ce soir pour demain matin aller visiter les anciennes synagogues de Kfar Nahoum (Capharnaum) et Korazine. Cette auberge de jeunesse (Beit Yoram) est admirablement située. Le soir commence à tomber sur le lac qui de bleu a pris une teinte un peu verte. Les collines environnantes se sont débarrassées de leur brume de chaleur, le ciel est clair et, du côté où le soleil se couche, a pris la couleur d'un abricot bien mûr. Moment crépusculaire où l'on se sent proche de ce cette "natural piety" de Wordsworth. C'est sur cette lyre (kinor) de Kinéreth que la poétesse Rachel Blaustein (plus connue sous son seul prénom) chanta l'amour de ces lieux dans des poèmes devenus classiques pour les jeunes Israéliens.
......................................................................
.....................................................................
Me voici depuis hier soir au kibbutz Kinéreth, sur la rive sud du lac, où je suis arrivé en car depuis Tibériade. Je pensais y trouver la soeur d'Eliane mais j'apprends qu'elle est déjà repartie pour Gaaton.
Après Dégania, Kinéreth est le plus ancien kibbutz du pays (1908) et compte plus de huit cents membres, immense à côté de Shamir ! ne parlons pas de Yad Hanna ! On y cultive beaucoup la vigne, les palmiers-dattiers. Pendant l'été il reçoit et héberge de nombreux visiteurs étrangers (actuellement une quarantaine de différentes nationalités : français, italiens, espagnols, américains, anglais, hollandais et même un étudiant africain venu de l'Angola).
..........................................................
Comme je ne suis pas là pour travailleur je fais la grasse matinée............... L'après midi suis allé jusqu'aux rives du lac voir le tombeau de la poétesse Rachel.
...........................................................
à suivre ....................
What is said now of "Yad Hanna" on Wikipedia :
Yad Hanna ( יַד חַנָּה Hannah's Memorial) is a community settlement and former kibbutz in Israel's Sharon Plain. Covering 2,600 dunams, it is located within the Hefer Valley Regional Council near Highway 57 north of the country's center. In 2006 it had a population of 208. In 2010, the Kibbutz movement newspaper Daf HaYarok reported that it numbered 140 members. The kibbutz was established in 1950 by a gar'in group of Habonim Dror members and was named in honour of Hannah Szenes. In 1953, as a result of the split in Mapam (with which the kibbutz members were affiliated), most of the kibbutz members defected to Maki. However, 120 members who disagreed with this left the kibbutz to found a new one nearby by the name of Yad Hana Szenesh (which was disbanded in 1972). As a result, the kibbutz became known as the "only communist kibbutz." In 2003 the kibbutz was officially rezoned and popularly renamed Yad Hana-Homesh, when the kibbutz accepted the government's generous privatization package which included absorbing settlers evicted from Homesh as part of Israel's unilateral disengagement plan (see Protocol N.31 of the Knesset Ombudsman sub-committee on the disengaged, 5 Jan-2009). Today Yad Hana is a collective suburb, whose main industry is its own commercial real estate development.
... Août 1964
.........................................
Je reprends le sac et en compagnie de mes deux gars d'hier nous marchons jusqu'à l'intersection de nos routes respectives. Je prends à droite vers Degania-Aleph la plus ancienne kvoutza d'Israël (54 ans) où les bâtiments sont disséminés parmi des arbres de différentes essences, très nombreux, presque une petite forêt. La maison de Gordon abrite une belle collection d'oiseaux, d'oeufs, de reptiles, de minéraux avec une bibliothèque composée principalement d'ouvrages techniques (sciences naturelles et agricoles). Gordon (David Aaron) natif de l'Ukraine fut un mystique du retour à la terre, montrant l'exemple de la reconversion des Juifs aux tâches agricoles pour la résurrection de leur pays. Il mourut en 1922 à soixante quatorze ans, la pioche à la main. Sur sa tombe cette simple épitaphe "ci-git Gordon, homme et travailleur".
Après cette visite direction Bethshaan. Je fais du stop. Un énorme camion Mack s'arrête et me prend à son bord. Le chauffeur est un homme charmant, d'origine polonaise, parlant bien l'anglais et même assez bien le français. Il a quitté la Pologne à dix sept ans et a attendu plus de six mois à Marseille avant de trouver un bateau où s'embarquer pour Israël. C'était en 1948. Il me dépose à deux kms et je rejoins à pieds le centre ville. Je vais frapper chez Raphaël. Je sais qu'il travaille encore à cette heure mais sa mère est là qui est prévenue et me reçoit avec un grand sourire. Elle ne connait que l'hébreu et l'arabe marocain mais je lui fais comprendre que je vais laisser là mon sac et en attendant aller faire un tour jusqu'au Sahné laissant un mot pour Raphaël. C'est à 5kms une fois sur la route je commence à lever le pouce. Une jeep s'arrête et me dépose au lieu dit. C'est un magnifique parc aménagé autour d'un bassin naturel alimenté par une source qui descend des Monts de Guilboa. De grandes pelouses bien vertes, des ifs, eucalyptus, pins, accacias, un endroit merveilleux et om la baignade est délicieuse dans l'eau claire, profonde par endroits de près de six mètres. A l'intérieur du parc se trouve actuellement une exposition de sculptures de l'artiste israélien Joshua Ségal. C'est assez moderne mais j'aime beaucoup sa composition de Noé et la colombe. Je m'arrache de là à regret mais il faut rentrer. Je marche près de trois kms avant de trouver un "lift", une camionnette qui me ramène au centre ville. Raphaël est là qui m'attend, heureux de me revoir. Nous causons. Avant dîner nous allons faire un tour en ville. C'est sous la treille de son shikun que je vous écris avant d'aller dormir. Demain départ de bonne heure pour Beth Alpha et Meggido. Je coucherai à l'auberge de jeunesse de Ramat Hashofet.
......................................................
Avant de quitter Bethshaan, je vais jusqu'au Tell el Hosen, dominant la ville. C'est un site de très haute antiquité où les fouilles archéologiques entreprises par l'université américaine de Pennsylvanie ont exhumé les vestiges de plusieurs villes superposées (strata) dont la plus ancienne remonte à l'époque de Thoutmès III (1500 env avant JC). Viennent ensuite les périodes pré-Aménophis II, cananéenne, philistine, hellénistique, romaine, byzantine enfin arabe et moyen âgeuse. C'est sur cette colline que le roi Saül trouva la mort dans un combat contre les Philistins. Curieuse impression de fouler ces lieux bibliques tout en ayant autour de soi l'agglomératon très moderne de Beithshaan.
Je vais à la station d'autobus pour prendre le car pour Beth Alpha. Il me dépose à un kilomètre de l'endroit devenu célèbre depuis la découverte par des kibbutznik de Heftzi Ba des ruines d'une ancienne synagogue. Le clou est un magnifique pavement en mozaïque de couleurs divisé en trois panneaux représentant le sacrifica d'Abraham, l'Arche d'Alliance et le zodiaque. Ensemble remarquable, très harmonieux, même si le dessin est assez primitif.
Je poursuis ma route, en stop d'abord jusqu'à Ein Harod, de là en car jusqu'à Affouleh où je me précipite vers une buvette. Toute cette vallée de Bethshaan extrêmement fertile (et comptant le plus grand nombre de kibbutzim) est aussi très chaude. En cette saison la température atteint les 38/40°c. Attablé à la buvette, j'échange quelques mots avec un Juif-Arabe qui est maître d'école à Nazareth. Mais je dois continuer. J'achète une livre de raisins que je grapille tout en marchant. Je m'arrête au premier arrêt de bus et pose sac à terre pour m'asseoir. A peine le temps car en voilà un qui surgit et qui me dépose tout près des ruines de Meggido.
Le Tell de Meggido domine toute la plaine de Jezréel aussi fût-il choisi comme emplacement d'une forteresse. C'est l'une des plus anciennes villes découvertes en Palestine, ses origines remontant à six mille ans, avec plusieurs couches de villes s'y étant accumulées. Conquise vers 1470 av JC par Thoutmès III, elle le fut pour la dernière fois en 1948 par les forces israéliennes. Salomon fortifia la ville et s'y fit construire d'immenses écuries pouvant contenir jusqu'à cent vingt chevaux et dont on voit aujourd'hui des vestiges. Ce grand roi devait les aimer car il se fit également construire de grandes écuries à Hazor et Gezer. Il y avait à Meggido un très ingénieux système d'adduction d'eau. On peut voir les restes d'un temple du troisième millénaire dédié à la divinité de la guerre (Meggido signifiant colline des batailles) . A noter enfin que, selon l'Apocalypse de Saint Jean, ce serait à cet endroit que devrait se dérouler la bataille finale des forces du bien contre le mal ( "... et il rassemblera ses forces en un endroit appelé en hébreu : Har Maggedon, colline des batailles." ). Pour être longue (plus de trois heures) et fatiguante, cette visite est passionnante.
Ma montre ne marche plus depuis quelques jours ce qui au début m'a beaucoup gêné mais je commence à m'y habituer. Je ne peux la faire réparer à moins d'être fixé quelque par un minimum de temps. J'estime qu'il doit être dans les dix-huit heures. Je marche jusqu'au plus proche arrêt de bus mais il se fait tard, pas sûr qu'il y en ai encore. J'essaye le stop. Une jeep s'arrête et me dépose à une dizaine de kilomètres. Toujours ça de fait. Je voudrais bien arriver ce soir à l'auberge de jeunesse Ramat Yohanan (16kms au nord de Haïfa) mais ... le soleil accroche déjà le Mont Carmel et la nuit sera bientôt là. J'ai faim et soif, mal aux pieds, crevé quoi. A quoi bon continuer à marcher. De rares véhicules passent sans s'arrêter. Il n'y a sûrement plus de car. J'envisage donc, mal gré bon plutôt que bon, de passer la nuit à la belle étoile dans un coin abrité. J'ai une couverture de l'armée dans mon sac. Si je pouvais seulement trouver un peu d'eau. Je vais quand même attendre au bord de la route jusqu'à la tombée de la nuit pour ne pas laisser échapper une occasion. Et voilà que - contre tout espoir - une jeep surgit les veilleuses allumées. Je fais signe, elle s'arrête. Le chauffeur se rend à Yogour qui est à près de dix kilomètres de Ramat Yohanan. La perspective de les faire à pieds ne m'enchante guère. Enfin, c'est la journée qui veut ça... Le chauffeur baragouoine quelques mots d'anglais. Il me demande où je vais au juste et apprenant que je voulais passer la nuit à l'A.J., il se décide finalement à m'y conduire car l'endroit n'est pas facile à trouver, de nuit en plus. J'en reste confondu. Très très chic de me tirer ainsi d'affaire en rallongeant sa route. C'est ça aussi Israël.
Grâce à ce brave type, je me retrouve à l'A.J. alors qu'il fait déjà nuit . Je ne sais comment le remercier. Le soleil a disparu derrière le Carmel et on voit scintiller les lumières de Haïfa. L'auberge fait aussi camp de vacances pour de jeunes scouts juifs. Je dîne en compagnie de deux Anglaises et un Danois et ensuite nous allons faire un tour dans le parc. Je suis fatigué et j'ai hâte d'aller me coucher après cette dure journée.
Le lendemain ..................
05h du mat, déjà débout et plus fatigué que la veille. Comme il arrive quand on l'est trop je n'ai pu trouver le sommeil d'autant plus que la colo a chahuté jusqu'à passé minuit ce qui a pour effet de me mettre les nerfs en pelote. Ces petits cons s'amusaient à marcher au pas de l'oie sur une allée bétonnée tout près du dortoir avec des chaussures à clous. Eux n'ont évidemment pas connu cette époque mais leurs parents si, à moins qu'ils faisaient ça par dérision, mais tout de même pas une chose à laisser faire par les moniteurs.
Je dois faire mon deuil de mon carnet de notes perdu (je ne sais vraiment pas trop comment) dans le train de Tell Aviv.
Je pars à 7H pour Haïfa où je dois aller au bureau de la CFN (Cie Française de Navigation) au sujet de mon retour. Et aussi au Ministère de l'Intérieur israélien pour prolonger mon permis de séjour.
.......................................................
Pour la prolongation du permis de séjour, je dois m'adresser au bureau divisionnaire de Sfad, district dont dépend "Shamir" où je suis basé présentement.
Suis allé au Consulat de France perché sur les hauteurs de la ville. Impossible de passer en Jordanie avec le cachet israélien sur mon passeport. A la rigueur un laissez passer pourrait d'être délivré par le Consulat à Jérusalem pour entrer en Jordanie lors des fêtes de Noël mais sans pouvoir revenir en Israël. Donc, rien à faire. Dommage !... pire, déception. En fait il n'aurait pas fallu que j'entre en Israël par la mer mais "par derrière", par les terres en débarquant à Beiruth (Liban) par exemple et descendre via la Jordanie, il n'y aurait eu en ce cas aucun problème avec les autorités frontalières israéliennes. J'aurais dû le savoir avant.
...........................................................
Je vais prendre le train de Naharya pour me rendre ensuite à Gesher Aziv
sur la côte où il y a une A.J. Je repasserai par Sfad avant de rentrer à Shamir.
...................................................................................
Mercredi 12 Août 1964.
Finalement j'ai couché hier soir à l'Auberge de la Grande Ourse sur la plage car l'autre était pleine comme un oeuf avec des colonies de vacances (ce qui est contraire au règlement des Auberges, du moins en France). Je suis déjà passé plusieurs fois par ici, un endroit que j'aime bien. J'ai pu me baigner jusqu'à tard et, pour ne pas avoir beaucoup dormi, j'étais quand même d'attaque ce matin. Il y avait un clair d'étoiles formidables (et la lune aussi fine qu'une lame de faucille) et c'est une curieuse sensation que de passer la nuit ainsi, dans un trou de sable, sous ce regard là!
.....................................................................................
Pas très commode pour trouver la Station de Police de Sfad, perché tout en haut de la ville. Perdu beaucoup de temps à expliquer ma démarche, passant d'un policier à l'autre, avant d'atterrir devant le chef qui m'indique la direction du Misrad Haperim (bureau divisionnaire du Ministère de l'Interieur). Je perd encore un temps fou à trouver l'endroit où je suis reçu par un préposé barbu en kippa et lévite noire d'âge indéfinissable, qui me donne un imprimé à remplir. En attendant il sort et me fait poiroter une bonne demi heure avant de revenir. Il prend ma feuille, la photo d'identité exigée, mon passeport et après plusieurs coups de tampon, m'annonce que ça fait trois Livres israéliennes (environ cinq cents francs anciens). Il me donne un reçu mais garde mon passeport qui me sera retourné à "Shamir" d'ici quelques jours. J'aime pas beaucoup ça.
Pas le temps de faire autre chose, décidément. Je retourne à la gare routière et prend une correspondance pour Kyriat Shmoné et de la un car pour Shamir où je vais m'ancrer pour quelque temps.
...............................................................................
Shamir, 19 Août 1964.
..................................................................
Ici c'est toujours la récolte des pommes qui bat son plein. Une abondance ! (des Jonathan, des Golden délicious, ...) des fruits magnifiques. C'est une bonne année dit-on.
...................................................................
J'ai en projet pour le mois prochain de faire un grand circuit dans le Neguev (huit jours au minimum) d'où je reviendrai probablement à Yad Hanna.
Le sympathique groupe "Horizon d'Israël" doit quitter Shamir demain. Il y aura une petite soirée d'adieu à laquelle je participerai moi même et pour laquelle nous avons préparé quelques chants et scenettes.
D'après vos lettres il fait très chaud en France. Les gens d'ici disent qu'il fait moins chaud que d'habitude, mais personnellement ça me suffit.
.....................................................................
.....................................................................
....................................................................
J'ai été très touché de la sympathie témoignée à mon égard à Shamir au moment du départ. Quelques kibbutznik que j'y ai connus plus intimement m'ont invité à une petite réunion d'adieu et chacun de me laisser un petit cadeau. Une belle gerbe d'amitié.
....................................................................
Donc ce matin départ à 5H par le car pour Kyriat Shmone, puis Tibériade. De là par le car également jusqu'à Nazareth par Kfar Kana, village du miracle des noces. Nazareth, ville des églises et des couvents, à population majoritairement arabe, étagée sur la colline, lumineuse, avec le Thabor dominant de son sommet arrondi la belle et riche vallée de Jezréel fermée à l'Est par les Monts de Guilboa..........
Après Nazareth, je me suis rendu à Beth Shearim où j'ai visité les catacombes où sont enterrés plusieurs rabbis célèbres ainsi que les ruines d'une synagogue du Vème siècle. Cet endroit est lui aussi très beau avec, sous les yeux, toute l'étendue du Carmel d'un côté, de la vallée de Jezréel de l'autre. La colline sous laquelle sont creusés les catacombes est crayeuse, plantée de pins qui embaument.
Après une sieste je me remets en route. Beth Yoshua (kibbutz) en stop (voiture) puis en camion jusqu'à l'embranchement de la petite route montant à Ramat Hashofet. L'auberge de jeunesse installée sur les dépendances du kibbutz est à quatre kilomètres que je fais à pieds. Pas fâché d'être arrivé à l'étape qui est très confortable avec plusieurs douches, chambres, réfectoire où bien que l'après midi soit déjà avancé on me sert quand même à déjeuner. La mère-aub est charmante et on bavarde un peu en anglais. Ce kibbutz compte plus de deux cents membres et s'adonne aux cultures du blé, sorgho, tournesol, à l'arboriculture fruitière. Il y a aussi une fabrique de caissettes en bois pour l'exportation des fruits et légumes. Restauré et douché je pique un roupillon jusqu'au coucher du soleil. En me réveillant j'ai un compagnon de chambre, un Canadien parti depuis deux ans pour un tour du monde. Un gars sympa à la conversation très intéressante. Il doit prochainement embarquer pour l'Europe. Il pense être en France courant Octobre et je l'ai invité, si d'aventure c'est sa route, de passer chez moi. Nous allons dîner ensemble et faisons honneur au repas. On nous sert un thé du tonnerre. Il y a des grandes manoeuvres sur le Carmel et le silence du soir est (désagréablement) troublé par l'éclat d'obus et des crépitements d'armes automatiques. Ken se demandait si c'était pour de bon ou quoi... Nous partirons demain ensemble par le car de 7H30. Je pense être de retour à Yad Hanna en fin de matinée. Je vais y rester un peu de temps pour travailler avant de repartir vers l'extrême sud (Elath) en passant par Jérusalem.
.......................................................................
Retour à Yad Hanna d'où je vous écris ce soir. Heureuses retrouvailles avec tout ce petit monde . Je n'en finissait pas de raconter.
Le kibbutz organise pour Vendredi une sortie collective au Sahné près de Bethshaan. J'y suis invité bien entendu. Je connais déjà mais j'y retournerai avec plaisir ne serait-ce que pour la baignade dans l'eau fraiche.
.........................................................................
Jérusalem, dimanche 30 Août 1964.
Je me trouve ce soir dans la salle de lecture de l'auberge Waterman Wise dans la Jérusalem nouvelle ville (zone israélienne). J'ai fait la route en stop depuis Petah Tikva dans une Taunus, un prof d'Histoire de l'Université de Tell Aviv se rendant directement à Jérusalem. Mais je me suis fait déposer près du petit village arabe d'Abou Gosh qui m'avait frappé par son pittoresque quand j'étais passé par là la première fois. Le prof me conseille d'aller voir à deux pas d'Abou Gosh les ruines d'un monastère de l'époque des Croisés (XIIème) qui fut tenu par des Bénédictins. Pour commencer je me rends à Aqua Bella. Un petit sentier poudreux y mène à travers les vignes. Chemin faisant j'admire ce paysage de Judée aux collines pierreuses couvertes d'anciennes terrasses de culture, certaines très anciennes, de vignes et de vergers. Aqua bella (Belles Eaux) tire son nom de la source d'Abou Gosh que les Hospitaliers appelèrent "source d'Emmaüs" . En réalité rien ne prouve que ce village fut l'Emmaüs du temps du Christ. Le monastère d'Aqua Bella était fortifié. On peut voir une salle voûté percée de meutrières, assez bien conservée et, au dessus, une seconde salle à ciel ouvert percée de fenêtres et meurtrières avec des arceaux de voûte encore apparents. Je reviens sur mes pas jusqu'au village très ancien. On y a mis à jours des ruines d'époque byzantine et de nombreux objets tels vases, lampes à huile, ...Parmi les nombreuses pièces de monnaie retrouvées sur le territoire, l'une d'elles porte l'effigie et le nom de Ponce pilate gouverneur romain de Judée.
Le nom actuel d'Abou Gosh vient de celui d'une famille berbère venue du Hedjaz au XIXème siècle et qui se faisait payer tribu par les pélerins se rendant et revenant de Jérusalem par la vallée de Bab el Ouad. Les habitants actuels en sont les descendants. C'est à cet emplacement que les Croisés fondèrent Castel Fontenoy comprenant un chateau fort et une église construite sur la source d'Emmaüs que la Xème Légion romaine (celle qui détruisit le deuxième Temple de Jérusalem et la ville elle même sous Titus) utilisait pour abreuver ses hommes et ses chevaux. Au dessus de la crypte, l'église est un bel édifice aux lignes sobres, puissantes. Je remarque que la retombée des arcs de voûte repose sur des entablements eux mêmes supportés par un début de colonne à chapiteau. Les murs étaient recouverts de fresques byzantines qui furent grattées par les Turcs qui utilisèrent l'église comme mosquée. Les lieux sont sous la garde de trois Pères Lazaristes dont la maison-mère se trouve à Beiruth au Liban. Sur les conseil de l'un d'eux, j'emprunte un petit sentier à travers les vignes et les vergers jusqu'au sommet d'une petite colline où campa jadis la Xème Légion. Le cadre est paisible, enchanteur même. De retour sur la route menant à Jérusalem, je rejoins en stop le centre ville (Ouest) où je casse la croûte dans le Parc de l'Indépendance.
.....................................................................................
J'ai promis à un jeune du kibbutz Yad Hanna qui est marié, de faire une commission à ses parents qui habitent Hir Ganim (ville des jardins) dans les nouvelles cités qui se construisent en périphérie. J'arrive à retrouver l'endroit. Ces gens m'offrent une bière (bienvenue) et nous parlons. Je perds souvent le fil de ce qu'ils me disent au sujet de ce jeune couple qui se serait trouvé en difficulté et faute de mieux se serait réfugié au kibbutz. Ils semblent s'en faire soucis. Je les rassure du mieux que je peux. C'est très bien là bas à Yad Hanna, l'ambiance y est excellente et ils semblent heureux et bien s'y plaire (là je m'avance peut être un peu ...). La maman me dit aussi trouver le temps long qu'ils n'aient pas encore d'enfant ... Suis-je marié moi-même? Ai-je des enfants, oh là là ... J'ai du mal à prendre congé ....
Puis je me rends au Centre médical universitaire de la Haddasah sur une colline dominant le petit village d'Ein Karem (où naquit Jean Baptiste, cousin de Jésus). Sa mise en service ne date que de trois ans. Ilcomporte onze étages et quinze services différents. C'est dans la synagogue que l'on peut admirer les douze vitraux de Marc Chagall représentant symboliquement les douze tribus d'Israêl et formant une couronne. Chagall passa deux ans à leur conception.
Avant de me rendre à l'auberge, visite du Mont Hertzl d'où l'on découvre un beau point de vue sur Jérusalem. Au sommet se trouve le monument de Théodore Hertzl, père du Sionisme.
A l'auberge il y a foule, plusieurs groupes d'italiens, anglais et français. Je ne tarde pas pour aller me coucher.
Le lendemain -
Après une nuit perturbée par les moustiques (la propreté du dortoir laisse aussi à désirer) réveil à 7H, douche, casse croûte et en route. Des amis de Yad Hanna m'avaient donné l'adresse d'un de leurs camarades qui habite un quartier neuf de Jérusalem-Ouest, près de l'Université, à Beth Hakerem. Je m'y rends à pieds. C'est extraordinaire les proportions que prend aujourd'hui la nouvelle ville. La construction y marche à un rythme accéléré. Des immeubles de quatre, cinq étages, pas mal d'ailleurs. Le camarade en question n'est pas là. J'essayerai de repasser plus tard. Je rejoins la station de bus et prend le numéro 7 pour Ramat Rahel, kibbutz situé au sud de Jérusalem sur la frontière jordanienne. Ce kibbutz fondé en 1928 fut complètement détruit par les Arabes durant la guerre d'Indépendance d'Israël, puis reconstruit. Sur ses dépendances on a dégagé les restes d'une cité antique remontant peut être à l'Ancien Testament et les ruines d'une basilique byzantine. Des hauteurs de Ramat Rahel on embrasse un vaste panorama et juste en face à quelques kilomètres seulement, Bethléem étage ses maisons blanchesen hémicycle sur une colline. C'est une agglomération de vingt mille habitants quand même, en majorité chrétiens. Au milieu s'élève la basilique de la Nativité au dessus de la grotte où l'on vénère la naissance du Christ, Prince de la Paix. J'en suis si près !... et pourtant ... barbelés et panneaux en trois langues (hébreu, arabe, anglais) jettent leur "halte-là frontière, danger de mort" ... A gauche de Bethléem s'étendent les Monts de Moab et le désert de Judée. A droite sur une colline le monastère grec de Saint Elie et le gros village de Beth Jala où est installée la station de radio-diffusion jordanienne. Au delà encore les collines d'Hebron en direction d'Amman capitale de la Jordanie. J'ai longuement contemplé ce paysage (les jumelles d'Olivier me rendant bien service) où il m'est interdit de pénétrer. Un bus me ramène au centre ville d'où je me rends au Monastère de Notre Dame de France où se trouve une hostellerie de pélerins, ne tenant pas à passer une autre nuit dans cette AJ. La formule la plus économique en dortoir coûte une Livre israélienne la nuit (175 anciens francs) c'est encore moins cher qu'à l'AJ et c'est propre. Je me retrouve avec pas mal de Français venus d'un peu partout. Douche et sieste. Je sors en ville et flane un peu à distance de l'enceinte de la Vieille Ville. Je remarque postés sur des terrasses d'immeubles des soldats israéliens armés de fusils-mitrailleurs. De l'autre côté, en zone jordanienne, la Légion arabe fait de même. Jérusalem, ville partagée, ici aussi un "mur", de honte, d'incompréhension. En rentrant à N.D. de France j'achète quelques provisions pour dîner. Les Français du dortoir sont bavards mais, de toutes façons, je reste demain à Jérusalem et n'aurai donc pas à me lever aux aurores.
le lendemain (1er Septembre)
Tôt (5h30) visite au Tombeau des Juges (catacombe du Sanhedrin). De cet endroit où passe la ligne de démarcation on a un beau panorama sur les collines pierreuses de Judée et sur le Mont Nebi Shmouel en territoire jordanien, le "Montjoy" des Croisés d'où les pélerins de jadis découvraient pour la première fois Jérusalem.
Quartier juif ultra orthodoxe de Mea Shearim aux nombreuses synagogues et yechivot (séminaires rabbiniques).
Mont Sion et abbaye de la Dormitio sur le clocher de laquelle veillent des guetteurs israéliens. Les murailles de la vieille Jérusalem sont là, presque à portée de main, mais : Halte-là, frontière, zone interdite, danger de mort. Je ne peux que "repérer" d'après la carte quelques uns des lieux saints.
Je m'en retourne à N.D. de France.
L'après midi, je me rends à pieds à Beit Hakerem près de la nouvelle université pour rendre visite à des amis du Kibbutz Yad Hanna. Un ménage avec deux enfants : elle d'origine égyptienne, secrétaire à l'université, lui encore étudiant en mathématiques et physique. Sympa. Nous dînons ensemble simplement. Beit Hakerem est une des plus belles cités résidentielles de Jérusalem, des immeubles blancs au milieu des pins.
Je rentre tard à mon hostellerie alors que tout le monde est couché, ce que je fais moi même très discrètement.
Je pars demain dès 7h pour Beersheva où je dois retrouver une Suissesse (de Zurich) qui a passé quelques jours à Yad Hanna. Nous avions convenu de faire route ensemble dans le Neguev.
.......................................;
2 Septembre (Mercredi)
Beersheva.
Arrivée directe de Jérusalem par le car. Il est midi. Beersheva (le puits des sept) fait allusion aux sept brebis que le Patriarche Abraham offrit au roi des Philistins en gage d'alliance. On montre encore aujourd'hui son emplacement près du marché du jeudi (souk el khemis comme on dirait en Afrique du Nord mais ici c'est un dialecte différent). Après avoir erré depuis Ur et Harran en Chaldée, Abraham et sa tribu étaient arrivés là pour y planter leurs tentes aux confins de la "Terre promise", Canaan dont les limites en ces temps là allaient de Dan à Beersheva. Aujourd'hui Israël s'étend de Metoullah à Elath. On se souvient aussi qu'Abraham répudia sa femme esclave Agar et son fils Ismael pour prendre Sarah, femme libre. C'est dans le désert, au sud de Beersheva, qu'Agar et son fils (dont descendent les Ismaélites ou Arabes) errèrent longtemps mourant de faim et de soif avant de trouver à s'abreuver à l'endroit qu'aujourd'hui les Bédouins appellent Bir Turkya, le puits des Turcs. C'est là aussi pratiquement que s'est arrêtée la pénétration des Croisés en Terre Sainte. Ceux ci désignaient le reste du désert par le vague terme d'outre-Jourdain. Beershéva fut longtemps occupé par les Turcs. Subsistent de cette époque la mosquée transformée aujourd'hui en Musée du Neguev contenant une collection d'objets anciens trouvés dans les ruines des villes nabatéennes du Néguev, et un ancien sérail où est installée aujourd'hui l'administration militaire. La première colonie juive à s'installer à Beersheva remonte à 1902, elle fut détruite pendant la guerre d'indépendance. Aujourd'hui Beersheva est une ville en plein développement comptant près de cinquante mille habitants. Des usines de tissage et des meuneries s'y sont installées et occupent une partie de la population. Du haut du minaret de l'ancienne mosquée on découvre la ville dans son ensemble, profusion d'immeubles blancs et symétriques entrecoupés de quelques espaces verts et de stations militaires (il y a beaucoup de troupe à Beersheva). Les derniers immigrants viennent d'Afrique du Nord. La population est d'ailleurs très bigarrée et la ville offre bien des contrastes, Bédouins du désert côtoyant pionniers des kibbutzim et touristes, voitures à âne et chameaux voisinant avec de grosses voitures.
A SUIVRE : "Lettres d'Israël" 2