Le 22 Décembre dernier est sorti à Paris en version française le film mexicain de Nicolas Etchevarria « Cabeza de Vaca » odyssée quasi-inconnue en France de la découverte du Nouveau Monde et particulièrement du sud des États Unis actuels, de la Floride jusqu'au golfe de Californie, soit d'un océan à l'autre. Huit ans d'errance et 8000 kilomètres parcourus à pieds (et presque nus) en des régions hostiles de par sa nature et la présence de tribus indiennes aujourd'hui par quatre rescapés d'un groupe de trois cents hommes parmi lesquels un hidalgo andalou de 37 ans du nom d'Alvar Nunes Cabeza de Vaca qui avait débarqué en Floride avec l'expédition de Panfilo de Narvaez en Avril 1528. Celle ci forte au départ de 600 hommes répartis sur cinq navires avait quitté Cadiz en Juin 1527. Cabeza de Vaca en était le trésorier. Après avoir subi un ouragan au cours duquel ils perdirent deux navires et soixante hommes, les navires restants purent atteindre l'île d'Hispaniola (Saint Domingue ou Haïti) où ils firent relâche plusieurs jours, avant de poursuivre jusqu'à Santiago de Cuba et d'atteindre finalement les côtes de Floride à Tampa Bay qu'avait abordées 15 ans plus tôt Ponce de Leon. Le chef de l'expédition, Panfilo de Narvaez, prit alors une décision contestable et d'ailleurs contestée par plusieurs : celle de séparer ses forces navales de ses forces terrestres en vue d'une jonction aux environs d'un port sûr (peut-être aux environs de la Vera Cruz le plus proche de Mexico). C'est ainsi que Cabeza de Vaca se retrouva comme capitaine parmi le groupe d'exploration terrestre qui devait errer et se décimer peu à peu avant d'atteindre par un immense détour (Texas, Nouveau Mexique, Arizona) la ville de Mexico où les quatre survivants méconnaissables furent reçus par Hernan Cortès lui même. A la fin de la « relaçion » qu'il écrivit plus tard sur leur incroyable aventure, Cabeza de Vaca donne la liste de ces ultimes survivants : Alonso del Castillo Maldonado, Andres Dorantes de Carranza, Alvar Nunez Cabeza de Vaca et Estevanico, esclave noir originaire du Maroc.
Ce nom de Cabeza de Vaca venait d'un ancêtre paysan du côté de sa mère ayant contribué à la grande victoire de Las Navas de Tolosa en 1212 contre les Maures en attirant les armées espagnoles à un point stratégique qu'il avait marqué d'un crâne de vache fiché sur un pieu et d'où elles purent fondre par surprise sur l'ennemi. Ce fait d'armes lui avait valu l'anoblissement, son nom transformé en Cabeza de Vaca, et le droit de porter blason. Alvar qui était le petit fils de l'adelantado (chef d'expédition) des Canaries Pedro de Vera, avait fait de très bonnes études avant d'entrer dans le métier des armes et les connaissances diverses et variées qui étaient les siennes lui furent précieuses au cours de son aventure car il faut savoir qu'il ne disposait ni de carte ni de boussole se guidant uniquement aux étoiles et au soleil. Outre le fait d'avoir été le plus grand marcheur au monde (et pieds nus) il fut aussi un observateur attentif de la faune, de la flore, des ethnies rencontrées et de leurs coutumes. Les notions élémentaires de médecine qu'il avait apprises lui permirent de guérir certaines maladies, de pratiquer même certaines opérations, ce qui lui valut chez les indiens la réputation (et la protection) de chaman. Il faut croire que cet homme était d'une endurance et d'une force de caractère étonnantes pour avoir supporté le pire tant au physique qu'au moral de la part des Indiens dont il fut longtemps l'esclave et d'avoir su tirer de cette aventure incroyable une appréciation humaniste sur ces peuplades inconnues de l'époque. Aussi représente-t 'il en fait tout le contraire d'un conquistador que seule la soif de l'or motivait, tout comme l'Espagne en fait mais sous couvert de christianisation, un in-conquistador en quelque sorte pour reprendre le mot de Jean Claude MARTIN, et la première chose qu'il fit en rentrant en Espagne en 1537, aussi pauvre qu'à son départ, fut de réclamer à son Souverain, Charles Quint,plus de mansuétude, d'humanité, dans l'application de l' « encomienda » vis à vis des peuplades indigènes considérées par ses concitoyens comme des sous-hommes alors qu'il n'en était rien et il était là pour en témoigner lui qui avait vécu parmi eux et fait l'apprentissage de leur monde mystique sans renier pour autant sa foi catholique. Ce qui devait lui valoir des ennuis, il fallait s'y attendre, jusqu'à être exilé un temps en Algérie sur accusation fallacieuse, avant que d'être réhabilité.
Alvar Nunez Cabeza de Vaca aurait voulu retourner en Floride en tant que chef d'expédition cette fois mais ce poste lui fut ravi par un autre et en 1540 on le nomma à la place gouverneur de la Province du Rio de la Plata en Amérique du Sud (Argentine/Uruguay/Paraguay d'aujourd'hui) où il devait découvrir les chutes d'Iguazu et explorer le fleuve Paraguay. Mais il entra en conflit avec les colons espagnols déjà établis peu sensibles à ses idées humanistes et qui finirent par rejeter son gouvernement et ses projets d'organisation du territoire. Il y eut une révolte des colons, il fut emprisonné, failli être empoisonné, forcé finalement de rentrer en Espagne où il fut accusé d'abus de pouvoir par le Conseil des Indes qui l'envoya en exil à Oran où il demeura huit ans avant de revenir amnistié s'établir à Séville où il fut nommé juge et où il mourut en 1559.
C'est en 1537 en Espagne que Cabeza de Vaca commença à écrire le récit de ses aventures (ce qui lui prit trois ans) sous le titre de « relaçion » (récit de voyage) qui fut plus tard appelé « naufragios » (naufrages) du fait du double naufrage qu'avait connu l'expédition de Panfilo de Narvaez à la fois sur terre et sur mer. Le texte en français de ce récit peut être consulté sur Google-books. Il en écrivit un second sur son séjour en Amérique du Sud en qualité d'adelantado de 1540 à 1544.
L'écrivain et homme politique argentin Abel POSSE dans son ouvrage uchronique « Cabeza de Vaca le conquistador aux pieds nus » a tenté de refaire l'histoire quelque peu à son goût du second séjour de Cabeza en Amérique, gouverneur contesté et finalement destitué. Possé est persuadé que Cabeza n'a pas tout révélé dans ce qu'il a écrit officiellement, passant sous silence beaucoup de choses qui auraient mis à mal l'histoire officielle de la conquête espagnole. Il aurait donc laissé à la fin de sa vie un manuscrit révélant ce qu'il avait escamoté dans sa « relaçion » et c'est l'objet du livre précité. Manuscrit imaginaire donc mais qui ne manque pas pour autant de vraisemblance étant donné le caractère très différent des autres de Cabeza de Vaca qui selon Henry Miller l'écrivain américain avait à lui seul racheté les crimes des conquistadors. On connait par ailleurs le mot d'Alexandre Dumas qu'on peut violer l'Histoire à condition de lui faire de beaux enfants...
De son côté, l'universitaire Jean Claude MARTIN dans « l'Inconquistador » a reconstitué en vers alexandrins (plus de six mille) l'épopée de Cabeza à la manière des « Luciades » de Camoes mais en respectant l'histoire telle qu'on la connait. Des extraits de cet ouvrage original peuvent être consultés sur Internet (site l'inconquistador Jean Claude Martin). Voici par exemple la présentation qui est faite de Cabeza de Vaca :
Moi, Cabeza de Vaca,
Je suis né quand Colomb armait ses caravelles,
Quand le roi Ferdinand et la reine Isabelle
De l'Espagne chassaient les Maures en retraite.
Un siècle finissait avec la Reconquête.
Ensuite vint le temps des grands conquistadors,
Avec l'avènement de notre Siècle d'Or.
Notre renom remonte à l'an mil deux cent douze.
Face au More régnant sur la terre andalouse,
Aux Naves de Tolose, à moins d'un contre quatre,
Les Chrétiens réunis s'apprêtaient à combattre.
Mon ancêtre Martin un simple roturier
Qui passait pour hardi, un vrai aventurier,
Avait tel Hannibal vu quelle était la faille
Pour tourner l'ennemi et gagner la bataille.
Il avait découvert un sentier de montagne
Débouchant sur le flanc des Maures en campagne.
Il en marqua l'entrée d'une tête de vache.
Ennobli c'est ce nom qu'il prit avec panache.
Et enfin ce film d'Etchevarria lequel fut réalisé au Mexique en 1991. C'est donc près de vingt ans plus tard qu'il paraît en version française.
portrait d'Alvar Nunez Cabeza de Vaca