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23 décembre 2010 4 23 /12 /décembre /2010 11:45

Le 22 Décembre dernier est sorti à Paris en version française le film mexicain de Nicolas Etchevarria « Cabeza de Vaca » odyssée quasi-inconnue en France de la découverte du Nouveau Monde et particulièrement du sud des États Unis actuels, de la Floride jusqu'au golfe de Californie, soit d'un océan à l'autre. Huit ans d'errance et 8000 kilomètres parcourus à pieds (et presque nus) en des régions hostiles de par sa nature et la présence de tribus indiennes aujourd'hui par quatre rescapés d'un groupe de trois cents hommes parmi lesquels un hidalgo andalou de 37 ans du nom d'Alvar Nunes Cabeza de Vaca qui avait débarqué en Floride avec l'expédition de Panfilo de Narvaez en Avril 1528.  Celle ci forte au départ de 600 hommes répartis sur cinq navires avait quitté Cadiz en Juin 1527. Cabeza de Vaca en était le trésorier. Après avoir subi un ouragan au cours duquel ils perdirent deux navires et soixante hommes, les navires restants purent atteindre l'île d'Hispaniola (Saint Domingue ou Haïti) où ils firent relâche plusieurs jours, avant de poursuivre jusqu'à Santiago de Cuba et d'atteindre finalement les côtes de Floride à Tampa Bay qu'avait abordées 15 ans plus tôt  Ponce de Leon. Le chef de l'expédition, Panfilo de Narvaez, prit alors une décision contestable et d'ailleurs contestée par plusieurs  : celle de séparer ses forces navales de ses forces terrestres en vue d'une jonction aux environs d'un port sûr (peut-être aux environs de la Vera Cruz le plus proche de Mexico). C'est ainsi que Cabeza de Vaca se retrouva comme capitaine parmi le groupe d'exploration terrestre qui devait errer et se décimer peu à peu avant d'atteindre par un immense détour (Texas, Nouveau Mexique, Arizona) la ville de Mexico où les quatre survivants méconnaissables furent reçus par Hernan Cortès lui même. A la fin de la « relaçion » qu'il écrivit plus tard sur leur incroyable aventure, Cabeza de Vaca donne la liste de ces ultimes survivants : Alonso del Castillo Maldonado, Andres Dorantes de Carranza, Alvar Nunez Cabeza de Vaca et Estevanico, esclave noir originaire du Maroc.

 

Ce nom de Cabeza de Vaca venait d'un ancêtre paysan du côté de sa mère ayant contribué à la grande victoire de Las Navas de Tolosa en 1212 contre les Maures en attirant les armées espagnoles à un point stratégique qu'il avait marqué d'un crâne de vache fiché sur un pieu et d'où elles purent fondre par surprise sur l'ennemi. Ce fait d'armes lui avait valu l'anoblissement, son nom transformé en Cabeza de Vaca, et le droit de porter blason. Alvar qui était le petit fils de l'adelantado (chef d'expédition) des Canaries Pedro de Vera, avait fait de très bonnes études avant d'entrer dans le métier des armes et les connaissances diverses et variées qui étaient les siennes lui furent précieuses au cours de son aventure car il faut savoir qu'il ne disposait ni de carte ni de boussole se guidant uniquement aux étoiles et au soleil. Outre le fait d'avoir été le plus grand marcheur au monde (et pieds nus) il fut aussi un observateur attentif de la faune, de la flore, des ethnies rencontrées et de leurs coutumes. Les notions élémentaires de médecine qu'il avait apprises lui permirent de guérir certaines maladies, de pratiquer même certaines opérations, ce qui lui valut chez les indiens la réputation (et la protection) de chaman. Il faut croire que cet homme était d'une endurance et d'une force de caractère étonnantes pour avoir supporté le pire tant au physique qu'au moral de la part des Indiens dont il fut longtemps l'esclave et d'avoir su tirer de cette aventure incroyable une appréciation humaniste sur ces peuplades inconnues de l'époque. Aussi représente-t 'il en fait tout le contraire d'un conquistador que seule la soif de l'or motivait, tout comme l'Espagne en fait mais sous couvert de christianisation, un in-conquistador en quelque sorte pour reprendre le mot de Jean Claude MARTIN, et la première chose qu'il fit en rentrant en Espagne en 1537, aussi pauvre qu'à son départ, fut de réclamer à son Souverain, Charles Quint,plus de mansuétude, d'humanité, dans l'application de l'  « encomienda » vis à vis des peuplades indigènes considérées par ses concitoyens comme des sous-hommes alors qu'il n'en était rien et il était là pour en témoigner lui qui avait vécu parmi eux et fait l'apprentissage de leur monde mystique sans renier pour autant sa foi catholique. Ce qui devait lui valoir des ennuis, il fallait s'y attendre, jusqu'à être exilé un temps en Algérie sur accusation fallacieuse, avant que d'être réhabilité.

Alvar Nunez Cabeza de Vaca aurait voulu retourner en Floride en tant que chef d'expédition cette fois mais ce poste lui fut ravi par un autre et en 1540 on le nomma à la place gouverneur de la Province du Rio de la Plata en Amérique du Sud (Argentine/Uruguay/Paraguay d'aujourd'hui) où il devait découvrir les chutes d'Iguazu et explorer le fleuve Paraguay. Mais il entra en conflit avec les colons espagnols déjà établis peu sensibles à ses idées humanistes et qui finirent par rejeter son gouvernement et ses projets d'organisation du territoire. Il y eut une révolte des colons, il fut emprisonné, failli être empoisonné, forcé finalement de rentrer en Espagne où il fut accusé d'abus de pouvoir par le Conseil des Indes qui l'envoya en exil à Oran où il demeura huit ans avant de revenir amnistié s'établir à Séville où il fut nommé juge et où il mourut en 1559.

C'est en 1537 en Espagne que Cabeza de Vaca commença à écrire le récit de ses aventures (ce qui lui prit trois ans) sous le titre de « relaçion » (récit de voyage) qui fut plus tard appelé « naufragios » (naufrages) du fait du double naufrage qu'avait connu l'expédition de Panfilo de Narvaez à la fois sur terre et sur mer. Le texte en français de ce récit peut être consulté sur Google-books. Il en écrivit un second sur son  séjour en Amérique du Sud en qualité d'adelantado de 1540 à 1544.

 

L'écrivain et homme politique argentin Abel POSSE dans son ouvrage uchronique « Cabeza de Vaca le conquistador aux pieds nus » a tenté de refaire l'histoire quelque peu à son goût du second séjour de Cabeza en Amérique, gouverneur contesté et finalement destitué. Possé est persuadé que Cabeza n'a pas tout révélé dans ce qu'il a écrit officiellement, passant sous silence beaucoup de choses qui auraient mis à mal l'histoire officielle de la conquête espagnole. Il aurait donc laissé à la fin de sa vie un manuscrit révélant ce qu'il avait escamoté dans sa « relaçion » et c'est l'objet du livre précité. Manuscrit imaginaire donc mais qui ne manque pas pour autant de vraisemblance étant donné le caractère très différent des autres de Cabeza de Vaca qui selon Henry Miller l'écrivain américain avait à lui seul racheté les crimes des conquistadors. On connait par ailleurs le mot d'Alexandre Dumas qu'on peut violer l'Histoire à condition de lui faire de beaux enfants...

 

De son côté, l'universitaire Jean Claude MARTIN dans « l'Inconquistador » a reconstitué en vers alexandrins (plus de six mille) l'épopée de Cabeza à la manière des « Luciades » de Camoes mais en respectant l'histoire telle qu'on la connait. Des extraits de cet ouvrage original peuvent être consultés sur Internet (site l'inconquistador Jean Claude Martin). Voici par exemple la présentation qui est faite de Cabeza de Vaca :

 

 

Moi, Cabeza de Vaca,

Je suis né quand Colomb armait ses caravelles,

Quand le roi Ferdinand et la reine Isabelle

De l'Espagne chassaient les Maures en retraite.

Un siècle finissait avec la Reconquête.

Ensuite vint le temps des grands conquistadors,

Avec l'avènement de notre Siècle d'Or.

 

Notre renom remonte à l'an mil deux cent douze.

Face au More régnant sur la terre andalouse,

Aux Naves de Tolose, à moins d'un contre quatre,

Les Chrétiens réunis s'apprêtaient à combattre.


Mon ancêtre Martin un simple roturier

Qui passait pour hardi, un vrai aventurier,

Avait tel Hannibal vu quelle était la faille

Pour tourner l'ennemi et gagner la bataille.


Il avait découvert un sentier de montagne

Débouchant sur le flanc des Maures en campagne.


Il en marqua l'entrée d'une tête de vache.

Ennobli c'est ce nom qu'il prit avec panache.


 

Et enfin ce film d'Etchevarria lequel fut réalisé au Mexique en 1991. C'est donc près de vingt ans plus tard qu'il paraît en version française.

 

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  portrait d'Alvar Nunez Cabeza de Vaca

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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9 décembre 2010 4 09 /12 /décembre /2010 13:52

La "jeune fille à la perle" est un des tableaux les plus connus de Johannes VERMEER, le peintre de Delft.  Il date de 1665 et fut surnommé "la Joconde du Nord" car il a aussi son mystère. A quoi pense t'elle ? Dans son regard se lisent à la fois de la tristesse et de la séduction? Qui était-elle ?  Simple servante ou peut être l'égérie du peintre lui-même? 

419px-Johannes Vermeer (1632-1675) - The Girl With The Pear

L'auteur américaine Tracy CHEVALLIER née à Washington en 1962, vivant en Angleterre depuis 1984,  a écrit un roman (Girl with a pearl earring) inspiré de ce tableau, imaginant l'histoire ayant conduit à sa création.  Il fut adapté au cinéma en 2003, un pur chef d'oeuvre, évoquant cet âge d'or de la peinture hollandaise où sont suggérés différents tableaux de Vermeer comme : vue de Delft, la Dame au collier de perles, la Laitière,  la Dentellière, la jeune-fille au verre de vin, la jeune femme à l'aiguière, etc...

 Vermeer passa toute sa vie à Delft, né en 1632, mort et enterré en 1675,  fils d'un tisserand, aubergiste et marchand de tableaux. Bien que d'un milieu protestant calviniste il épousa une catholique aisée (le catholicisme était une minorité marginalisée dans les Provinces Unies) et le couple alla vivre dans la vaste demeure de la belle mère qui était séparée de son mari.  Ils eurent onze enfants dont plusieurs moururent très jeunes.  La carrière du peintre se déroula donc sur une période assez brève dans un milieu familial plutôt bruyant, travaillant sur commande et assez lentement.  Il demeura longtemps inconnu en dehors de sa ville de Delft avant d'être redécouvert à la fin du XIXème siècle. 

Dans le roman de Tracy CHEVALLIER comme dans le film,  la fille à la boucle d'oreille aurait été une jeune servante de la maisonnée remarquée par Vermeer tant pour son joli visage que pour l'intérêt qu'elle semblait porter à la peinture, qu'il aurait employée pour préparer ses couleurs et finalement pour poser dans quelques tableaux ce qui lui aurait attiré la jalousie de son épouse bien que leur attirance sans doute réciproque demeura platonique.  La belle-mère aurait pris partie pour son gendre en calmant les fureurs de sa fille, soucieuse avant tout de maintenir la production des oeuvres de l'artiste mais qui dût néanmoins s'en séparer pour avoir la paix. L'ayant fait rechercher par une servante, il lui aurait donné par l'entremise de celle ci une bourse pleine d'or provenant de la vente du tableau.   

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20 février 2007 2 20 /02 /février /2007 09:40

J'ai aimé ... un film d'il y a trente ans (1977), britannique, de Ridley SCOTT, "les duellistes" vu récemment à la télé.  Le sujet aurait plu à GIONO, le GIONO d' "Angélo", du "Hussard sur le toit", du "Bonheur fou" naturellement.  Soupçonnant qu'il s'agissait de l'adaptation d'une oeuvre littéraire, j'ai recherché sur Google.  Effectivement il s'agissait de la nouvelle "The duel" (a military story) de Joseph CONRAD, auteur de langue anglaise mais polonais d'origine  (Joseph Konrad KORZENIOWSKI) naturalisé britannique, que je connais bien depuis ma jeunesse.  J'avais dû étudier deux de ses oeuvres, "an outpost of progress" et "youth" pour un examen d'anglais littéraire sur lesquelles je n'étais d'ailleurs pas tombé mais sur "Pygmalion", pièce de Bernard SHAW dont est adaptée la célèbre comédie musicale "My fair Lady",  mais je m'en étais bien tiré quand même.   Bref, quand je vois un film "adapté" qui me plait je cherche tout de suite à lire le livre-source pour comparer.  Or s'agissant de celui ci, j'ai pu lire la nouvelle (d'ailleurs peu connue) dans le texte grâce au site internet :

http://www.readbookonline.net

(avis aux amateurs) et me suis aperçu que l'un collait bien à l'autre. En outre cela a été un autre plaisir pour moi que de lire la prose de CONRAD que j'aime beaucoup,  autant que l'homme d'action qu'il fut aussi, capitaine au long cours dans la Marine marchande britannique. 

En gros en voici le sujet.

L'action se passe sous Napoléon Ier.  Deux lieutenants de hussard en garnison à Strasbourg mais n'appartenant pas au même régiment vont se rencontrer (faut-il dire "pour leur malheur" ...) dans le salon d'une demi-mondaine de la place. Le lieutenant d'Hubert, jeune homme distingué, de bonne famille picarde,  a fini par y trouver l'homme qu'il cherchait afin de lui signifier de la part de son colonel sa mise aux arrêts de rigueur. Il s'agit du lieutenant Féraud, gascon de pauvre origine, orphelin de bonne heure, qui au petit matin a proprement embroché en duel un fonctionnaire influent de la place. Napoléon dit-on ne prisait guère les duels parmi ses officiers, affaire d'honneur ou pas.  Féraud à l'instar de d'Hubert est un homme assez fruste, très courageux certes mais de tempérament ombrageux, vindicatif, provoquant, le portant  à des accès de violence qui, hors du cadre militaire,  lui auraient fait tâter de la prison plus d'une fois et pour longtemps.  Pas surprenant dès lors qu'il se soit fait au sein de l'armée une réputation de duelliste forcené dès qu'il s'agit tant soit peu de son honneur.  Or il l'estime atteint par ce bellâtre venu le relancer chez cette dame dont il recherche les faveurs, devant tout le monde, pour affaire urgente dont il se doute même pas.  Une fois dehors, d'Hubert met au courant Féraud de la mission dont il est chargé suite à cette affaire de duel : il doit l'accompagner immédiatement au casernement et veiller à ce qu'il y prenne les arrêts de rigueur.  Pour Féraud, pour d'Hubert aussi d'ailleurs, l'honneur de l'armée, du régiment est primordial, aussi ne pouvait-il supporter qu'un pékin puisse impunément et en public "essuyer ses chaussures sales sur le dolman du 4ème hussard" (sic).  Affaire d'honneur, honneur de l'armée.  Que vient-on lui chercher noise pour çà?...  lui gâter ainsi sa soirée ?... D'Hubert insiste, poliment d'abord,  essayant de lui faire comprendre que l'affaire s'éclaircira dès que le colonel aura sa version des faits, mais devant le refus systématique de Féraud d'entendre raison, il se voit obligé de le rappeler à l'ordre qu'il a reçu. La tête du Gascon s'échauffant de plus en plus, provoqué à son tour de façon intolérable, d'Hubert n'a d'autre choix, en dépit de l'absurdité de la situation, que de relever le défi que lui lance Féraud dans la petite cour du logement qu'il occupe.  Féraud est touché au bras, chute en arrière et va donner de la tête contre le mur.  D'Hubert après s'être rendu compte qu'il n'est qu'étourdi, que la blessure n'est pas sérieuse et après l'avoir pansée sommairement va prévenir un de ses amis médecin militaire avant de rendre compte de sa mission. Revenu à lui et de ce moment nait chez le lieutenant Féraud une  volonté intraitable de vengeance.  Pas question d'une simple revanche,  il s'agit bel et bien  d'avoir le plus vite possible la peau de ce lieutenant d'Hubert qu'il jalouse inconsciemment pour sa belle prestance et ses relations. Défié en duel pour la seconde fois, d'Hubert ne peut faire autrement que relever le défi.  Il y va aussi de son honneur à lui maintenant car la rumeur s'est emparée de l'affaire, fait la une des conversations dans les salons.  Il ne peut refuser sans passer pour un lâche.  Cette fois c'est lui qui est touché, assez sérieusement.  Au grand dépit de son adversaire il est incapable de reprendre le combat.  Le temps qu'il se remette sur pieds  les armées napoléoniennes vont entrer en campagne et les deux officiers se trouver très loin l'un de l'autre.  Les deux hommes s'illustrent sur les champs de bataille célèbres et montent en grade l'un après l'autre.  Pour Féraud l' "affaire" est loin d'être close.  Profitant d'une trêve en Silésie il fait convoquer d'Hubert par ses deux témoins : duel au sabre de cavalerie mené sans concession aucune de part et d'autre mais s'achevant, match nul, par cas de force majeure.  Qu'importe on se retrouvera à prochaine occasion.  Ce duel Féraud/d'Hubert est presque devenu  une légende  dont on parle entre officiers au repos dans les bivouacs.  A Lübeck, les deux hommes vont se retrouver de nouveau face à face mais cette fois à cheval.  Ne sont-ils pas de la cavalerie l'un et l'autre.  D'Hubert se sait inférieur à son adversaire dans ce genre de rencontre.  Lui qui pensait pouvoir se rendre au prochain mariage de sa soeur chérie... Mais au premier heurt, Féraud est désarçonné avec une vilaine plaie à la tête.  Nouvelle trêve forcée dans cet affrontement incessant ... mais aussi de par la campagne de Russie, commencement de la fin pour l'Empereur. Succès illusoires d'abord suivis d'un terrible cortège de malheurs au cours de cette année terrible (1812), "l'expiation" (sic Victor Hugo). Dans cette adversité, les commandants Féraud et d'Hubert, admirables l'un et l'autre dans l'énergie du désespoir,  vont devoir s'épauler l'un l'autre alors qu'ils sont attaqués par une bande de cosaques qu'ils parviennent, à eux deux, à mettre en fuite, sauvant la poignée d'hommes, gradés et hommes de troupe indistinctement mêlés, d'une mort certaine. "Vive l'Empereur !"   L'un et l'autre ayant survécu  à la terrible "retraite"  seront décorés de sa main et promu au grade de colonel.  Deux "vieilles  moustaches"  au corps couturé de cicatrices, recru d'épreuves et de maladies, ayant bien mérités, à 45 ans, de raccrocher le sabre pour prendre une paisible retraite.  Ce à quoi se résout aisément le Colonel d'Hubert ayant un projet de mariage en vue.  Il en va tout autrement du Colonel Féraud que nul idée de repos ne saurait séduire tant que le portera sa carcasse, suivant son Empereur jusqu'à la fin ...  puis aux "Cent jours" ...  après quoi, sous la Restauration, il est arrêté et inscrit sur la liste des officiers "bonapartistes" à fusiller pour l'exemple.  Ayant appris la nouvelle, d'Hubert ne peut renoncer à l'élan de son coeur envers cet adversaire coriace mais qu'il reconnait  valeureux. Aussi va-t'il faire des pieds et des mains auprès de Fouché lui même pour faire rayer le nom du colonel Féraud, lequel sera relégué dans une petite ville de province et sous contrôle judiciaire.  Mais ces quinze années écoulées depuis le soi disant "affront" dans le salon de la demi mondaine strasbourgeoise n'ont émoussé en rien son animosité envers d'Hubert.  Lui devoir la vie est pour lui bien pire que d'avoir été passé par les armes.  Il serait tombé en criant une dernière fois "Vive l'Empereur !"...  Il ne saurait avoir désormais qu'une raison de vivre  : abattre ce d'Hubert qui a eu tôt fait de changer de camp, lui,  en épousant la fille d'un royaliste fortuné et en se commettant dans l'entourage du "gros Louis", ce podagre.  Trompant la surveillance policière dont il fait l'objet, il va parvenir à localiser la région où demeure d'Hubert et à lui envoyer ses deux témoins, deux vieux grognards qui lui sont restés fidèles, et celui-ci de se dire :  "Ainsi donc, je n'en aurai jamais fini de trouver ce Féraud sur mon chemin, alors même  que j'avais trouvé le calme et le bonheur ! Comment ai-je été encore assez naïf pour faire rayer son nom?..."  Mais il se rend compte tout à coup que ces quinze années traversées de tant d'épreuves communes, ont tissé entre eux deux, et malgré eux, un indicible et puissant lien, non point d'amitié mais de ... connivence.  N'ayant point trouvé d'amis pour lui servir de témoin, Féraud et lui décideront de se "partager" les deux vieux grognards, la rencontre se faisant à deux pistolets chacun et à travers bois, en dehors des règles normales donc, où l'un chassera l'autre comme un gibier.  L'astuce de d'Hubert ayant surpassé celle de Féraud, ce dernier après avoir tiré ses deux coups pour rien se retrouve à la merci de son adversaire.  Alors qu'il le tient en joue et que l'autre attend son sort avec indifférence, d'Hubert hésite ... "Comment serais-je encore assez naïf pour ... "  Et pourtant son bras retombe le long de son corps... Il ne peut pas tirer sur cet homme désarmé ... qui le haïssait plus que jamais il y avait un instant, maintenant indifférent à tout, la mort comprise.  Il va même s'adresser à lui en l'appelant "vieux camarade de combats" pour lui signifier que cette fois cette affaire entre eux est close, qu'il n'en dira jamais rien à personne, comme lui ne devra jamais rien en dire à personne. Pour lui, d'Hubert, Féraud n'existe plus. Les deux hommes se séparent donc, à jamais. 

A quelques années de là, dans un café d'une petite ville de province que viennent hanter régulièrement deux trois vieux soldats de Napoléon, l'un d'eux portant une affreuse cicatrice au cuir chevelu, s'écrie tout à coup en abaissant le journal qu'il vient lire ici : "Sacrebleu !  l'animal n'a donc rien dans le ventre pour accepter pareil titre de ces jean-foutre de royalistes !..." Et de prendre à témoins ses compagnons en pointant du doigt l'article annonçant la nomination au titre de Général de l'ex colonel d'Hubert par ailleurs heureux père d'une petite Louise. Pour la première fois de sa vie peut-être Féraud écrit une lettre.  Elle est courte, maladroitement écrite, ne faisant aucun compliment à son destinataire,  se terminant par ces  mots : "... et s'il vous venait l'idée de changer d'avis, sachez que je tiens prêt un pistolet chargé dans mon tiroir.  Vous saurez où me trouver.  Sans vous saluer. " et c'était  signé : Féraud, colonel de hussard de l'Empereur  Napoléon Ier " 

Ci-dessous texte de présentation par CONRAD lui-même.

A set of six (short stories by Joseph CONRAD)

"Il me reste maintenant à dire un mot sur "le Duel", la plus longue des six nouvelles de ce recueil.

Elle a d'abord été publiée seule sous le titre d' "Une question d'honneur".

Il y a plusieurs années de celà.

Puis elle a été remise à sa place, celle qu'elle occupe dans ce volume, et  depuis dans toutes les rééditions de mes oeuvres.  

Elle a pour origine un simple paragraphe de dix lignes paru dans un modeste journal de province du Sud de la France. 

Celui-ci évoquait un duel ayant eu une issue fatale entre deux personnalités parisiennes bien connues et qui rappelait pour je ne sais quelle raison une histoire plus ancienne de deux officiers de la Grande Armée de Napoléon s'étant battus plusieurs fois en duel  dans l'intervalle de deux batailles et sur un prétexte mal connu, jamais clairement révélé du moins.

Dès lors, il me fallait l'inventer ; et je pense que, considérant le caractère de ces deux officiers qu'il me fallait aussi inventer, j'ai pu le rendre suffisamment convaincant du seul fait de l'absurdité du mobile. 

A la vérité, cette histoire est dans mon esprit rien d'autre qu'une tentative sérieuse et fidèle de  fiction historique.

Ayant dans mon enfance beaucoup entendu parler de la légende napoléonienne,  je pensai  sincèrement  que je m'y trouverai à l'aise et "le Duel" en est  par le fait le témoignage, même si le lecteur trouve le mot bien  présomptueux.   

Personnellement, "le Duel" ne me cause aucun scrupule.

L'histoire aurait pu être mieux racontée certes.  Tout ce que l'on entreprend peut être mieux fait ;  mais c'est là le genre de réflexion qu'on doit mettre de côté courageusement si l'on veut éviter d'en rester à une idée personnelle ou une rêverie fugace.

En combien d'occasions n'en suis-je pas resté là moi-même.  Mais celle-ci pourtant devait demeurer en moi, témoignant d'une certaine détermination ou faisant preuve de témérité à vous de choisir.   

Ce dont je me suis souvenu pourtant est l'opinion émise par quelques lecteurs français selon laquelle, dans cette centaine de pages, j'étais parvenu à  rendre "à merveille" l'esprit de toute une époque. 

Compliment un peu excessif sans doute ; mais pourtant j'y tiens quand même car c'est exactement ce que j'avais cherché à saisir : l'esprit de l'époque, jamais tout à fait militariste dans le fracas des armes, avec l'enthousiasme de la jeunesse, une exaltation un peu puérile, une confiance naïvement héroïque."

1920 - J.C.

  

Or cette histoire de duel entre deux officiers de la Grande Armée de Napoléon  est bien réelle.

Il s'agissait d'une part :

D'un certain François FOURNIER-Sarlovèze, originaire de Sarlat, qui deviendra général et comte d'Empire,

Et de Pierre DUPONT-DE-L'ETANG, aide de camp du général MOREAU. 

Le premier fut surnommé "le plus mauvais sujet de l'Armée"  à cause de son caractère  colérique, vindicatif, intraitable l'entraînant dans de nombreux duels. En 1794 il avait provoqué et tué en duel un jeune Strasbourgeois du nom de BLUMM.  

Or le capitaine DUPONT-DE-L'ETANG fut chargé par le général MOREAU de signifier à FOURNIER sa mise aux arrêts et son interdiction de se rendre au bal qu'il donnait le soir même.

Là fut l'origine du premier duel au sabre entre les deux hommes, autrement dit FERAUD et d'HUBERT dans la nouvelle de CONRAD.

DUPONT de l'ETANG devait l'emporter.

Mais, pendant près de vingt ans, les deux hommes devaient s'affronter une vingtaine de fois au sabre mais aussi au pistolet. 

FOURNIER avait même rédigé une sorte de charte entre eux deux selon laquelle, chaque fois qu'ils se trouveraient à trente lieues l'un de l'autre, ils franchiraient chacun la moitié du chemin pour se rencontrer en duel.  Aucune excuse n'étant admise sauf motif impérieux de service. Ce traité étant rédigé et signé de bonne foi, nulle dérogation n'y pouvait être admise.

Le réalisateur du film, Ridley SCOTT, avait donc choisi à dessein pour son film la région de Sarlat en Dordogne et notamment le château de Commarque.

 

 

 

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