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27 octobre 2022 4 27 /10 /octobre /2022 14:43

Dans un article intitulé "Un Balzac en Indo-Océanie" j'ai évoqué le destin de ce demi-frère du grand romancier, Henry, qui après avoir cherché fortune entre Maurice et la Réunion dût fuir ses créanciers à Mayotte dans l'archipel des Comores où il finit misérablement et où il est enterré. Sa tombe y est encore visible.

J'ignorais alors qu'avant lui un autre Français avait échoué aux Comores, banni de France et déporté à Anjouan par Napoléon-Bonaparte alors Premier Consul,  et qui, lui aussi, connut une triste fin en 1802.

Mais contrairement à Henry de Balzac il ne reste aucun souvenir de lui sur l'île d'Anjouan.

 

Il s'appelait Jean Antoine ROSSIGNOL, compagnon orfèvre devenu militant révolutionnaire puis général de la Révolution au cours de la Guerre de Vendée ce qui n'est pas spécialement une référence pour faire de lui quelqu'un d'hautement louable.  Néanmoins son sens du devoir et sa droiture dans ces années troubles de la Révolution et des premières années de la République sont avérés et par le fait c'est la politique qui le perdit. 

Lui-même d'ailleurs, né d'une famille pauvre et autodidacte, se demandait comment il avait pu atteindre ce grade  et sans qu'il l'ait cherché. 

Mais son histoire est intéressante sinon édifiante et c'est à Victor BARRUCAND    que l'on doit de nous l'avoir fait connaître, un nom que j'ai déjà cité à propos d'Isabelle Eberhardt, aventurière en Algérie, journaliste et écrivaine, dont il fut l'éditeur. Né à Poitiers en 1864 d'un père marchand de chaussures,  orphelin à seize ans, il monta à Paris, travailla d'abord comme ouvrier.  Étant musicien, il commença de jouer dans les cafés et, des rencontres qu'il fit ainsi, il s'engagea dans les théâtres.  Attiré d'abord par le mouvement anarchiste, il pencha vers le socialisme. Partisan de l'innocence de Dreyfus (Dreyfusard) il accepta une mission en Algérie pour y lutter contre la propagande antisémite.  Il y devint journaliste et fonda à Alger l'hebdomadaire bilingue  l'Akhbar militant pour un néo-colonialisme reconnaissant les droits des indigènes musulmans.  Isabelle Eberhardt y collabora par ses reportages à travers le pays. Après sa mort accidentelle à Aïn Sefra (emportée par une crue de l'oued) Barrucand fit  publier ses œuvres.

 

Dans sa série "Figures et Souvenirs", il fit éditer à Paris "La vie véritable du citoyen Jean ROSSIGNOL vainqueur de la Bastille et général en chef des armées de la République dans la guerre de Vendée (1790-1802)".

 

Dans sa préface, de l'homme du peuple issu de la Révolution et passé d'ouvrier illettré à général, ayant été à la fois acteur et jouet d'évènements considérables, il en parle comme d'un "homme de Plutarque"  en référence aux Vies Parallèles du philosophe et moraliste grec. C'est reconnaître à tout le moins qu'il eut un destin des plus curieux.

 

Et tel fut bien le cas.

 

Le récit autobiographique de Jean Antoine Rossignol édité par Victor Barrucand comporte trois parties :

- Les années de jeunesse

-L'apprentissage de la Révolution    et la Guerre de Vendée

- La déportation et la mort.

 

Il naquit le 7 novembre 1759 cadet de cinq enfants, fils d'un facteur des Messageries de Lyon d'origine bourguignonne  ayant toujours habité dans le faubourg Saint Antoine proche de la Bastille à Paris.

Enfant il fréquenta l'école de son quartier s'affichant déjà turbulent, voire batailleur comme dans ses jeux avec les autres enfants du faubourg, ce faubourg Saint-Antoine réputé frondeur.  Il avait pourtant une jolie voix qui lui permit de fréquenter la chorale de la paroisse Sainte-Geneviève mais dont il se fit renvoyer.

Orphelin à neuf ans, à douze il quitta l'école pour l'apprentissage chez un orfèvre prévu pour quatre ans. Content au demeurant de quitter la maison familiale.

Son avenir aurait dû rester après avoir effectué son Tour de France comme compagnon celui d'un ouvrier orfèvre du faubourg.

Mais il ne devait rester que trois ans chez son patron et sans effectuer son "Tour de France".

Son caractère impétueux et les bouleversements politiques  de l'époque allaient l’entraîner sur une toute autre voie qui le fit sortir de l'anonymat mais lui réservait un triste sort.

Il était alors âgé de 14 ans, fort pour cet âge bien que de petite taille. 

Il avait décidé de se rendre à Bordeaux et s'embarquer pour Saint-Domingue alors colonie française devenue plus tard Haïti où un oncle côté maternel s'était installé et avait fait fortune.  Mais il dût y renoncer faute de moyens suffisants.

Il trouva du travail chez un marchand-orfèvre d'où il se fit très vite mettre à la porte pour insolence.

Il partit pour la Rochelle, trouva à s'employer dans son métier mais pour quelques mois seulement s'étant pris de querelle avec le premier-ouvrier laquelle avait fini par un duel à la canne, après quoi il fut de nouveau mis à la porte.

Reprenant la route, il remonta vers Niort, y retrouva une place mais cette fois chez un brave homme qui le considéra comme son fils et où il se trouva pour la première fois heureux.

Pourtant, lassé de la Province, lui l'enfant turbulent du faubourg saint Antoine, il retourna à Paris, y retrouva du travail, changea plusieurs fois de patrons et finalement décida de s'engager dans l'armée, sans vocation mais appâté par la prime. 

Il était alors âgé de seize ans et rejoignit Dunkerque comme première garnison où il prit le surnom de "Francoeur".

Comment ce "mauvais sujet" allait-il supporter la discipline et les supérieurs ?

Son caractère ne devait guère changer, pourtant il prit goût finalement à la vie militaire mais, gardant "la tête près du bonnet", s'ensuivirent nombre de querelles avec ses camarades et des séjours au cachot. 

Ayant appris des rudiments de maniement de l'épée, il alla jusqu'à se battre en duel clandestinement et à la baïonnette avec un voisin de lit sur une question d'honneur et dont il sortit vainqueur au premier sang. 

Sa réputation de batailleur fut rapidement établie, comme d'un qu'il ne fallait pas provoquer.

On l'envoya dans une autre garnison au Havre puis à Paramé près de St-Malo où il se querella gravement avec son commandant lui valant six mois de prison mais n'en fit finalement que vingt huit jours.  Car au demeurant c'était un très bon soldat ayant de l'ascendant sur ses camarades.  Mais il voulut se venger du sergent qui l'avait dénoncé au commandant et le rossa d'importance ce qui lui valut de retourner au trou.

Ayant obtenu son "semestre"(id congé de six mois), il revit son faubourg Saint Antoine et Paris non sans trouver moyen de se bagarrer avec des militaires et sept fois il "jeta le gant" mais toutes ne se concluant pas par un duel (sa réputation de bretteur était connue) et il s'en tirait toujours à son avantage au prix d'égratignures. 

De retour de congé, il passa maître d'armes pendant trois ans. 

Il manqua de justesse de partir pour les Indes.  Malade il ne put embarquer le jour dit.

Avant que n'arrive la fin de son temps, il compta encore de nouvelles fredaines et duels l'un d'eux à Longwy s'étant mal terminé pour lui, grièvement touché il mit un an à se remettre de sa blessure.

Il avait alors vingt six ans et, libéré, se retrouva civil à Paris où il reprit son métier, comptant les places, encore et toujours en dispute à cause de son fichu caractère.

De nouveau il voulut s'éloigner de Paris pour la région de Toulouse où il séjourna trois ans, un record pour ce perpétuel errant.

 

Et nous voici arrivés à l'année 1789.  Jean Rossignol avait alors vingt cinq ans et depuis son retour à Paris s'intéressait à l'agitation politique du moment, participant aux meetings et notamment à celui tenu le 12 Juillet au Palais Royal devenu centre de l'agitation politique par Camille Desmoulins  appelant le peuple à prendre les armes.

Le 14 Juillet, pris dans le mouvement plus que par conviction bien arrêtée, il participa à la prise de la Bastille. 

Le récit qu'il en fait n'est d'ailleurs pas exempt de critiques.

70% des émeutiers étaient comme lui des travailleurs du faubourg St Antoine tout proche et ces "vainqueurs de la Bastille" s'étant constitués en association, la ville de Paris créa parmi eux un corps militaire dont Jean Rossignol reçut le commandement.  C'est d'ailleurs de cette première distinction qu'il s’enorgueillit le plus en tant que "soldat de la République".

Dès lors il se trouvait engagé dans le mouvement révolutionnaire et allait participer avec ses hommes aux journées des 5 et 6 Octobre 1789 où les femmes de Paris se rassemblèrent Place de Grève (Hôtel de Ville) interpelant la Commune et réclamant du pain avant de marcher sur Versailles que gardait la Fayette qui ne put empêcher que le château soit envahi par les insurgés  obligeant le roi et sa famille à regagner Paris escorté par la foule et s'installer aux Tuileries.

De même pour la journée du 10 Août 1792 avec la prise du Palais des Tuileries et la chute de la monarchie constitutionnelle, début du régime de la Terreur avec les massacres de Septembre de sinistre mémoire.   

Ayant fait ses preuves comme militaire meneur d'hommes, on pensa à lui quand éclata la Guerre de Vendée, guerre civile liée au mouvement de la Chouannerie sur la rive droite de la Loire et au soulèvement vendéen sur la rive gauche.  On l'a aussi appelé "guerre de l'Ouest" puisqu'elle touchait les provinces de Bretagne, de Vendée et du Maine. 

A l'origine il y eut cette loi de 1791 sur la constitution civile du Clergé que ressentit profondément la population très catholique de ces régions qui en refusèrent l'application chez elles (prêtre réfractaires) puis ce fut le comble avec la levée (conscription) en masse de 1793 pour défendre la patrie en danger.  On pensa d'abord à une jacquerie mais qui se transforma rapidement en un véritable mouvement contre-révolutionnaire.

Dès le début des opérations, Jean Rossignol reçut le commandement de la 35ème division de gendarmerie qui avait été créée en même temps que la République composée en partie du corps des vainqueurs de la Bastille dont il était déjà à la tête et de gardes-françaises soldats professionnels au total huit cents hommes. 

Guerre d'embuscades faisant de nombreuses victimes chez les "Bleus" mal préparés à ça en dépit de leur nombre et de leur armement, infériorité qu'ils compensèrent par des massacres de civils qu'on qualifierait aujourd'hui de crimes de guerre voire même de génocide.  Westermann et Turreau, deux généraux qui en furent les pires responsables, le second avec sa Virée de Galerne et ses colonnes infernales avec lesquelles il entendait faire disparaître le nom même de Vendée.

Jean Antoine Rossignol dût côtoyer ces "bouchers" dont il n'évoque pas les forfaits  mais avec lesquels il ne s'entendait pas sur la conduite de la guerre. Il fut même accusé d'actions contre-révolutionnaires et sommé de s'expliquer à Paris au Comité de Salut Public. 

Dans le commandement de cette guerre, il avait des ennemis et l'on peut penser que son attitude était différente, disons plus "humaine" bien qu'il fût militaire avant tout.  Jalousie aussi quand il fut nommé général en chef de l'armée de l'Ouest.

Lui qui fut surnommé "enfant chéri de la Révolution", c'est la politique et la malveillance qui le perdit finalement.

Suite aux tentatives d'un nouveau soulèvement vendéen qu'on le suspecta d'être responsable mais surtout à l'attentat de la rue Saint Nicaise à Paris contre la personne de Napoléon Bonaparte alors premier Consul à qui son entourage avait dû le présenter comme frondeur, on ajouta son nom à la liste des Jacobins suspectés de trahison et qui allaient être déportés outre-mer.

Ce fut d'abord aux îles Seychelles  alors colonies françaises dans l'Océan Indien. Mais les exilés à la tête desquels Jean Antoine Rossignol avait pris rapidement l'ascendant se brouillèrent avec les colons français qu'ils devaient aider.  Ceux-ci cherchant à s'en débarrasser,  le gouverneur s'entendit avec le chef local de l'île d'Anjouan  dans l'archipel des Comores pour qu'il les accueille sur son territoire contre fourniture d'armes.

Marché conclu mais nombre des déportés dont Jean Antoine moururent rapidement suite à une épidémie de fièvres.

 

Ainsi s'acheva le destin de ce titi parisien du faubourg Saint Antoine que la Révolution happa dans son tourbillon et finalement broya.

 

Aucun souvenir de lui et de ses compagnons n'est resté sur l'île d'Anjouan où sa mémoire même est oublié. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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