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23 novembre 2017 4 23 /11 /novembre /2017 16:32

Aujourd'hui, Vendredi 24 Novembre 2017, il y a exactement vingt ans que mourait Barbara à l'hôpital américain de Neuilly à l'âge de 67 ans.  

Dans ma jeunesse parisienne, il y a bien longtemps, en me baladant du côté de St-Germain-des-prés, je l'avais aperçue en passant devant le Flore comme, une autre fois, se promenant au bras d'une très jolie femme, Serge Reggiani.

Silhouette mince, visage aigu et racé, voix inoubliable, chanteuse intimiste que nul ne pourra jamais oublier. 

Deux événements sont intervenus depuis sa disparition. Le premier juste l'année d'après, en 1998 donc, la publication de ses mémoires sous le titre "Il était un piano noir" qu'elle avait commencé d'écrire dans les débuts de sa maladie mais que la mort vint interrompre.  Le second, lui par contre tout à fait récent, l'enregistrement là où elle vivait à Précy-sur-Marne par Gérard Depardieu de quatorze de ses chansons formant un double album paru début de ce mois de Novembre (2017).

Mais ce n'est que beaucoup plus tard que j'ai appris la parution de ces mémoires inachevée sur le site belge TEXTYLES, revue des Lettres belges de langue française et le grand secret qu'elle tint caché et qu'elle y révèle enfin, l'agression sexuelle qu'elle subit à l'âge de dix ans et demi de la part de son père. Cette rédaction commencée au printemps 1997 s'apparente souvent, selon TEXTYLES, au journal intime et, étant un premier jet, ne se range pas vraiment dans la catégorie littéraire classique mais peut être à des confessions.  

Née à Paris en 1930 dans le 17ème (Batignolles) d'un père, Jacques SERF, juif alsacien, représentant de commerce, et d'une mère ukrainienne, Esther BRODSKY, elle avait reçu les prénoms de Monique, Andrée.  Toute enfant, elle connut avec sa famille de nombreux déménagements : Marseille, Roanne, Tarbes (où fut commis l'acte incestueux du père) puis, sous l'occupation pour fuir les arrestations nazis, à Préaux dans l'Indre à la limite du département d'Indre-et-Loire (à 4 kms de Villedômain) arrosé par l'Indrois et à Saint-Marcellin (Isère), notamment. 

Dès la fin de la guerre, la jeune Monique SERF, abandonnant l'école qu'elle n'aimait pas mais attirée par le chant et ayant déjà acquis des notions de piano, suit quelque temps les cours du Conservatoire au répertoire de la chanson populaire. En 1948 elle est auditionnée au Théâtre Mogador et engagée comme mannequin-choriste dans l'opérette Violettes impériales de Vincent Scotto. En 1949, son père abandonne brusquement le foyer pour n'y plus revenir. Voulant réaliser son rêve à tout prix de pianiste-chanteuse, elle quitte Paris en 1950 et se rend à Bruxelles chez un cousin du côté de sa mère mais qu'elle doit fuir peu de temps après pour son attitude violente.  Elle connait alors une période très difficile, sans ressources ni connaissance, mais finit par rejoindre à Charleroi une communauté d'artistes appelée "la Mansarde" qui va l'aider à se lancer dans des cabarets sous le nom de Barbara Brodi. Elle chante Piaf, Germaine Montero, Gréco, Brel.  Après un bref retour à Paris chez un oncle, elle revient à Bruxelles où elle trouve l'occasion de chanter et de rencontrer une pianiste géorgienne qui accepte de l'accompagner et de la perfectionner au piano. Elle lui présente un jeune avocat belge débutant qui donne un peu dans le spectacle, Claude SLUYS, lequel parvient à la faire chanter au Théâtre du Cheval Blanc et cette fois sous le simple nom de Barbara. Elle épouse son imprésario mais ils se séparent deux ans après. Elle retourne alors à Paris en 1955 et commence à chanter à la "Rose rouge" et à "l'écluse" et à s'imposer au public.

Après cette "période belge" ignorée de beaucoup de ses admirateurs, moi le premier, la voilà lancée dans la grande carrière que l'on connait. Et j'en resterai là, non sans avoir rappelé que sa dernière apparition sur scène eut lieu le 26 Mars 1994 au centre de congrès Vinci de la ville de TOURS.  Elle est inhumée dans le carré juif du cimetière de Bagneux, dans le caveau familial de la famille Brodsky, près de sa grand'mère Granny qui selon ses termes : "seule savait sécher ses larmes et recueillir du bout de ses doigts très fins son désespoir d'enfant.".  

Voici enfin l'extrait (page 25) où elle révèle l'inceste : "J'ai de plus en plus peur de mon père.  Il le sent. Il le sait. J'ai tellement besoin de ma mère, mais comment faire pour lui parler ? Et que lui dire ? Que je trouve le comportement de mon père bizarre?  Je me tais.  Un soir à Tarbes mon univers bascule dans l'horreur.  J'ai dix ans et demi.  Les enfants se taisent parce qu'on refuse de les croire.  Parce qu'on les soupçonne d'affabuler.  Parce qu'ils ont honte et qu'ils se sentent coupables.  Parce qu'ils ont peur.  Parce qu'ils croient qu'ils sont seuls au monde avec leur terrible secret.  De ces humiliations infligées à l'enfance, de ce hautes turbulences, de ces descentes au fond du fond, j'ai toujours resurgi.  Sûr, il m'a fallu un sacré goût de vivre , une sacrée envie d'être heureuse, une sacrée volonté d'atteindre le plaisir dans les bras d'un homme, pour me sentit un jour purifiée de tout, longtemps après."

Ce qui n'est pas sans rappeler tous les cas de ce genre révélés au public ces derniers temps.

Elle en aura pourtant tiré une de ses plus belles et émouvantes chansons, "Nantes", que je compare un peu au "Sombre Dimanche" de l'artiste hongrois Rezso Seress datant de 1933 et chantée par Damia.

En Décembre 1959, elle apprit que son père qui avait fui, errant sur les routes et tombé dans la déchéance, était mourant et la réclamait à Nantes.  Elle s'y rendit mais arriva trop tard, son corps déjà transporté à la morgue. Ce n'est que quatre ans plus tard qu'elle acheva la chanson que ce drame lui avait inspirée.

Voici maintenant l'autre événement dont je parlais tout à l'heure, trente ans après le spectacle musical "Lily Passion" qu'elle réalisa au Zénith avec un certain Gérard Depardieu, alors valeur montante du cinéma français. Quatorze chansons de Barbara reprises par Depardieu, accompagné au piano par Gérard Daguerre, enregistrées chez elle à Précy sur Marne et sorties en double album début Novembre 2017.  

On peut comprendre l'hommage qu'il ait tenu à lui rendre à cette occasion, lui qui l'avait connue sur scène, mais enfin je ne suis pas admiratif pour autant d'écouter chantées par un homme (devenu) énorme, d'une petite voix essoufflée (par un triple, voire quadruple pontage coronarien aussi) des titres comme "Nantes", "la petite cantate", "dis quand reviendras-tu ?", "l'aigle noir", "Göttingen" etc... mais je suis tout à fait convaincu de la sincérité de sa démarche. L'homme je crois aime aussi surprendre, il l'avait déjà fait en déclamant des passages des "Confessions" de Saint Augustin. 

Saint-Benoit (île de la Réunion)

24/11/2017

  
 

 

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23 janvier 2013 3 23 /01 /janvier /2013 11:24

Je ne connaissais le nom de Roger CASEMENT que pour l'avoir lu à propos de Thomas Edward LAWRENCE qui, après les "Sept Piliers de la Sagesse" et "la Matrice", avait en projet d'écrire sa biographie, mais il dût y renoncer étant donné le black-out sur tout ce qui concernait ce patriote révolutionnaire irlandais pendu pour trahison par les Britanniques en 1916, en pleine première guerre mondiale.

Or, le dernier livre de l'écrivain péruvien Mario VARGAS-LLOSA (Prix Nobel de Littérature) intitulé "Le rêve du Celte" (El sueno del Celta) paru en 2010 exhume en quelque sorte ce personnage historique mal connu de l'infamie et retrace ce que fut réellement sa vie mouvementée et son destin tragique.  

Fut-il véritablement un héro ?... un traitre?...  peut être les deux à la fois selon la citation en exergue de l'écrivain et homme politique Uruguayen Jose-Enrique RODO : "Chacun est successivement non pas un mais plusieurs, et ces personnalités successives qui émergent les unes des autres présentent le plus souvent entre elles les contrastes les plus étranges et les plus saisissants."

Ce livre m'a passionné, d'un bout à l'autre. Découverte d'abord d'un homme assez idéaliste mais courageux et tenace, face à des situations difficiles, personnalité complexe aussi, ambigüe, attachante dans l'ensemble mais qu'on a du mal à suivre dans la dernière partie de sa vie. Découverte, accessoirement, de l'histoire du Congo et du boom du caoutchouc qu'il connut ainsi qu'en Amazonie avant la concurrence de l'Asie.   

Il naquit en 1864 dans la grande banlieue de Dublin, d'une famille protestante (père officier dans l'armée) mais dont la mère était resté secrètement catholique ("papiste" comme on disait). Orphelin à dix ans il fut élevé en Ulster dans de la famille.  A quinze ans son tuteur le persuada d'arrêter ses études pour entrer comme aide-comptable dans une compagnie de navigation de Liverpool, l' "Elder Dempster Shipping Line", où il restera quatre ans, logeant chez un oncle, période au cours de laquelle il eut l'occasion de prendre part à trois voyages en Afrique, expérience qui l'enthousiasma, au point qu'il démissionna de son emploi pour partir s'installer au Congo comme agent de la Sandford Exploring Expedition, chargé du stockage de marchandises et de son transport, au port de Matadi.

Partant de là, le livre se décompose en trois parties, trois théâtres d'opération  en somme pour Roger CASEMENT : le Congo, l'Amazonie, l'Irlande. 

En 1883, année où il débarqua à Matadi (Bas-Congo), tout le pays était la propriété personnelle du roi des Belges Léopold II  surnommé le "bâtisseur" et dont le règne dura 44 ans (1865-1909). Lui même à la tête d'une fortune considérable, il se voulait très ambitieux pour son petit pays et entendait bien lui trouver des débouchés à l'extérieur et pour celà il lui fallait une colonie. Avant même d'accéder à la royauté, il s'était beaucoup intéressé à l'Afrique, à ses terres vierges et leur intérêt économique représenté principalement par l'ivoire et le caoutchouc. Dès 1876, il avait fondé une Association Internationale du Congo (AIC) comme paravent d'un projet privé d'exploitation de ces richesses, s'associant les services d'Henry Morton STANLEY qui devait ouvrir la route à l'exploitation intensive par une route remontant le fleuve jusqu'au Stanley Pool à partir duquel celui ci devient navigable vers l'intérieur, lui donnant carte blanche pour souscrire des contrats d'exploitation.  C'est ainsi que Léopold II était devenu propriétaire exclusif de plus de 2 millions de Km2, de toute la force de travail de ses habitants et que fut créé l' "Etat Indépendant du Congo".

CASEMENT était doué pour les langues et apprit rapidement quelques rudiments des deux principales, le kikongo et le lingala, ce qui lui facilitait les contacts avec les populations. Imbu au départ de cette idée de "mission civilisatrice" dont se targuaient les puissances européennes, il s'aperçut très vite que celà cachait des méthodes abominables pour s'assurer à bon compte la main d'oeuvre dont on avait de plus en plus besoin.  Livrés à eux mêmes, sans autres directives que d'assurer un rendement maximum à la compagnie, et accessoirement d'assurer leur fortune personnelle, ces contremaitres venus d'Europe engagés sans être bien regardant, sévissaient pour la plupart comme les pires esclavagistes, ayant abandonné tout sens moral voire humain. Roger CASEMENT avait eu l'occasion de rencontrer à Matadi lors d'une escale de celui-ci l'officier de marine marchande Joseph CONRAD, futur auteur de "In the heart of darkness" (au coeur des ténèbres) inspiré des lieux mais surtout, il le confia par la suite, grâce à son ami de rencontre qui lui avait véritablement ouvert les yeux (dans le texte : dépucelé).

CASEMENT démissionna de son poste pour aller travailler au chemin du fer du Congo avec STANLEY mais n'y resta que peu de temps ne pouvant supporter  ces "tournées de recrutement" en brousse qu'il était amené à faire, ni les mauvais traitements infligés aux travailleurs. Il alla provisoirement se réfugier dans une mission baptiste à N'Gombe Lutete et, après cinq ans d'absence et trois crises de palu dont l'une faillit lui être fatale, il décida de retourner en Angleterre.

Il entra dans l'administration des Douanes en tant que directeur avant d'être  nommé dans l'administration coloniale britannique au Nigéria, puis consul britannique en Angola, au Mozambique et finalement au Congo mais ce fut cette fois pour dénoncer dans un rapport circonstancié les exactions commises par les agents du roi. D'ailleurs, dès 1900, de nombreux témoignages sur l'exploitation indigne et les mauvais traitements subis par la population indigène, la traite d'esclaves, la malnutrition, les mutilations de fugitifs, en particulier dans l'exploitation du caoutchouc, avaient suscité un mouvement international de protestation porté par l'Angleterre et les Etats-Unis, ce qui amena le roi Léopold II à diligenter une commission d'enquête internationale dont Roger CASEMENT fit partie. Suite au rapport de cette "commission Janssens" (du nom de son président), après quatre mois d'investigations sur place et l'audition de centaines de témoins, et sous la pression étrangère, le roi Léopold II dont l'intention était, certes, de léguer le Congo à la Belgique, dut le faire de suite c'est à dire dès 1908, l'Etat Indépendant du Congo (EIC) prenant le nom de "Congo belge" sans que les frontières en soient nettement définies avant 1920.

Roger CASEMENT dont on avait grandement apprécié la contribution à la "commission Janssens" ainsi que son propre rapport sur la situation au Congo en tant que consul qui avait fait un beau scandale, reçut une autre mission du même ordre en Amazonie péruvienne. Mais auparavant il était allé se reposer plusieurs mois en Irlande, son pays natal mais qu'au fond il connaissait mal, une Irlande qui luttait pour conserver sa langue, ses coutumes et traditions, sa religion, une Irlande pauvre exploitée elle même par l'Angleterre. Ses longs séjours successifs sous des climats très durs pour un Européen, même s'il s'était aguerri, avaient laissé des traces sur sa santé, souffrant d'arthrose, de fièvres récurrentes, de conjonctivite, d'insomnies, mais aussi au moral de crises de dépression provoquées par tout ce dont il avait été témoin. Cette longue convalescence l'avait amené à réfléchir sur son identité irlandaise, sur l'état misérable où végétait son peuple dans l'indifférence de l'Angleterre voire pire.  Il avait pris contact avec le parti indépendantiste Sinn Féin (Nous mêmes en Irlandais), rencontré des intellectuels et poètes acquis à la cause irlandaise et, dès lors, il ne cessa de rester en lien étroit avec eux. Il avait même commencé à écrire un long poème épique "le rêve du Celte" sur le passé mythique de l'Irlande.

 C'est ainsi qu'en 1910 il se retrouva à Iquitos, au coeur de l'Amazonie péruvienne (département du Loreto) mandaté par son gouvernement pour enquêter sur les  rumeurs quant aux méthodes employées vis à vis des populations indigènes pour l'exploitation du caoutchouc, d'autant plus que la Peruvian Amazon Company, principale compagnie caoutchoutière de la région avec celle du senior Julio ARANA, péruvien métisse, devenu richissime, régnant en potentat sur toute la région, était une compagnie anglaise cotée à la Bourse de Londres.  On était alors en plein "boom" du caoutchouc, parallèlement à celui de l'industrie automobile, et les mêmes méthodes rencontrées au Congo se retrouvaient  en Amérique du Sud, notamment au Pérou, en Colombie, au Brésil. Autant dire qu'il fut reçu là bas comme un chien dans un jeu de quilles et il dût user de tous ses talents de négociateurs et de diplomate pour pouvoir mener à bien  autant que possible son enquête en dépit de tous les bâtons qu'on lui mettait dans les roues. Il demeura sur place près d'un an et demi, s'étant rendu à plusieurs reprises sur les rives du fleuve Putumayo à la frontière de la Colombie et du Brésil où s'exerçait principalement l'exploitation du caoutachouc, en pleine selva infestée de moustiques, de reptiles et d'insectes venimeux voire mortels, sans compter le risque qu'il encourrait à tout moment d'être "liquidé" purement et simplement, discrètement, sous couvert d'accident, mission très éprouvante qui ranima tous ses maux corporels, toutes ses tensions nerveuses, et le fit se jurer à lui même que ce serait la dernière.

Il ne put jamais rencontrer sur place, comme il l'aurait voulu, le magnat de la région, Julio Cesar ARANA del AGUILA, personnage central du boom caoutchoutier de tout le bassin de l'Amazone. Celui-ci était né en 1864 à Rioja  dans le Nord-Est du Pérou (région de San Martin) d'un milieu très pauvre, ayant dû tout jeune gagner sa vie de toutes les manières possibles avant de s'installer à Yurimaguas en Amazonie Péruvienne (département du Loreto) comme piqueur en caoutchouc. Par un travail forcené, une surprenante faculté d'apprendre tout et rapidement, suppléant à l'absence de toute scolarité, mais aussi par un manque total de scrupule, il s'était élevé dans la hiérarchie sociale, devenant le fournisseur des caoutchoutiers qui s'aventuraient dans la selva à leurs risques et périls, leur vendant machettes, carabines, couteaux, bidons, farine de manioc, ustensiles de cuisine, etc... etc... en échange de boules de caoutchouc qu'il revendait à Iquitos et Manaus aux exportateurs. Jusqu'au jour où lui même put devenir son propre producteur et exportateur, étant élu sénateur du département de Loreto. Nul ne savait exactement le montant de sa fortune. Il avait acquis à Londres un immeuble cossu de la Cité, siège social de sa compagnie, une résidence luxueuse à Kensington Road, ainsi qu'à Genève et Biarritz.  Et pourtant, disait-on, ce nabab (voire nabot car très petit de taille) vivait presque chichement, ne buvant ni ne jouant, n'ayant pas de maîtresses mais fidèle à son épouse, Eleonora Zumaeta, native de Rioja elle aussi, qu'il connaissait depuis l'adolescence. En 1909, le magazine britannique "Truth" avait publié un long et retentissant article  du journaliste Walt Hardenburg l'accusant nommément de régner par la terreur et l'esclavage sur les indigènes de la région. Il devait mourir presque sans un sous (comme nous le verrons plus loin) à 88 ans dans une petite maison de Magdalena del Mar près de Lima.

De retour en Angleterre, CASEMENT s'attaqua avec courage à la rédaction de son rapport sur le Putumayo qui fut ensuite envoyé au gouvernement des Etats Unis pour que Londres et Whasington fassent pression de conserve sur le gouvernement péruvien  du Président Augusto Bernardino LEGUIA Y SALCEDO (1908-1912 / 1919-1930) exigeant de lui la cessation de l'esclavage, tortures, enlèvements, viols et que soit traduit en justice les personnes incriminées. Et ce fut à Londres lors d'une réunion du conseil d'administration de la Peruvian Amazon Company à laquelle il avait été convié comme témoin que CASEMENT put voir en personne Julio ARANA pour la première et la dernière fois.   

Il alla ensuite prendre du repos en Irlande avant de devoir retourner pour huit semaines encore à Iquitos dans un climat d'intrigues, une atmosphère totalement délétère et meutrière. 

Le "livre bleu" parut en Juillet 1912 produisant une véritable commotion qui s'étendit comme des ondes dans toute l'Europe et vers les Etats Unis, la Colombie, le Brésil, le Pérou.  Dès lors, il devenait tout à fait évident que l'empire de la Peruvian Amazon Company était menacée de mort. Ses actions commencèrent à chuter et ce d'autant plus qu'était apparue la concurrence du caoutchouc provenant d'Asie (Singapour, Malaisie, Java, Sumatra, Ceylan) planté là bas à partir de souches venues d'Amazonie. La Lloyd finit par lui couper tout crédit, bientôt imitée par d'autres banques. Puis ce fut le boycot sur le latex  de la P.A.C. décrété par la Société Internationale contre l'Esclavage et autres organisations du même genre.  Un comité spécial fut installé à la Chambre des Communes pour enquêter sur la responsabilité  de la P.A.C dans les atrocités du Putumayo. Présidé par un parlementaire éminent, il fonctionna quinze mois durant, entendit nombre de témoins dont le plus éminent, Roger CASEMENT. Le rapport final devait sceller la responsabilité pleine et entière de Julio ARANA et ses associés, précipitant la ruine de son empire.  Dès lors tout se passa très vite  en Amazonie péruvienne, Iquitos en particulier, où les principaux contremaitres et chefs de comptoirs s'étaient déjà enfuis par delà la frontière, les indigènes eux-mêmes refluant au plus profond de la selva. La récolte du latex n'étant plus assurée, les magasins ayant été pillés, hotels, restaurants, cafés, bordels avaient eux mêmes fermé les uns après les autres, les liaisons fluviales régulières ayant cessé d'exister.  Si bien que, en très peu de temps, la puissante nature reprenant ses droits, Iquitos et sa région redevint ce qu'elles avaient été avant, totalement coupées du monde. 

Roger CASEMENT qui entre temps avait été annobli par le Roi George V en récompense de ses services rendus au Royaume-Uni pour le Congo et l'Amazonie approchait la cinquantaine, mais précocement vieilli. Il argua de son état de santé pour refuser tout nouveau poste et présenta sa démission.

En fait il s'était produit chez lui un véritable revirement.  Certes, il ne regrettait nullement tout ce qu'il avait fait au nom de l'Angleterre, voire au prix de sa santé,  pour que cessent des pratiques inhumaines, là où on l'avait envoyé mais qui aurait - il en était persuadé - un prolongement partout où elles sévissaient encore. Son action avait d'ailleurs été hautement reconnue et récompensée jusqu'à l'annoblssement. Mais en même temps s'était développée en lui une aversion pour l'Angleterre exploitant elle même son pays natale, l'Irlande, à laquelle il se sentait de plus en plus attaché, de plus en plus décidé à militer activement pour l'obtention de son indépendance. Il devait y mettre ses dernières forces au cours des quatre dernières années de sa vie. 

Ayant vécu hors d'Irlande depuis l'âge de quinze ans, n'y étant que rarement retourné, on pourrait parler d'une passion tardive, voire idéaliste.  Il s'était mis à étudier l'histoire de ce pays, sa littérature, à essayer d'apprendre la langue. L'Irlande avait été le seul pays celte à n'avoir eu aucun contact avec les Romains, à ne pas avoir été colonisé et transformé par eux.  Son nom latin était "Hibernia" en référence à son climat rude.  Peuplée au nord pas les Scots, ceux-ci avaient envahi l'Ecosse (Caledonia) peuplées par les Pictes et lui avaient donné leur nom (Scotland) d'où la proximité des deux langues. L'Irlande était ainsi passée directement au christianisme grâce à Saint Patrick, natif du nord de l'Angleterre (Cumberland) mais d'origine romaine. Puis les Anglais protestants avaient colonisé l'île par vagues successives, l'épisode le plus brutal se situant sous Cromwell qui voulut décimer tous les Irlandais en les parquant dans une réserve de l'ouest de l'île, l'actuelle province de Connacht (comprenant les actuels comtés de Galway, Leitrim, Mayo, Roscommen et Sligo). Aux XVIIIème siècle les notables d'Irlande tentèrent de se détacher de l'Angleterre en votant l'indépendance du Parlement de Dublin et une constitution propre. Les Anglais s'y opposèrent d'abord en décidant au contraire d'unir l'Irlande au Royaume Uni en intégrant son Parlement à celui de Westminster, selon l'Acte d'Union du premier ministre PITT voté en 1800. Se créèrent alors les "United Irishmen", foyer indépendantiste de Théobalde Wolfe TONE à Belfast, prenant la harpe celtique comme symbole de la lutte pour l'indépendance, tandis qu'en réaction, côté protestant, se formait la Société d'Orange (en souvenir de Guillaume II d'Orange). Théobalde TONE demanda même à la France (sous la Convention) d'aider l'Irlande à battre les Anglais. Hoche s'y rendit en 1796 puis Humbert en 1798 mais ce furent deux échecs aboutissant à la mort de TONE. D'autres soulèvements se produisirent durement réprimés.  Au cours du XIXème siècle les choses évoluèrent plus favorablement pour les catholiques irlandais et les séparatistes (qui n'étaient pas tous catholiques au demeurant) grâce à Daniel O'DONNEL qui devint le premier député catholique. Fut créé alors le drapeau de la future république d'Irlande : Vert pour les nationalistes, Orange pour les loyalistes et Blanc pour la paix.

CASEMENT avait eu le temps de réfléchir sur tout celà, de constater que dans ces pays vierges d'influence extérieure d'Afrique et d'Amazonie (comme l'avait été l'Irlande autrefois) on s'était conduit vis à vis des populations autochtones comme les Anglais de Cromwell : on les avait asservies, humiliées, paupérisées,  les faisant trimer sur leurs terres sans qu'elles en tirent aucun profit pour elles mais tout pour l'occupant. Et il y avait participé, même s'il s'était efforcé de ramener une certaine humanité. Vit-il dans la cause irlandaise une façon de se racheter ?...

En 1910, alors que CASEMENT avait démissionné, arguant de sa mauvaise santé, les élections législatives avaient porté un important groupe nationaliste irlandais au Parlement de Westminster sous la pression duquel le gouvernement anglais dût se résoudre à proposer un nouveau "home rule" (projet d'autonomie interne à l'Irlande  tout en restant sous tutelle de la Couronne britannique) devant être appliqué en 1914 mais qui fut suspendu à cause de la guerre. Les loyalistes de l'Ulster, en réaction, rédigèrent alors une constitution unioniste et créèrent une milice (les "volontaires d'Ulster").  De leur côté, les séparatistes créèrent en 1913 deux groupes armés : l' "Armée Citoyenne Irlandaise" recrutant dans les milieux ouvriers, créée par CONNOLLY, les "Volontaires Irlandais" de Eoin McNEILL chez lesquels on trouvait d'ailleurs deux tendances  : une modérée, parlementaire, l'autre radicale menée par les Pearse, Plunkett, McDonagh, et d'autres et c'est à celle-ci que Roger CASEMENT se rallia. 

Dès le début de la première guerre mondiale, CASEMENT vit une opportunité pour le mouvement indépendantiste radical irlandais d'user de l'aide allemande pour parvenir à ses fins. (A noter que certains autonomistes bretons eurent la même idée mais pendant la seconde guerre mondiale). Il s'agissait pour lui d'envoyer stationner en Allemagne une milice irlandaise qui, le moment venu où les troupes allemandes attaqueraient l'Angleterre, se joindrait à elles pour débarquer en Irlande et y prendre le  pouvoir. Or, John REDMOND, leader de l'Irish Parliamentary Party, convaincu que l'autonomie finirait par l'emporter, était d'avis que si la guerre contre l'Allemagne éclatait, les Irlandais devaient combattre aux côtés de l'Angleterre, pour une question de principe et de stratégie.  On gagnerait ainsi la confiance du gouvernement anglais et de l'opinion publique ce qui garantirait la future autonomie. Mais CASEMENT n'y croyait pas du tout. Sept jours après l'annonce de l'attentat de Sarajevo (28 Juin 1914) il embarqua clandestinement vers Montréal et de là en train jusqu'à New York pour y rencontrer les dirigeants du clan irlandais (na Gael) et personnalités nationalistes en exil en vue d'obtenir des armes.  Quand en Août 1914 éclata la guerre, le clan avait déjà décidé que CASEMENT devait partir en Allemagne en tant que représentant des indépendantistes partisans d'une alliance stratégique avec le gouvernement allemand qui apporterait une aide politique aux Volontaires à charge pour eux de faire campagne contre l'enrôlement d'Irlandais dans l'armée britannique que défendaient les unionistes de l'Ulster comme les partisans de John REDMOND. L'ambassade d'Allemagne à Washington avec laquelle le clan na Gael était en contact collabora à ce plan et fit venir un attaché militaire allemand à New York pour s'entretenir avec CASEMENT. Après avoir consulté Berlin, cet attaché lui fit savoir qu'il serait le bienvenu en Allemagne.  Par ses déclarations et ses écrits, CASEMENT prenait partie pour l'Allemagne qui selon lui, n'ayant pas de lest colonial comme l'Angleterre, représentait l'avenir, puissance forte en plein développement industriel et économique à la démographie croissante. Ce qui devait provoquer une très vive polémique parmi les nationalistes irlandais  alors que déjà plusieurs dizaines de milliers d'Irlandais combattaient pour la Grande Bretagne, se faisant cannonner et gazer dans les tranchées de Belgique.  Nouvelle démarche de CASEMENT, ahurissante il faut dire, il se rendit, par deux fois, au camp de Limburg avec deux généraux allemands pour rencontrer les prisonniers irlandais, leur parler de cette brigade irlandaise qu'ils pouvaient former pour, dans la foulée des troupes allemandes, libérer leur propre pays dont ils auraient toute la reconnaissance. Il n'obtint même pas la cinquantaine d'adhésion, fut hué et conspué.  C'est alors qu'arriva d'Irlande à Berlin Joseph Plunkett, délégué des Volontaires Irlandais, porteur de nouvelles intéressantes. La guerre européenne avait divisé les Volontaires, certes, une grande majorité d'entre eux suivaient le mot d'ordre de John REDMOND de collaborer avec l'Empire britannique en s'enrôlant dans l'armée anglaise, mais les autres comptaient néanmoins plusieurs milliers de personnes décidées à se battre pour l'Irlande, en collaboration d'ailleurs avec l'IRB (Irish Revolutionnary Brotherhood)  et l'Irish Ciizen Army. C'était l'occasion unique et l'Allemagne devait les aider par l'envoi de fusils et de munitions et par une action simultanée de son armée sur les ports irlandais militarisés par la Royal Navy. CASEMENT était convaincu que la condition sine qua non du soulèvement était l'action offensive de la marine et de l'armée allemandes, faute de quoi la rébellion échouerait.  Mais enfin, si l'Allemagne paraissait intéressée et prête à appuyer les aspirations légitimes du peuple irlandais à l'indépendance, tout celà s'inscrivait à l'intérieur de sa stratégie globale de la guerre. C'était tout. Un point d'achoppement demeurait entre Plunkett et Casement : la possibilité que l'insurrection éclate sans que l'armée allemande envahisse l'Angleterre.  Plunkett était d'avis que même dans ce cas il fallait continuer alors que Casement pensait tout le contraire, que ce serait un suicide, un sacrifice inutile.  Plunkett lui avait alors répliqué avant de repartir qu'il ne s'agissait pas de gagner mais de durer, résister le plus longtemps possible, jusqu'à la mort, de galvaniser ainsi le patriotisme irlandais qui ressurgirait encore plus fort. Un autre envoyé des indépendantistes irlandais arriva à Berlin pour prendre la tête de la "brigade" recrutée dans les camps de prisonniers car tout était prêt là bas parait-il manquaient seulement les armes allemandes qu'il fallait envoyer de suite.  Un mois et demi avant que n'éclate à Dublin l'insurrection du "Lundi de Pâques" (23 Avril 1916), la nouvelle était parvenue à Berlin, le comité provisoire irlandais réclamant d'urgence les armes et munitions déjà demandées. Instruction était donnée à Casement de rester en Allemagne comme ambassadeur de la nouvelle République d'Irlande.  Accablé par cette nouvelle, Casement fit néanmoins des pieds et des mains pour que ces armes soient réunies et chargées sur un navire (l' "Aud ") à destination de l'Irlande pour y être réceptionnées en un lieu convenu et secret, s'opposant en revanche au départ de sa "brigade" irlandaise recrutée dans les camps de prisonniers dont le sort serait réglé d'avance comme traitres.  Quant à lui, il refusa de rester en Allemagne, espérant encore pouvoir arriver à temps pour arrêter l'opération et put obtenir de la Marine allemande de rejoindre l'Irlande dans un sous-marin.  Ce faisant il savait que ce geste était pour lui aussi suicidaire. 

Le 20 Avril 1916, le cargo allemand "Aud " acheminant vingt mille fusils fut arraisonné à proximité de la côte par un patrouilleur britannique et son capitaine saborda le bateau avant de se constituer prisonnier avec l'équipage.  Le 23, lundi de Pâques, les insurgés s'emparèrent de la Poste Centrale de Dublin et autres bâtiments stratégiques et la République d'Irlande fut proclamée par Patrick PEARCE président du gouvernement provisoire.  Après cinq jours de combat acharné, la situation étant désespérée, Patrick PEARCE décrèta l'arrêt des combats et la reddition fut signée sans condition. La répression anglaise fut terrible.  CASEMENT ne devait pas y échapper. Le sous marin qui le transportait l'ayant débarqué le 21 Avril 1916 dans la baie de Tralee (comté de Kerry) après que  l' "Aud" ait été sabordé, il fut capturé sur la plage de Banna Strand par une patrouille anglaise, reconnu et incarcéré avant d'être transféré à Londres sans avoir pu faire arrêter l'insurrection projetée et vouée à l'échec comme c'était son intention. 

Casement fut condamné à mort pour trahison, espionnage, sabotage.  Après être passé par la Tour de Londres et la prison de Brixton, il fut transféré à celle de Pentonville dans la banlieue de Londres pour y attendre son exécution par pendaison.  Sitôt la sentence rendue, son avocat avait introduit une demande de remise de peine. Plusieurs personnalités du monde politique, culturel, humanitaire, y étaient favorables au demeurant.  Le retour de CASEMENT pour désamorcer l'insurrection projetée à Dublin, le message pressant qu'il avait envoyé d'Allemagne en ce sens, témoignaient en sa faveur, y mettant sa propre vie en jeu. Mais enfin il y avait toutes ses déclarations, tous ses écrits, toutes ses connivences, sans équivoques quant à sa position en faveur de l'Allemagne, certes par intérêt pour l'Irlande.  Comment n'avait-il pas compris que l'urgence n'était pas là mais à s'unir contre l'ennemi commun, l'Irlande elle même y avait intérêt pour appuyer plus tard ses revendications.  Joseph CONRAD devenu son grand ami, refusa pour sa part de joindre sa voix à ceux plaidant en sa faveur.  

Mais il y eut autre chose qui choqua profondément l'opinion, surtout à cette époque encore victorienne très sticte sur les moeurs et où l'homosexualité était considérée comme crime (on se souvient du cas Oscar WILDE, l'écrivain et poète irlandais) qui détourna de lui certains qui étaient plutôt bien disposés en sa faveur.  Suite à une nouvelle perquisition à son domicile londonien, on avait mis la main sur des carnets dans lesquels CASEMENT faisait état crûment de ses relations sexuelles épisodiques avec des hommes que lui même abordait, tant au Congo, qu'en Amazonie et même en Allemagne au cours de son séjour.  Et, là encore, on ne comprend pas. Qu'il ait été homosexuel, passe, il n'aurait été ni le premier ni le dernier homme public à en être, mais pourquoi diable avoir confié ça par écrit !... lui qui était connu et qui de plus s'était rendu très suspect vis à vis de l'Angleterre par ses prises de positions en faveur de l'indépendance irlandaise après avoir renoncé à toute nouvelle fonction diplomatique, et qui aurait dû se méfier.  Aberrant.  Au point que ses défenseurs soupçonnèrent les services secrets britanniques d'avoir falsifié des passages de ces carnets pour mieux l'accabler. Quoi qu'il en soit, Mario VARGAS-LLOSA sans prétendre lever le voile de cette énigme, avance une hypothèse : CASEMENT aurait bel et bien écrit lui-même ses frasques homosexuelles mais les aurait considérablement exagérées et multipliées (on arrive même à douter de leur réalité si, réellement, il le nia comme il le fait dans le livre), mais pourquoi ? forme d'exutoire à ses pulsions qu'il aurait ressenties dès l'adolescence, s'en étant de la sorte délecté par écrit. Quand bien même, pourquoi, sachant le danger que ça pouvait représenter pour lui en cas de saisie.

On pourrait aussi, sur ce point, citer le cas LAWRENCE.  Lui, au contraire, fut particulièrement discret dans les "Sept Piliers" sur la nature exacte (voire la réalité là aussi) de cette "correction" qu'il avait subie des Turcs à Deraa (Syrie) en dehors des coups de cravache appliquées à même la peau. A un autre endroit du livre il suggère ce genre d'épanchement occasionnel entre jeunes hommes dans un creux de sable au soir d'une étape dans le désert, pratique courante chez les bédouins en ce temps là, songeant peut être à lui même avec l'un de ses deux domestiques arabes.  Ce n'est qu'après sa mort que certains de ses détracteurs avancèrent qu'il était homosexuel, le serait plutôt devenu plus exactement, car, encore étudiant à Oxford, peu de temps avant la déclaration de guerre, il avait proposé le mariage à une camarade de "collège", Janet Laurie, qu'il fréquentait depuis assez longtemps mais qui en fait préférait son frère William. Peut être que son refus avait provoqué chez lui un blocage qui le détourna définitivement des femmes, sexuellement s'entend, car il en fréquenta beaucoup après la guerre, dans le cadre des conférences pour la paix, dans les milieux littéraires et artistiques. Ce qui a le plus accrédité la version d'un viol lors de l'épisode de Deraa c'est que celui ci l'ayant brisé moralement il en avait conçu une horreur du sexe. 

Autre point présentant une certaine similitude entre l'attitude de LAWRENCE vis à vis de l'Angleterre  dans le cadre de la guerre orientale contre les Turcs  et celle de CASEMENT vis à vis de l'Angleterre au sujet de l'Irlande.  LAWRENCE avait embrassé la cause arabe plus que celle de son pays en fait, la même apparemment, c'est à dire chasser les Turcs d'Arabie, à cette différence que l'Angleterre (et la France) voulait le faire pour prendre leur place et y assurer leurs intérêts économiques notamment pétroliers alors que les Arabes eux, poussés dans ce sens par LAWRENCE, se battaient avec les Anglais pour leur indépendance.  Les dés étaient pipés dès le début.  Pourtant, LAWRENCE se démena comme un beau diable pour que l'armée de l'émir Feisal qu'il avait puissamment contribué à former - pas évident du tout avec toutes ces tribus, certaines rivales - prenne toute sa place dans la guerre et parvienne à libérer Damas en premier afin que l'Angleterre leur reconnaisse la qualité de belligérants et leur accorde un maximum de leurs revendications  (à défaut d'indépendance).  Après la campagne de Palestine et l'entrée triomphale d'ALLENBY et ses troupes à Jérusalem où LAWRENCE était présent, le général en chef avait insisté pour qu'il reste à ses côtés dans la poursuite de la lutte jusqu'à Damas mais LAWRENCE avait refusé pour aller rejoindre Feisal et son armée et les mener lui même jusqu'à Damas et les y faire entrer en premier. C'était une condition qu'il s'était imposée car pour lui capitale dans la contribution arabe à la guerre orientale. ALLENBY en fut particulièrement déçu, sinon choqué. Cerains adversaires de LAWRENCE l'auraient même traité de traitre à cette occasion.

Ceci étant dit sur l'un et l'autre personnage, est-il si étrange que LAWRENCE ait cherché à écrire la biographie de CASEMENT...

LAWRENCE fut un héros, CASEMENT, à mon sens, aurait pu l'être presqu'autant par son action humanitaire remarquable au Congo et en Amazonie, sa courageuse prise de position anti-colonialiste, MAIS il y a son attitude lors de la première guerre mondiale, lui qui avait été annobli par le roi, l'avait accepté, alors que LAWRENCE lui l'avait refusé à cause de ce qu'il estimait être sa "trahison" vis à vis des Arabes, et celà, forcément, jette  une ombre.

Il fut pendu le 3 Août 1916 après trois mois d'incarcération, très courageux devant la mort selon l'auteur et fut enterré anonymement dans la cour même de la prison où il fut pendu.  Ce n'est qu'en 1965 que ses restes furent transférés en Irlande où les honneurs militaires lui furent néanmoins rendus.



 

 



 

 

 

 


 

 

 

 

 
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30 août 2012 4 30 /08 /août /2012 13:45

« Journal à bicyclette » … titre accrocheur pour quelqu’un comme moi qui ai beaucoup aimé le vélo et l’ai pratiqué pas mal. A l’exception de cette période de ma vie où je le prenais pour me rendre à mes cours dans ma bonne ville de Tours, ce fut toujours pour le plaisir, le sport, donc en favorisant le plus possible les itinéraires campagnards ce qui m’était assez facile au départ de chez moi n’habitant pas une grande ville.  Si j’y ai renoncé ce n’est pas tant à cause de mon âge qu’au danger que çà représente ici et maintenant et pour ne pas occasionner des frayeurs à mon épouse.  La périphérie de celle où je vis depuis quarante ans s’est en effet considérablement reculée du fait de l’urbanisation galopante, si bien que nous y sommes enclavés à présent alors qu’auparavant, derrière chez nous … y’avait pas un p’tit bois (comme dans la chanson) mais les champs de cannes.  Impossible aussi d’éviter plusieurs ronds-points toujours délicats à négocier à vélo même en signalant ses intentions ostensiblement avec le bras ce que beaucoup de cyclistes négligent alors que ça fait partie des règles élémentaires du code de la route qui leur sont applicables tout autant qu’aux automobilistes.  On parle beaucoup maintenant – et c’est très bien – du partage de la route, OK mais à condition que chacun respecte les règles de ce partage, sinon pourquoi s’étonner des accidents ? Ah, ce mot « respect » s’il était tant soit peu observé !...  Et ce qui m’énerve le plus, moi qui ai un penchant naturel , une vieille affinité, pour défendre le vélo, c’est ce parti pris à l’encontre de l’automobiliste, toujours suspecté en premier, a priori, d’être le seul responsable alors que très souvent c’est tout le contraire : rouler sur des 4 voies interdites, à plusieurs de front et en dehors de la bande d’arrêt d’urgence (interdite aussi en principe mais souvent tolérée), la nuit sans éclairage ou signalisation catadioptre, inconscience suicidaire dans les giratoires, changement de direction mal ou pas du tout signalé, etc… etc… et je ne parle pas de ces scootéristes (très jeunes pour la plupart) aux engins « débridés » roulant à fond la caisse partout et n’importe comment … idem – et pour faire bonne mesure – pour ces piétons inconscients (voire ivres) qui se font faucher le soir à la brune en traversant les quatre-voies pour ne pas faire quelques pas de plus jusqu’au passage souterrain ou pont routier… Et là encore l’automobiliste sera systématiquement suspecté  (roulant trop vite alors qu’il s’agit d’une voie rapide limitée à 110Kms/h, alcool, zamal, …) On chercherait à faire se dresser les uns contre les autres qu’on ne s’y prendrait pas mieux.  Or c’est ce qui se passe. Pourtant les appels fréquents à la raison, au respect de l’usager qu’il soit à 2 ou 4 roues ou à 2 pattes, en agglomération comme sur la route, sont bien lancés par les médias et j’ose espérer quand même qu’ils sont entendus par certains (ne serait-ce qu’en voyant le résultat d’accidents à la télé …)  mais c’est une « éducation » qui a décidément beaucoup de mal à se faire.

Ceci étant dit, j’en reviens à ce bouquin pas comme les autres que j’ai découvert à la médiathèque et que je recommande, en particulier à mon neveu Marc, cycliste urbain et qui plus est parisien (à moins qu’il ne le connaisse déjà).  Car si rouler en ville n’aura pas été mon truc, après des décennies de triomphe sans partage des quatre roues, de plus en plus de gens s’y lancent maintenant de préférence à l’auto pour les courtes distances, voire pour se rendre à leur boulot, plutôt  que d’être englué dans les embouteillages, situation des plus stressantes.  Certaines capitales et autres grandes villes ont su accompagner et encourager cette tendance en réalisant de véritables pistes cyclables, séparées de la chaussée par un muret (et pas de simples traits verts juxtaposés à ceux blancs près du trottoir.  A cet égard, une ville comme Berlin est un vrai paradis et je m’en étais rendu compte lors de notre voyage là bas avec le groupe du collège Sainte-Geneviève.

L’auteur, David BYRNE, est né en Ecosse (Dumbarton) en 1952 mais expatrié très jeune avec ses parents au Nouveau Monde : au Canada (Ontario) d’abord puis aux Etats Unis.  Il vit aujourd’hui et depuis longtemps à New York.  C’est un artiste prolixe : musicien, compositeur, parolier, chanteur, organisateur de spectacles et concerts, désigner et j’en passe, qui fut cofondateur et principal auteur des chansons du groupe américain « new wave » Talking Heads créé en 1974.  C’est à partir des années 80 qu’il décida d’effectuer ses déplacements professionnels à N.Y. en vélo plutôt qu’en taxi jaune ou bus, y gagnant en indépendance et rapidité, tout en ayant un contact plus étroit avec le milieu urbain qui est le sien, où il vit le plus souvent, qu’il aime, que ce soit chez lui à N.Y ou à l’étranger au cours de ses fréquentes tournées ou déplacements professionnels, un peu partout dans le monde.  Ayant découvert le vélo pliant (d’abord à petites roues mais très vite abandonnées pour des roues standards) celui-ci fait désormais partie de ses bagages, plié et partiellement démonté dans une valise adéquate et à roulettes.  Ainsi est-il devenu un adepte indéfectible du vélo urbain, sans nier pour autant une certaine dangerosité vis-à-vis du trafic, au point qu’on pourrait dire de lui qu’il est un « vélosophiste », apôtre de ce mode de déplacement propre et militant pour que la politique des villes en fasse une part belle dans leurs aménagements. Cela se fait déjà d’ailleurs dans des capitales et autres grandes villes comme Berlin, Londres, Paris, Copenhague, Amsterdam, Tokyo etc…  Lors d’un voyage en France il y a trois ans à Perpignan j’avais remarqué ces « vélib » devant le Palais des Congrès, hérités des Hollandais précurseurs en ce domaine.  Pour ne pas rebuter les moins courageux de la pédale (si je puis dire) on a conçu des vélos à assistance électrique (à pile) héritage lointain du « vélosolex » mais en non-polluant.   Parallèlement sont apparues sur les trottoirs ces structures d’attache des bicyclettes, voire mobylettes, permettant à l’usager d’y cadenasser son engin.  En tant que designer, David BYRNE en a conçu de très originaux pour sa ville de New York : ainsi en forme de symbole du dollar pour Wall Street, de chaussure à talon aiguille pour la 5ème Avenue, de petit chien pour Village, etc… Non content, David BYRNE a aussi fait partie des organisateurs du FBBT ( Five Boro BiKe Tour) un parcours de 68 Kms à travers les 5 « boroughs » (districts ou départements) de la ville de N.Y., soit : Manhattan, Brooklyn, Queens, Bronx et Staten Island.  L’évènement (comme pour le Marathon) a lieu chaque année et pour la circonstance toute circulation automobile est bannie du parcours.  Aucun but compétitif, juste une grande sortie festive à vélo, ouverte à tous, avec deux arrêts casse-croute et rafraichissement, ce qui n’empêche pas certains de vouloir en découdre la tête dans le guidon  ou s’exhiber en tenues cyclistes les plus top.  Mais notre auteur n’est pas de cela, c’est un sage qui dose son effort et ne craint pas le qu’en dira t’on.   Pour lui le vélo c’est : 1 : se déplacer commodément d’un point à un autre – 2 : le plaisir de circuler en ville à petite allure mais plus rapidement qu’à pieds tout en l’observant et bien mieux par-dessus son guidon qu’au volant d’une auto.  Récemment, pour marquer l’anniversaire de l’ouverture de la route des Tamarins ici à la Réunion, 35 kms de quatre voies entre Saint Paul et Etang Salé, le Conseil Général en avait décidé la fermeture complète un dimanche à l’exception des marcheurs, cycliste et rollers, voire voitures d’enfant.  Ce fut un franc succès qui s’est renouvelé l’année suivante et est en passe de devenir tradition, ce qui n’a pas été sans soulever certaines protestations. Mais enfin notre petite île (au demeurant bien trop encombrée de voitures) a eu le mérite de vouloir se joindre au mouvement, à l’instar d’une mégapole comme New York.

David BYRNE a été plus particulièrement frappé par certaines capitales, vélocipédiquement parlant (mais pas seulement) : Berlin, Istanbul, Buenos Aires, Manille, Sydney, Londres, San Francisco, … Mais attention, ne pas croire que son bouquin n’est qu’un simple carnet de route dont le vélo et sa pratique serait l’unique objet.  Le titre original est « Bicycle diaries », « diary » au pluriel car en fait, l’auteur nous le dit, il s’agit d’une compilation de plusieurs carnets tenus sur rencontres, impressions et observations au cours de ses déplacements newyorkais et à l’étranger, celles-ci pouvant porter autant sur la musique moderne, son domaine, que sur l’architecture moderne, l’urbanisme, la politique de la ville et l’art d’y mieux vivre, la sociologie urbaine, la littérature et l’art moderne enfin, et tout cela avec la pertinence d’un pro.  Des miscellanées en quelque sorte dont l’auteur très original voire quelque peu foutraque m’est personnellement et éminemment sympathique en tous les cas.

Je pense qu’on peut prédire de beaux jours au vélo puisque les créateurs futuristes s’y intéressent comme l’américain John VILLAREAL avec son vélo du futur, véritable « ferrari »  en la matière, sans chaine, ni câble, ni rayons de roue, fonctionnant selon un système de pignons entrainant directement les roues sous l’action des pédales.  

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2 août 2012 4 02 /08 /août /2012 17:02

Livre érudit tout en étant original, au style "soutenu" sans pour autant être lassant grâce à l' "aération" des chapitres, ne ressemblant à aucun autre en fait, tel m'est apparu ce "Dépaysement" de Jean Christophe BAILLY, sous titré "voyages en France", qui m'a  transporté (littéralement) m'apprenant une foule de choses que j'ignorais ou avais oubliées sur notre pays. A noter le pluriel du mot "voyages". Il s'agit en effet de multiples déplacements effectués par l'auteur en différents endroits de l'Hexagone, sur une période assez longue (entre printemps 2008 et automne 2010), la rédaction du livre s'étant faite elle même à plusieurs reprises, au rythme de ces brefs voyages.  Rien à voir pour autant avec un journal de route, encore moins un "guide", voire un essai. Aucun ordre logique apparemment dans la présentation des lieux choisis chacun faisant l'objet d'un chapitre.  Pas de "quadrillage" systématique des régions. Pas d'apriori identitaire non plus, mais il ressort de tout celà une extrême et étonnante diversité, "des mozaïques de lieux que seuls les aléas de l'Histoire ont composé en pays" pour reprendre les propres termes de l'auteur.  L'approche de ces lieux, souvent peu ou mal connus, est très poétique et celle des personnages historiques s'y rattachant tout à fait opportune.  A l'encontre d'un guide "bleu" ou autre, les "must" touristiques sont évités au profit de ce qui est plus discret mais passionnant.  L'auteur se déplace lentement, il prend le train-orange, le car ou la voiture mais par les routes secondaires et marche à pieds.  Il prend son temps et de la même façon dans le livre, ce qui est bien et son titre est judicieux car on se surprend en effet à être dépaysé dans un pays qu'on croyait bien connaitre.

En introduction, l'auteur nous dit que c'est à New York où il vivait dans les années 78/79, qu'après avoir revu à la télé en version originale "la règle du jeu" de Jean RENOIR (film très français datant de 1939 considéré comme le meilleur du réalisateur et même de tous ceux jamais réalisés selon certains) lui était venu un sentiment d' "appartenance" à ce pays, la France (la Sologne dans le film étant une des facettes) et l'idée d'aller à sa découverte profonde.

Cette errance littéraire, historique voire sociologique, se référant tant à la mémoire collective qu'à la sienne, sans en faire pour autant une oeuvre biographique, commence à Bordeaux avec cette très ancienne maison LARRIEU fondée en 1622 par Baptiste GUIGNAN qui était soldat de Louis XIII au siège de la Rochelle et qui, ayant observé les pêcheurs, eut l'idée d'ouvrir un atelier de fabrication de filets à Bordeaux alors port de pêche actif, rue des Ayres, aujourd'hui rue Sainte Colombe, qui devint vite florissant et qui a perduré jusqu'à nos jours, seule spécialisée en filets en tous genres (tramails, araignées, sennes, carrelets, éperviers, ...) nasses et leurres.


Pas question bien évidemment de citer toutes les découvertes (ou redécouvertes) qui suivent mais seulement quelques unes qui ont le plus retenu mon attention.

 

J.C. BAILLY ne s'attarde pas sur Paris, le temps d'évoquer CARMONTELLE, par exemple, pseudonyme de Louis CARROGIS né en 1717, fils d'un cordonnier du quartier Saint-Sulpice, qui fut créateur de jardins (on lui doit le Parc Monceau) et organisateur de fêtes, ou encore la cité universitaire face au Parc Montsouris (dans le XIVème) que l'industriel sucrier LEBAUDY, dans les années 30, voulut doter d'une église, celle du Sacré Coeur, cette masse de béton style romano-byzantin qui se remarque mais sise "hors les murs" en fait, à Gentilly, très fréquentée par la communauté portugaise.  Occasion de citer quelques uns des hôtes français et étrangers célèbres accueillis dans ses divers pavillons.

Après Fontainebleau et sa "cour des adieux" puis Meudon et ses souvenirs de Rodin qui y avait son atelier, nous voici transportés à VARENNES (Meuse) où Louis XVI et sa famille fuyant le Paris révolutionnaire furent arrêtés le 21 Juin 1791.  Le roi avait pris le nom de DURAND et Marie-Antoinette celui de Madame ROCHET, l'un et l'autre devant se faire passer pour précepteur et gouvernante des deux enfants royaux.  Cette fuite du roi organisée par le comte de FERSEN, très épris de la reine, fut une erreur et on se demande d'ailleurs jusqu'à quel point Louis XVI n'eut pas la main forcée dans l'affaire, ayant tenu à s'en expliquer au peuple avant son départ par une déclaration "à tous les Français" remise à LAFAYETTE, commandant de la Garde Nationale et donc responsable de la protection de l'exécutif (le roi), mais qui la confisqua et en fit censurer la diffusion par l'Assemblée. Car Louis XVI était tout le contraire d'un couard, toute son attitude jusqu'à son procès et sa mise à mort (avec la reine Marie Antoinette et Madame Roland, d'une dignité et d'un courage exemplaire elles aussi) força l'admiration de tous, y compris de son geôlier et de cette foule rassemblée, muette, autour de l'échafaud.  Cette révolution ne s'est pas grandie d'avoir "raccourci" son roi et montré sa tête au peuple qui n'avait pas souhaité celà. L'utilisation de cet horrible instrument du Docteur Guillotin, surnommé "la veuve", même si devant entraîner la mort immédiatement (mais il y a tout ce qui précède !...),  a perduré jusqu'à ce 9 Octobre 1981 où la loi d'abolition de la peine de mort présentée par Robert BADINTER fut adoptée à une large majorité. Enfin !...

De Varennes on n'est pas loin de CHARLEVILLE et du souvenir de RAIMBAUD,  l'homme aux semelles de vent, ville qu'il détestait et c'est dans la campagne environnante, à Roche, dans une ferme appartenant à la famille qu'il composa "Saison en enfer" sa dernière oeuvre et la seule qu'il fit publier à compte d'auteur avant d'entamer la seconde partie de sa vie à voyager en Italie, Hollande, Afrique, Suède, Danemark, Chypre, avec des allers-retours à Charleville puis la dernière en Abyssinie, comme négociant et trafiquant d'armes, sans plus retoucher à la poésie, jusqu'à sa mort.

Sans transition, nous voici au pied des Pyrénées Atlantiques, à l'embouchure de ce fleuve côtier, la Bidassoa, sur lequel se trouve une petite île, l'île des Faisans, placée sous le régime politique du condominium entre l'Espagne et la France. Tous les six mois, l'île change de tutelle, française puis espagnole, alternativement, c'est en fait le plus petit condominium au monde dont l'un des vice-rois fut Pierre LOTI.  C'est très étrange parce que l'île n'a aucun habitant et n'est en fait qu'un simple dépôt alluvial dont les berges ont été empierrées pour éviter qu'elle ne soit emportée par les eaux en crue.  Mais c'est à cet endroit qu'en 1526 François Ier, prisonnier de Charles Quint, fut échangé contre ses deux fils en otages et qu'en 1615 eut lieu l'échange de fiancées royales : Elisabeth fille d'Henri IV promise à Philippe IV d'Espagne et Anne d'Autriche, soeur de Philippe IV, promise à Louis XIII frère d'Elisabeth.  Mais c'est surtout en 1659 qu'eurent lieu sur cette île minuscule pas moins de 24 rencontres entre délégation française conduite par Mazarin et délégation espagnole conduite par Don Luis de Haro ayant abouti au traité des Pyrénées du 7 novembre 1659 mettant fin à la guerre franco espagnole. D'où le nom d'île "de la Conférence" qu'on lui a donné.


Des Pyrénées, "entrons" dans l'Atlantique sur la Péninsule armoricaine, jusqu'à là où finit la terre, cette pointe de Penn Marc'h, tête de cheval, à laquelle ressemble l'extrémité de la péninsule, Lorient comptant pour sa part une rue "du bout du monde".  Mais en opposition à l'Armor et ses 1.100 kms de côte, il y a cette Bretagne de l'intérieur, l'Argoat, avec ses escarpements rocheux et acérés des Monts d'Arrée et de la Montagne Noire, vestiges du Paleozoïque (300 millions d'années).


Dans mon enfance (tourangelle) on chantait encore cette comptine :


 Orléans, Beaugency, Notre-Dame de Cléry, Vendome, Vendôme ...

 

ignorant qu'elle remontait au XVème siècle et à la guerre de cent ans, et que ponctuaient les carillons du Royaume de France, celui très réduit du Dauphin Charles.  Les paroles en ont d'ailleurs été abrégées car telles elles étaient à l'origine :


Mes amis que reste-t'il à ce Gentil Dauphin ?

Orléans, Beaugency, etc...


  Autre variante :


Quel chagrin, quel ennui, de compter toutes les heures,

Quel chagrin, quel ennui, de compter jusqu'à minuit :

Orléans, Beaugency, etc...


Lieux égrainés le long de la Loire, fleuve royal, sauf Vendôme, plus au Nord, sur le Loir allant rejoindre la Sarthe pour former avec elle puis la Mayenne le Maine, au court cours, rejoignant la Loire près d'Angers. 


Tours est mentionné dans le livre pour son cèdre du Liban dans le jardin des Beaux Arts, planté en 1804 et qui occupe presque toute la cour du Musée où se trouve la dépouille empaillée du fameux "Fritz", éléphant du cirque Barnum et Bailey qui défraya la chronique en 1902 en pleine rue, au cours d'une parade, où il dût être abattu car devenu fou.

 

"Castellum aquae" à Nîmes la romaine,  près du jardin de la Fontaine, était un grand bassin circulaire ou arrivait l'eau amenée par l'aqueduc, le Pont du Gard, d'où elle était répartie par dix gros tuyaux partant en éventail vers les différents quartiers de la ville.  L'eau de l'aqueduc elle même provenait d'une source éloignée, celle de l'Eure près d'Uzès, distant de près de cinquante kilomètres et sur un dénivelé de douze mètres seulement.  On a estimé le débit à 40.000m3 jour.  Construit au 1er siècle de notre ère, il fonctionna jusqu'au VIème siècle.  C'est stupéfiant de constater que les ingénieurs romains n'hésitèrent pas à jeter au dessus de la vallée escarpée du Gardon un ouvrage d'art aussi extraordinaire faisant l'admiration de tous (et de moi même en mon temps)  Le site a bien changé parait-il mais, dans les années soixante, l'endroit était désert et j'étais resté longtemps à admirer dans le crissement des cigales cette merveille aux pierres ocrées et d'une élégance inouïe.

 

La vallée de la Vézère en Périgord a été surnommée "Vallée de l'Homme", homme des orgines dont les vestiges préhistoriques sont nombreux : Eyzies, Font de Gaume, Combarelle, Lascaux, ... avec ces peintures rupestres atteignant  la perfection, Picasso ayant dit d'elles qu'on n'avait pas fait mieux depuis.

 

Origny Sainte Benoite, sur l'Oise, dans l'Aisne, fut une étape de Robert Louis Stevenson et son copain Simpson dans leur randonnée en canoe jusqu'à Pontoise.  Les deux originaux avaient rencontré beaucoup de succès auprès de la population et en particulier auprès de trois jeunes filles que l'auteur appelle "les trois grâces d'Origny".  Au moment du départ elles les suivirent le long de la berge tant qu'elles purent avant de leur crier "Revenez, revenez !".  Mais les deux canoes disparurent à leurs yeux dans la courbe et Stevenson, nostalgique, de citer Appolinaire : "Vous êtes si jolies ... mais la barque s'éloigne."  A Origny Sainte Benoite, modeste agglomération, se trouve la très importante sucrerie de betteraves du groupe Tereos (issu d'une fusion avec Beghin Say, ayant repris il y a trois ans toute l'activité sucrière de l'île de la Réunion) où l'on  fabrique 120.000 boites de sucre en morceaux par jour et produit également du bioéthanol.  L'implantation de cette industrie n'est d'ailleurs pas récente, elle devait exister déjà du temps de Stevenson.  Jean Christophe Bailly nous rappelle  au passage que c'est au XVIIIème siècle que deux Allemands, Andreas Sigismund Margraff et Franz Karl Achard, trouvèrent le principe d'extraction du sucre de la betterave.  Mais, comme nous l'avons appris à l'école à propos du "blocus continental" , c'est sous l'Empire que, pour pallier au blocage des importations de sucre de canne imposé par l'Angleterre aux ports français, la France dût se rabattre sur la betterave à sucre  et ce sous l'impulsion de Benjamin Delessert, homme d'affaires lyonnais, de famille protestante, rentrée du canton de Vau où elle s'était exilée après la révocation de l'édit de Nantes.  La fin des guerres napoléoniennes eut l'effet inverse avec le retour aux importations de sucre de canne, moins coûteux à obtenir du fait de la main d'oeuvre esclave et dont la production fut ainsi boostée outre mer alors que l'industrie betteravière en prenait un rude coup, jusqu'à l'abolition en 1848 (20 Décembre à la Réunion) qui faisant monter le coût du travail favorisa de nouveau le développement de l'industrie betteravière jusqu'à nos jours.

Sans quitter le département de l'Aisne nous voici à Guise, sur l'Oise toujours, là où R.L.S et son collègue eurent des difficultés à naviguer à cause d'une crue subite.  Le mot "Godin" nous fait penser à ces poêles de fonte célèbres, à bois ou charbon ou les deux, mot qui en fait est un nom, celui de Jean Baptiste André GODIN, né tout près de là en 1817, fils d'un artisan serrurier qui, après avoir effectué son "tour de France" déposa en 1840 un brevet pour la fabrication de poêles en fonte qui allait faire sa fortune.  Mais, et celà vaut d'être souligné, il ne fut pas un industriel capitaliste comme les autres car ayant lu l'oeuvre de Charles Fourrier, économiste dit "utopiste", il était convaincu de la nécessité de réformer la civilisation industrielle naissante et voulut apporter son soutien à l'expérience du "Phalanstère de la Réunion" au Texas (1855/1860) de Victor CONSIDERANT (1808-1893), philosophe et économiste adepte du fouriérisme, conseiller général d'extrême gauche, ayant été arrêté pour avoir pris la tête d'une manifestation conte Louis Napoléon Bonaparte en 1849, exilé en Belgique puis aux Etats-Unis.  Cette tentative américaine ayant échoué, GODIN voulut la renouveler lui même en France, sans avoir été découragé par les pertes subies. Il amenda cependant les théories de Fourrier, passant du Phalanstère (préfix phalanx : formation militaire) au Familistère. Au lieu de bâtir de petites maisons ouvrières (comme le fit Schneider au Creusot) GODIN voulut ériger un "palais social", groupe d'immeubles collectifs, renforçant l'association capital travail, pour les ouvriers et leur famille, Godin et sa famille y logeant lui même.  Ainsi, GODIN allait à l'encontre de l'habitat individuel  permettant un "équivalent de richesse" (autrement dit des conditions de confort) aux ouvriers qu'ils n'auraient pu atteindre autrement, de manière individuelle.  Ainsi (sic)  "Ne pouvant faire un palais de la chaumière ou du galetas de chaque famille ouvrière, nous avons voulu mettre la demeure de l'ouvrier dans un Palais, le Familistère n'étant pas autre chose que le palais du travail, le Palais social de l'avenir.".  Ce Familistère comprenait plusieurs ensembles de bâtiments (pavillons  pour l'habitation, bâtiments des économats, écoles, théâtre, buanderies, bains, piscines).  En 1880 l'entreprise fut transformée en Association coopérative de production qui continua de fonctionner après la mort de Godin en 1888, grâce au renom de sa marque "poêles Godin".  Transformée en S.A. en 1968 elle fut reprise et intégrée au groupe "Le Creuset", la marque Godin étant transférée aux "Cheminées Philippe".  Les logements furent vendus et classés monuments historiques, restaurés par la ville de Guise et le département.  A noter enfin que Karl Marx et Friedrich Engels critiquèrent pour leur part le Familistère de Godin comme étant finalement un foyer d'exploitation ouvrière. 

 

De même que nous avons ci dessus l'origine de la marque Godin, devinez un peu celle de la "Vache qui rit"  le fromage à tartiner ?  J.C. Bailly nous apprend qu'elle est dûe à un concours organisé par le Train pendant la première guerre mondiale pour orner les wagons de ravitaillement en viande fraiche, qu'ironiquement on appellera "Wachkyrie".  

Et "Byrrh", ce fameux apéritif vanté par les panneaux publicitaires ou les murs de ferme le long des routes ? Eh bien elle vient d'une recette de deux anciens bergers catalans (Simon et Pallade VIOLET) devenus marchands ambulants de mêler à l'écorce de quinquina des vins d'Espagne, tablant sur la confusion qu'on ferait entre l'attrait d'une boisson alcoolisée et celui d'une formule apéritive quasi recommandée par la Faculté.

 

Le Morvan que J.C. Bailly compare à une presqu'île avancée dans les terres du Massif Central est à cheval sur les trois départements de la Nièvre, de l'Yonne et de la Saone et Loire.  Bibracte en est un site historique, capitale du peuple celte des Eduens, centre d'artisanat et de commerce s'étendant sur 135 hectares.  Sis sur la commune de Saint Léger sous Beuvray (Saône et Loire) sur le Mont Beuvray (821 m d'altitude) à la limite du département de la Nièvre, elle compta entre 5 et 10.000 habitants au sein de son oppidum.  César en parle dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules à propos de la bataille qui eut lieu en 58 avant JC.  Sous le règne d'Auguste, Bibracte prit le nom d'Augustodunum d'où dérive d'ailleurs le nom d'Autun non loin de là.  Un musée de la civilisation celtique dû à Pierre Louis FALOCI a été ouvert au centre du parc archéologique en 1996 représentant deux mille mètres carrés d'exposition sur deux étages.  Jacques LACARRIERE, bien connu pour ses voyages en Grèce, dans "chemin faisant" (1793), a dit de Bibracte : "Si l'on veut essayer de retrouver quelque chose des Gaulois, j'entends quelque chose que le paysage porte encore, même après tant de siècles, c'est à Bibracte qu'il faut aller, sur ce mont Beuvray dominant les plateaux du Morvan." François MITTERAND visitant le site sous sa seconde présidence aurait manifesté le désir d'être inhumé à Beuvray.  Il est vrai que la roche de Solutré (493 m) se trouve juste à l'autre extrémité (sud-sud-est) du département, autre site historique, médiatisé par l'ascension traditionnelle qu'il en fit à partir de 1980. Lamartine, natif de Mâcon, l'a décrite avec celle de Vergisson toute proche comme "deux navires pétrifiés surplombant une mer de vignes."

 

Je n'ai parlé que de quelques uns des sites que ce livre passionnant passe en revue, mais de ceux que j'aurais aimé connaitre. 

 

En outre il m'a rappelé ce "Tour de France par deux enfants" qui fut, en une autre époque, livre de lecture dans les écoles, car il fait ressortir lui aussi l'extrême diversité de la France. L'auteur, une femme ayant pris le pseudonyme de G.BRUNO, écrit ceci à la fin de sa préface : "... en groupant ainsi toutes les connaissances morales et civiques autour de l'idée de la France, ses traits les plus nobles et la leur montrer grande par l'honneur, par le travail, par le respect profond du devoir et de la justice." (çà fait plutôt rêver aujourd'hui ! ) et je suspecte le Général de Gaulle qui avait sûrement lu ce livre dans sa jeunesse de s'en être souvenu en débutant ses Mémoires ainsi : "Toute ma vie je me suis fait une certaine idée de la France."

 


 

 

 

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7 juillet 2012 6 07 /07 /juillet /2012 14:57

Revenons sur ce sentier Stevenson et sur celui qui lui a donné son nom, relisons son récit "Travels with a donkey in the Cevennes" (1878) et plus particulièrement ses dernières lignes :

 

 She (Modestine) was patient, elegant in form, the colour of an ideal mouse, and inimitably small.  Her faults were those of her race and sex ; her virtues were her own.  Farewell, and if for ever ...Father Adam wept when he sold her to me ; after I had sold her in my turn, I was tempted to follow his exemple ; and being alone with a stage-driver en four or five agreeable young men, I did not hesitate to yield to my emotion.  Up to that moment, I had thought I hated her at times, but now she was gone ... and oh ! the difference to me !"

 

( Elle était patiente, de silhouette agréable, la robe gris-souris, elle était aussi de très petite taille.  Ses défauts étaient ceux de sa race et de son sexe, ses vertues lui étaient propres.  Adieu, et à jamais peut être ...  Le père Adam avait pleuré après me l'avoir vendue ; une fois que je l'eus revendue j'eus envie de l'imiter ; et comme j'étais seul avec le postillon et quatre ou cinq jeunes gens sympathiques, je me laissais aller à mon émotion.  Jusque là il m'était arrivé par moments de penser que je la détestais mais maintenant qu'elle n'était plus là ... comme elle me manquait ! )

 

L'ouverture du GR-Stevenson n'a pas eu pour moindre mérite que de réhabiliter justement ce petit équidé (equus asinus) que les touristes peuvent louer, pour porter leurs bagages certes, mais aussi pour sa compagnie qui s'avère beaucoup plus agréable qu'on le croit.  Car que ne dit-on pas de lui !  Bête comme un âne (le bonnet d'âne à l'école d'autrefois, quelle horreur !), entêté comme un âne, lubrique comme un âne (dame, avec un membre pareil !) etc...  Les légendes grecques (comme celle du roi Midas à qui il poussa des oreilles d'âne) ou moyenâgeuses (comme celle du roi Marc dans Tristan et Iseult) ne l'ont pas ménagé non plus.  Notre bon La Fontaine lui-même lui prête en plus de la vanité.  On se gausse de ses grandes oreilles qui s'agitent pour chasser les mouches, de son braiment insupportable (et qui porte très loin), de sa trique interminable à la vue d'une ânesse, ... mais tout le reste est plutôt harmonieux : sa robe tantôt grise, noire (Berry) ou brune (Poitou) avec le ventre et le museau blancs, ses petits sabots frappant le sol d'une allure égale, ses bons yeux dirigés plus vers l'avant que chez le cheval ; et quant au caractère l'animlal est humble, patient, sobre, très docile même si ... mais il faut savoir le prendre au début.  La comtesse de Ségur (histoires de Cadichon) l'a voulu aussi malicieux, voire rancunier, mais non, il est foncièrement bon.  Et puis, on l'oublie trop souvent, il pourrait se targuer d'un titre de gloire et même de gloire divine : n'a-t'il pas porté Marie enceinte de Nazareth à Bethléem pour le recensement ?  N'a-t'il pas soufflé avec le boeuf sur le nouveau né pour le réchauffer dans sa crèche ?  N'a-t'il pas porté de nouveau Marie et l'enfant pour fuir en Egypte la colère d'Hérode ?  N'a-t'il pas porté ce même enfant-Dieu devenu Homme pour son entrée triomphale à Jérusalem? ... Oui, ce petit âne d'Orient à la robe grise, dur à la peine, trottinant le plus souvent sous une lourde charge, battu aussi parfois, a bien eu un rapport privilégié dans ces épisodes de la vie de Jésus qui ne voulut jamais l'importuner de son poids dans ses déplacements, allant toujours à pieds, à cette seule exception le jour des Rameaux.  N'a-t'il pas lui même loué les humbles comme ce brave animal ?  Francis JAMMES, poète oublié originaire des Hautes-Pyrénées, d'inspiration chrétienne qu'on trouvera peut être naïve, l'avait compris en écrivant son poème "Pour aller au Paradis avec les ânes" :


Lorsqu’il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites
que ce soit par un jour où la campagne en fête
poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,
choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,
au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.

Je prendrai mon bâton et sur la grande route
j’irai, et je dirai aux ânes, mes amis:
Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,
car il n’y a pas d’enfer au pays du Bon-Dieu.
Je leur dirai: Venez, doux amis du ciel bleu,
pauvres bêtes chéries qui, d’un brusque mouvement d’oreilles
chassez les mouches plates, les coups et les abeilles...

Que je vous apparaisse au milieu de ces bêtes
que j’aime tant parce qu’elles baissent la tête
doucement, et s’arrêtent en joignant leurs petits pieds
d’une façon bien douce et qui vous fait pitié.
J’arriverai suivi de leurs milliers d’oreilles,
suivi de ceux qui portèrent aux flancs des corbeilles,
de ceux traînant des voitures de saltimbanques
ou des voitures de plumeaux et de fer blanc,
de ceux qui ont au dos des bidons bossuées,
des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,
de ceux à qui l’on met de petits pantalons
à cause des plaies bleues et suintantes que font
les mouches entêtées qui s’y groupent en ronds.

Mon Dieu, faites qu’avec ces ânes je vous vienne.
Faites que, dans la paix, des anges nous conduisent
vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises
lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,
et faites que, penché dans ce séjour des âmes,
sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes
qui mireront leur humble et douce pauvreté
à la limpidité de l’amour éternel.

 

Mais je n'en ai pas encore fini avec R.L.S. qui n'en était pas à sa première façon originale de voyager.  En effet, trois ans auparavant, au cours de l'automne 1879, en compagnie d'un ami écossais, Walter SIMPSON, ils avaient descendu une partie de la Sambre et de l'Oise en canoe, chacun ayant le sien, qu'ils avaient appelés respectivement "Aréthuse" et "Cigarette", doté d'une double pagaie et d'une voile "auxiliaire".  Venant d'Angleterre, ils avaient débarqué à Anvers avec leurs deux canoes mais la difficulté de descendre à travers cette région industrielle par voie fluviale coupée de nombreuses écluses, fit qu'ils rejoignirent Maubeuge par le train et c'est de là en fait que débuta leur parcours aquatique n'ayant pas eu l'heur de voir le fameux "clair de lune" car le temps était à la pluie et ne varia guère jusqu'à Pontoise, terme de leur voyage.  Descendant la Sambrejusqu'à Laubrecies ils empruntèrent le canal de la Sambre à l'Oise (laquelle doit on se le rappeler prend sa source en Belgique près de Chimay) par Tergnier et Oisy avant de s'engager sur l'Oise à Vadencourt après pas moins de dix neuf écluses.  Puis par Origny sur Benoite, Moy de l'Aisne, La Fere où ils subirent un vrai déluge, Concy-la-Ville, Chauny, Noyon où ils visitèrent la magnifique cathédrale, Pimprez, Compiègne, Creil, Précy-sur-Oise et enfin Pontoise.    De ce voyage R.L.S. devait écrire un récit, sa première oeuvre écrite en fait, "An inland voyage".   En anglais "voyage" désigne un voyage maritime aussi l'auteur corrige-t'il en précisant "inland" c'est à dire à l'intérieur des terres.  Plus tardivement, en 1883, il devait écrire un troisième récit "the Silverado squatters" lors de sa lune de miel avec son épouse, Fanny OSBORNE,   sur le site désaffecté d'une ancienne mine d'argent sur le mont Saint-Hélène en Californie. 


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28 juin 2012 4 28 /06 /juin /2012 13:31

Pas facile de résumer "l'art français de la guerre", Prix Goncourt 2011, d'Alexis JENNI dont c'était le premier roman .  Né en 1963 à Lyon, l'auteur est professeur agrégé de SVT ( ex Sciences Nat).  Il aime aussi dessiner.


D'abord il y a ce titre qui fait référence au premier traité de stratégie militaire, celui de SUN TZU, écrit aux alentours du VIème siècle avant JC, s'inspirant de la philosophie chinoise ancienne, développant ce que l'on a appelé beaucoup plus tard la guerre psychologique. 

Puis cette constatation : des débuts de la France Libre dans les maquis en 1940 jusqu'à la fin de la guerre d'Algérie en 1962, en passant par celle d'Indochine (de 1945 à 1955), cela fait une période continue de plus de vingt ans.  Toute l'histoire en somme de Victorien Salagnon, le héros de ce roman, qui n'ayant pu l'écrire lui même en confie la tâche au jeune homme auquel il donne gratuitement des cours de dessin et qui, dans le livre, n'aura d'autre nom que celui de "narrateur". 

Nous sommes à Lyon début 1991.  En France comme ailleurs on se prépare à la guerre du Golfe à grands renforts d'émissions télé non stop.  La grande armée occidentale va affronter la quatrième armée au monde, celle de Sadam Hussein en Irak.  Une guerre "technologique" qui sera même qualifiée de "propre" en ce sens qu'elle ne fit pratiquement pas de victimes côté occidental, seulement par accidents et chaque mort identifié, alors qu'on ne saura jamais le nombre des morts irakiens, ni comment ils moururent, masse confuse non identifiée ou identifiable ; "propre"  en ce sens qu'elle ne laissera pas de traces "sur les mains" puisqu'il n'y eut pas de confrontations corps à corps mais à distance par des moyens techniques lourds : missiles, chasseurs-bombardiers, canons de char et d'artillerie, nettoyant le terrain à l'avant des hommes dans leur progression ;  "propre" encore en ce sens qu'il n'y eut pas d'atrocités du genre interrogatoires sous la torture, violences sur les prisonniers, exactions sur la population, pas besoin (en deux mois) on avait déchainé la "tempête du désert"  détruisant tout, çà suffisait ! On n'y va pas de main morte quand pétrole oblige !...

Mais en ce début 1991 on ne savait pas encore celà.  En tous les cas ce n'était plus pour nous une guerre coloniale, nous étions intégrés dans une coalition de pays, n'empêche qu'on y repensait à l'Indo, l'Algérie, comme y repensait ce jeune homme (le narrateur) venant de perdre son emploi et qui, oisif, en se promenant sur les bords de la Saône à travers une exposition de plein air, le Marché aux Artistes, va faire une rencontre, celle de Victorien Salagnon.  Il l'avait déjà aperçu lisant le journal dans un café de son quartier, un vétéran des trois guerres lui avait dit le patron, le maquis, l'Indo, les djebels, qui avait dû en voir !   Le narrateur aime le dessin depuis l'enfance, ayant un certain talent, et il va tomber en arrêt devant les cartons ouverts sur l'étal d'un grand vieillard sec aux yeux d'un bleu pâle au regard tranquille et qu'il reconnait tout de suite.  Il y a là des quantités de dessins à la plume mais aussi peints à l'encre à la manière chinoise ou japonaise où le vide (blanc) est presque plus important que le plein (noir et toutes ses nuances de gris).  Certains sont datés et signés (Salagnon ou V.Salagnon) avec parfois un nom de lieu.  Séduit le narrateur va engager la conversation : Il peint d'après nature depuis soixante ans - c'est un viel asiatique qui lui a appris la peinture à l'encre - il ne vend pas vraiment, çà l'encombre plutôt, il fait du vide grenier en prenant l'air - oui, il avraiment été en Indochine avec le corps expéditionnaire français d'extrême orient, officier parachutiste et accessoirement "peintre aux armées" en quelque sorte, manie de dessiner qui en faisait rire certains, pas tous, c'était mieux que les photos et beaucoup de gars et de gradés aimaient çà pour l'envoyer à leur petite amie ou à la famille.  Cà l'avait aidé là bas où c'était très dur, ainsi que le souvenir d'une femme devenue la sienne par la suite.  "Monsieur Salagnon, seriez vous d'accord pour m'apprendre à peindre comme vous?"   Voilà, sur cette phrase, le roman enclanché  et sous la plume du narrateur nous allons suivre Victorien Salagnon à travers ses trois guerres.

 

Né à Lyon en 1926, fils unique d'une famille de petits commerçants, il avait donc 17 ans en 1943, ayant fait de bonnes études, très doué pour le dessin depuis l'enfance, il va d'abord fréquenter les chantiers de jeunesse avant de rejoindre le maquis où il rencontre le docteur Kaloyannis, médecin de Bab el Oued (Alger), veuf, faisant fonction de toubib avec sa fille Eurydice comme infirmière.  Blessé, Victorien sera soigné par elle et en tombera amoureux.  Envoyé en Alsace une fois guéri puis en Allemagne où il restera jusqu'à la fin de la guerre, il va retrouver Lyon et la vie civile sans avoir revu Eurydice et sans nouvelles d'elle.  Plus par désoeuvrement qu'autre chose, il s'inscrit à l'université où il étudie l'Illiade mais renonce très vite et, rassemblant tout l'argent qu'il peut, part pour Alger dans l'espoir d'y retrouver son Eurydice.  Premier contact avec l'Algérie d'après guerre où fermentent déjà les prémisses de ce qui deviendra la guerre moins de dix ans plus tard. Eurydice qui vit très entourée de garçons de son âge mais sans conséquence apparait très heureuse de le revoir mais le vieux docteur lui laisse à comprendre qu'il doit maintenant songer à faire quelque chose dans le civil s'il veut prétendre à sa fille.  Sans idée en tête, il décide de rentrer en France, continuer l'armée peut être, ce que le Dr Kaloyannis lui déconseille.  Qu'il se fasse d'abord et puis il pourra revenir s'il y tient toujours.

 

De retour à Lyon, Victorien commence à écrire à Eurydice (déjà depuis le bateau) ou plutôt à dessiner pour elle avec au dos quelques mots sur lui seulement.  Elle ne répond pas, jamais.  Il revoit un oncle militaire revenant d'Indochine et s'apprêtant à y retourner et il le questionne longuement sur ce qui se passe là bas. Il veut reprendre le dessin, fréquenter un atelier, mais çà ne marche plus, ne retrouve plus les émotions, il s'ennuie et, finalement, se réveille un matin décidé à faire le nécessaire pour se faire envoyer en Indochine.


Et voilà Victorien plongé dans ce bourbier où, à leur tour, les Américains s'enliseront plus tard.  Cette période nous est décrite de façon très réaliste et documentée.  Combien de jeunes gens de l'après guerre, désorientés comme lui après avoir connu les maquis, se sont ainsi lancé par désoeuvrement dans cette aventure où 115.000 hommes au total furent engagés côté français et qui fit 900.000 morts, blessés et prisonniers dans les deux camps !... Combien aussi ceux qui, épargnés des balles, bombardement, embuscades, chausse-trappes remplies de pointes de bambous acérées et empoisonnées, s'effondrèrent moralement !... Victorien lui va traverser tous ces périls avec une incroyable baraka, sauvé au moral par le dessin et le souvenir d'Eurydice à qui il écrit, toujours sous forme de dessins avec quelques mots au verso, mais sans jamais recevoir de réponse.  Il est blessé assez gravement d'un éclat et soigné à l'hopital militaire d'Hanoï où il repense encore plus fortement à Eurydice.  Durant sa convalo il va apprendre la technique de la peinture à l'encre avec un vieil asiatique et manque aussi d'être tué d'une balle en pleine tête alors qu'il est attablé dans un restaurant tonkinois. 


Quittant l'Indochine avec son régiment, Victorien va se retrouver en Algérie pour la "fameuse" bataille d'Alger de janvier à juillet 1957 durant laquelle, en dehors de tout cadre légal, l'Armée va lancer les paras de Massu et Bigeard sur la Casbah à la recherche des membres-clés du FLN responsables des attentats contre la population algéroise, poussant à fond l'exploitation du renseignement obtenu par les méthodes que l'on sait.  Salagnon en tant que lieutenant de para va se trouver au coeur de l'action, sachant mais réprouvant ce qui se passe à la "villa Susini" dans les hauts d'Alger.  Il retrouvera le docteur Kaloyannis et surtout sa fille mais mariée à un  algérois membre d'une organisation contre-terroriste.  Il est invité chez le couple mais il n'apprécie guère le mari d'Eurydice et se rend compte qu'elle forme avec lui un couple mal assorti.  Néanmoins, sur ses instances à elle, ils vont se retrouver dans une chambre d'hôtel avant que Victorien ne parte en opérations dans les djebels. Entre temps, ils s'écriront.  Une fois même, elle vient le retrouver audacieusement dans le secteur où il se trouve. 

Puis c'est la semaine des barricades et l'imbroglio du putch des généraux.  Salagnon sera arrêté (son oncle le militaire ayant déserté pour l'Espagne) mis à l'isolement mais rapidement libéré pour rejoindre son bataillon restructuré et ayant changé de nom, rapatrié en Allemagne où il restera jusqu'à la fin de la guerre où il démissionnera de l'armée pour retourner à Alger avec un camarade démobilisé et tenter d'y retrouver Eurydice. 

Le vieux docteur Kaloyannis est terré chez lui, n'ayant plus de clients, Alger vivant à l'heure des explosions, des attentats de l'OAS, des représailles.  Salagnon veut le persuader de quitter l'Algérie avec sa fille avant qu'il ne soit trop tard mais c'était compter sans son mari faisant partie de l'OAS et qui s'y oppose vigoureusement.  Mais celui ci sera tué par le camarade de Victorien alors qu'il allait tuer celui-ci à bout portant après une discussion orageuse.  C'est au moment où tous les quatre arrivent en jeep à l'aéroport que le vieux docteur refuse brusquement de les suivre en France, préférant rester à ses risques et périls.  A Eurydice de décider et elle choisit de suivre Salagnon pour vivre leur amour.

 

Le personnage de Victorien Salagnon fait penser à l'un de ces "centurions " de Jean LARTEGUY qui, sans vocation particulière pour le métier des armes, vont être attirés là bas pour y jouer leur vie à pile ou face dans la fraternité d'armes mais devant connaitre finalement l'amertume des combattants sacrifiés en vain, la tristesse pour les familles qui leur avaient fait confiance (idem les Harkis) et abandonnés aux massacres des libérateurs du peuple.  Bigeard dans les prisons Viet avait réfléchi aux méthodes de l'insurrection, en avait tiré les leçons et voulut l'adapter à l'Algérie avec ses paras, guerre non conventionnelle où il faut couper l'adversaire de la population qui le ravitaille et l'informe, bessif !  Assécher le bocal pour tuer le poisson rouge, comme disait Gyap, chose à laquelle ils ne purent parvenir en Indo comme en Algérie.

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26 janvier 2012 4 26 /01 /janvier /2012 15:47

Il s'agit d'une publication de l'AMAPOF (Association Amicale des Missions Australes et Polaires Françaises) aux Editions de la Dyle, Sint-Martens - Latem (Belgique), ouvrage qui a été préfacé par Madame Brigitte GIRARDIN en tant que Ministre de l'Outre-Mer et Administrateur Supérieur des TAAF.

 

Parmi les nombreux naufrages qui se produisirent en Antarctique au XIXème siècle, en voici trois associés à  3 narrations :


- celle de William-Marie LESQUEN né le 3 Mai 1803 d'un père négociant et maire de Roscoff(Finistère) qui s'enrôla sur un bateau à 17 ans comme novice.  A 22 ans on lui confia la direction d'une équipe de chasseurs de phoques partant pour les îles Crozet à bord de " l'Aurore" commandée par le capitaine Fotheringham. Ce navire fit naufrage sur l'île de l'Est (archipel des Crozet) le 29 Juillet 1825, en plein hiver austral.  Les hommes survivront dans des conditions extrêmes jusqu'à leur sauvetage par le navire anglais "Cape Packet " en février 1827 soit dix huit mois plus tard.  Lesquen fut d'abord débarqué au Cap pour ensuite rejoindre Saint Nazaire le 7 Mai 1827. Il eut une fin tragique et inexpliquée, assassiné à Valparaiso (Chili) en décembre 1830, à 27 ans.

 

- celle de John NUNN, né en 1804 à Harwich (Essex) d'un père patron pêcheur.  Engagé d'abord comme mousse sur divers navires de pêche avant d'embarquer sur le "Royal Sovereign" commandé par le capitaine Alexander Sinclair pour une campagne de chasse dans les îles australes. Il fit naufrage aux Kerguelen à bord d'une des chaloupes, "la Favorite", qu'il commandait lors d'une sortie pour la chasse aux phoques et dut survivre seul avec ses compagnons  pendant près de deux ans (1825/1827). Ils furent récupérés par le baleinier "Lovely" en 1829.  De retour en Angleterre, John Nunn reprit du service mais accidenté à la main il dut accepter un emploi sur un bateau-pilote du port d'Harwich.  C'est alors qu'il rencontra un certain docteur WB Clarke à qui il raconta ses aventures lesquelles furent publiées en 1850.

 

- celle enfin de Ian CHURCH né en 1941 à Devonport (Nouvelle Zélande) s'agissant du naufrage du "Strathmore" en 1875 faisant route vers la Nouvelle Zélande sur les récifs de l'îlot des Apôtres (Kerguelen), d'après des témoignages recueillis auprès de descendants d'émigrants écossais naufragés et autres documents historiques. Ian Church est lui-même d'origine écossaise, de parents émigrés en Nouvelle Zélande.  Il est diplômé d'Histoire de l'Université d'Otago à Dunedin, Nouvelle Zélande où il est enseignant. Conservateur honoraire du Musée Maritime de Port Chalmers (N.Z.) 

 

Il faut savoir que vers la fin du XIXème siècle la précision des instruments de navigation avait été considérablement améliorée. Sous l'impulsion des hydrographes en en particulier l'Américain Matthew Fontaine-Maury (1806 - 1873) il était devenu fréquent de calculer les routes maritimes selon des portions d'arc de grand cercle (orthodromie) d'où un gain de temps important par rapport à la navigation loxodromique à caps constants.  C'était le cas entre le Cap et l'Australie et la Nouvelle Zélande bien que présentant l'inconvénient d'amener le navire dans les hautes latitudes subantarctiques (40° - 60°) dans le froid et les violentes dépressions, à proximité d'icebergs et d'îles inhospitalières le plus souvent masquées par la brume (Crozet, Kerguelen, Heard) truffées d'écueils et de récifs.  C'était un risque mais le gain de temps était appréciable.   

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4 mai 2011 3 04 /05 /mai /2011 13:56

C'est le titre du dernier roman de l'écrivain Kébir MustaphaAMMI, d'origine algérienne par son père, marocaine par sa mère, enfant de l'immigration, tôt orphelin, devenu professeur d'anglais qu'il enseigne en lycée dans les Hauts de Seine. Il s'inspire d'un épisode marquant de la vie de Charles de Foucauld pendant lequel, déguisé en Juif et en compagnie d'un ancien rabbin devenu commerçant, il explora le Maroc alors interdit aux Chrétiens. Mission de renseignements pour le compte du gouvernement en fait sous le couvert de la Société de Géographie.

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  né près de Fez en 1952. A quitté le Maroc  à 18 ans pour voyager en Europe et Etats Unis avant de se fixer en France il y a une trentaine d'année.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

10 Juin 1883, 5h du matin, un homme en civil, jeune, de taille moyenne, portant la barbe et les cheveux longs, se présente à l'entrée d'un pauvre gourbi de la mellah (quartier juif) d'Alger. Moins d'une heure plus tard, il en ressort méconnaissable, accompagné d'un autre homme beaucoup plus âgé mais sensiblement de même taille. L'un et l'autre sont vêtus comme le sont les Juifs d'Afrique du Nord de l'époque. Seul trait qui les différencie : le plus jeune a le teint clair d'un Européen. Portant chacun un grand sac de toile jeté sur l'épaule, ils se dirigent vers la gare et montent dans un wagon de 3ème classe du train pour Oran.

 

C'est le point de départ d'une aventure de près d'une année pour ces deux hommes qui ne sont autres que Charles de Foucauld, officier français en rupture de ban, et le guide-interprète qu'il s'est choisi en la personne de Mardochée Abi Srour, Juif originaire de Mogador au Maroc (Essaouira aujourd'hui), ancien rabbin devenu commerçant itinérant.

 

 

Bref retour en arrière concernant Charles de Foucauld en cette année 1883 où il est âgé de 25 ans. Après l'école de cavalerie de Saumur où il est lieutenant et où il mène une vie de patachon, son régiment de hussards s'étant transformé en 4ème Chasseurs, il s'est retrouvé en Algérie, à Sétif, dans le Constantinois, où il a fait venir clandestinement une amie, jeune danseuse de l'Opéra, qui se produit chaque soir au petit théâtre de l'endroit. Ils affichent ouvertement leur liaison et les rumeurs courent bon train à leur sujet chez les bourgeois et jusqu'à l’État Major. Convoqué par son colonel qui tente de le raisonner, il se retrouve chez le général qui le somme de renvoyer sa danseuse en Métropole. Mais Foucauld est d'un caractère orgueilleux et n'entend pas se plier à cet ordre l'affaire relevant selon lui de sa seule vie privée. Et il flanque sa démission, sans regret de l'armée, sinon de quitter son ami Laperrine et de n'avoir pu qu'entrevoir le désert.  Après huit mois de vie désœuvrée à Evian, il a déjà la nostalgie de l'Afrique du Nord. Mais il lui faudrait demander sa réintégration. C'est alors qu'un ancien ami lui signale que l'Armée recherche de nouveaux cadres pour l'Algérie et surtout il y a cette révolte qui vient d'éclater en Oranais menée par un certain Bou Amara entré en dissidence avec sa tribu et qu'il s'agit de mâter au plus vite avant qu'elle ne fasse tache d'huile. Il va finalement se retrouver à Aïn Sefra dans le grand sud Oranais, en pleine zone dissidente, où il retrouve son ami Laperrine. Mais une fois la révolte mâtée, le retour au désœuvrement lui est insoutenable et il quitte de nouveau l'armée mais cette fois il a un grand projet en tête.

 

Il se rend directement à Alger pour y rencontrer Oscar Mac Carthy, le directeur de la bibliothèque, à qui il s'ouvre de son projet d'exploration du Maroc où nul Chrétien n'a pu pu encore pénétrer. C'est la Société de Géographie qui lui a recommandé de s'adresser à lui car c'est un conseiller très éclairé sur tout ce qui a trait à l'Afrique.

 

 

Foucauld envisage d'entrer au Maroc par Tanger, descendre sur Fez en suivant le Rif, se diriger vers Marrakech et traverser l'Atlas pour continuer plus au sud jusqu'à l'oued Drâa. De là rejoindre l'Océan Atlantique à Mogador pour revenir sur ses pas et repasser à travers l'Atlas en remontant l'oued Moulouya en direction d' Oujda à la frontière algérienne.

 

Splendide aventure, avait conclu Mac Carthy après avoir suivi du doigt sur la carte, mais en premier lieu se pose à vous la question du déguisement, arabe ou juif, pas d'autre choix, car sous l'aspect européen n'y comptez pas, vous n'iriez pas loin, croyez moi - Alors arabe -  Permettez moi de vous le déconseiller à moins de maitriser parfaitement la langue et de connaitre les coutumes et usages, faute de quoi vous seriez vite démasqué. Est-ce votre cas ? - Non, je ne connais que très peu d'arabe, un peu d'hébreu aussi -  Je vous conseille donc le plus facile : déguisez vous en Juif. Ils sont tolérés au Maroc mais méprisés et personne le plus souvent ne leur adresse la moindre parole. Je me charge si vous le voulez d'améliorer votre hébreu et aussi votre arabe. Mais un "sabir" des deux suffira à ne pas vous trahir mais, bien entendu,  il vous faudra un guide-interprète autochtone qui soit sûr et lié avec vous par contrat et répondant de votre vie, à défaut vous n'iriez pas beaucoup plus loin. Je suppose que le nom de Mardochée Abi Srour ne vous dit rien ? - Non, absolument pas - On a pourtant parlé de lui dans le bulletin de la Société de Géographie car il a été le premier Marocain à entrer à Tombouctou. C'est un de ces rabbins-voyageurs qui colportent de communauté en communauté autant de nouvelles que de marchandises, un de nos correspondants en fait à la Société de Géographie. Vous pourriez voyager de concert avec lui. Si vous arrivez à vous entendre, je ne verrais même pas mieux pour vous. De combien de temps disposez vous pour vos préparatifs ?  - Le temps nécessaire, un an s'il le faut.

 

Foucauld et Mardochée ( מרדכי  Mordechaï en hébreu) se rencontrèrent donc par l'entremise de Mac Carthy et finirent par tomber d'accord, après d'âpres discussions, mais accord scellé, à la vie à la mort, à la manière d'un « zettat » chez les Arabes prenant un étranger sous sa protection et en répondant sur sa vie devant un marabout. Foucault va prendre le nom de Joseph ALEMAN et se faire passer pour un réfugié juif originaire de la région de Moscou d'où il a fui les récentes persécutions.

 

La biographie, pourtant très complète, de Charles de Foucauld par Marguerite Castillon du Perron(1982) ne dit pas grand chose sur Mardoché sinon

 

  ... qu'il trouva en lui le guide qui lui fallait aussi honnête qu'intelligent

  nonobstant les abysses que pouvait receler pour lui l'âme de cet homme.

 

pas plus d'ailleurs que ne l'a fait Foucauld lui même dans sa narration « Reconnaissance au Maroc ». Dans sa correspondance privée il en aurait même parlé en termes péjoratifs, belle ingratitude étant donné que, sans sa présence à ses côtés, il n'aurait jamais pu réaliser cette exploration du Maroc qui fut très éprouvante dans laquelle Mardochée risquait sa vie pour avoir fait entrer un roumi au Maroc s'il avait été découvert et qui acheva d'user le pauvre rabbin qui devait décéder deux ans plus tard à Alger dans l'oubli et la misère, âgé de soixante ans. Ce n'est que tardivement que Charles de Foucauld devait lui rendre l'hommage qu'il méritait.

 

C'est en 1875 que le géographe Henri DUVEYRIER avait révélé l'étonnant voyageur qu'était déjà Mardochée Abi Srour en faisant paraître, traduit de l'hébreu, dans le bulletin de la Société de Géographie, le résumé de son voyage à pieds de Mogador au Djebel Tabayoudt. Ce document intitulé « de Mogador au Djebel Tabayoudt » par le rabbin Mardochée Abi Srour peut d'ailleurs être consulté en ligne sur le site  Gallica  de la BDF.

 

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C'est donc tout à l'honneur de Kebir AMMI que d'avoir retracé dans son livre l'histoire de cet homme extraordinaire que la destinée édifiante de Charles de Foucauld avait injustement éclipsée. A l'époque un proverbe marocain disait qu' « un Juif ne vaut pas la balle pour le tuer », mais, ni la bonne société française voire catholique, ni l'armée, n'avaient beaucoup plus de considération pour les Juifs au fond avec la montée grandissante de l'antisémitisme annonçant l'affaire Dreyfus.

 

 

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22 mars 2011 2 22 /03 /mars /2011 14:13

 

 

Etant jeune j'avais été fasciné par la lecture d'un livre intitulé "Embassadeur des bêtes" dont l'auteur était un Canadien, métis d'Indien Apache, du nom de "Grey Owl " (le hibou gris) qui se faisait le chantre de l'écologisme et de la protection de la nature sauvage, notamment des castors dont l'espèce était en voie d'extinction. Il vivait dans une cabane au milieu du Parc National du Prince Albert (Saskatchewan), y faisant fonction de garde forestier. Ce personnage était inconnu en France à l'époque dont je vous parle, années 1955/60  (bien qu'il ait déjà été traduit en français).

Ce n'est que bien plus tard, il y a cinq/six ans en fait et grâce à Internet que je retrouvai sa trace. Et ce fut pour apprendre que ce "Grey Owl " n'était pas du tout métis d'indien mais pur Anglais, de son vrai nom Archibald Belany, né à Hastings (comté de Kent) en 1888.  Nul n'aurait pu le suspecter d'ailleurs (voir photo ci dessous) et ce n'est qu'

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 après sa mort que sa véritable identité fut révélée.

Né en 1888, la même année qu'un autre anglais, un autre aventurier, Thomas Edward Lawrence qui allait devenir plus connu sous le nom de "Lawrence d'Arabie". Or ces deux hommes eurent deux choses en commun : fuir leur véritable identité dont ils avaient honte, s'assimiler à un autre peuple que le leur mais dans un but différent. Lawrence alors qu'il était encore enfant apprit par une indiscrétion qu'il était, lui et ses quatre frères, enfant illégitime. Archy lui était le premier enfant d'un père qui était un raté, fainéant fieffé, déjà incapable de subvenir aux besoins du ménage. Alors qu'il avait quatre ans, sa mère tomba de nouveau enceinte.  Après la naissance, les parents d'Archy et le bébé partirent vivre aux Etats Unis laissant Archy à la garde de sa grand'mère et de deux tantes. Sa mère revint le voir, épisodiquement mais son père jamais. Il eut une enfance assez triste tout en étant excellent élève à la "grammar school" locale en dehors de laquelle il se réfugiait dans la lecture de livres d'aventures sur les Indiens  d'Amérique du Nord en vogue à l'époque, aimant parcourir la forêt et y construire des cabanes.

Il quitta l'école à seize ans pour travailler dans une menuiserie mais çà ne dura pas bien longtemps, n'ayant qu'une idée en tête : quitter l'Angleterre pour le Canada.  Il finit par obtenir de ses tantes l'autorisation de partir une fois qu'il aurait ses dix sept ans. Il était censé émigrer pour aller travailler dans une ferme canadienne mais, après un bref séjour à Toronto, il alla s'installer dans le nord de l'Ontario pour devenir trappeur, "coureur des bois" comme on disait.  Fasciné par les tribus ojibwés, il apprit leur langue et leurs coutumes et finit par épouser une jeune fille ojibwé, Angèle Egwuna, dont il eut une fille, Agnès.  Comme il avait un véritable don d'observation (excellent tireur également) à l'instar des indiens eux-mêmes, ceux-ci l'avaient surnommé "petite chouette" et, dès lors, il ne se présenta plus que comme "Grey Owl " (hibou gris) se disant fils d'un père écossais et d'une mère apache, né au Mexique d'où il avait émigré pour le Canada. 

Survint la première guerre mondiale. Archy s'engagea dans l'armée canadienne (corps expéditionnaire). Il fut envoyé  avec son unité sur le front belge où il servit comme tireur d'élite.  Déjà blessé une première fois, il le fut une deuxième et cette fois plus sérieusement, ayant eu le pied traversé par une balle. La gangrène s'étant installée, il dut être évacué en Angleterre pour y être soigné. Par ailleurs il avait été gazé et en garda le restant de sa vie une faiblesse au poumon.

Durant son séjour à l'hôpital en Angleterre, il retrouva une amie d'enfance, Constance Holmes, qu'il épousa  sur un coup de tête sans lui dire qu'il était déjà marié avec Angèle mais dont il vivait séparé. Ce deuxième mariage ne devait d'ailleurs pas durer. 

Rapatrié au Canada, il fut libéré de l'armée avec une pension d'invalidité. Son pied bien que guéri continua de le faire souffrir toute sa vie.

Celui qu'on n'appelait plus que "Grey Owl " retourna vivre dans le nord de l'Ontario où il reprit sa vie de trappeur  aculturé en quelque sorte, ojibwé d'adoption, ayant occasionnellement maille à partir avec la justice sous l'effet grandissant de l'alcool qui allait devenir son problème.  Il rencontra une jeune métisse d'Iroquois, Anahareo, de la tribu Mohawck, qu'il épousa selon le rite et qui devait avoir une grande influence sur lui, l'encourageant à abandonner son métier de trappeur par respect pour les animaux et à publier ce qu'il écrivait sur la vie sauvage. Un jour qu'ils étaient partis ensemble en forêt et qu'Archy avait piégé et tué une mère castor, Anahareo avait entendu de petits cris provenant des deux bébés castors auxquels il aurait fait subir le même sort si elle ne l'avait supplié, les larmes aux yeux, de les épargner. Ce fut le déclic qui réveilla en lui la tendresse qui dort dans le coeur de l'être humain comme il devait l'écrire plus tard. Adoptés, les deux petits castors devaient grandir en pleine intimité avec eux deux dans leur cabane baptisée dès lors "beaver lodge".

 

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De ce moment Archy, alias Grey Owl, devint farouche défenseur des castors en voie d'extinction à force d'être piégés, et de la Nature sauvage en général, écologiste avant la lettre en somme. A l'instar de ses amis indiens, il allait répétant que la Nature ne nous appartient pas mais que c'est à Elle que nous appartenons. Que si l'homme veut être accepté par les hôtes de la Grande Forêt  (certains fort dangereux au demeurant) il doit bannir de son comportement toute action hostile et, comme eux, ne verser le sang  que par nécessité de se nourrir (éventuellement de se défendre). Tel, en substance, était son crédo. Il commença à écrire pour la revue anglaise Country Life et s'attaqua à un manuscrit qui allait devenir son premier livre : "Men of the Last Frontier" qui parut en 1931 et qui connut un grand succès au Canada. Le Commissaire des Parcs proposa à Grey Owl d'assurer l'intendance des animaux du Parc National du Mont Riding dans le Manitoba, puis au Parc National du Prince Albert en Saskatchewan.

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En 1937/38, à la demande de son éditeur, Grey Owl entreprit une tournée de conférences au Canada puis aux Etats Unis et en Angleterre, faisant la promotion de ses deux autres  livres : "Pilgrims of the Wild"  et  "Tales of the empty cabin" popularisant ses idées sur la protection de la Nature.

Ces conférences lui donnèrent la hantise qu'on ne découvre sa véritable identité, surtout en Angleterre où il fut invité par le roi Georges VI à donner une conférence à la Cour et en présence des deux princesses, Elizabeth (future reine) et Margaret.  Il était séparée de Anahareo depuis quelque temps ayant eu avec elle une fille du nom de Dawn, quand il fit la connaissance d'une franco-canadienne, Yvonne Périer, qu'il épousa.  Elle prit le surnom de "silver moon" et fut sa secrétaire en quelque sorte. 

Ces nombreuses tournées à l'étranger s'avérèrent  très éprouvantes  et finalement néfastes pour lui habitué à mener la vie rude mais saine  de la forêt. Sans doute exagérément adulé, il se laissa entrainer par les "méfaits" de cette civilisation qu'il avait voulu fuir, d'autant plus qu'il avait déjà un problème d'alcool ; et puis, cette frousse permanente d'être démasqué.
Après une dernière tournée aux Etats Unis en 1938, il rentra à "beaver lodge" où il voulut rester seul. Cinq jours plus tard il fut retrouvé inconscient sur le sol de sa cabane. Transporté à l'hopital il y mourut rapidement de pneumonie. Il avait cinquante ans.

Il fut inhumé auprès de sa cabane. Anahareo et leur fille Dawn devaient l'y rejoindre beaucoup plus tard.

Bien qu'elle ne l'ait pas revu depuis longtemps, sa première épouse, Angèle, parvint à établir la preuve de leur mariage et c'est elle qui hérita de la majorité des biens qu'il laissait.


Certes, je fus très surpris d'apprendre la v23973_32.pngér ité sur Grey Owl mais sans que celà n'entame  le moins du monde toute l'admiration que j'avais gardé pour lui pendant tant d'années. Il fut un homme formidable, ayant compris mieux qu'aucun Blanc l' "âme de la forêt" qu'il voulut défendre contre les aggresions de la civilisation, sa surexploitation. Qu'importe cet aspect de sa vie, il fut un pionnier  dans ce domaine qu'on n'appelait pas encore écologie et tout autant un remarquable observateur et conteur de la vie animale et du "Wild" canadien. 

 



     




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6 juin 2010 7 06 /06 /juin /2010 12:01

 

  1. Notes de lecture En 2008 a été édité chez  France loisirs « J'étais médecin dans les tranchées » souvenirs de guerre de Louis MAUFRAIS, à l'initiative de sa petite-fille. Comme cela s'est produit dans tant de foyers lorsqu'il s'est agi de « débarrasser » la maison familiale des vieilleries entassées, c'est dans des boites à chaussures recouvertes de poussière qu'elle a retrouvé les cahiers du journal tenu par son grand-père sur le front, les nombreuses photographies annotées qu'il avait pu prendre ainsi que des cassettes enregistrées par lui-même car sur la fin de sa vie il était devenu presque aveugle. Or je viens de lire ce livre que Denis m'a offert. C'est un témoignage poignant et assez unique me semble-t'il car rares ont été à parler de « leur » guerre ceux qui opérèrent comme médecin, infirmiers, brancardiers. A mon avis cette « réserve » tient au fait qu'ils n'étaient pas engagés de la même façon dans le combat, tout en étant exposés comme les autres aux bombardements, mitraillages, grenadages, gaz, mais leur « participation » n'en fut pas moins valeureuse s'agissant de sauver des vies humaines autant qu'ils leur était possible. Et puis, inévitablement, ce livre m'a ramené au recueil de la correspondance de guerre de mon père car j'y ai retrouvé des noms de lieux où ils se trouvèrent l'un et l'autre, je cite en particulier : Suippes et Tahure dans la Marne au cours de la bataille de Champagne (Sept 1915) mené par CASTELNAU, Berri-au-Bac (Marne) lors de la bataille de l'Aisne mené par NIVELLE du 16 Avril au 15 Mai 1917, d'autres secteurs encore (hormis Verdun). Originaire de Dol-de-Bretagne, Louis MAUFRAIS préparait l'internat de médecine tout en étant externe à la maternité de l'hôpital Saint Louis à Paris quand il fut mobilisé en Août 14. Il avait 24 ans. Médecin auxiliaire au 94ème Régiment d'infanterie puis au 40ème Régiment d'artillerie, il fut de tous les secteurs les plus durs (Verdun compris). Il devait s'en sortir indemne pourtant, à part une forte commotion dû à l'éclatement d'une bombe ayant soufflé leur poste de secours. Dur expérience pour un étudiant en médecine confronté à ces corps broyés, mutilés, éclatés pour lesquels on ne pouvait rien, pour les moins atteints en être réduit le plus souvent à tenter le tout pour le tout faute de moyens suffisants, mais aussi être témoin plus rarement de l'incroyable capacité à survivre de l'être humain, souvent contre toute attente. Louis MAUFRAIS était un passionné de photographie et son livre est illustré de quelques unes des nombreuses photos qu'il prit sur le front ce qui est un fait rare car c'était strictement interdit. La dernière fut celle du défilé de la victoire le 14 Juillet 1919 depuis le toit de son ambulance à l'angle des Champs Elysées et de la rue Bassano où l'on voit chevaucher les maréchaux JOFFRE et FOCH. A ses moments de repos il tenait un journal sur de petits cahiers racontant leurs souffrances, le cruel manque d'hygiène ce qui est peu dire, le découragement, l'absurde, mais aussi l'amitié réconfortante, les rigolades et le côté burlesque de certaines situations, même là bas. Ces deux choses : la photo et son journal furent certainement pour beaucoup dans l'équilibre nerveux qu'il put garder au long de la campagne. Il fut démobilisé en Juillet 1919, cité plusieurs fois à l'ordre de son régiment, médaillé de la croix de guerre. Il reprit ses études, à près de 30 ans, se sentant vieux parmi les étudiants, ayant évidemment beaucoup perdu. Il renonça finalement à passer l'internat pour aller s'installer médecin généraliste à Saint Mandé. Pendant l'entre-deux-guerre, Louis MAUFRAIS restait cependant pessimiste pour l'avenir de la paix. Il avait une raison pour çà : il n'avait pas oublié les paroles d'un officier allemand qu'il avait soigné en 18 quand, à sa demande, il lui avait lu les clauses de l'Armistice. Dans un français parfait il lui avait dit : Je suis désolé de vous dire que nous avons gagné la guerre. Pas pour le présent, bien sûr, mais tout au moins pour les années à venir. A cause de l'Autriche, de son démembrement quasi total au profit de pays secondaires, peu viables, déjà menacés. L'Autriche n'aura d'autres ressources que de s'allier à nous. Ce que nous appelons l' « Anschluss » ... la suite... ce fut Hitler. Bien évidemment, au travers du témoignage de Louis MAUFRAIS c'est un hommage rendu à tous ceux du service de santé, les brancardiers n'étant pas des moindres, allant sous le feu récupérer les blessés, autre forme d'« assaut » je dirais, s'agissant d'arracher à la Mort omniprésente ceux qu'elles tenaient déjà dans ses griffes. Tous ceux qui ont témoigné, que ce soit de simples poilus dans leur correspondance, des écrivains ou poètes connus (Dorgelès, Barbusse, Siegfried Sassoon, ...), des religieux comme Pierre Teilhard de Chardin brancardier volontaire durant toute la guerre au 8ème Régiment de Tirailleurs marocains dans ses lettres à sa cousine Marguerite Chambon, tous, avec leurs mots, l'ont fait pour que les autres sachent, les plus jeunes et les générations futures, et que nous n'oublions jamais leur sacrifice pour notre liberté. Un hasard funeste voulut que Louis en rentrant chez lui ne revit ni sa grand-mère ni sa sœur, toutes deux emportées par la grippe espagnole qui fit de par le monde autant de victimes que la guerre elle-même.

  2. Dans la foulée de cette lecture, quelques considérations sur : la chirurgie militaire. Les guerres disons « classiques » étaient terriblement meurtrières dans les corps-à-corps, les charges de cavalerie, par les jets de flèches et les traits d'arbalètes, puis par l'apparition des armes à feu. De vraies boucheries sans qu'il soit besoin d'en rajouter dans l'hémoglobine comme dans certains films genre Mel Gibson. On ne peut concevoir un « service de santé » sur les champs de bataille au Moyen Age par exemple. Les blessés les moins atteints avaient une chance de s'en sortir, à la rigueur certains amputés. Ce qui ne veut pas dire que la chirurgie n'existait pas en ce temps là, on pourrait même dire que la guerre fut pour elle un grand champ d'expérience. Ambroise Paré images-copie-2est généralement considéré comme instaurateur de la chirurgie moderne mais le véritable père fondateur de la chirurgie fut Abulcassis (Abu-al-Qasim)923-926f3.jpg

  3. d'origine marocaine né près de Cordoue vers 940. Et là on constate quelque chose de surprenant : alors que l'Orient connaissait une période favorable aux développements (notamment) de la médecine enseignée dans les vieilles universités arabes comme Damas, Bagdad, le Caire, Ispahan, où les progrès réalisés en médecine et chirurgie étaient étonnants, l'Europe chrétienne elle stagnait dans son ignorance en la matière... Il faudra attendre la découverte de l'imprimerie pour que s'y fasse la diffusion des connaissances au travers de traductions en latin. Ainsi d'Abulcassis, médecin à la cour du calife Al Hakam II à l'ère de l' « Andaluz », dont le « Kitab al Tasrif » (le livre de la pratique) ne fut traduit qu'au XIIème siècle pour devenir la référence médicale principale et le rester pendant plusieurs siècles. Évènement important sous Louis IX (Saint Louis) : la mise en place de la  Confrérie des Saints Côme et Damien , première association professionnelle de chirurgiens en France. Jusque là la profession se confondait avec celle de barbier, métier manuelle n'exigeant pas de connaissance particulière, à l'encontre de celle de médecin. Sous la Renaissance on attribua à Ambroise Paré grande figure au demeurant la ligature des artères mais celle-ci avait déjà été décrite avec précision (et testée) dans le livre d'Abulcassis, il n'avait fait que la généraliser en remplacement de la cautérisation. Sous Louis XV l'Académie royale de chirurgie sera créée à Paris et sera établie une égalité hiérarchique entre médecins et chirurgiens. Suite à la suppression de cette Académie sous la Révolution furent créées deux écoles destinées à former des officiers de santé devant devenir rapidement opérationnels. L'un d'eux, Dominique-Jean LARREY,250px-Anne-Louis Girodet-Trioson 005 devait marquer son époque en devenant chirurgien en chef des armées de Napoléon. Né dans les Hautes-Pyrénées d'un père cordonnier, orphelin à treize ans, il fut élevé par un oncle chirurgien qui le prit en apprentissage puis lui fit étudier la médecine à Paris. En 1792, à 26 ans, il entra dans l'armée du Rhin comme chirurgien aide-major début d'une carrière qui devait le mener sur tous les champs de bataille de l'épopée napoléonienne. Il fut nommé baron d'Empire sur le champ de bataille de Wagram. Blessé à Waterloo et fait prisonnier par les Prussiens, il fut relâché sur ordre de Blücher dont il avait soigné le fils. LARREY fut un chirurgien remarquable pour sa dextérité, son humanité et son sens de l'organisation, apportant aussi de notables innovations. Il fut même surnommé « la Providence du soldat  ». Il a laissé « Mémoires de chirurgie militaire et de campagnes ». Las Cases, mémorialiste de l' Empereur, a écrit sur lui ceci «  Larrey avait laissé dans mon esprit l'idée d'un véritable homme de bien ; à la science il joignait au dernier degré toute la vertu d'une philanthropie effective. Tous les blessés étaient de sa famille ; il n'était plus pour lui aucune considération dès qu'il s'agissait. de ses hôpitaux. C'est en grande partie à Larrey que l'humanité doit l'heureuse révolution qu'a éprouvée la chirurgie. Larrey a toute mon estime et toute ma reconnaissance. »

  4.  

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