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13 décembre 2022 2 13 /12 /décembre /2022 17:55

C'est en Algérie qu'un camarade me fit connaître la lettre de Saint-Exupéry au Général X...

Je me souviens de son nom, Noinsky ;  il était secrétaire de l'officier de renseignements de notre unité, le capitaine Noguès, à Duquesne (aujourd'hui Kaous) en Petite Kabylie arrondissement de Djidjel.

Il l'avait tapée sur sa machine à écrire et m'en avait donné une copie "carbonée".

Cette copie que j'ai conservée jusqu'à maintenant, toute jaunie et froissée, je l'ai lue et relue je dirais tout au long de ma vie tant elle m'avait impressionné à vingt ans et encore aujourd'hui à quatre vingts passés.

 

Saint-Ex était parvenu de haute lutte à se faire réintégrer dans son unité, le groupe 2/33 basé à Borgo en Corse dans lequel il avait combattu en 1939/40 et ce en dépit de la limite d'âge de 30 ans pour piloter le nouvel avion américain de reconnaissance Lightning P38. Les instructeurs américains étaient intraitables sur cette limite d'âge  : ils voulaient avoir à faire à des hommes jeunes.

Mais St-Ex avait alors 42 ans, âge que lui-même reconnaissait canonique pour ce métier et en temps de guerre  sur un tel engin. Pourtant et malgré ses misères physiques, il tenait absolument à revoler ne pouvant supporter de se retrouver derrière un bureau à Alger ou même à Londres dans l'ombre de de Gaulle.

 

Il avait un ami, le général d'aviation René CHAMBE, lui aussi écrivain, proche du Général Henri Giraud. Il le harcela pour obtenir un entretien avec lui afin d'obtenir une dérogation du général américain Eisenhower lui-même. Après plusieurs tentatives et de guerre lasse, Ike finit par céder en grommelant  que ce saint emmerdeur de St-Ex le serait peut-être moins en l'air que sur terre.

 

C'est donc bien grâce à ce général CHAMBE qu'il put reprendre du service dans son groupe, seule façon selon lui d'être encore utile dans la guerre, ne doutant pas de la victoire alliée mais par contre en redoutant l' "aftermath" comme disaient les Anglais.

 

 

Je ne me suis jamais préoccupé de savoir qui se cachait derrière ce Général X dans cette lettre non datée  qui ne fut jamais envoyée mais retrouvée parmi d'autres papiers personnels de l'auteur.

Elle ne devait être publiée par le Figaro qu'en 1948, post-mortem donc.

Mais, par certains détails du texte et par recoupements, il semble qu'elle fut écrite depuis le camp d’entraînement américain de la Marsa en Tunisie, courant Juin 1943, période où St-Ex effectuait ses premiers vols d'essais sur le P38.

 

Bien qu'il ne voulut jamais en affirmer la certitude, le général Chambe, grand ami de St-Ex et partageant ses préoccupations intimes, semble bien être le destinataire de cette lettre.

 

Saint Ex était pourtant loin d'être enthousiaste de revoler et sur un tel engin, alors qu'il l'avait demandé à cors et à cris ce qui apparaît contradictoire.  Mais en réalité  il vivait une crise de dépression que traduit d'ailleurs ce passage désabusé :

" J'aurais été heureux de disposer de ce joujou  (l'avion P38) pour mes vingt ans. Je constate avec mélancolie qu'aujourd'hui, à quarante trois ans, après quelque 6500 heures de vol sous tous les ciels du monde, je ne trouve plus grand plaisir à ce jeu-là. L'avion n'est plus qu'un instrument de déplacement -ici de guerre- et si je me soumets à la vitesse et à l'altitude à un âge patriarcal pour ce métier, c'est bien plus pour ne rien refuser des emmerdements de ma génération que dans l'espoir de retrouver les satisfactions d'autrefois.

 

Il écrit plus loin que :

"passé le temps de ce "job nécessaire et ingrat" - expression américaine - et si j'avais la foi,  je ne supporterais plus que Solesmes. "

On peut en douter. 

Certes il avait une tendance au pessimisme, porté à la philosophie et la spiritualité, mais aussi un grand appétit de vivre et d'éprouver la chaleur humaine et, bien que haïssant son époque de toutes ses force comme il le déclare, se serait-il vraiment abstrait du monde des hommes ? ...

 

Ses réflexions très personnelles et sombres qu'il épanche dans cette lettre ne s'adressent au fond à personne en particulier ; disons un besoin de les exprimer sans oser les confier à quiconque de crainte d'être jugées défaitistes, d'avouer que ses missions de reconnaissances,  physiquement éprouvantes sur son organisme déjà très entamé mais qui l'éloignaient du monde d'en bas,  n'étaient finalement qu'une "distraction" à son profond désespoir.  

"Je suis malade pour un temps inconnu.  Mais je ne me reconnais pas le droit de ne pas subir cette maladie."

 

L'idée qu'il fallait absolument parler aux hommes le taraudait :

"Que peut-on, que faut-il dire aux hommes ? "

au delà des nationalismes, des partis, des religions mêmes.

Mettre en garde l'humanité mais comment leur parler, comment "relever le niveau", et d'une voix suffisamment forte ?...  Celle d'un nouveau prophète sans doute ?

 

C'est là un aspect de sa personnalité  souvent occulté au profit du "héros" pur mais qui pourtant nous le rend d'autant plus attachant, tout simplement humain.

 

Et, à quatre vingt ans de distance, il est frappant de constater que toutes ses réflexions sont toujours criantes d'actualité.

Cette époque là était terrible, certes et Saint-Ex avait raison sur l'aftermath.  Néanmoins je ne partage pas son pessimisme noir quand il parle d'une descente de l'humanité  vers un sombre abîme.

Si par bien de ses aspects je déteste aussi l'époque actuelle, je me raccroche à l'espoir (naïf peut être ?...) que d'étape en étape le meilleur reste à venir plutôt que forcément le pire. Sur le long terme. 

 

                                   -oOo-

 

 

Gilbert aimait St-Ex et le connaissait bien.  Je me souviens d'avoir trouvé sur ses rayons de livres à Bruyères un volume de "Citadelle" abondamment annoté de sa main au crayon. Une œuvre de la maturité que moi même avait lue l'ayant trouvée difficile, ardue.  J'avais peiné pour suivre mais par moments c'était un éblouissement.  

Or je crois bien me souvenir que c'est moi qui lui avait fait connaître cette lettre au Général X... peu évoquée à l'époque parmi les œuvres de St Ex, n'en étant d'ailleurs pas une à proprement parler. 

 

 

Juste un mot pour terminer sur ce général René Chambre (1889 - 1983) né à Lyon mort à 94 ans après avoir traversé les deux guerres mondiales, héros de l'aviation, grand patriote et écrivain auteur entre autres de "l'escadron de Gironde", "Carrefour du destin" et  d'une "Histoire de l'aviation".

 

 

 

 

 

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