La Réunion du début à la fin
Il y a trois millions d’années, à l’époque de « Lucy », l’île de la Réunion surgissait de l’océan sous la forme d’un volcan.
L’île Maurice (la grande sœur !) était déjà née depuis cinq millions d’années
mais pas encore l’île Rodrigues, troisième et plus petite des « Mascareignes », dont la naissance ne remonte qu’à environ un million et demi d’années. L’activité du plancher
océanique, à plus de 4.000 mètres de profondeur, avait déjà commencé en fait depuis dix millions d’années. Le Piton des Neiges correspond au vestige le plus élevé de ce qu’il reste de
l’effondrement du cratère originel. Le Piton de la Fournaise (toujours actif) remonte à 530.000 années seulement, né lui d’un mouvement de la
plaque tectonique ayant entrainé un déplacement de la cheminée magmatique. Comme le Piton des Neiges s’est éteint il n’y a que 15.000 ans, les deux « bouches à
feu » ont donc fonctionné longtemps ensemble.
Voici pour la phase
géologique.
Passons maintenant à la phase biologique.
La colonisation des laves refroidies par les premières
fougères (après les lichens et les mousses) remonte à deux millions d’années. La végétation, déjà établie dans l’île voisine de Madagascar détachée de l’Afrique lors de la dérive sismique,
s’est étendue et diversifiée pour environ 8% à partir de semences venues par mer, 30% apportées par le vent et 50% par l’intervention d’animaux (oiseaux de mer et migrateurs). Si elle est
devenue extrêmement riche, la faune en revanche est restée pauvre, certaines espèces « comestibles » comme le solitaire de Bourbon, le dronte ou dodo, les grosses tortues de terre
ayant même totalement disparues.
Phase de découverte et de peuplement.
Les premiers à avoir abordé les côtes de la Réunion
comme des deux autres îles formant les Mascareignes ont été des marchands arabes et ce dès le VIème siècle. Leur premier nom sur les premières
cartes (portulans) ont été des noms arabes : Dina Arobi (île Maurice), Dina
Moghrabim (île de l’Ouest, donc la Réunion) et Dina Moraz (île de l’Est, donc Rodrigues). Pas d’implantation mais simples lieux d’approvisionnement en eau douce et en fruits, voire en gibier à plumes,
ce que l’on appela plus tard les « rafraichissements ».
En 1500, l’un des navires du Portugais Alvares Cabral commandé par Diego Dias séparé de la flotte par une tempête après avoir doublé le Cap de Bonne Espérance découvre par hasard la
grande île de Madagascar qui recevra pour premier nom celui du saint du jour : Saint Laurent. Pero Mascarenhas aurait
reconnu les trois îles vers 1520, laissant son nom à l’archipel, mais elles furent très certainement découvertes avant par d’autres marins portugais. Ainsi de la Réunion (et
peut être aussi de l’île Maurice) par le pilote Diego Fernandez Pereira navigant sur la « Cirné » qui fut le premier
nom de l’île Maurice, celui de Santa Apollonia (du nom de la sainte du jour) ayant été donné à la Réunion. Quant à la troisième
Mascareignes, elle reçut le nom du pilote Diogo Rodrigues.
1638, première prise de possession par la France de l’île « Mascareigne » (précédemment
nommée Santa Apollonia alias la Réunion) par François Cauche commandant le « Saint Alexis » au nom du roi Louis XIV.
1646, douze mutins sont déposés sans rien sur ordre du
gouverneur de Madagascar de Pronis dans l’île Mascareigne. Trois ans après sur ordre du nouveau gouverneur de Flacourt, ils sont ramenés en parfaite santé à Fort Dauphin. Preuve est
faite qu’on y peut vivre fort bien avec ce qu’on y trouve. De Flacourt voit tout l’intérêt de cette île « adjacente » et envoie le
« Saint Laurent », capitaine Roger Le Bourg, en faire une deuxième prise de possession et y déposer les armes du roi en
la nommant « île Bourbon » nom qui lui restera jusqu’en 1793. Mais en attendant elle reste déserte.
1654, huit ans après les mutins de Fort Dauphin, quatorze hommes sont débarqués sur l’île avec à
leur tête un autre mauvais sujet du nom d’Antoine Couillard. Mais cette fois on leur laisse plusieurs sacs de graines diverses
ainsi que cinq vaches pleines et un petit taureau. Trois ans et demi après, ayant exploré toute l’île, ils rentrent à Madagascar avec une
information importante : tout pousse sur l’île, à condition de se protéger de l’ouragan. Mais l’occupation définitive de l’île Bourbon se fait
toujours attendre.
1663, un nommé Louis Payen
originaire de Vitry le François (Marne) et son compatriote Pierre Pau se portent volontaires pour aller à l’île Bourbon
accompagné de dix Malgaches, sept hommes et trois femmes qui seront les premières à mettre pied sur l’île et à y faire souche. Cette fois on peut parler d’une première occupation définitive.
Deux ans plus tard le « Taureau » fait relâche à l’île Bourbon, dans la baie de Saint Paul (dite du bon ancrage). Les hommes descendus à
terre ne retrouvent que les deux Français dont les cultures semblent en effet tout à fait prospères. Ils ont même pu ravitailler un navire
anglais. Pas trace des Malgaches partis « marrons » dans la montagne. Deux versions
diffèrent quant aux raisons de la mésentente : Première version : ce serait suite à un complot contre les deux Français mais que ceux-ci auraient éventé. Les Malgaches se seraient
alors enfuis pour se mettre hors de portée de leurs fusils. Deuxième version : ce serait à cause des deux négresses que les Français auraient
emmenées avec eux, l’une d’elle fort belle, ayant fait l’objet d’une querelle avec les Malgaches célibataires. Payen ne fera pas souche à
Bourbon. Il quittera l’île pour Madagascar avant de rentrer en France pour se retirer dans son pays natal ayant perdu tous ses biens lors de la
prise par les Anglais du navire qui le ramenait. On ne sait ce qu’est devenu son compagnon. Quant aux
« marrons », on envoya une escouade dans la montagne à leur recherche, sans succès. Mais de petites plantations disséminées ici et là et quelques huttes attestaient de leur présence.
Par la suite ils acceptèrent de redescendre sur parole qu’ils ne seraient pas punis. Eux sont restés dans l’île et les couples ont fait souche. Les
premiers enfants nés à Bourbon étaient donc incontestablement des Malgaches de pure race.
1664, naissance de la Compagnie des Indes
Orientales de Colbert. Les armoiries (écusson rond, d’azur chargé d’une fleur de lys d’or, portant de chaque côté une branche de palme et une d’olivier avec en listel la devise
« florebo quocumque ferar » (je fleurirai partout où je serai porté) qui deviendra celle de la Réunion. La Compagnie s’intéresse
particulièrement à la grande île de Madagascar mais ne néglige pas pour autant l’île Bourbon où débarquent l’année suivante (1665) Estienne Regnault un commis de la Compagnie accompagné d’un négociant du nom de Baudry et d’une vingtaine d’hommes. A cette petite communauté viennent s’ajouter les sept hommes
et trois femmes d’origine malgache laissés par Louis Payen et leur descendance. Estienne Regnault était parisien, d’abord employé aux écritures puis nommé commis et embarqué sur la première
flotte à destination de Madagascar. Il a laissé le souvenir d’un excellent administrateur, évitant les conflits humains, laissant un mémoire
complet sur la situation de l’île lors de son départ, six ans après. C’est en 1965 également que débarquèrent les premières Françaises, jeunes filles et jeunes femmes, de deux navires ayant
mouillé en rade de Saint Paul mais contraints de s’en éloigner en catastrophe par l’arrivée d’une terrible tempête sans avoir eu le temps de récupérer tous ses passagers. Et au cours de ce
séjour forcé certaines trouvèrent mari et finalement restèrent.
De 1667 à 1669, Estienne Regnault va étendre la petite colonie de Saint Paul vers
le Nord puis l’Est sur le bord de la Rivière Sainte Suzanne. Le peuplement de l’île a véritablement commencé. A noter qu’à cette époque l’esclavage
ne sévit pas sur l’île ; cela ne sera qu’à partir de 1680 environ, conséquence même de son
développement économique nécessitant davantage de main d’œuvre. (L’abolition n’interviendra que le 20 Décembre 1848 à laquelle succèdera l’ « engagisme » indien).
En 1946, au lendemain de la seconde guerre mondiale qu’elle vécut durement en raison de la coupure
des communications avec la lointaine Patrie, la Réunion et les trois autres « vieilles colonies » de la Martinique,
Guadeloupe et Guyane française, devenaient départements français d’outre-mer ce qui allait marquer un tournant décisif dans leur jeune histoire de trois siècles.
De fait depuis ces cinquante dernières années, la Réunion est entrée de pleins pieds dans le
modernisme, le développement démographique et économique faisant d’elle un pays riche en comparaison de beaucoup d’autres de la zone, présentée même comme une « vitrine » de l’Océan
Indien. Croissance qui ne va pas sans risques au demeurant : sur un territoire au ¾ montagneux les zones urbanisées et industrialisées
grignotent inexorablement les terres agricoles sous cannes et compromettent l’avenir de la filière sucre en tant que première activité exportatrice de l’île. Le cœur de l’île de par sa nature
escarpée, chaotique, au sol instable, n’est pas susceptible d’être davantage peuplé qu’il ne l’est actuellement (rares îlets), classé en revanche Parc National, peut être même bientôt au
Patrimoine Mondial. Quand les prévisionnistes nous parlent du million d’habitants avant 2020, c’est toute la zone « annulaire » de l’île (à l’exception de celle du « Grand
brûlé ») qui supportera cette densification de la population. Faut-il vraiment s’en réjouir alors que nous connaissons déjà de gros problèmes de chômage par la régression du secteur
agricole, l’insuffisance de débouchés dans le secteur secondaire, les limites du tertiaire, les effets pervers d’une politique d’assistanat social pro nataliste (où certains y trouvent leur
compte davantage qu’à travailler ), les problèmes de circulation avec une croissance démentielle du parc automobile mobilisant des sommes considérables pour la construction d’axes routiers
impressionnants, les phénomènes grandissants de « banlieue » voire de « ghettoïsation » dûs au désœuvrement de trop de jeunes et moins jeunes et d’une émigration
comorienne insuffisamment contrôlée, une discontinuité territoriale qui s’accentue par la hausse des carburants et donc du fret maritime et aérien. Tout cela n’est pas à nier et fait que la
Réunion vit une tranquillité somme toute fragile, assise qu’elle est, peut être, sur un autre volcan ayant nom « explosion sociale » et dont l’éruption pourrait la faire régresser
tout aussi rapidement ...
Nous sommes en revanche plus assurés du « grand
avenir » de la Réunion qui lui est scellé. D’ici plusieurs millions d’années l’île qui insensiblement mais inexorablement s’enfonce sous son propre poids dans le plancher océanique finira
par devenir un simple atoll, puis un haut fond, avant de se diluer totalement dans les profondeurs marines à la suite des deux autres Mascareignes.
Retour à l’origine.
Et pour ramener à ses justes proportions, autrement dit insignifiantes, cette histoire
« géologique », faut-il rappeler que: