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21 septembre 2011 3 21 /09 /septembre /2011 09:14

Ranavalona III, reine déchue de Madagascar, en exil à la Réunion


 

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Née Princesse Razafindrakety (Razafy) le 22 Novembre 1861 à Manjakazafy, village rural aux environs d'Antananarivo, elle était la nièce de la reine Ranavalona II et l'arrière arrière petite fille du grand roi malgache ANDRIANAMPOINIMERINA. Bébé elle fut d'abord confiée par ses parents à une esclave (andevo) puis à la garde de sa tante, la reine, qui lui fit donner une bonne éducation chez les missionnaires protestants de la LMS (London Missionary Society) puis dans différents pensionnats congrégationnistes. Elle fut mariée très jeune à un andriana (noble) du nom de Ratrimoarivony qui mourut quelques années plus tard (sans doute empoisonné) lui laissant une petite fille. A la mort de la reine, en Juillet 1883, la jeune veuve de 22 ans fut proclamée à son tour sous le titre de Ranavalona Manjaka III, épousant le Premier Ministre Rainilaiarivony qui avait déjà été le mari des deux reines précédentes (Ranavalona I et II) et qui gouverna de facto. Mais, en tant que souveraine de Madagascar, elle fut un pion dans la partie d'échecs que se livraient Anglais et Français pour la conquête de la grande île. Les incursions militaires françaises avaient déjà commencé sous le règne de Ranavalona II en fait et le Premier Ministre fit appel au Lieutenant-Colonel britannique WILLOUGHBY qui avait déjà participé à la guerre contre les Zoulous pour s'occuper des affaires militaires et défendre l'île contre l'invasion française. Cette guerre franco-hova se prolongea jusqu'en Septembre 1895 où les Français, parvenus devant la capitale Antananarivo, bombardèrent la colline du Rova où se trouvait le palais de la reine contraignant celle-ci à capituler. C'était la fin de quatre siècles de monarchie merina. Le Premier Ministre fut exilé à Alger où il mourut l'année suivante. 

Ranavalona III encore souveraine ranavalona-III.jpg

 

La reine fut néanmoins maintenue en place n'ayant qu'un pouvoir purement représentatif avec pour Premier Ministre le général français Jacques DUCHESNE. Elle fut très surprise qu'on ne lui demandât pas de l'épouser. Mais quelque temps après la prise d'Antananarivo éclata la révolte dite des menalamba (foulards rouges) contre l'occupant, premier véritable mouvement nationaliste malgache en fait, qui obligea l'armée française à intervenir de nouveau pour la mâter. On accusa l'entourage de la reine Ranavalona III d'avoir encouragé ce mouvement et plusieurs de ses membres furent exécutés. Le gouverneur civil de la grande île, Hypolithe LAROCHE, fut remplacé par le général Joseph Galliéni en tant que gouverneur-général avec les pleins pouvoirs civils et militaires. Celui-ci contraignit la reine Ranavalona III à signer un document par lequel toutes les possessions royales étaient dévolues à la France et la monarchie abolie, après quoi il la fit emprisonner dans son propre palais et mise au secret. Elle proposa de se convertir au catholicisme pour prix de sa liberté mais Galliéni avait déjà décidé de l'exiler sur l'île de la Réunion ainsi que sa nièce de 14 ans, enceinte d'un officier français, la princesse Razafinandriamanitra. Mais en détruisant la monarchie merina, garante d'une certaine unité nationale, Gallieni avait soulevé la haine de l'ensemble des Malgaches contre laquelle il dût lutter avec une extrême brutalité pour imposer la colonisation, au prix de plusieurs centaines de milliers de morts. Il devait quitter la grande île en 1905 après avoir été nommé maréchal, la « pacification » terminée et c'est Jean-Victor AUGAGNEUR qui fut nommé Gouverneur.

 

Dans le « Petit Journal » du 11/3/1897, le correspondant local raconte comment, après avoir quitté Antananarivo en filanzane  (chaise à porteur) le 13 Février, la reine embarqua sur le navire de guerre « Lapeyrouse » pour débarquer à Pointe-des-Galets, île de la Réunion, le 15 Mars. Une foule énorme estimée à 1500/2000 personnes était là depuis plusieurs heures pour l'accueillir. Beaucoup de curiosité, certes, mais aucune hostilité bien au contraire, de la sympathie, voire de la pitié pour cette petite reine déchue bien étrangère au fond à tous les événements politiques dont elle avait été le centre. Avec sa suite elle rejoignit Saint-Denis par le train, accueillie là aussi par une grande foule, pour gagner la résidence qui lui avait été assignée, une grande case créole (connue aujourd'hui comme « villa Ponama » mais qui avait appartenu aux de Villèle) à l'angle du Boulevard Lucien Gasparin et de la rue Roland Garros. Elle en aima le cadre dit-on (sans toutes les constructions d'aujourd'hui) ayant vue sur le bas de la Rivière Saint-Denis, la Montagne, le Brulé, l'Océan. Elle se rendit même à la cérémonie d'inauguration de la statue de la Madone de l'église de la Délivrance qui venait d'être construite juste en face, de l'autre côté de la Rivière, et y déposa une offrande, geste dont les Dionysiens furent profondément touchés. Ses rares sorties en ville sous escorte attiraient les regards et les rares qui eurent contact avec elle louaient sa gentillesse, sa discrétion, tout en étant frappés par la tristesse de son regard. La princesse Razafinandriamanitra, une de ses nièces, âgée seulement de 14 ans, qui l'avait accompagnée en exil et dont la grossesse était très avancée avait mal supporté le voyage et mourut en couches peu de jours après leur arrivée à la Réunion. L'enfant, une petite fille, survécut et fut adoptée par l'ex-reine. La jeune mère dût être inhumée anonymement, nulle trace de sa sépulture n'ayant été retrouvée.

                                                                            Ranavalona III en exil à la Réunion

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A signaler qu'au cours des deux ans d'exil de Ranavalona III à la Réunion s'y trouvaient déjà deux autres personnages de noble naissance : le sultan de Grande Comore Saïd Ali et sa famille (qui résida dans l'île de 1894 à 1909 en fait) et la dernière reine de Mohéli (Comores) Ursule Salima Makimba alors élève-pensionnaire des religieuses de Saint-Joseph-de-Cluny.  Un mot sur chacun d'eux  avant d'en revenir à Ranavalona III.


Voilà ce qui s'était passé pour le premier : Vers 1884, Saïd Ali (bin Saïd Omar) était devenu

de haute lutte sultan de Moroni (Grande Comore) mais était assailli de démarches de la part des Français et des Allemands pour l'amener à se placer sous leur protectorat. Ayant été élevé, en exil à Mayotte, par des maîtres français il opta pour la France en 1886. Trois ans plus tard arriva un Français en Grande Comore du nom de Léon Humblot, originaire de Nancy, se présentant comme naturaliste et se plaçant sous sa protection. Très honoré, le sultan le reçut chez lui en ami et lui offrit toutes facilités pour visiter l'île. Puis Humblot sollicita la permission d'occuper des terres pour les cultiver. Et c'est ainsi que, de fil en aiguille, cet intriguant personnage finit par devenir, à titre gratuit, résident de France et grand propriétaire et finalement maître absolu de la Grande Comore. Le pouvoir ne se partageant pas, un des deux se trouvait de trop et c'est ainsi que le sultan trahi fut exilé par la France à la Réunion.

S'agissant maintenant de la princesse comorienne Salima Makimba. Nous avons vu précédemment qu'après l'assassinat du roi malgache Radama II , Joseph LAMBERT, duc d'Emyrne, négociant français installé à l'île Maurice, fidèle ami du roi, fut contraint de quitter la grande île pour retourner à Maurice avant d'aller s'installer à Mohéli (archipel des Comores) où il fut reçu par la reine du moment avec laquelle il signa un traité lui concédant des terres à cultiver. Mais Lambert mourut en 1873 et l'influence française commença à décliner au profit des Anglais. Les trois grandes puissances : France, Angleterre et Allemagne, poussant chacune leurs pions dans l'archipel, l'anarchie finit par s'installer et les Mohéliens assassinèrent leur sultan, moment que choisit la France pour leur proposer un protectorat. Mais son application fut rendue très difficile par des querelles dynastiques. Le trône devait finalement revenir à une jeune fille, Salima Machimba, qui se trouvait alors élève-pensionnaire chez les religieuses de St-Joseph-de-Cluny à St-Denis de la Réunion. Après un soulèvement du pays, le régent fut exilé en cette même île (où il mourut en 1897 l'année même de l'arrivée de l'ex-reine Ranavalona III) par la France qui décida tout bonnement d' « oublier » la petite reine dans son pensionnat pour passer à l'administration directe de l'île. Elle devait épouser en 1901 un ancien militaire français, Camille PAUL, finissant par oublier son sang royal et même sa langue, bien que son mari ait tenté de faire reconnaître son rang auprès du Ministère. Le couple quitta l'île pour aller s'installer en Côte d'or dans une ferme qu'elle dût vendre à la mort de son mari. Elle chercha à retourner à Mohéli mais toutes ses démarches demeurèrent vaines. S'étant établie chez un de ses fils en Haute-Saône, elle devait, en 1963, rencontrer le Général de Gaulle en visite dans ce département à qui elle put remettre sa supplique. Malheureusement elle mourut l'année suivante alors que son vœu était peut-être sur le point d'être exaucé.

 

Ranavalona III ne devait rester que deux ans à peine à la Réunion, du 15 mars 1897 à Novembre 1898 en fait. Galliéni, étant donné l'état d'agitation dans l'ouest de l'Océan Indien, notamment à Madagascar, décida de l'en éloigner davantage en l'envoyant à Alger. Ce qui fut en fait bénéfique pour elle car elle y disposa d'une assez grande liberté. Elle fut même autorisée à sa requête de pouvoir se rendre à Paris, son rêve, et le « Petit Journal » une fois encore s'en fit un large écho. Elle débarqua à Marseille le 29 Mai 1901 pour un séjour en France de deux mois : en Juin à Paris et sa région, en Juillet à Arcachon. A Fontainebleau la reine séjourna dans une demeure qui existe toujours, au 86 de la rue Saint Honoré, et où une plaque a été apposée « Ici séjourna en Juin 1901 Ranavalo III, dernière reine de Madagascar ». Avant de quitter la capitale, elle fut reçue par le Président de la République, Émile LOUBET, et son épouse. Elle mourut le 23 mai 1917 à l'âge de 56 ans à Alger où elle fut inhumée au cimetière Saint-Eugène (aujourd'hui Bologhine) et ce n'est qu'en Septembre 1938 que ses cendres furent exhumées pour être rapatriées à Madagascar sur décision du Ministre des Colonies d'alors, Georges MANDEL, et où elles reposent depuis dans le tombeau des reines de l'enceinte du Rova à Antananarivo, aux côtés des deux précédentes Ranavalona : I (1828-1861) et II (1868-1883) et de Rasoherina (1863-1867). Ces 4 souveraines totalisaient 66 ans de règne.

Nous avons dit plus haut que Ranavalona III avait eu un seul enfant, une fille, de son premier mari, Ratrimoarivony, mort à 21 ans probablement empoisonné sur ordre du Premier Ministre Rainilaiarivony, son futur deuxième mari. Celle-ci qui s'appelait Louise Ravoninoro Ranavalozafimanjaka (née en 1878) se maria avec Rainijoely Andriambahoaka et eut 6 enfants ayant eu eux-mêmes une descendance. Ranavalona III eut donc de nombreux descendants, seuls descendants "de sang". Il est peu vraisemblable qu'elle ait eu d'autres enfants en Algérie en dépit d'une rumeur du fait que, dans le même carré du cimetière Saint-Eugène d'Alger, à côté de sa tombe, se trouvait celle d'un avocat français, Edmond Charles Ernest NORES, né en Octobre 1866, dcd le 8 septembre 1945 à Alger. Mais Ranavalona III avait aussi adopté deux nièces, filles de sa sœur la Princesse Rasendranoro, ainsi que la jeune princesse Razafinandriamanitra qui, enceinte d'un officier français, mourut en couches à 14 ans à St-Denis de la Réunion le 15 Mars 1897, comme nous l'avons vu précédemment. Le bébé vécut cependant et Ranavalona III fut sa tutrice à la mort de sa grand'mère Rasendranoro. Elle reçut le prénom chrétien de Marie-Louise et épousa plus tard un ingénieur agricole français, André Brossard et devint elle même infirmière ayant, parait-il, reçu la Légion d'Honneur au cours de la guerre 39/45 sans doute à ce titre. Elle n'eut pas d'enfant. Très élégante et « moderne », elle aurait mené une vie assez mouvementée dans les milieux parisiens où elle était surnommée « Loulou ».

 

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13 septembre 2011 2 13 /09 /septembre /2011 14:32

 

Napoléon de LASTELLE (1802 - 1856)

Jean LABORDE (1805 – 1878)

Joseph LAMBERT (1824 – 1873)

 

 

L'histoire de Madagascar, véritable île-continent (1500Kms de long – 600Kms de large en moyenne) née de la dislocation de celui, originel, du Gondwana, est longue et complexe. On y a retrouvé des traces de campement remontant jusqu'à 500 avant J.C. La population a été le résultat d'une osmose entre Bantousvenus d'Afrique de l'Est, d'Indonésiensde Bornéo ayant migré par les routes maritimes, enfin d'Arabesayant fondé des postes de traite d'esclaves et de commerce. Il y a débat en fait quant à savoir qui furent les premiers. Ce que l'on peut dire c'est que ces Indonésiens ne semblent pas être restés ni s'être mêlés aux autres populations de la côte mais se soient réfugiés sur les hautes terres du centre de l'île au climat plus salubre ce qui explique le type malais conservé par les habitants de ces contrées notamment chez les Merinas (prononcez Mernes) ou Hovas (prononcez Houves). Sans rentrer dans les détails, disons que parmi les diverses tribus ayant peuplé progressivement l'île, deux grands royaumes fédérateurs émergèrent : celui des Merinas (Mèrnes) dans l'Emyrneou centre de l'île (d'où leur nom) et celui des Sakalavas sur la côte ouest. D'abord ennemis farouches, ils finirent par se tolérer mais c'est de l'Emyrne que prit naissance l'unification du pays avec le très célèbre souverain malgache, le premier à s'être proclamé roi de Madagascar, ANDRIANAMPOINIMERINA ( !!!...) à prononcer : n'drianepouïnimerne. Son successeur, RADAMA Ier (prononcez Radame) profita de l'assistance des Anglais par l'entremise du gouverneur de l'île Maurice, Robert FARQUHAR, pour asseoir son autorité sur toute l'île. Il mourut en 1828 et c'est son épouse (et cousine) RAMAVO alors âgée de 42 ans qui lui succéda sous le nom de RANAVALONA Ière (prononcez Ranavaloune) à la faveur d'une conjuration qui se termina par un bain de sang marquant ainsi le début d'un règne tyrannique de 33 ans. Très ambitieuse mais hyper conservatrice, superstitieuse à l'extrême, ne prenant aucune décision sans consulter le sikid(devin), voyant partout des conspirateurs, atteinte d'une vraie maladie de la persécution, vouant une haine farouche aux étrangers, particulièrement aux chrétiens dont elle fit massacrer un grand nombre de convertis malgaches, elle fit peser sur son peuple un dur esclavage. On dit qu'elle interdisait l'entretien des routes d'accès à l'Emyrne régulièrement mises à mal par les cyclones afin que la forêt dense et les fièvres (qu'elle appelait ses deux meilleurs généraux : Hazou et Tazou) constituent un rempart contre les intrusions. Elle instaura une horrible pratique, celle du tangouin, sorte d'ordalie, selon laquelle tout individu suspect ou dénoncé tel devait boire une certaine dose de poison qui l'innocentait s'il y survivait, ce qui était rare, évidemment, de même lui faire traverser un bassin rempli de caïmans affamés. Derrière son palais d'Antananarivo sur la colline du Rova (prononcez Rouve), il y avait un précipice, autre roche tarpéïenne. D'où le surnom donné à cette terrible reine de « Néron femelle » et de « Caligula malgache ». Son fils, le prince RAKOTO (prononcez Rakoute), le dauphin, instruit chez les missionnaires, intelligent mais faible de caractère, était horrifié de tout cela comme d'ailleurs un nombre grandissant dans l'entourage de la reine mère. En dépit de sa vénération pour elle il en était arrivé à la haïr. Il était favorable à une ouverture de son pays sur l'Europe, que ce soit par l'Angleterre, la France ou autre, pour qu'il puisse évoluer. La France et l'Angleterre convoitant l'une et l'autre la grande île pour son commerce, rivalisaient donc pour s'attirer la faveur de la souveraine en dépit de sa xénophobie. Mais les Français surent se montrer les plus habiles et grâce à ces trois hommes, précisément. Ceci – en très résumé – devait être dit pour expliquer dans quel contexte (dangereux) ils eurent à évoluer.


Napoléon de LASTELLE fut le premier européen à venir s'installer à Madagascar en 1825. Fils d'un capitaine au long cours originaire de Saint-Malo et d'une Demoiselle Marie-Jeanne BELLOUARD née à Maurice de parents bretons, il naquit lui même à Maurice (île encore française) à Rivière du Rempart, le 7 février 1802. Devenu lui même capitaine dans la marine marchande, il alla s'installer à Madagascar en 1825, à Mahéla, sur la côte est malgache, pour y devenir l'agent commercial de la très importante société de négoce de Rontaunay et Cie (dont nous aurons à reparler). Il y fonda lui même une société comprenant une cocoteraie, des plantations de café et de canne à sucre ainsi qu'une sucrerie et une distillerie de rhum. Il disposait de plusieurs voiliers pour son commerce avec les îles Mascareignes. Pour assurer la stabilité de ses affaires il y associa le pouvoir malgache (Merina) en place en la personne du roi Radama Ier d'abord à qui il promit des canons de la poudre et des balles, puis de la reine Ranavalona Ière qui lui succéda et qui lui renouvela ses privilèges et concessions. Ses activités consistaient a acheter du riz, des bœufs, des peaux etc. pour l'île Bourbon, de veiller à la bonne culture des plants de canne a sucre et de café, négocier l'achat des produits que sa société ne fabriquait pas, organiser le troc, fusil et poudre en échange des droits accordés par le gouvernement. Il était présent partout, à Tamatave, sur les points de traite de la cote Est et dans la capitale, Antananarivo. Il entretenait aussi un vaste réseau d'informateurs (y compris parmi les officiers de haut rang de la cour) ce qui lui permettait d'avoir une oreille partout dans l'île et d'en informer à son tout le gouvernement français. En 1840 il employait jusqu'à 2300 personnes.

En Novembre 1831, un des navires de la Compagnie Rontaunay recueillit à son bord, au large de Fort Dauphin, un naufragé de 25 ans du nom de Jean LABORDE qu'il déposa à Mahéla où Napoléon de LASTELLE le recueillit. Nous reparlerons de lui plus tard.

Vers 1830, Napoléon de LASTELLE épousa Victoire SIJA, une Malgache de l'ethnie Betsimiraka (originaire de la côte Nord-Est de la grande île) qui était la veuve de Joseph ARNOUX, un Réunionnais, associé de la maison RONTAUNAY et Cie. De l'union naquit une fille, Elisa de LASTELLE qui, après l’anoblissement de son père par la reine Ranavalona en prince de Mahela, devint elle même princesse de Mahela.

Napoléon de LASTELLE eut une fin mystérieuse : il mourut le 17 Juin 1856, à 54 ans, empoisonné, sans que l'on ait su si c'était par accident ou par une action criminelle qui aurait pu être fomentée par les Anglais jaloux de l'emprise des Français sur la grande île qu'ils convoitaient aussi. Il fut inhumé sur la colline de Bellevue, près de Mahasoa puis à Tamatave.

 

 

Or un de ses descendants, Michel PRUCHE de LASTELLE, né en 1945 dans l'île d'Ouessant où son père était médecin, vient de publier un livre aux éditions « Orphies » intitulé « Napoléon de Lastelle, prince de Madagascar » dans lequel il retrace l'épopée de son ancêtre, fruit de ses recherches et évoquant l'histoire de Madagascar, de Maurice et de la Réunion de la fin du XVIIIème au début du XXème siècle. L'auteur aujourd'hui à la retraite a connu une vie extrêmement active tant sur terre que sur mer avec Saint-Malo pour port d'attache. Il est par ailleurs auteur d'un essai « Dieu créateur du sang et des larmes » paru en 2006.

 

 

 

Avant de parler du second personnage, Jean LABORDE, il nous faut revenir sur cette société de négoce Rontaunay et Cie déjà évoquée et surtout sur son fondateur à la Réunion, un grand homme et philanthrope dont elle est redevable notamment la ville de Saint-Denis où il a sa rue passant devant la belle villa créole (dite Palais Rontaunay) qu'il se fit construire et qui fut longtemps le siège du conseil général de la Réunion.

 

Julien Gaultier de RONTAUNAYétait né lui aussi à l'île Maurice en 1793 d'une famille bretonne de petite noblesse (sa mère était née de SENNEVILLE). Dès l'âge de quinze ans il s'était engagé volontaire à bord d'une frégate sur laquelle il bourlingua dix mois durant. A peine de retour, l'île fut attaquée par les Anglais et il participa lui même à la bataille de la Montagne Longue. Mais l'île dût capituler et les vainqueurs offrirent alors la possibilité à ses habitants de conserver leurs biens mais à condition de prêter serment d'allégeance à l'Angleterre de George III (qui proposera la même chose un peu plus tard à la Réunion). Mais les de RONTAUNAY, parmi d'autres, s'y refusèrent et pour demeurer Français s'exilèrent en 1811 dans l'île voisine de la Réunion (alors île Bourbon) où, abandonnant la marine, Julien se lança dans le commerce. Il commença par un trafic avec Maurice et l'Inde mais ce fut un échec dont il se releva et avec toute l'énergie dont il était doté parvint à monter une importante maison de commerce à Saint Denis de la Réunion. En 1819 il se fit aussi agent de change et, s'associant avec un autre homme d'affaires du nom d'ARNOUX, se tourna vers Madagascar pour y fonder des comptoirs sur la côte Est. Pour les desservir il créa une flotte marchande qui compta jusqu'à près de vingt navires en propre sans compter ceux qu'il affrétait. Ses affaires étaient donc extrêmement florissantes et promises à un meilleur avenir encore si ce n'avait été cette expédition militaire Gourbeyrede 1829 contre le royaume merinapour une banale histoire d'injure au pavillon français par le roi Radama Ier (rappelant le fameux coup d'éventail du dey d'Alger) et dont les Français ne gagnèrent rien sinon la possession de l'île Sainte-Marie et la haine des habitants. Il y eut une seconde intervention française en 1845 dite Desfossésqui plaça ce dernier comme responsable de l'île jusqu'en 1847. De Rontaunay dut interrompre ses relations commerciales avec Madagascar et après avoir confié la gestion de ses affaires à St Denis se rendit en France métropolitaine pour trois ans. Mais à son retour il retrouva sa situation complètement détruite, sa fortune engloutie, restant encore débiteur de sommes importantes. Mais, jouissant de la confiance et de l'estime générale, il put obtenir des délais et, au prix d'un travail acharné, se retrouva à flot au bout de cinq ans.

De Rontaunay occupa en outre plusieurs charges publiques : il siégea au conseil d'administration de la Caisse d'Escompte, fut membre de la Chambre de Commerce, du Conseil Colonial, du Conseil privé du Gouverneur, fut commandant des Milices de Saint Denis. Il fut l'un des personnages les plus puissants de l'île tout en faisant œuvre de philanthrope, de bienfaiteur : il subventionna l'école des mousses, distribua le riz gratuitement à la population à la suite d'un ouragan, fonda un hôpital dans le quartier pauvre du Butor, une école primaire à Salazie, institua un cour de musique chez les Frères à Saint Denis, créa un gymnase, fit construire la route de St Denis au Brûlé...

En 1859 survint à la Réunion la terrible épidémie de choléra qui devait faire près de 2500 victimes. De Rontaunay était toujours armateur, négociant et, de plus, membre du Conseil du Gouvernement. Un de ses navires « le Mascareignes » s'encra devant Saint Denis le 17 Février ayant à son bord des engagés recrutés dans une région où régnait le choléra et qui furent néanmoins débarqués, sans toutes les précautions sanitaires qui auraient dû être prises. Les premiers cas furent pris à la légère et ce qui devait arriver arriva : une véritable épidémie se répandit comme une traînée de poudre. Il y eut un procès retentissant dont les principaux accusés furent finalement acquittés, à l'étonnement général d'ailleurs, alors que de Rontaunay, en tant que propriétaire du navire, fut lui moralement très compromis et mis d'office à la retraite de sa fonction au Conseil du Gouvernement par le Gouverneur. Deux ans plus tard il décédait non sans avoir repris entre temps ses activités avec Madagascar où l'avènement de Radama II, sucesseur de la terrible reine Ranavalona Ière, laissait augurer une ère nouvelle dans les relations avec la France. La ville de Saint Denis et les autorités civiles, militaires et religieuses lui rendirent les honneurs qu'il méritait, lui en faveur de qui ces mêmes autorités n'avaient pas levé le petit doigt dans cette triste affaire de choléra.

Sur son tombeau de pierre grise au cimetière de l'Est de Saint Denis ce simple mot : Silence.

 

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  Après cette large parenthèse sur ce personnage qui le valait bien, revenons en au deuxième à avoir approché la cour merina d'Antananarivo, Jean LABORDE, que nous avons laissé au moment où, naufragé sur la côte Est de la grande île, il venait d'être recueilli par Napoléon de LASTELLE.

Il était né dans le Gers, à Auch, le 16 octobre 1805, fils d'un charron et d'une fille d'aubergiste. Très tôt il fit son apprentissage à la forge paternelle puis s'engagea dans l'Armée où il resta trois ans. En dépit de son éducation

sommaire, il était naturellement intelligent, curieux, inventif et, à 22 ans, il décida de courir le monde en s'engageant à Bordeaux sur un voilier en partance pour l'Inde. Lesté d'un maigre pécule fourni par ses parents et d'un lot de foulards et pacotilles diverses pouvant lui permettre de démarrer un négoce, il débarqua à Bombay et se lança immédiatement dans les affaires qui lui réussirent si bien qu'il se retrouva rapidement dans une position aisée. Il avait aussi fondé un atelier de réparation de machines et même une petite fabrique d'armes. En 1831, un capitaine au long cours français, Monsieur SAVOIE, sans commandement ni ressources, le persuada d’affréter un navire pour se rendre sur un récif du canal de Mozambique (en fait l'îlot de Juan de Nova, une des îles éparses faisant partie aujourd'hui des Terres australes et antarctiques françaises) à la recherche de supposées riches cargaisons d'épaves. Laborde fût immédiatement séduit par l'aventure. Mais au bout de sept mois de vaines recherches, son navire manquant d'eau et de vivres vint s'échouer suite à un coup de vent sur la côte sud-est de Madagascar à l'embouchure du fleuve Matitanana (prononcez Matanane) au sud de Manakara. L'ensemble du petit équipage put prendre pied sur le rivage mais tomba aux mains des indigènes. Informé du naufrage, Napoléon de LASTELLE intervint en leur faveur et les fit accompagner jusqu'au village de Mahelaoù il résidait, où il était concessionnaire d'une plantation de cannes à sucre et où il leur offrit l'hospitalité. Nous avons déjà vu que ce Napoléon de Lastelle était parvenu à amadouer la farouche reine Ranavalona en l'intéressant à ses affaires mais aussi en lui fournissant des articles de Paris de grand prix dont, paradoxalement, elle raffolait. Mise au courant, celle-ci se montra intéressée quand elle apprit que Laborde savait aussi fabriquer des armes, de la poudre, des munitions et même fondre des canons. Il était son prisonnier en fait mais elle lui promit la liberté s'il s'engageait à la servir fidèlement pendant cinq ans et c'est ainsi que Laborde s'engouffra dans ce créneau où il allait réussir au delà de toute espérance, devenant grand patron des forges royales. C'était un ingénieur né et il ne ne borna pas aux armements mais se lança dans toutes sortes d'entreprises hydrauliques et de fabrications des plus variées : porcelaine, verrerie, papier, cuir, tissus, bougies, huile, savon, etc. etc. Doué d'une remarquable faculté d'adaptation il avait rapidement appris la langue et les coutumes et épousa une indigène métisse dont il eut un fils (Clément). Il apprit aux paysans à planter la cannes en « menées » (rangs) pour en faciliter l'entretien et la coupe, développa le site industriel de Mantasoa(Mantasou) à une cinquantaine de kilomètres de la capitale Antananarivo où il avait découvert du minerai de fer et où il se fit bâtir plus tard un tombeau après avoir fait construire le somptueux Palais de la Reinesur une colline dominant la ville, le Mandjakamiadana, dont toutes les charpentes étaient supportées par un pilier central, énorme tronc de palissandre d'une hauteur de 39 mètres. Laborde avait gagné à ce point l'estime de la reine que celle-ci le considérait en second après son fils, le recevant à sa Cour. De son côté le prince-héritier, Rakoto, l'admirait, s'instruisant auprès de lui, voyant en lui l'espoir du développement et de l'ouverture de son pays chose à laquelle il était prêt à envisager jusqu'à un coup de force tendant à déposer la reine-mère pour prendre sa place. Les succès de Laborde étaient entre temps arrivés aux oreilles de Napoléon III qui le fit nommer officieusement représentant de la France. On peut penser que son influence sur le prince (et aussi par la suite celle de Joseph Lambert) ne fit que le conforter dans cette disposition d'esprit. L'entrée en scène de Joseph Lambert, notre troisième personnage, allait finalement lui en fournir l'occasion.

 

 

512px-Joseph-François Lambert Charter Charte-copie-1Joseph Lambert   était né à Redon (Ille et Vilaine) en 1824. A 22 ans (lui aussi) il s'était embarqué de Nantes pour l'île Maurice en vue d'y faire du commerce. Il y épousa une riche veuve et fit rapidement fortune y compris dans le trafic d'esclaves avec les Arabes de la côte ouest malgache. En 1854, une tribu côtière entrée en rébellion contre la reine Ranavalona menaçait sa garnison de troupe Merina et, par hasard de circonstances, Lambert s'était trouvé là pour leur porter secours. En reconnaissance, la souveraine l'avait invité à sa cour où il avait fait la connaissance de Laborde. 

 

 

En Novembre 1856, rentrant d'un voyage en France, Lambert se trouvait au Cap depuis plusieurs jours en attente d'un navire pour l'île Maurice quand il y rencontra une certaine Ida PFEIFFER, Viennoise de soixante ans, fraîchement débarquée d'un navire hollandais et qui cherchait à rejoindre Madagascar. Or Lambert avait entendu parler d'elle à Paris. Veuve dès l'âge de 45 ans d'un riche avocat d'affaires, elle s'était mise à voyager un peu partout dans le monde, à écrire et donner des conférences sur les pays qu'elle visitait. La Société de Géographie de Paris venait précisément de l'encourager à entreprendre le voyage qu'elle voulait faire à Madagascar, destination encore très peu connue. Elle ne pouvait s'y rendre directement du Cap et, de ce fait, fit le voyage jusqu'à Maurice en compagnie de Joseph Lambert. En apprenant que celui ci traitait avec la grande île et se préparait justement à s'y rendre, elle accepta avec joie l'invitation de Lambert à résider chez lui en son domaine des Pailles, près de Port-Louis. Son séjour devait en fait se prolonger jusqu'en Avril (1857) en raison de la période cyclonique, fort agréablement d'ailleurs : beaux appartements, table excellente, domesticité nombreuse, visites de l'île, rencontres avec les notables, Lambert ne négligea rien pour le lui rendre des plus agréables. C'est sur une vieille canonnière datant de Trafalgar et qui servait à ramener des bœufs malgaches qu'elle quitta l'île Maurice pour Madagascar en compagnie de Lambert. Au bout de six jours de navigation ils accostèrent à Tamatave (Toamasina aujourd'hui) où elle demeura tout un mois chez Lambert qui y possédait un comptoir avant de suivre celui-ci jusqu'à Antananarivo. Il ramenait de Paris de nombreux cadeaux pour la reine (toilettes, uniformes, objets d'art, bijoux, parfumerie, etc..) qui en était friande. Il fallut une bonne dizaine de jours à la caravane de près de 200 porteurs pour atteindre la capitale merina car, sitôt quittée la côte basse et marécageuse, c'étaient les pentes raides à travers la forêt vierge infestée de moustiques, loin d'être une promenade de santé pour Ida qui admirait la résistance des porteurs de filanzane (chaises à porteurs) se relayant régulièrement pour traverser à marche forcée le plus rapidement possible cette contrée malsaine. Arrivés à Antananarivo, Lambert, Ida et l'interprète européen furent les hôtes de Jean Laborde, véritable providence des Européens. En apprenant de Laborde qu'Ida jouait du piano la reine daigna la faire venir avec Lambert pour qu'elle joue devant elle sur un piano qu'on lui avait offert mais dont personne ne savait jouer.

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tombe d'Ida Pfeiffer

Mais nous allons laisser là Ida PFEIFFER qui, déjà malade à son retour en Europe, mourra l'anné e suivante des suites de fièvres contractées à Madagascar. Elle se trouva néanmoins mêlée à cette histoire de complot contre la reine qui devait échouer et dont nous allons parler à présent. Après sa mort, son fils, Oskar PFEIFFER, fit publier son journal de route qui ne devait être traduit en français qu'en 1862. Il a été réédité en 1981 aux Éditions Karthala sous le titre 1857 - Voyage à Madagascar avec une préface de l'historienne malgache Faranirina ESOAVELOMANDROSO (prononcez : farnirne échouavloumandrouse) récit passionnant que j'ai eu l'occasion de lire et dont il me faudra reparler plus tard.

 

C'est d'ailleurs à l'occasion de cette entrevue avec la reine Ranavalona qu'Ida avait découvert les véritable desseins de Joseph LAMBERT et compris pourquoi certaines personnes à Maurice lui avaient déconseillé de le suivre à Madagascar. Lambert était un aventurier aimant l'intrigue. Venu une première fois à Madagascar, il avait constaté la tyrannie avec laquelle gouvernait Ranavalona et il se mit en tête d'en débarrasser le pays mais en cherchant à se couvrir du côté de la France - ou de l'Angleterre en cas de refus. Ayant gagné l'amitié du prince Rakoto, les deux hommes avait conclu un pacte secret selon lequel Lambert réclamerait l'appui du gouvernement français (ou anglais) pour que la reine soit simplement déposée de son titre, sans qu'il soit fait atteinte à sa personne physique et à ses biens. Il s'était donc rendu à Paris pour y être reçu par l'Empereur Napoléon III mais celui ci avait bien d'autres chats à fouetter, tout comme d'ailleurs le Premier Ministre britannique Lord Clarendon qu'il alla voir ensuite. Or ses démarches étaient venues aux oreilles de la LMS (London Missionary Society) qui craignait qu'elles n'aboutissent à une prise de possession de la grande île par la France et, par suite, que l’Église catholique vienne y supplanter l’Église d'Angleterre. Elle envoya donc d'urgence à Antananarivo le missionnaire William ELLIS pour communiquer à la reine les agissements contre elle de ce Lambert. Ainsi donc, Ranavalona était déjà au courant lors de l'arrivée dans sa capitale de Lambert et d'Ida PFEIFFER dont la sécurité, voire la vie (comme celle de Laborde) se trouvait donc gravement menacée. Prise au piège Ida n'en conçut pourtant nulle amertume contre Lambert révoltée qu'elle était des agissements barbares de la reine. Elle se rangea donc du côté du Prince Rakoto et de ses supporters. Le grand jour pour le coup d'état avait été fixé au 20 juin (1857). Le plan imaginé était le suivant : le Prince Rakoto et quelques uns des nobles conjurés devaient venir souper chez Jean LABORDE en compagnie de LAMBERT. Après quoi, à une heure tardive, ils devaient tous rentrer chez eux à grands bruits comme au retour d'une fête bien arrosée et y demeurer tranquille jusqu'à deux heures du matin. C'est alors qu'ils devaient tous se glisser dans le Palais de la Reine dont les portes seraient tenues ouvertes le chef de l'armée, le Prince Raharo (prononcer Raoure), s'étant joint à la conjuration. A un signal donné, devant les appartements de la reine, le Prince Rakoto devait être proclamé roi, les nouveaux ministres déjà nommés allant annoncer à la souveraine que telle était la volonté des nobles, de l'armée et du peuple. Le canon serait tiré du haut des remparts pour annoncer la nouvelle. Mais le chef des armées qui, en l’occurrence détenait la clé du succès, fit perfidement échouer le plan. Le Prince Rakoto ne risquait rien de la part de la reine qui l'aimait trop, envers et contre tout, mais les autres conjurés pouvaient s'attendre au pire, la roche tarpéïenne n'étant pas loin du capitole, là aussi, après qu'on leur ait fait subir d'affreux supplices. Pourtant Ranavalona devait réserver aux trois européens un sort différent mais qui, dans son esprit, allait avoir le même résultat final, les éliminer. Elle allait les abandonner à ses deux généraux préférés Hazou et Tazou, la forêt et les fièvres, en donnant l'ordre au chef du détachement chargé de les ramener sur la côte, à Tamatave, en vue de leur rembarquement de prendre le chemin le plus long et le plus difficile à travers la forêt malsaine afin qu'ils crèvent en route d'épuisement, de fièvre et de malnutrition. Elle s'en remettait au « tangouin » comme à son habitude. Mais en considération des services exceptionnels qu'il lui avait rendus, elle autorisa Jean LABORDE à emporter une partie de ses biens meubles ce qui avait pour effet de retarder son départ par rapport aux deux autres et cette fois elle donna ordre au chef du détachement chargé de le ramener à Tamatave d'emprunter le plus court chemin et à marche forcée. Ainsi s'exerça la clémence de Ranavalona. Mais les autres conspirateurs payèrent double, triple, et les rares ayant pu échapper au massacre gagnèrent la Réunion ou Maurice. Le 13 Septembre, Lambert et Ida arrivèrent pourtant à Tamatave , totalement épuisés, rongés de fièvre l'un et l'autre mais vivants, contre toute attente, celle de la reine en particulier. Mais le « tangouin » en avait décidé ainsi, il n'y avait rien à y redire, et elle devait les laisser partir vers Maurice où ils furent soignés et où Ida demeura en convalescence à Vacoa dans la famille d'un Anglais qui était à la fois médecin, pharmacien et planteur. Elle était sur le point de s'embarquer pour l'Europe quand elle fit une rechute. Début Mars 1858, en bien piètre état, elle put quitter l'île Maurice mais les fièvres la reprirent en cours de traversée et elle dut être hospitalisée dès son arrivée à Londres. Elle put ensuite gagner péniblement Hambourg puis Berlin où elle dût demeurer chez une amie qui s'occupa d'elle. Dans un état de complet épuisement, sans espoir de guérison, elle finit par se faire transporter jusqu'à Vienne, sa ville natale, chez son frère, Charles REYER. Les meilleurs médecins viennois eurent beau se succéder à son chevet, elle fut bientôt jugée perdue et elle s'éteignit dans la nuit du 27 au 28 octobre de cette année 1857 si chargée d’événements pour elle mais qui eurent raison de sa résistance encore forte.


Exit Ida PFEIFFER. Reste maintenant à voir comment finirent les deux autres acteurs survivants : Lambert et Laborde.


 

La malédiction de Ranavalona       (portrait ci contre)ranavalona1.jpg

s'était finalement réalisée, à retardement. Les fièvres et l'amibiase décimaient un grand nombre de Malgaches, ne parlons pas d'européens peu aguerris. Lambert, malade mais plus jeune, surmonta le mal et rentra à Maurice de même que Laborde en France. Mais l'un et l'autre devait revenir à Madagascar après la mort (survenue en 1861) de la reine-mère Ranavalona Ière à laquelle succéda son fils, le Prince Rakoto, sous le nom de Radama II. Lambert y vit une nouvelle chance de négocier avec la grande île et, de fait, le nouveau souverain devait lui confirmer ses privilèges (ce que l'on appela « la charte Lambert ») et lui conféra même le titre de duc d'Emyrne. Avec d'autres hommes d'affaires il devait aussi fonder la Compagnie de Madagascar à Paris en tant qu'entreprise exclusive : financière, industrielle et commerciale. Laborde revint lui aussi à Madagascar, retrouvant avec joie le nouveau souverain dont on peut dire qu'il avait été le précepteur ainsi que sa résidence de Mantasoa et son fils Clément mariée lui aussi à une Malgache et demeuré sur l'île Sainte Marie, mais il ne chercha pas à reprendre ses activités devant le saccage de ses ateliers. Après l'assassinat du roi Radama II, deux ans après son accession au trône, il fut nommé officiellement consul de France par Napoléon III. La reine Ranavalona avait prédit qu'après elle et son fils, trois reines se succéderaient qui toutes trois épouseraient le même homme. Et de fait, la veuve de Radama II, Rasoherina (prononcer rashouérine) qui régna de 1863 à 1868 épousa son premier ministre Rainilarivony (Rannlarivone) qui gouverna de facto. A la mort de Rasoherina sa cousine lui succéda de 1868 à 1883 sous le nom de Ranavalona II laquelle épousa à son tour Rainilarivony lequel devint plus tard l'époux de la dernière reine malgache, Ranavalona III, qui régna de 1883 à 1896 et fut exilée par Galliéni à la Réunion (où elle resta deux ans) puis à Alger où elle mourut. Elle n'a laissé que peu de souvenir ici à la Réunion car très discrète elle ne sortait guère de la grande case créole où elle résidait à St Denis, à l'angle de la rue Roland Garros et du Boulevard Lacaussade, qui avait appartenu à Albert de Villèle mais dite aujourd'hui « case Ponama ».

 

 

L'instabilité du gouvernement malgache depuis la mort de Ranavalona Ière devait favoriser l'ingérence de la France à Madagascar qui allait en faire une colonie non sans y avoir menée une guerre contre les Hovas.

Après l'assassinat de Radama II, la situation à Madagascar étant devenue défavorable aux européens, Joseph Lambert s'était replié dès 1865 à Mohéli, la plus petite des îles Comores, alors sous protectorat français et où il mourut en 1873.

Jean Laborde mourut lui même en 1878, âgé de 73 ans, sous le règne de Ranavalona II, et fut inhumé à Mantasoa avec tous les honneurs dans ce tombeau qu'il s'était préparé suivant la coutume des nobles malgaches de l'époque et que l'on peut voir encore aujourd'hui.

 

                                                                                                                   lac de Mantasoa              panorama.jpg

Son fils, Clément LABORDE, qui avait épousé Marie-Aimée Rasoamanivo (rashouamanive), eut une fille, Émilie, née à Antananarivo en 1857 qui épousa un Malgache, Rasoa-Harisoa, et mourut en France en 1897.

 

En conclusion, et sans louer pour autant le « temps béni des colonies », il faut reconnaître que cette époque là où tout était à faire en ces pays lointains favorisait l'esprit d'aventure chez les individus jeunes, hardis et entreprenants, issus de milieux modestes, voire très pauvres, pas toujours regardants non plus sur les moyens de s'enrichir rapidement... Nous en avons là un triple exemple concernant la grande île de Madagascar, mais il y en a eu tant d'autres ! … Il y eut des réussites éclatantes mais aussi combien d'échecs retentissants, voire de tristes déchéances !…

 

Contrairement aux deux autres, Jean LABORDE aura laissé un souvenir durable, à Madagascar certes, mais aussi à l'île de la Réunion du fait que le dernier paquebot des Messageries Maritimes à desservir l'île depuis la Métropole portait son nom. Il fit son dernier voyage au tout début des années 70. J'aurais pu encore le prendre (en 1969) … si mon nouvel employeur n'avait pas été aussi pressé de me voir arriver.

 

 


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