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5 août 2022 5 05 /08 /août /2022 10:10

Si de tous temps la Péninsule arabique fut traversée par les caravanes de pèlerins et de marchands, elle n'en demeura pas moins très longtemps terra incognita.

Il fallut attendre le XIXème siècle pour voir des Occidentaux et surtout des Anglais s'y intéresser.  La géographie, la cartographie et l'archéologie furent leurs premiers mobiles.

Mais bientôt se firent jour des intérêts économiques et surtout pétroliers au moment de la Première Guerre Mondiale, que l'on subodorait déjà d'après de premières explorations en la matière, mais qui se concrétisèrent véritablement à partir de 1930.

Moins connu celui-là, un autre motif d'intérêt pour l'Arabie centrale au XIXème siècle fut la recherche de la race pure sang de chevaux arabes. 

Tel fut le cas pour l'Italien Carlo Guarmani (1828-1884) et l'Anglaise Anne Blunt (1837 - 1917) et son mari Wilfrid

Je vais m'intéresser ici à la seconde mais auparavant un mot sur le premier.

 

 

Carlo Claudio GUARMANI naquit à Livourne en 1828 d'une famille aristocratique et mourut à Genève en 1884.  Il s'était installé à Beyrouth comme agent de Messageries et en tant que tel voyagea  beaucoup en Palestine, Liban, Syrie, Égypte.  Il acquit ainsi auprès des tribus une compétence particulière sur les chevaux arabes.  On lui doit d'ailleurs un savant traité (El Khamsa) paru en 1864 faisant référence aux cinq juments préférées du Prophète ayant donné naissance aux cinq races "nobles". Parut également son Journal de voyage intitulé "Itinéraire de Jérusalem au Nejd septentrional". Or cette expédition avait été commanditée par le général Fleury aide de camp et grand écuyer de Napoléon III en vue d'achat d'étalons arabes pour les haras nationaux.

 

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Venons-en maintenant aux époux Anne et Wilfrid BLUNT.

Leur but en Arabie fut, quelques années après lui,  les mêmes que Guarmani sauf que ce fut leur seule et unique raison d'y aller et à leurs frais.  L'Italien lui était déjà installé sur la place et menait ses affaires, c'est accessoirement qu'il en vint à s'intéresser aux chevaux arabes pour le compte du gouvernement français.

 

  

Anne BLUNT était née en Angleterre le 22 septembre 1837 sous le nom de Anne Isabella KING (surnommée Annabella) fille de William KING-NOEL premier comte de Lovelace (1805 - 1893) et d'Ada LOVELACE née Ada BYRON (1835 - 1852) fille légitime du poète Lord BYRON et d'Anne Isabelle MILDBANK (1792 - 1860) baronne WENTWORTH  qui était à la fois poétesse et mathématicienne.  

Il faut croire que cette dernière avait transmis dans les gènes de sa fille ses aptitudes aux mathématiques car Ada LOVELACE fut une pionnière en matière de programmation informatique en collaboration avec le mathématicien anglais Charles BABBAGE.  Elle réalisa en effet le premier véritable programme informatique alors qu'elle travaillait sur l'ancêtre de l'ordinateur que fut la machine analytique de Babbage imaginée en 1834 en y incorporant des cartes du métier à tisser de Jacquard, ancêtres des cartes perforées. Elle formalisa les idées de Babbage et développa le premier algorithme de programmation de l'histoire.  Elle peut donc être considérée, elle fille d'un poète, comme la première informaticienne au monde.

 

Anne reçut une excellente éducation et voyagea beaucoup en Europe. Elle parlait couramment plusieurs langues : français, allemand, italien, espagnol et arabe. Musicienne elle était une excellente violoniste (Elle acheta un Stradivarius sur lequel des années plus tard  joua Yehudi Menuhin) .  Artiste douée également ayant appris le dessin et la peinture auprès du peintre anglais John Ruskin.  En outre elle était depuis l'enfance une passionnée des chevaux qu'elle apprit à monter très jeune et devint une écuyère accomplie.

Elle épousa en 1869 Wilfrid Scawen Blunt, poète, aventurier et diplomate. 

Après plusieurs fausses couches, un seul enfant du couple survivra, Judith Blunt-Lytton, seizième baronne Wentworth née en 1873.

Le couple va se prendre d'une passion commune pour le Moyen Orient.  D'abord pour celle des chevaux de pure race arabe et puis, pour Wilfrid, un intérêt pour la politique du moment dans cette partie du monde. 

Aussi vont-ils y entreprendre plusieurs voyages notamment en 1877/78 où ils se rendirent d'abord en Syrie pour trouver à acheter des pur sang arabes.  Anne en raconte les péripéties dans un journal intitulé : "Beduin tribes of the Euphrates" qui sera publié en 1879 après avoir été remanié par son mari.

Mais on leur avait expliqué qu'ils étaient davantage susceptibles de trouver de jolies bêtes en descendant au centre de la Péninsule arabique, périple que le couple fera dans les années 1878/79.  Anne en tiendra le journal intitulé : "A Pilgrimage to Nejd, the craddle of the arab race " qui sera publié en 1881 après avoir été remanié par son époux.

C'est ainsi que le couple parvint jusqu'à cette mystérieuse cité de Haïl considéré comme interdite aux étrangers. Elle était alors contrôlée par la puissante famille Al Rachid qui était la rivale des Al Saoud à Ryad plus au sud.  C'était une étape importante sur la route commerciale menant de Médine à la Mésopotamie.  Lady Anne et son époux furent bien accueillis par l'émir Ibn Rachid qui leur fit visiter ses écuries.

Il faut dire qu'en Arabie centrale les chevaux étaient un luxe, représentant un investissement de plusieurs chameaux par tête et des dizaines d'ovins.  Ils représentaient en fait l'apanage  des tribus disposant de pâturages régulièrement reverdis par les pluies et en contact avec des zones agricoles. 

Voyager dans ces régions était à haut risque pour des étrangers.  Mieux valait louer les services de guides en étant originaires et qui pouvaient leur en faciliter l'entrée.

 

Quelques années plus tard, une autre anglaise aristocrate, aventurière "en crinoline" selon l'expression de Christel MOUCHARD *Miss Gertrude BELL, se rendit à son tour à Haïl dans une situation différente à la veille de la Première Guerre Mondiale.  Aventurière et grande voyageuse, son but premier avait été l'archéologie et l'ethnologie mais sous ce couvert ses déplacements prirent très vite l'allure de missions d'espionnage au profit de l'Angleterre à la barbe des Turcs et des Allemands présents eux aussi dans le secteur avec le chemin de fer du Hedjaz de Damas à Médine dont l'Allemagne avait financé la construction et qu'elle contrôlait.  D'une rencontre avec lui sur un chantier de fouilles archéologiques à Karkemish en Mésopotamie, elle devint l'amie d'un certain Lawrence, jeune archéologue anglais, qui allait devenir le héros de la révolte arabe dans le Hedjaz connu dès lors sous le nom de Lawrence d'Arabie

 

 

En 1872, le couple BLUNT avait  hérité d'un domaine dans le Sussex qu'ils allaient transformer en un haras nommé Crabbet Arabian Stud pour y élever les chevaux pure race ramenés d'Arabie, le tout premier du genre.  Ils en créeront un second plus tard en 1882 en Égypte dans leur domaine de Sheykh Obeyd près du Caire.

 

Anne et William Blunt se séparèrent en 1906 et Anne quitta l'Angleterre définitivement en 1913 pour s'installer à Sheykh Obeyd où elle décéda en 1919.

 

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Dans un article intitulé : "A la recherche de la race arabe : cheval et voyage en Arabie centrale au XIXème siècle " (2017) l'anthropologue français François POUILLON explique le paradoxe que l'Arabie centrale, bien que traversée de tous temps par les caravanes de pèlerins et de marchands, n'ait fait que tardivement l'objet d'exploration géographique, archéologique et biblique.  Ces régions n'étaient pourtant pas alors chose complètement impossible, et il devait manquer sans doute de vraies raisons d'y aller.

Il faudra attendre 1864 avec le voyage qu'y fit William Gifford Palgrave et la parution à Londres en 1865 de son récit intitulé : Narrative of a year's journey through central Arabia (1862-1863) qui eut un immense succès.

Ensuite vint le grand voyageur et écrivain Charles Montagu Doughty (1843-1926) et son récit de voyage en deux volumes "Travels in Arabia Deserta" considéré comme une véritable bible. 

Enfin le couple Anne et Wilfrid Blunt dans le but bien particulier que nous avons vu. 

A remarquer que tous sont anglais.

 

Pour ce qui est de la France on doit quand même citer le cas de Charles HUBER (1847-1884) fils d'un cordonnier alsacien qui voyagea à travers l'Arabie centrale vers 1880, passa par Haïl, atteignit Djedda mais fut mal reçu au Hedjaz où il fut assassiné par deux de ses guides près de Rabegh. Son Voyage en Arabie centrale  fut publié dans le Bulletin de la Société de Géographie et, post mortem, son  Journal de voyage en Arabie (1883-1884). 

 

 

                                                         -oOo-

 

 

Le destin de ces femmes aventurières comme celles dont j'ai déjà parlé dans mon blog (Isabelle Eberhardt, Gertrude Bell, Ida Pfeifer, Catelina de Erauso, Odette de Puyzaudeau, Marie-Louise Séguin alias Louison, Jeanne Baret, Amelia Heart, ...) continue de me fasciner décidément, en découvrant régulièrement de nouvelles. 

A une époque où la vie de la femme était toute tracée, considérée comme inférieure à l'homme physiquement et intellectuellement, toute tentative d'émancipation les faisait montrer du doigt. Celles qui osèrent franchir le pas à un moment de leur vie sont autant d'exemples s'inscrivant en faux contre les préjugés de l'époque.  

Qu'il s'agisse de gravir des sommets, de traverser des déserts ou autres contrées hostiles, de traverser des océans, de battre des records dans les airs, elles ne cessent pourtant de nous étonner. 

Mais je parle d'elles au passé me direz-vous alors qu'il y a encore aujourd'hui des femmes voyageuses et aventureuses, sur terre, mer et dans les airs.  Oui certes mais c'est sans comparaison. 

D'abord le statut de la femme a changé profondément et tout lui est devenu accessible d'emblée.

Les conditions du voyage ne sont plus les mêmes avec les progrès en ce domaine. 

D'abord le fait essentiel qu'il n'y a quasiment plus aujourd'hui de terra incognita.

Ensuite il y a les équipements pour les voyages extrêmes devenus très sophistiqués apportant un certain "confort" dont auraient rêvé nos héroïnes.

Et puis last but not least les moyens actuels de communication (GPS, téléphone portable).  Si c'était aujourd'hui, une Isabel GODIN perdue dans la selve amazonienne était repérée sur le champ et rapatriée dans les vingt quatre heures.  

Certes je dis chapeau pour telle femme alpiniste, navigatrice solitaire, grande voyageuse, aviatrice voire cosmonaute d'aujourd'hui mais, sans nier leur mérite, j'estime que nous sommes loin de l'admiration ressentie pour celles qui les ont précédées et qui avaient tout contre elle.

Nuance.

 

NB - 

* CHRISTEL MOUCHARD - née en 1954,  écrivaine et éditrice française qui s'intéresse plus particulièrement à l'histoire des voyages au féminin avec :

- "Elles ont conquis le monde.  Les grandes aventurières (1850 - 1950)" Portraits de grandes aventurières présentés en 3 parties :

- 1850-1890, l'ère des crinolines (Ida Pfeiffer, Alexine Tinne, Florence Baker...)

- 1890-1918, entre deux siècles (Gertrude Bell, Alexandra david-Néel, Isabelle Eberhardt...

- 1918-1950, les femmes libres (Freya Stark, Rosita Forbes, Ella Maillart, Margaret Mead...).

 

-  "Dona Isabel" (épouse Godot des Odonais) (2011)

- "Aventurières en crinoline" (1987)

- "Dernier Journal de Livingstone" (1994)

 

 

Christel MOUCHARD est une incontournable sur l'histoire de l'aventure et de la découverte au féminin. 

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