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23 mars 2010 2 23 /03 /mars /2010 17:13

 

 

 

 

Mercredi 5 Juin -

Cette journée et celle de demain je les ai réservées pour la visite de quelques uns des très nombreux musées de Lima, tous plus intéressants les uns que les autres.

Pour commencer, je me rends à pieds dans le lointain quartier résidentiel de Pueblo libre pour visiter la célèbre Collection Raphaël Larco. Dans une belle villa coloniale de l'Avenida Bolivar se trouve réunie une impressionnante collection de poteries (plusieurs milliers) de la période Mochica. Tous les sujets familiers, la flore, la faune, les maladies, l'érotisme, la religion, les métiers, absolument tous les sujets sont illustrés dans ces poteries le plus souvent de petite taille.

vase mochica

180px-Vasija mochica noble (M. América Inv.1424) 01

Véritable histoire de la civilisation Mochica racontée par la poterie (comme en son temps Balzac par le roman dans la « Comédie humaine »). Certains vases-portraits sont d'un réalisme saisissant. On peut admirer aussi une belle collection de tissus et de bijoux en or et pierres précieuses.

L'après-midi, visite du Musée d'Archéologie et d'Anthropologie péruviennes, Plaza Bolivar, dans le même quartier de Pueblo libre. Passionnant par ses vastes collections de poteries de toutes les époques, ses monolithes et bas reliefs provenant de Chavin et de Huaraz, ses superbes collections de tissus provenant de la nécropole de Paracas.

péninsule de Paracas (Pisco)

Perou 011 Paracas Cathedrale


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Jeudi 6 Juin -

Je passe la matinée à faire quelques courses en ville et termine par un petit tour dans le vieux quartier de Rimac.

Je vais déjeuner non loin de l'Université San Marcos (Parque universitario). Je m'offre un cebiche, plat de poisson coupé en petits cubes arrosés d'une sauce très piquante à base d' aji (piment rouge) et de citron, avec des oignons et de la salade. Excellent mais... quel feu !

L'après midi se passe au Musée national de culture péruvienne, Avenida Alfonso Ugarte, abritant de nombreux objets d'artisanat des différentes régions du Pérou, « imagineria cusqueña » représentant des scènes d'Evangile, des personnages de saints en plâtre peints de couleurs vives, des processions, croix imagées et retables (crèches) d'Ayacucho ainsi que les célèbres églises miniatures en terre cuite dont les plus belles sont aussi les plus simples, mates burilados (callebasses sculptées) spécialité de la région de Huancayo.

statue de l'Inca Manco Capac (La Victoria, Lima)

Manco Capac Statue Lima La Victoria

Rentrant assez tard à Jose Galvez (la Victoria) je trouve Eduardo couché tout habillé et endormi sur l'un des deux lits de la pièce. Je ne l'attendais pas sinon je serai rentré plus tôt, mais il aura dû trouver une occasion de descendre à Lima pour m'accompagner demain à l'avion. Après cette longue route j'imagine bien qu'il est crevé le pauvre.



Vendredi 7 Juin-

Et voilà, je vis mes dernières heures sur le sol péruvien.

En compagnie d'Eduardo descendu exprès de sa sierra de Huancayo avec sa jeep, nous nous rendons à l'aéroport Jorge Chavez où je débarquai il y a un mois et demi.

Période que j'estime particulièrement bien remplie et selon mon programme, extrêmement riche à plus d'un titre, durant laquelle j'aurais eu tant et tant d'occasions d'émerveillement devant les grandeurs et beautés de la Nature et tout autant devant l'œuvre d'hommes ayant appartenu à des civilisations disparues mais nous ayant laissé un héritage qui a défié le temps et l'oubli.

Me voici prêt à monter dans ce grand oiseau de la civilisation moderne (le Boeing 727 « Sucre ») qui en quinze heures de vol réel m'aura ramené en France.

Sur la terrasse j'aperçois encore Eduardo que je viens de quitter après d'interminables abrazos. Lui ne me voit plus. Bientôt, quand l'avion me fera découvrir une dernière fois, sur notre droite, l'impressionnante Cordillère des Andes, je sentirai déjà monter et s'agiter en moi un flot de souvenirs.

Et vivre c'est aussi se souvenir.



FIN.

Egly (Essonne) 1968

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20 mars 2010 6 20 /03 /mars /2010 16:51

Raimondi Stela (Chavin de Huantar)



Mardi 28 Mai -

A 2H du mat je suis réveillé par un coup de sonnette. Pas en retard le maestro ! Je me précipite à la porte que j'entr'ouvre et tombe nez à nez avec un gazier à mine plutôt patibulaire et avec un bandeau sur l'œil gauche. Il s'agit bien de mon taxi (avec un chauffeur borgne donc !...) En trois minutes je suis prêt et referme doucement la porte derrière moi. Dans la grosse Ford, très ancien modèle, qui stationne en face il y a déjà deux hommes et une femme enveloppés dans leur couverture. Après avoir pris dans un autre quartier trois autres passagers dont une vieille femme avec une petite fille endormie, nous nous lançons sur la Panaméricaine, cap au nord. Comme il n'y a rien à voir (nuit + brouillard) autant essayer d'imiter les autres passagers. Et je m'assoupis. Pendant ce temps nous avons dû passer devant la forteresse de Paramonga (mais je la verrai au retour, de jour) Voici une agglomération qui porte le nom de Chasqui Tambo (ce qui signifie « relai des messagers à pieds » tel qu'en utilisaient les incas pour transmettre les nouvelles et les messages). Le jour se lève alors que nous avons déjà quitté la côte pour nous enfoncer dans les montagnes en direction de Huaraz. Arrêt involontaire dû à une crevaison, incident banal au demeurant. Le ciel a pris une couleur orangé. La montagne que nous traversons sur une piste poussiérieuse relève encore du désert côtier : rocheuse et aride avec des buissons de cactées. De jeunes bergers passent en poussant leur troupeau de chèvres. Ils vont pieds nus dans leur poncho bariolé, le chullo sur la tête. L'un d'eux souffle dans une petite flute de roseau. Eglogue péruvienne !

Nous repartons pour entrer bientôt dans le Callejon de Huaylas qui nous réserve de superbes panoramas montagnards. Nous rencontrons des campesinos à cheval et barbus. Ce sont des métis, les indiens purs sont glabres. Il a gelé ici durant la nuit, la glace achève de fondre dans les flaques. Nous découvrons bientôt, à un détour de la piste, la Cordillera Real (cordillère royale) aux sommets immaculés dominé par le nevado Huascaran point culminant des Andes péruviennes. A Recuay, nous arrivons à l'intersection avec la route de Chavin. Huaraz n'est plus qu'à trente kilomètres de mauvaise piste. Nous y sommes vers les onze heures. C'est une pittoresque localité

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aux rues étroites et pavées, aux maisons blanches à toit rouge dont certaines ont gardé le style colonial. Alentour c'est un paysage alpestre pour ainsi dire. La verdure, les cimes enneigées de la cordillère, le ciel presque sans nuages. A quelque 3000 mètres d'altitude on respire ici à pleins poumons un air d'une pureté remarquable. Je vais déposer mon sac à l'hôtel Commercio, non loin de la Place d'armes. L'habitation est certes pittoresque mais très inconfortable et de plus très sale. Je suis reçu assez fraichement par un cholo assis près d'un véritable oratoire à la Vierge entouré de bougies allumées, en habit noir (en deuil ?) Mais d'emblée je n'ai pas aimé son regard sournois. Je lui loue la chambre pour deux nuits car demain je vais à Chavin. Je ressors quelques minutes plus tard et me voici dans la rue encombrée de marchandes indiennes assises au bord du trottoir, d'indiens en poncho marron et d'écoliers en costume. Je vais manger une tortilla de huevos (omelette) dans un petit restaurant de la place et traine un peu en sirotant mon thé. Un petit limpiabota (cireur) vient me solliciter. Je lui fais comprendre que mes chaussures (type safari)ne se cirent pas mais il me propose de les nettoyer à l'essence. Je le remercie mais préfère qu'il aille me chercher un journal, il gardera la monnaie. Une minute plus tard il est de retour avec le canard. Après tout il aurait pu filer avec l'argent et je ne lui en aurait pas voulu. Le petit m'est sympathique et je lui demande s'il a mangé. Non. Alors qu'est-ce qu'il veut, c'est moi qui régale. Ce que j'ai mangé moi. Bon, va pour une tortilla. Je lui dis que contrairement à ce qu'il pense je ne suis pas un yankee, ni du Peace Corps mais un français, simple voyageur.

En attendant l'heure d'ouverture de l'officine des collectivos, je gravis une colline derrière la ville jusqu'à un calvaire pour avoir une vue panoramique. Le Huascaran (6800m) cache son front altier sous un coussin de nuages cotonneux. Je remarque de petits champs de blé montagnard. L'endroit me plait mais je dois redescendre vers la ville mettre au point la question transport pour Chavin. J'apprends qu'il est impossible de faire l'aller-retour dans la journée, la route est trop longue (près de 100 Kms aller) et surtout difficile. Un car part demain vers dix heures seulement. Le préposé à qui j'ai à faire est un petit homme claudiquant, très sympathique avec qui je prolonge un peu la conversation. Les cimes blanches commencent à se teinter de rose tandis que l'ombre envahit la petite ville. J'y ai remarqué la présence au coin des rues de policiers, ou militaires, casqués et armés (matraque, pistolet, pistolet-mitrailleur). J'en aurai l'explication le lendemain. Il y a un mois ont eu lieu ici des grèves avec manifestations d'ouvriers. La police est intervenue, à tiré même. Il y a eu trois morts, quelques blessés. Depuis les forces de l'ordre restent sur le pied de guerre.

Je vais dîner dans une gargotte sans grand appétit. Sur la Plaza de Armas la radio publique braille les informations entrecoupées de musique et d'annonces publicitaires. En face, sur les marches de l'église, il y a un aveugle qui joue de la flute en s'accompagnant lui même avec des chullchus (bouts de ferraille qui en s'entrechoquant marquent le rythme). Avant de rentrer à l'hôtel je m'arrête un instant pour l'écouter. Il jouait bien me semblait-il et ce qu'il jouait était triste à fendre l'âme. Le yaravi (air andin) résume toutes les solitudes.

Mercredi 29 Mai -

Huit heures du matin. J'ai bien dormi finalement, sans histoire, malgré l'inconfort. Ce type de l'hôtel ne m'inspirant décidément pas confiance, je m'étais couché hier soir ma veste (où il y a mon portefeuille) roulé sous ma tête et après avoir bloqué la porte (sans serrure) avec la chaise. C'est bien la première fois (et la seule) que j'ai éprouvé ce sentiment de méfiance. J'ai peut être tort et il se pourrait que lui-même éprouve la même chose pour moi.

Dehors le soleil brille radieux et les cimes étincellent. En attendant mon car je marche jusqu'aux énormes blocs de rochers marquant encore l'emplacement de la terrible avalasse de Décembre 1941 ayant fait six mille morts emportant une partie de la ville. Non loin de là,en contrebas, coule le rio Santa. Le sommet du Huascaran est complètement dégagé ainsi que les sommets voisins du Huandoy et du San Cristobal.

Aux environs de Huaraz se trouvent des mines d'argent et de charbon. La station thermale de Chancos se trouve à trois kilomètres.

Le car démarre à onze heures. A Recuay (28 Kms de Huaraz) nous nous arrêtons devant une posada pour déjeuner. Pas grand appétit et me contente d'une assiettée de soupe fumante.

Un peu après Recuay nous arivons au desvio, à l'embranchement de la piste de Chavin et de la vallée de Huari. Nous traversons le rio Santa sur un pont de bois puis commençons à monter, traversant à gué et à plusieurs reprises des ruisseaux actuellement en basses eaux. La route de Chavin est souvent rendue impraticable par les pluies et les éboulis. Vu d'en haut Recuay révèle la présence des minéraux qui y sont exploités. Ce sont des déblais de terre renfermant de l'argent, du cuivre, du tungstène. Nous nous élevons à travers une pampa désolée sans âme qui vive. Arrivés au bord de la laguna de Querococho, joli petit lac aux eaux bleu sombre, nous sommes au pied d'un névado à pic de 5260 mètres, le Yanamarey. C'est à pa rtir de là que la route devient réellement difficile. En virages serrés nous nous élevons à travers d'énormes blocs rocheux. A plusieurs reprises le chauffeur doit s'y reprendre à deux, voire trois fois dans un virage en épingle à cheveu et il nous faut fréquemment dégager la route de grosses pierres risquant d'endommager les pneus ou le véhicule. Nous ne rencontrons que de rares troupeaux et quelques huttes de montagnards faites de pierres et de chaume. Nous croisons un homme à cheval drapé dans son poncho couleur tabac, le chapeau bas sur les yeux, puis un taxi qui nous oblige à une manœuvre.

A 71 Kms de Huaraz nous sommes arrivés à l'entrée du tunnel de Cahuish percé en 1927 pour permettre l'accès à la vallée du Huari. Nous sommes au niveau des glaces, à plus de quatre mille mètres. Long de 400 mètres et de tracé rectiligne, il est extrêmement humide, le plafond hérissé de stalactites givrées. Le sol est complètement défoncé et nous avançons au pas, tombant dans des ornières pleine d'eau jusqu'à mi-roue. Faut-il que notre vieille caisse soit solide ! Cahotant, versant d'un bord sur l'autre, nous retrouvons enfin le jour pour déboucher brusquement sur une fantastique vallée qui m'arrache presque un cri d'admiration. Le versant que nous descendons maintenant dans l'ombre du Yanamarey

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est ruisselant d'eaux vives tandis que l'autre en face est éclairé par le soleil. Nous rencontrons des bandes de chevaux à demi-sauvages.

Arrivés au fond de la vallée nous rejoignons la rivière que nous suivions en corniche et la longeons jusqu'à Chavin. Nous passons devant le castillo où je reviendrai plus tard, nous franchissons le rio sur un pont de bois pour entrer dans le bourg triste et misérable de Chavin de Huantar.

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Les campesinos commencent à rentrer des champs et la rue mal pavée est envahie par les troupeaux de chèvres, de moutons, accompagnés d'indiens à pieds ou menant un mulet par la bride. Je descend à l'hôtel du Condor, le seul et unique. Il s'agit en réalité d'une grande habitation assez délabrée dont les occupants ont ménagé une grande chambre pour les « visiteurs ». Je paye à la chola le prix de ma nuit, 20 soles soit environ 2,50 Frs et vais déposer mon sac. L'après midi est trop avancé pour entreprendre grand'chose mais je vais quand même faire une première visite aux ruines avant la nuit. En quittant la cour de la posada, je tombe nez à nez sur un pauvre bougre en loques et idiot. Il me dévisage d'abord de ses yeux fous en poussant des grognements puis se jette à mes pieds, joignant les mains, s'inclinant jusqu'à terre ...

Les ruines de Chavin se trouvent juste à l'entrée du village, non loin du rio. De là se remarque l'énorme quebrada ouverte par une avalanche en 1944. Le village primitif fut complètement détruit et a été reconstruit un peu plus loin.

Chavin, à 3695 m d'altitude, est peuplé essentiellement d'indiens vivant chichement de l'élevage et de leurs petits champs de papas, blé, avoine. C'est aussi l'emplacement d'un haut lieu religieux, le plus ancien peut-être de l'Amérique du Sud. La civilisation dite de Chavin date probablement du premier millénaire avant notre ère.

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Le temple de Chavin est appelé Castillo. Utilisant un tertre, il présente sur un côté des murailles assez élevées et massives, de l'autre une pente en gradins. Des entrées de souterrains ou de tunnels s'ouvrent un peu partout sur le tertre. L'un d'eaux permet d'accéder aux curieuses salles hypogées où se trouvent les sculptures étonnantes de l'art Chavin : succession de têtes de pierre stylisées (mi homme mi jaguar)

secciones chavin

et, à l'intersection de deux galeries, le lanzon, énorme pilier entièrement sculpté d'effigies d'un style rappelant les dragons chinois.

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La façade du temple comporte deux colonnes massives, rondes, finement décorées de curieux dragons, mi félins mi oiseaux, des bas-reliefs ornés de têtes de jaguar stylisées.

Tout autour du Castillo, des fouilles ont été entreprises et ont permis de mettre à jour d'intéressantes stèles.

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Dans l'art de Chavin tout est griffes de condors, crocs de jaguars, oeils, ombilics se terminant en tête de serpent.

Raimondi Stela (Chavin de Huantar)

La répétition de ces motifs laisse supposer que le temple de Chavin était dédié aux forces souterraines qui griffent, mordent la terre, la secouent parfois dans leur rage. Ainsi les habitants devaient ils interpréter les tremblements de terre. Dans ce temple souterrain, dans ces ténèbres, brille l'œil du jaguar qui recherche l'ombre pour mieux bondir sur sa proie, la surprendre. Le petit musée en plein air de Huaraz renferme aussi des vestiges de la civilisation de la vallée de Huari.

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Jeudi 30 Mai -

Après trois heures de visite des ruines de Chavin, je retourne au village pour reprendre le car venant de Huari. Malgré le soleil éclatant, le site très encaissé est sévère, voire sinistre dès que la nuit tombe. Je m'assieds et attends, observant les allées et venues. Je pensais être seul étranger dans ce coin perdu mais je vois s'avancer un gringo, je pense tout de suite à un volontaire du Peace Corps. C'est d'ailleurs le cas et il s'occupe du Centre artisanal mixte San Marco que j'aurais bien aimé visiter avec lui si j'en avais eu le temps.

Ce n'est que vers midi qu'arrive le car. Peu de voyageurs au départ de Chavin pour Huaraz mais, par contre, beaucoup de sacs de patates que le chauffeur et son aide chargent sur l'impériale mais aussi à l'intérieur puisqu'il y a la place.

A quelques kilomètres de Chavin nous nous arrêtons dans un petit pueblo. Le car y est attendu par une foule de campesinos qui le prennent d'assaut, non pour y monter mais pour charger leurs sacs de pommes de terre. On en entasse partout, jusqu'à dans le couloir central, sous les sièges, entre les jambes des voyageurs...

Enfin nous pouvons repartir lourdement chargés, surchargés même, ce qui n'est pas très prudent sur des routes aussi casse-cou mais ici çà ne pose pas problème. La résistance de ces cars a été pour moi un motif d'émerveillement. Nous grimpons cette fois à allure d'escargot les lacets vers le tunnel. Une fois traversé celui-ci c'est la descente jusqu'à Recuay. Repassant près du lac de Querococho, un indien surgit devant nous pour offrir des truites qu'il vient de pêcher. Nous nous arrêtons un instant mais tombons en panne un peu plus loin ce qui nous vaut un autre arrêt permettant aux passagers de soulager leur vessie. Je me suis émerveillé aussi de la débrouillardise des maestros pour se dépanner avec les moyens du bord, qualité indispensable au demeurant.

A Cochapampa un camion est en panne et nous bloque le passage pendant plus d'une heure.

Enfin voici Huaraz. Il est cinq heures de l'après midi. Demain départ aux aurores pour Huallanca.

 

Vendredi 31 Mai -

Dans l'aube glacée je quitte l'hôtel Commercio, sans regret, pour me rendre à l'arrêt des cars sur la place. Dans la rue encore sombre se glissent des silhouette d' indiens en poncho ou d'indiennes avec leur éternel ballot sur le dos. Les premières lueurs du jour éclairent les sommets enneigés.

Nous quittons Huaraz, traversons le rio Santa sur un pont récemment construit et reprenons la piste toujours égale à elle même, autrement dit épouvantable. Nous passons à Monterrey puis à Tarica, longeant le rio Santa. Entre Marcara et Carhuaz l'état de la piste fait tomber notre allure à moins de 25 Kms/heure.

A partir de Carhuaz nous roulons au pied de la Cordillère Blanche que domine le gigantesque Huascaran, la longeant sur notre droite. Puis nous traversons Yungay où s'est produit en 1961 un glissement de terrain catastrophique. Nous abandonnons sur notre droite la piste menant à la laguna de Llanganuco pour entrer dans Caraz, petite localité pittoresque à l'extrémité nord du Callejon. Une de nos roues jumelées est crevée et pendant que le chauffeur répare j'en profite pour jeter un coup d'œil, pas trop loin, sur ce charmant village aux rues étroites et aux maisons blanches parmi les vergers, le tout dans ce splendide décors de montagnes de la province d'Ancash. A proximité un petit aérodrome est en cours d'aménagement. De Caraz la vue s'étend sur les deux cordillères presque parallèles : la Cordillère blanche déjà citée et la Cordillère noire lui faisant vis à vis par delà la vallée du Santa.

Sous l'éclat du soleil et nimbés de poussière nous progressons toujours le long du rio Santa vers le sinistre canyon d'El Pato que le fleuve a creusé.

 

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Après un arrêt devant un poste de contrôle, nous nous engageons dans ce profond défilé au fond duquel serpentent les eaux rageuses du fleuve, l'un des plus importants du Pérou. Trente huit tunnels ont dû être percés dans le flanc de la montagne pour prolonger la route jusqu'à Huallanca à la sortie du défilé. Nous passons à proximité du barrage de la centrale hydro électrique d'El Pato (Santa Corporation) qui alimente les nouvelles acieries de Chimbote.

A la sortie du Canyon voici en contrebas la petite localité de Huallanca encaissée entre des montagnes arides.

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Pour le car c'est le terminus. Une ligne de chemin de fer relie Huallanca à la côte (Chimbote). Le train de la Santa Corporation évoque les petits chemins de fer du Far West, (la petite loco remplacée par une « diesel ») avec ses wagonnets en bois et sans vitre au fenêtre.

Le train quitte Huallanca, triste village minier, vers les deux heures de l'après midi. Nous continuons de suivre la vallée du Santa toujours très encaissée. Les étranges couleurs des montagnes alentour dénotent la présence de divers minerais. Nous roulons bientôt à proximité des mines d'anthracite de Chuquicara. Le Santa roule des eaux grises accentuant encore le caractère désolé du paysage. Absolument aucune végétation à l'exception de cactus-cierges. Il en sera ainsi durant plusieurs heures avant d'être suffisamment descendus en altitude pour que, dans l'évasement de la vallée, commencent à apparaître les bananeraies, orangeraies, vergers semi-tropicaux puis, plus loin, des cultures à grande échelle de coton, maïs, sorgho, riz. De part et d'autre de cet oasis que constitue à présent le rio Santa s'étend le désert côtier avec ses dunes, ses steppes pierreuses et ses montagnes arides aux tons rougeâtres.

Après avoir traversé l'agglomération de Santa, nous entrons dans les faubourgs de Chimbote qui nous accueille avec son insupportable odeur de poisson. Impossible d'oublier que c'est le premier centre de conserveries de poisson du Pérou et les déchets servent à la fabrication d'engrais. Outre son odeur tenace (car tout à Chimbote sent le poisson, y compris la literie, l'eau du robinet, de la douche ...) ce grand centre industriel a aussi la saleté des grands ports et leur grouillement humain, vaguement douteux. Le voyage pour parvenir jusqu'ici a été long et fatiguant. Je ne suis qu'un bloc de poussière. Ma barbe de plusieurs jours a une couleur grise. Une douche sera la bienvenue. Sortant de la gare j'avise enface un hotel d'assez bon aspect où j'entre sans hésiter. L'accueil est peu amène mais après tout je me fous de la gueule du réceptionniste n'ayant qu'une hâte, me laver et me changer. La douche glougloutante m'arrose parcimonieusement mais je prends çà pour une vraie bénédiction. Je passe ensuite un bon moment à dépoussiérer mes vêtements, et il en sort de la poussière andine sous mes coups de manche à balai !

M'étant ainsi refait la fraise je peux maintenant songer à manger. J'ai une faim de loup n'ayant pris depuis le matin que quelques oranges et un verre de chicha morada. Comme si l'odeur ambiante ne me suffisait pas, je mangerai ce soir un plat de poisson mais attention, succulent ! J'en reprendrai d'ailleurs une deuxième.

Comme je suis crevé, je rentre aussitôt dans ma chambre pour me coucher remettant tout au lendemain. Dodo.



Samedi 1er Juin -

Chimbote est l'un des rares ports naturellement protégés de toute la côte ouest, port industriel en plein essor d'environ 200.000 habitants.

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C'est aussi depuis 1958 le premier centre sidérurgique du Pérou où est traité le minerai provenant de Marcona (Port de San Juan à l'ouest de Nazca) . L'énergie électrique est fournie par la centrale hydroélectrique de Huallanco à plus de cent kms à l'intérieur des terres. La pêche côtière est très active et alimente les conserveries et les usines de farine de poisson. La production est exportée vers les Etats Unis mais aussi vers l'Europe.

Après cette nuit réparatrice à l'hôtel des Anges (los Angeles) où j'ai dormi comme tel, il me faut maintenant m'informer de l'heure des cars pour Trujillo, ma prochaine étape. La ville s'agite déjà, gluante de garua, ce brouillard qui règne de Mai à Novembre sur toute la côte du Pérou. Pas de car avant deux heures de l'après midi. Je laisse mon sac à la consigne et vais prendre un negro dans un bar. J'ai du temps devant moi (trop) et vais traîner dans la ville et du côté du port. L'atmosphère est plutôt déprimante, poisseuse, puant le poisson. Le port semble en effet très bien équipé. L'océan roule sur le rivage couvert d'immondices et de déjections humaines des flots noirs et infectes. Devant ce paysage désolant le Palace-hôtel Chimu étale son luxe... Il est géré par la Corporacion peruana del Santa.

Je traverse quelques quartiers excentriques, sales, nauséabonds. Globalement Chimbote ne m'aura pas laissé un souvenir folichon.

Je finis par m'asseoir sur un banc public au centre d'une petite place où un marchand ambulant vend des chupetes, glaces locales, c'est à dire un glaçon parfumé au sirop avec un batonnet, et des morceaux de canne à sucre. J'attends que le temps se lève.

Vers une heure de l'après midi la garua commence à se dissiper et le soleil à percer.

Le car de Trujillo arrive enfin avec près de deux heures de retard !... Mais attention, à côté de ce que j'ai connu jusqu'ici c'est un véritable Pullman !

Après la traversée de la ville et des faubourgs nous nous lançons sur la Panaméricaine à travers le désert côtier parfaitement aride : montagnes beiges, dunes de sable jaunâtre, steppes rocailleuses brunâtres. Estompée dans la brume de chaleur se dresse au loin telle une muraille la Cordillère des Andes.

Nous nous arrêtons à un lieu dit San Jose. En dépit du soleil de l'après midi il ne fait pas chaud et le vent souffle très fort (c'est l'hiver austral).

Vers cinq heures de l'après-midi la brume se reforme et cache le soleil.

Nous arrivons à Trujillo un peu après six heures du soir. C'est une moderne cité toute blanche au milieu de la verdure de l'oasis que forme à cet endroit le rio Moche. De grandes artères, très propres, éclairées par des enseignes lumineuses, bordées de magasins. Ici aussi les commerçants et restaurants chinois sont très nombreux. A cette heure ci tout le monde est dehors et le car avance lentement dans la circulation très dense.

Je descends à l'hôtel Lima. La chambre, au rez de chaussée, n'est pas chère mais assez minable, sentant l'urine, avec des cafards rasant le bas des murs verts de moisissures. Mais enfin je suis à l'abri et j'ai un lit que j'écarte du mur à cause de ces bestioles. Je vais dîner en ville confortablement et traîne un peu avant de rentrer. Demain dimanche visite de la ville et du site de Chan Chan.



Dimanche 2 Juin -

Trujillo, chef lieu du département de la Libertad est la quatrième ville du Pérou (après Lima, Callao et Arequipa). Elle compte environ 63.000 habitants. Fondée par Pizarro (natif lui-même de Trujillo mais en Espagne) en 1535, elle fut ceinte de murailles en 1686 sur ordre de Charles V. Les constructions modernes se sont intégrées sans trop de disparité dans le style colonial de la cité originelle. L'université de la Libertad fondée en 1824 est la deuxième du pays après San Marco à Lima.

Je suis tôt levé car j'ai beaucoup de choses à voir aujourd'hui. La ville est encore endormie en ce dimanche matin. Il ne fait pas froid mais la garua rend l'air poisseux. Je me rends d'abord à la Plaza de Armas, point central de la ville (comme de règle). C'est une vaste esplanade bordée par la cathédrale (énorme et laide) et l'ancien palais archiépiscopal. Au centre se dresse un immense monument (plutôt disgracieux) aux héros de la Libération. Non loin de là se trouve une ancienne demeure coloniale du XVIIème siècle où séjourna le général Iturregui avant de proclamer l'indépendance de la ville en 1820. Outre la cathédrale, Trujillo compte dix églises de style colonial ainsi que de nombreux couvents et monastères.

Après ce tour de ville je me rends au marché où je pense pouvoir trouver un collectivo pour me conduire aux ruines de Chan Chan à six Kms environ. Je profite d'un taxi à moitié plein et nous voilà en route pour Huanchaco qui, avec les plages de Buenos Aires et las Delicias sont des coins très fréquentés des citadins. Ca ne fait rien, je m'arrêterai à Chan Chan au retour.

Après avoir quitté la ville nous rejoignons la côte à travers des plantations de cannes à sucre l'une des principales productions de la région avec le coton et le riz. Certaines de ces plantations couvrent jusqu'à six mille hectares, employant plusieurs milliers d'ouvriers. Il est aux environs de midi et la garua ne se lèvera pas avant une heure. Nous descendons à travers les sables jusqu'au petit port de pêche de Huanchaco où l'on se sert encore des caballitos de totora pour pêcher en mer.

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Ce sont des radeaux faits de bottes de roseaux assemblées et se terminant en pointe. On en retrouve la forme très exacte sur les poteries des époques Chimu et Mochica. Le Pacifique déferle sur la plage en forts rouleaux. Le ciel et l'eau sont gris mais des trouées commencent à se faire dans la brume et le soleil est sur le point d'apparaitre. Je monte à pied jusqu'à la curieuse petite église isolée dans les sables dominant l'océan et où l'on aperçoit Trujillo au milieu de son oasis, le port de Salaverry et l'aéroport de Trujillo.

Phébus a percé enfin et, comme par enchantement, la brume se dissipe complètement. Il ne fait pas chaud. Une bonne température.

Après avoir cassé la croute je redescends vers la route de Trujillo. Sur indication, il y a un car qui doit partir bientôt pour Trujillo. Je le prends et me fait descendre à l'entrée du site archéologique de Chan Chan.

Ce site s'étend sur une vingtaine de Kms entre mer et montagne, vaste cité morte des Chimu.

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Le nom de Chan Chan viendrait du « yunga » pour soleil ou grand soleil. Véritable nécropole qui dit-on abrita autrefois 150.000 âmes (plus que la moderne cité de Trujillo !) Chan Chan connut son plein épanouissement vers le Xème siècle de notre ère et devint capitale de l'empire Chimu (Chimu Capac). Cet empire s'étendait sur toute la côte nord du Pérou depuis Tumbez (à la frontière actuelle de l'état d'Equateur) jusqu'au sud de Lima où il possédait Cuyusmancu et Chuquimancu. Il se développa sur trois siècles ainsi que sur la première moitié du XVème siècle où il fut conquis par les Incas, quatre vingts ans environ avant le débarquement des premiers espagnols en 1532. Chan Chan regroupait onze centres urbains ayant chacun sa citadelle. Tout fut construit en adobe. La cité était admirablement conservée lorsque survint en 1925 des pluies inhabituelles et catastrophiques qui durèrent plusieurs jours. En quelques heures une grande partie des structures architecturales et les bas reliefs fondirent comme neige au soleil. Aujourd'hui, Chan Chan offre au visiteur une étendue désolée de murs écroulés formant un véritable labyrinthe.

N'ayant pas de plan du site, je me lance au hasard dans ce dédale de rues remarquant au passage des vestiges de pyramides et de fortifications. A mi distance de la route et de l'océan se trouve le groupe imposant dit de Tschudi, du nom de Johan Jacob Tschudi (1818-1889), célèbre naturaliste suisse qui, avec son collègue péruvien Mariano Eduardo de Rivero y Ustariz (!) étudia les ruines de l'immense citadelle, bien qu'elle soit la plus petite des onze que compte Chan Chan. Le mur d'enceinte à section pyramidale a une épaisseur de quatre mètres cinquante et une hauteur maxi de quatorze mètres. Au centre de la citadelle se trouve une seconde enceinte possédant un immense réservoir carré qu'alimentait une canalisation souterraine venue du rio Moche à dix kilomètres de là. De nombreux bas reliefs originaux sont encore bien visibles sur les murs d'adobe.

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Ils représentent des poissons, des pélicans et autres oiseaux marins, très stylisés. Un petit temple que l'on pense avoir été dédié à la lune est décoré d'une frise de cercles et de lignes parallèles, symboles lunaires (partage du jour et de la nuit).

A proximité du groupe Tschudi on voit des vestiges d'anciennes forges. Les Chimu excellèrent dans le travail des métaux et de l'orfèvrerie.

Dix autres citadelles ont été localisées sur ce vaste champ de ruines terreuses poncées par le vent du large. La ville de Chan Chan a été particulièrement étudiée par Julio Cesar Tello (1880-1947), le père de l'archéologie péruvienne.

Je décide de rentrer à pieds à Trujillo. Je m'arrête en passant devant la pittoresque église toute blanche du barrio de Mansiche, non loin de la Huaca Esmeralda et de la Huaca el dragon (ou cientopies). Le soir tombe quand j'arrive dans le centre ville. J'aurais aimé disposer de plus de temps pour visiter plus en détails cette vaste étendue qui connut jadis l'animation d'un grand centre de peuplement et depuis vouée à la solitude. Mais les jours qu'il me reste se comptent désormais sur les doigts d'une seule main. Demain de bonne heure départ pour une dernière incursion dans les Andes : Cajamarca à 2800m d'altitude.



Lundi 3 Juin -

 

 

A 07H du matin je quitte Trujillo en taxi collectif. Nous empruntons d'abord la Panaméricaine nord, traversant Chicama Ascope puis San Pedro de Lloc importante agglomération. A Pacasmayo nous abandonnons le bitume pour bifurquer à droite et remonter le cours du rio Jequetapeque à travers la cordillère occidentale du Pérou. La piste est caillouteuse, étroite et sinueuse. Sitôt avoir quitté la région côtière nous retrouvons le soleil. Nous traversons quelques agglomérations, Tembladera puis Chilete où nous nous arrêtons pour déjeuner. C'est un petit pueblo qui semble endormi au soleil comme un lézard, tapi au creux des montagnes. Il y a une curieuse petite église blanchie à la chaux, très grossièrement construite par les habitants eux mêmes sans doute.

Nous repartons, continuant à grimper dans le soleil et la poussière, passant par Magdalena et San Juan avant d'entrer dans Cajamarca. Très vieille ville fort curieuse, bâtie dans une vallée, chef lieu de la région montagneuse du Nord.

600px-Cajamarca Peru Aug-2005

Elle a conservé son aspect colonial. C'est à Cajamarqua que le chef inca Atahualpa tomba dans l'embuscade que lui avait tendue Pizarro et ses hommes. On peut encore voir parait-il la « pièce de la rançon » (cuarto de rescate) qu'il fit remplir d'objets en or et bijoux jusqu'à hauteur de sa main levée.

La cathédrale et les églises San Francisco et Belen sont intéressantes. On remarque aussi de curieux beffrois à moitié construits.

Non loin de là se trouvent des sources chaudes aux eaux sulfureuses appelées « Banos del Inca ». C'est pour en éprouver les vertus sur une blessure de guerre qu'Atahualpa serait venu à Cajamarqua lorsqu'il s'y fit prendre.

Comme je suis arrivé ici en fin d'après midi, je n'ai pas disposé de beaucoup de temps pour bien visiter la ville (40.000 habitants). Par des escaliers de pierre on peut gravir une petite colline du haut de laquelle on a un joli coup d'oeil sur la ville et son cadre. De Cajamarca part un itinéraire en direction d'Iquitos (Amazonie péruvienne) alternative àla voie fluviale à partir de Pucallpa. Une route suit d'abord un parcours tortueux à travers les Andes, puis traverse le canyon du Marañon à Balsas pour continuer jusqu'à Chachapoyas, chef lieu du département d'Amazonas. On peut ensuite rejoindre Moyobamba à dos de mule, seul moyen de transport possible, dans le département de San Martin, en lisière de la grande forêt amazonienne, puis Yurimaguas sur le rio Huallanga d'où l'on peut rejoindre Iquitos par le fleuve. Toute une expédition ! Prenant du temps et nécessitant un budget conséquent tout en présentant certains risques. Plus modestement, j'aurais pourtant aimé rejoindre Iquitos par le fleuve depuis Pucallpa quand je m'y trouvais.

Demain matin départ à 04H en taxi collectif directement pour Lima ce qui représente un long voyage de près de mille kilomètres. D'où l'intérêt de me coucher tôt. Je n'ai d'ailleurs strictement rien d'autre à faire.

 

 

Mardi 4 Juin -

A 04H 30 le taxi vient me prendre à l'hôtel où j'ai eu le temps de prendre un café. Après tout un circuit en ville pour prendre d'autres passagers, nous refaisons en sens inverse le chemin de la veille. A peine sortis de Cajamarqua nous crevons. Nous descendons pour laisser le maestro réparer. La fin de nuit est très froide et nous sommes tous emmitouflés dans notre couverture. Un peu plus loin, alors que le jour n'est pas encore levé, nous avons des ennuis d'éclairage. Les phares clignotent, s'éteignent, se rallument, ce qui n'est guère commode, hyper dangereux même, pour négocier les virages secs et en corniche ! Heureusement que le jour n'est pas loin.

Vers 09H30 nous entrons dans la garua à Pacasmayo et une heure plus tard nous sommes à Trujillo où nous allons changer de véhicule. Le temps d'aller déjeuner dans le quartier du marché où nous nous trouvons et il nous faut repartir sans avoir eu le temps de digérer car il nous faut rentrer d'une traite à Lima.

Le désert côtier défile interminablement dans une grisaille automnale. De temps à autre la Paname se rapproche de la côte et nous fait longer l'Océan de près.

Nous passons au pied de la fameuse forteresse de Paramonga,

paramonga

un peu avant le port du même nom, dominant des plantations de cannes à sucre. C'est un ouvrage très important de l'époque Chimu comportant plusieurs enceintes.

La nuit tombe alors que nous roulons dans la région de Salinas. Par endroits nous longeons en corniche l'Océan Pacifique avec à notre gauche des dunes de sable ayant tendance par moments à recouvrir la route.

Enfin nous apercevons les lumières de la capitale. Nous nous rapprochons lentement des lointains faubourgs. Après un long circuit en ville pour déposer mes compagnons de voyage, je suis le dernier à descendre dans le quartier de la Victoria où habite la mère d'Eduardo.

Avant de rentrer me coucher je vais faire un tour à pieds dans le joli parc de la Reserva. D'être resté si longtemps assis dans la voiture m'a donné des crampes.

Depuis Pacasmayo il a fait froid et la nuit est plus que fraiche aussi ce soir à Lima.



 

 





 



 



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19 mars 2010 5 19 /03 /mars /2010 18:14

Jeudi 23 Mai -

map city 171

Tout en attendant le départ du car qui arbore fièrement son nom « Expresso del Norte », je lie connaissance avec un étudiant en droit qui se rend dans sa famille à Cerro de Pasco. Pour brèves que soient le plus souvent ce genre de rencontres, elles laissent parfois un souvenir durable. Tel fut le cas avec Fidel, garçon intelligent et sympathique.

Nous quittons Lima vers les quatre heures de l'après midi (seulement !) et empruntons la route trans-andine de quelque 1050 Kms jusqu'à Pucallpa. Après Puruchuco (zone archéologique récente), Chaclacayo agglomération climatique très élégante puis Chosica (869 m d'altitude à 40 kms seulement de l'océan)construite sur les plans de l'architecte Belaunde-Terry (avant qu'il ne soit élu Président), nous attaquons sérieusement la montée qui va nous hisser jusqu'au col d'Anticona à plus de 4800 m d'altitude. Nous faisons une halte d'une heure à la Oroya où nous arrivons vers les 09H du soir. Nous sommes à 3710m et la nuit est très froide. Fidel et moi prenons un café bien chaud et bien sucré tout en bavardant (il connait assez bien le français).

Il est regrettable que ce parcours entre la Oroya et Huanuco se fasse de nuit car la route nous fait remonter à travers un étroit canyon la vallée du Mantaro jusqu'à la pampa de Junin où eut lieu la célèbre bataille qui vit la défaite des Espagnols en 1823.

Cerro de Pasco où descend Fidel se trouve à 4310 m d'altitude et compte une population de 20000 habitants. C'est un centre minier important pour le cuivre, le zinc, le plomb et aussi l'or et l'argent. A une quarantaine de Kms plus au nord se trouvent les mines de charbon de Goyllarisquisega (!!!) les plus hautes du monde.

Notre Expresso del Norte « fonce » dans la nuit nous gratifiant de la toujours très abondante poussière andine. Bercé (plutôt rudement) par les cahots, je finis par m'assoupir serré dans ma couverture, le bonnet enfoncé jusqu'aux yeux.



Vendredi 24 Mai -

Après un trajet de nuit presque ininterrompu depuis Cerro de Pasco, nous arrivons au petit matin à Huanuco sur le haut cours du Huallaga fleuve qui se jette dans la Marañion, branche mère de l'Amazone. Située à 1810 m d'altitude seulement, cette petite ville, chef lieu du département éponyme, compte une trentaine de milliers d' habitants. Elle est très ancienne puisque fondée en 1539 et apparaît très importante dans ce coin perdu des Andes. Le réseau téléphonique s'arrête ici. L'industrie locale s'appuie principalement sur le sucre de canne et le rhum. Nous avons déjà quitté en fait le haut plateau andin pour entrer dans la Montaña qui descend progressivement jusqu'à l'Amazone. Huanuco n'offre pas d'intérêt particulier sinon quelques vestiges incas. Nous n'allons repartir que vers les deux heures de l'après midi car notre maestro qui a conduit toute la nuit sur des pistes difficiles a besoin de se reposer avant de poursuivre ce long voyage.

Après avoir fait le tour de la ville, je vais m'asseoir sur une petite place où des petits cireurs s'approchent de moi. L'un d'eux insiste pour me dépoussiérer et nettoyer mes chaussures type safari (donc qui ne se cirent pas). Je le laisse faire. Ils se montrent très curieux de connaître ce que çà coûte de venir de France au Pérou.

A midi il fait très chaud ce qui rappelle la proximité de la zone tropicale. J'ai quitté successivement anorak, veste puis chandail pour rester en bras de chemise.

Nous démarrons à trois heures de l'après midi en fait. La piste est plus mauvaise que jamais et de plus en plus étroite. La poussière et la chaleur rendent le voyage éprouvant. Le trafic se fait en principe à sens unique mais çà ne nous empêche pas de rencontrer de gros camions venant à contre sens, ce qui ne manque pas de provoquer de sérieuses difficultés de croisement. Mais notre maestro n'en perd pas pour autant sa belle humeur et siffle à tue tête un air de huayno (danse péruvienne). Le parcours que nous suivons est très beau. Nous longeons un moment la vallée du Huallanga, très verdoyante avec des plantations de maïs, puis nous nous élevons brusquement sur les Carpish Hills jusqu'à plus de 3000 mètres. Nous roulons dans les nuages et l'épaisse végétation qui envahit les ravins devient nettement tropicale. La selva n'est pas loin désormais. Nous attendons un bon moment derrière une file de camions car il y a un véhicule venant en sens inverse qui est tombé en panne. Il est impossible de se croiser étant donnée l'étroitesse de la piste et les bas côtés sont peu sûrs. Il fait frais maintenant d'autant plus que le soir tombe et j'ai remis successivement pull over, veste et anorak. Sous une hutte de roseau une indienne sert des brouets fumants et des choclos (épis de maïs bouillis) De quoi faire passer le temps aux voyageurs.

Ce n'est qu'au crépuscule que nous pouvons continuer notre route en direction de Tingo Maria. La piste qui ne s'arrange pas, coupée d'énormes ornières, nous cahote à travers une contrée fantastique de montagnes boisées s'estompant par endroits dans les nuages. La nuit qui tombe ajoute encore au mystère de ces lieux.

Nous subissons depuis Huanuco un véritable brassage des viscères et sommes aussi souvent au dessus que sur notre siège. C'est vers dix heures du soir que nous apercevons les lumières de Tingo Maria, cité nouvelle du genre « far west » située sur la Ceja de la Montaña, autrement dit à la lisière de la forêt tropicale. Le climat d'ailleurs l'est déjà. Tingo Maria vit de plantations de cannes à sucre, de bananes, de la coca, du caoutchouc, du thé et du café. Une station agricole expérimentale est signalée. Quant à l'industrie elle se borne à l'exploitation du bois.

Nous marquons tout juste l'arrêt, le temps de subir la vaccination contre le paludisme et notre « expresso » poursuit sa route dans la nuit et la selve tropicale. C'est regrettable que nous ne puissions rien voir des paysages que doit offrir la Cordillère bleue (Cordillera azul)

400px-Cordillera Azul

ruisselante de cascades. Nous franchissons la ligne de partage des eaux au col du Père Abad (?). A la lueur des phares nous voyons parfois de petits singes traverser la piste. Nous rencontrons aussi quelques paillotes au bord de la route. Nous roulons sans désemparer et le chauffeur chante et siffle pour se tenir éveillé. Malgré d'effroyables cahots je réussis à m'endormir, comme les autres.

 

Samedi 25 Mai -

Quand je me réveille, nous sommes à l'arrêt au bord du rio Aguayita, dans un petit pueblo composé de quelques paillotes. Un reste de brume matinale traine encore sur le fleuve aux eaux boueuses sur les rives duquel sont tirés des canots creusés dans des troncs d'arbre.

Le chauffeur et les deux passagers restants prennent le petit déjeuner sur le balcon d'une sorte de bungalow. Je vais les rejoindre passablement vaseux et fais honneur au plat d'œufs et de riz arrosé d'un bol de thé. Autour de nous des cris étranges venant des arbres de la forêt (singes et toucans).

Après avoir franchi le rio Aguayita sur un pont que le chauffeur me signale comme étant le plus long d'Amérique du Sud (le fleuve est assez large mais quand même ?) nous achevons les derniers kilomètres jusqu'à Pucallpa sur une route goudronnée mais dégradée – luxe suprême quand même - après ce que nous avons connu.

Une fois traversé la Pampa del Sacramento que la Compagnie Tourneau del Peru exploite actuellement, nous faisons notre entrée à Pucallpa à l'heure du berger (« Berger » de midi !)

C'est avec un réel soulagement que je quitte notre « char » qui pendant deux jours et deux nuits nous a trimballés et brinqueballés sans douceur. Mais je tenais absolument à faire l'allée par la route, celle-ci faisant passer par les trois régions constitutives du Pérou : la Costa, la Sierra et la Selva, aux trois climats différents, résumé géographique du pays en somme. Ici le soleil vous convainc d'emblée que vous êtes bien en zone tropicale. Mon pantalon de velours et ma chemise de laine bons pour le climet des Andes deviennent ici insupportables. L'ĥotel de Pucallpa où je descends a, dans cette bourgade, des prétentions de palace. Il est tenu par un couple de Suisses avec qui j'aurai l'occasion de bavarder. Mais dans l'immédiat, je ne songe qu'à quitter mes vêtements et passer sous la douche.

Je laisse passer la grosse chaleur jusqu'aux environs de cinq heures du soir. L'hôtel comporte une terrasse d'où l'on domine l'agglomération. Pucallpa a été construite il y a vingt cinq trente ans sur un lieu fréquenté autrefois par les indiens Chamos, au au bord du rio Ucayali, affluent de l'Amazone, sur lequel peuvent remonter jusqu'à Iquitos des bateaux de plus de 3000 tonneaux. La région (vaste) est peuplée d'environ 30000 habitants, mais en elle même l'agglomération de Pucallpa est restée au stade de la bourgade pionnière, sans rues pavées, très faiblement éclairée et sans système d'adduction d'eau ni d'égouts. La population est très mélangée et je remarque de nombreux étrangers à peau claire, type germanique ou anglo-saxon. Pucallpa vit de l'exploitation des bois tropicaux, de l'extraction de l'huile de bois de rose et surtout des prospections de la Ganza Azul (Compagnie pétrolière). Le centre de cette agglomération type chercheur d'or n'a guère autre chose à offrir que cette atmosphère particulière avec, le dimanche, son marché local où l'on peut voir les indiens de la tribu shipibo sommairement vêtus. A la nuit tombée, toute la population est dehors, déambulant lentement ou assise devant les bistrots à siroter. Elle m'a laissé une impression de profond ennui, de vide, même si les femmes métis sont remarquables (et remarquées) par leur beauté, arborant de coquettes toilettes d'été. Les gens qui travaillent ici paraissent plus cossus que dans les autres régions du Pérou. Ils jouissent généralement de salaires plus élevés et de certains avantages et exemptions fiscales. Comme Iquitos, Pucallpa est un port franc. Le gouvernement péruvien a cherché par ce moyen à intensifier la colonisation du Loreto (département dont dépend Pucallpa et Iquitos). Chose à signaler : les gallinazos, genre de vautours, qui tournent incessamment au dessus des toits s'abattent sur le sol dès qu'on y jette quelque chose faisant ainsi office d'éboueurs.

La colonie chinois est bien représentée, y tenant épiceries et restaurants. Il y a deux cinémas, l'habituelle salle de billard, plusieurs lieux de culte (synagogue, temple évangélique, église) et d'autres... évidemment.

Les quartiers indigènes se trouvent au bord du fleuve composés de paillotes sur pilotis.



Dimanche 26 Mai -

Profitant de la fraicheur relative du petit matin, je descends dans la rue pour me rendre au marché local. Les étalages de fruits tropicaux sont un régal des yeux d'abord, vous mettant l'eau à la bouche. Je remarque plusieurs couples d'indiens shipibos venus du village voisin de Yarinacocha. Shipibo signifierait « homme sans dieu) (?), ils font partie de la famille ethnique des indiens Panos qui occupe toute cette partie de l'Amazonie péruvienne. Petits mais de teint beaucoup plus clair que les indiens des Andes, leurs femmes ont les yeux bridés, les pommettes hautes et les cheveux à la frange. Certaines ont un anneau de métal sous la narine. Les mieux vêtues le sont d'une sorte de caraco très court et bariolée et d'une jupe collante de couleur brune aux curieux motifs géométriques que l'on retrouve d'ailleurs dans leurs objets artisanaux. Elles sont déparées par un ventre énorme causé m'a-t'on dit par des vers intestinaux. Les premiers missionnaires envoyés chez les Shipibos vers 1650 puis 1690 furent exterminés. Autant dire qu'aujourd'hui, en raison de la proximité de Pucallpa, donc de la civilisation, ils ont perdu le caractère farouche de leurs ancêtres.

Après un tour de marché je vais jusqu'à l'extrémité de l'agglomération c'est à dire au bord du rio Ucayali, si large qu'il donne l'impression d'un grand lac plutôt que d'un fleuve. Le port qui n'en a pas l'air reçoit les bateaux à vapeur d'Iquitos et les nombreuses barques à rames venues de la forêt chargées de bananes et autres fruits tropicaux. Des flottilles de troncs d'arbre sont échoués sur les berges vaseuses à côté des maisons flottantes devant lesquelles se baignent des enfants nus tandis que les femmes font la lessive dans l'eau du fleuve.

L'après midi je prends un collectivo (tas de ferraille posé sur quatre roues) pour me rendre à Yarinacocha qui signifie en langue shipibo « lac des palmes », village construit au bord d'une lagune en aval de l'Ucayali.

LaguanaYarinacocha

C'est un but de promenade dominicale pour les habitants de Pucallpa qui peuvent trouver ici un endroit où se baigner sans craindre les piranhas et les bufeos (sorte de dauphins). Yarinacocha abrite une colonie de linguistes nord-américains venus d'Oklahoma. Leur but initial était de répandre l'usage de la langue espagnole tout en étudiant les nombreux dialectes indigènes de cette partie d'Amazonie. Ils font partie de la secte des Evangélistes. La tribu que l'on rencontre ici est celle des shipibos mais ceux-ci se rassemblent surtout dans le village de San Francisco, sur l'autre bord de la lagune. L'habitat est une grande case très haute avec un toit descendant très bas. Elle ne comporte pas de cloisons mais un plancher surélevé. Aucun mobilier. On y dort sur des nattes tressées. Les objets artisanaux témoignent d'un grand sens artistique : colliers et bracelets de petites pierres de couleurs alternées avec des graines et des dents de singe, tissus brodés dont les motifs sont clairs sur fond sombre, objets de bois décorés de même, poteries en « colombin » (fabriquées sans tour), etc...

J'aurais aimé photographier quelques élégantes shipibos mais la seule vue d'un appareil photo fait fuir tout le monde.

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Ce n'est qu'au crépuscule que je quitte Yarinacocha après m'être gavé de fruits, fruits étranges et inconnus pour moi. Je laisse tomber le collectivo pourri et d'ailleurs déjà plein pour rentrer à pieds à Pucallpa. La nuit tombe comme j'arrive à hauteur des premières maisons.

Demain lundi il me faut quitter Pucallpa et par avion rejoindre la capitale sans pouvoir aller jusqu'à Iquitos par le bateau comme je l'aurais souhaité. Pour cela il m'aurait fallu disposer d'une semaine de plus. Mes jours sont donc comptés à présent et j'aurai tout juste le temps d'achever mon programme par la région Nord du Pérou.

Lundi 27 Mai -

A Pucallpa l'arrivée de l'avion de Lima (les lundi, jeudi et Samedi) est tout un événement. C'est le seul moyen rapide pour rejoindre la Costa. Les horaires sont assez élastiques en raison des conditions atmosphériques au décollage de Lima. (la garua en cette saison ne se lève que vers onze heure, midi). Le survol des Andes, plein de turbulences, présente aussi certaines difficultés.

A 10H, l'hôtelier suisse m'apprend que l'avion n'a pas encore décollé de Lima faute de visibilité suffisante.

En définitive, le petit DC6 de la Compagnie Fawcett n'arrivera que vers 11H30.

J'accompagne l'hôtelier dans sa Rover jusqu'au petit aérodrome. Nous ne sommes qu'une trentaine de passagers dont deux étudiantes athéniennes qui viennent d'effectuer un séjour d'études indigènes à Yarinacocha. J'attendais beaucoup de ce survol des Andes. C'était compter sans la présence des nuages enlevant presque toute visibilité. L'avion n'étant pas pressurisé et comme nous volons à une altitude de 8000 mètres, nous devons faire usage de temps à autres d'une pipette à oxygène. L'appareil est parfois violemment secoué. Le voyage ne dure qu'un peu plus d'une heure mais je dois dire qu'il m'a suffi amplement. Le manque d'oxygène est une sensation désagréable (que doivent connaître les asthmatiques). C'est le visage pale et l'estomac au bord des lèvres que nous nous posons enfin sur la piste de l'aéroport de Lima-Callao.

Il est dans les deux heures de l'après midi. Le reste de la journée se passe à mettre au point mon voyage de demain. Mon temps étant strictement limité, je choisis le moyen le plus « rapide » pour gagner Huaraz dans la province d'Ancash. : le taxi collectif. Départ prévu à 3heures du matin.

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18 mars 2010 4 18 /03 /mars /2010 11:32

 

Jeudi 16 Mai -

Il a plu toute la nuit sur le Cuzco et ce matin le ciel est couvert et la température très rafraichie. Vers les 08H le car de l'empresa Morales-Moralito démarre. Pas trop bondé pour une fois. Nous stoppons à la sortie de la ville pour faire de l'essence à l'unique pompe. Sitôt dépassé le contrôle routier, nous nous lançons à l'honnête allure de 30Kms/h sur la mauvaise route qui, sur 197 Kms exactement, doit nous mener à Abancay. Nous suivons d'abord la ligne de chemin de fer du Machu Picchu jusqu'au bassin d'Anta, région de cultures (orge, maïs, fèves, pommes de terre naturellement) et d'élevage (moutons, vaches, sans compter les cochons noirs qui font partie intégrante de l'habitat rural. Anta possède un centre d'insémination artificielle.Passée l'agglomération, nous nous élevons à travers les cultures, les agaves géantes (ou magueys), les genêts en fleurs, vers un épais plafond de nuages. Nous franchissons plusieurs cols. Le cadre pourrait être qualifié d'alpestre. La descente sur Lima-Tambo nous réserve à chaque détour de la route un splendide panorama sur la profonde vallée de l'Apurimac, très verdoyante, émaillée de petits champs. Après Lima-Tambo la route suit le fond de la vallée puis s'élève en lacets. Chaque croisement avec un autre véhicule oblige à une manœuvre scabreuse (heureusement que la circulation est très réduite). C'est tout au long de ce trajet Cuzco-Abancay où l'on traverse deux chaines de montagnes que l'on se rend le mieux compte de l'énorme différence d'échelle avec notre continent. Nous nous arrêtons dans un petit village montagnard car nous avons une roue à plat. Déjà en très mauvais état, le pneu a été déchiré par une pierre pointue. Pendant que notre maestro répare je vais acheter des oranges. Nous n'avons fait aucun arrêt pour déjeuner et ne nous arrêterons plus désormais avant Abancay. De gros nuages cachent à notre vue malheureusement les cimes enneigées que nous devrions découvrir. La route continue de monter mais nous quittons bientôt la zone des cultures pour entrer dans celle des « alpages » où paissent de nombreux troupeaux de vaches, de moutons et de chèvres. Nous croisons des groupes de montagnards à cheval ou à dos de mulet. Nous sommes à présent à la limite des nuages. La route côtoie des ravins impressionnants. Par des trouées dans les nuages surgissent de sombres masses de montagne. La visibilité très réduite ralentit encore notre allure. Il fait froid. Nous traversons Carahuasi et passons à proximité des ruines de Saywite. Ce n'est qu'après avoir amorcé la descente sur Abancay que nous sortons progressivement du brouillard et pouvons apercevoir le fond de la vallée. Vers 18H nous sommes au poste de contrôle d'Abancay, chef lieu du département d'Apurimac. Quoique peuplée de 20.000 habitants environ, la ville présente plutôt l'aspect d'un gros bourg de montagne. J'échoue avec mon barda dans une auberge hors-catégorie où la modicité du prix de la chambre est en rapport avec sa pauvreté. La porte branlante ne ferme pas, le plancher est en partie défoncé, la lucarne n'a pas de carreau laissant passer l'air froid. Quant aux draps ... qui manifestement en ont accueilli d'autres ... à la couverture crasseuse ... je préfère m'en passer en me couchant tout habillé, la couverture servira à obturer la lucarne pour ne pas peler de froid.

Vendredi 17 Mai -

Réveil matinal car je dois m'occuper de toute urgence de mon transport jusqu'à Andahuaylas. J'ai eu froid cette nuit. La toilette passe à l'as (simple coup de peigne) et je me précipite dans la salle d'auberge pour commander un café bien chaud et bien sucré et trois petits pains. Je pars ensuite à la recherche d'un véhicule. Le cirque de montagne qui entoure Abancay disparaît sous les nuages gris. La petite ville s'éveille tristement. La pluie menace. Je regrette bien l'absence du soleil, le cadre doit être beau. Pas de ligne de cars pour Andahuaylas mais des camions et camionnettes assurent un service à peu près quotidien. J'arrive à me caser dans une camionnette Ford déjà pleine et qui est sur le point de partir. Le chauffeur pense arriver à destination vers les 4H de l'après midi. Nous avons 140 Kms à parcourir. Vers les 8H nous quittons Abancay alors que le poste de radio communal déverse par ses hauts-parleurs disséminés dans les rues les infos du matin entrecoupées d'annonces publicitaire et de musique sophistiquée. Nous sommes ici au coeur du pays quetchua mais les métissages sont nombreux ici aussi. L'accueil de la population m'a semblé très réservé et emprunt cela va sans dire d'une certaine curiosité.

Dès la sortie d'Abancay notre camionetta s'engage sur une piste qui à travers une abondante végétation sèche (agaves,épineux, cactées) descend vers le cours du rio Pachachaca mais très vite nous recommençons à grimper par d'interminables lacets. Abancay reste longtemps visible, devenant minuscule au milieu de cet amoncellement gigantesque de montagnes rognées par de gros nuages sombres. Le soleil n'arrive pas à percer, tout juste à de brefs intervalles.A l'air libre sur l'arrière de la camionnette il ne fait déjà pas très chaud le moins qu'on puisse dire. J'ai revêtu toutes mes épaisseurs et coiffé un bonnet de laine (classique) enfoncé jusqu'aux yeux et sur les oreilles. Indiens et indiennes sont accroupis silencieux contre leurs paquets. Nous nous arrêtons devant une cabaña de montagnards. En contrebas de petits champs forment damier.

Et toujours nous nous élevons entrant cette fois dans le plafond nuageux. Il fait de plus en plus froid et le brouillard givre ma barbe de plusieurs jours et les sourcils. Nous roulons presque sans visibilité sauf à de rares moments où le soleil fait une trouée révélant alors brièvement l'impressionnant ravin que nous longeons. Nous ne rencontrerons personne hormis quelques cantonniers indiens et campesinos à cheval. Nous avons dépassé les 4000 mètres d'altitude. Je remarque à flanc de pente un couple d'indiens en train de labourer une minuscule pièce de terre avec une charrue en bois tirée par un boeuf.

Nous faisons une seconde halte au sommet d'un col près d'une chaumière où nous chargeons quelques sacs de pommes de terre. Poursuivant notre lente et cahotante ascension, nous entrons dans un gros nuage en train de crever. Nous nous mettons tous tant bien que mal à l'abri sous une bâche. La piste est déjà détrempée et nous faisons du slalom dans la descente. Au bout d'une heure nous sommes enfin sortis du mauvais temps et retrouvons le soleil brillant sur une verte vallée. C'est un vrai soulagement car nous sommes transis. Après être descendu jusqu'au fond de la vallée regroupant quelques villages, nous remontons jusqu'à une sorte de plateau couvert d'herbe rase où paissent des troupeaux. Plusieurs aigles tournent dans les airs, piquant par moments vers nous en reconnaissance. Nous redescendons de nouveau dans la vallée d'Andahuaylas cette fois où l'on cultive intensément la pomme de terre. La récolte bat son plein d'ailleurs. Nous passons devant plusieurs chaumières et même quelques « grandes » fermes.

Andahuaylas apparaît bientôt parmi les eucalyptus avec ses toits bruns.

Andahuaylas panoramic view

C'est un centre assez important dépendant de la province du même nom, le plus peuplé du département d'Apurimac. On y trouve une église d'un style assez surprenant ici construite par les jésuites.

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L'unique auberge ne manque pas de pittoresque. C'est une très vieille construction de style colonial. Les chambres sont au premier étage et s'ouvrent toutes sur un vieux balcon de bois d'une solidité un peu douteuse par endroits.

En attendant d'aller dîner ce que mon estomac réclame impérieusement car je n'ai rien pris depuis la collation de ce matin, je fais un petit tour jusqu'à une éminence dominant l'agglomération. La vallée est assez large, boisée et bien cultivée (pomme de terre et maïs principalement).

andahuaylas 3

Je rentre à l'auberge comme le soir tombe et, sitôt dîner, monte me coucher car je dois partir demain très tôt (04H30) pour Huancayo. Je dormirai assez peu finalement à cause du froid très vif et malgré tous mes vêtements et une couverture, l'air glacé s'insinuant par la fenêtre et la porte disjointes.

 

Samedi 18 Mai -

A 04H du mat un grand coup de klaxon me réveille en sursaut. Je me demande si j'ai rêvé ou si c'est mon car qui est déjà sur le départ et je descends quatre à quatre sur le trottoir pour demander au chauffeur de m'attendre une minute, le temps de boucler mon sac. Le car est bien là mais vient seulement d'arriver et ne dois repartir que dans une heure. J'aime mieux çà, je vais avoir le temps de déjeuner.

Une fois traversé l'agglomération au pas et à grands coups de klaxon pour rameuter les retardataires, nous arrêtons devant la barrière du contrôle routier où il nous faut attendre dix bonnes minutes avant de voir apparaître un garde ensommeillé. Et nous reprenons nos interminables tours et détours à travers la montagne. Au lever du jour, superbe, nous nous apercevons que les flaques d'eau sont prise en glace mais sur une très faible épaisseur. A l'horizon dégagé se dessinent des crêtes enneigées.

A Chimco nous sommes soumis à un interminable contrôle (?) de même à Chicheros. Les Indiens semblent ici avoir le teint moin sombre. Peu de cultures dans cette région mais par contre un élevage important. Nous sommes à 432 Kms de Huancayo. Autant dire que nous ne sommes pas arrivés !...

A la sortie de Chicheros nous crevons. Occasion de se dégourdir les jambes.

Nimbé de poussière andine, notre véhicule se tape la trentaine de Kms/h sur la piste toujours aussi zigzaguante et dont les cahots nous mettent les viscères sans dessus dessous. Nous traversons ainsi des contrées de parfaite solitude : ni village, ni âme qui vive. Seul le ciel semble habité par des aigles et de grands nuages moutonneux.

Le chauffeur a branché plein pot la radio de bord sur « Radio-Ayacucho » ce qui nous réveille un peu. A un détour de la route qui descend maintenant dans une vallée, nous découvrons Ayacucho dans le fond et son terrain d'aviation. C'est la capitale du département du même nom, vieille cité coloniale de quelque 25000 habitants située à 2890 m d'altitude. C'est non loin de là, à la Quinua, qu'eut lieu la célèbre bataille dite d'Ayacucho (9 Décembre 1824) qui marqua la fin du règne de l'Espagne sur le Pérou.

soubassement inca et église

200px-Willkawaman cathedral

J'ai regretté qu'on n'ait pu s'y arrêter car elle m'a semblé pittoresque. Elle ne compte pas moins de 33 églises !!! Des artisans en confectionnent des miniatures en terre cuite dont j'ai vu de très beaux spécimens au Musée de la Culture péruvienne à Lima.

Nous quittons donc Ayacucho à la tombée de la nuit et nous lançons dans un parcours fantôme où nous voyons parfois à la lueur des phares passer d'étranges formes... Nous nous arrêtons à plusieurs reprises pour prendre des passagers, des sacs de pommes de terre et jusqu'à un mouton les pattes attachées.

Vers 21H, nouvel arrêt devant un poste de contrôle où nous avons à faire à des pandores fort peu amènes et qui font du zèle dirait-on. Il nous font perdre une bonne heure avant de nous laisser repartir. Nous roulons jusqu'à 23H pour nous arrêter le temps de dîner dans une gargote perdue.

Vers une heure du matin nous traversons un lieu dit la Mejorada qui m'a semblé être un camp militaire aux bâtiments régulièrement alignés entourés d'une clôture élevée.

Enfin, à trois passées de la nuit, nous entrons dans Huancayo qui, en cette veille de samedi dimanche, n'est pas complètement endormie.Dans la grande avenue éclairée quelques groupes déambulent un peu éméchés.

J'ai toutes les peines du monde à trouver une chambre. Je frappe à plusieurs portes qui ne s'ouvrent (quand elles s'ouvrent) que pour me rappeler que çà n'ouvre qu'à partir de 8H. J'échoue enfin à l'hôtel Huanca dans une petite rue parallèle à l'avenue principale.

Je suis complètement fourbu après ce long voyage et à peine déshabillé je m'endors illico.



Dimanche 19 Mai -

Sitôt réveillé je vais faire mon premier tour de ville. Il est près de midi et il fait très chaud au gros soleil. Huancayo, capitale de la province de Junin, située à 3250 m d'altitude, compte une population d'environ 50.000 habitants. Toute la vallée du Mantaro où la ville est bâtie constitue une importante région agricole, productrice de blé entre autres. Près de Huancayo se trouve l'Institut de Géophysique où sont étudiés les phénomènes sismiques, météorologiques et cosmiques. La ville en elle même ne présente pas d'intérêt particulier. Le marché du dimanche est cependant l'un des plus importants du Pérou. Les Indiens y viennent de tous les environs offrir un choix considérable de produits alimentaires et d'articles en laine de lama et d'alpaca. Huancayo compte d'ailleurs quelques usines de textile (laine et soie artificielle). Les indiennes portent ici de curieux chapeaux blancs à bords relevés avec un gros ruban noir et un noeud. D'autres portent un chapeau rond à bord droit de couleur marron. L'Avenue principale qui traverse la ville depuis la voix ferrée jusqu'au rio près duquel se trouvent les abattoirs municipaux et qui porte le nom de Real est bordée de boutiques, de restaurants, de banques. Près de l'ancien marché se construit actuellement un centre commercial moderne. On peut avoir une belle vue panoramique sur Huancayo et toute la vallée du Mantaro en montant au sommet de la « butte de la liberté » proche de l'agglomération. Au retour on peut traverser le plus ancien barrio de Huancayo. Aujourd'hui dimanche la population est répandue au soleil sur les places, devant la cathédrale, sur les trottoirs du Real. On fait queue devant les cinémas où l'on donne « la fuite des généraux » et la « Douceur de vivre ».



Lundi 20 Mai -

A 07H je quitte Huancayo par le car pour Huancavelica, localité située à 70Kms plus au sud. Après avoir traversé la zone des cultures, la piste s'élève à travers un paysage plus aride et très accidenté. Le ciel est très pur et le soleil dissipe au fond des vallées les dernières brumes matinales. Nous faisons une première halte à Izcuchaca, petit bourg à flanc de montagne au bord de la vallée au fond de laquelle coule le rio Mantaro. C'est pour les écoliers l'heure de la rentrée. Les garçons sont en uniforme militaire et les filles en bleu-marine et blanc. C'est la levée des couleurs péruviennes que saluent militairement tous les garçons au garde à vous. Puis l'instituteur entonne sur son trombone l'hymne national que reprennent en chœur tous les écoliers.

Le reste du parcours jusqu'à Huancavelica nous fait traverser une belle région montagneuse et sauvage, coupée de vallées. Les villages y sont rares et insignifiants. Nous chargeons au passage quelques sacs de papas. La petite ville de Huancavelica, chef lieu du département, ne se découvre qu'au dernier lacet de la route après avoir dépassé un énorme chaos de rochers. Isolée des vents violents de la sierra par un cirque de montagne à 3800 m d'altitude elle compte environ 10.000 habitants et apparaît très pimpante avec ses toits de tuiles rouges au dessus desquels émergent les clochers de ses cinq ou six églises.

Huancavelica-Izcuchaca

Je n'ai malheureusement pas le loisir de profiter longtemps de cet endroit très attachant car je dois rentrer le soir même à Huancayo et par le petit « auto-wagon » de la pittoresque ligne ferroviaire Huancavelica-Huancayo inaugurée en 1926. Celle ci nous fait longer le Mantaro tout au long du parcours. Nous faisons halte à Acoria (3170 m d'altitude), à Caceres (2812m), à Telleria (3006 m). Comme nous approchons de Huancayo l'orage qui menaçait depuis le début de l'après midi éclate tout à coup en éclairs et tonnerre davantage qu'en pluie. Après avoir laissé passer l'averse, je quitte la petite gare pour aller flâner sur le Real jusqu'à la tombée de la nuit et vais dîner en plein air d'une soupe et d'un plat de riz au charqui (viande boucanée), menu péruvien classique.

 

Mardi 21 Mai -

Après avoir réglé quelques affaires en ville, je prends un bus inter urbain pour me rendre à l'université du Mantaro. Une belle route goudronnée (la première depuis Arequipa) nous fait traverser des quartiers banlieusards (San Jeronimo, Concepcion, Jauja). L'  " universidad agraria del Centro » a été fondée il y a quatre ans seulement. Elle dépend de l'Université San Marcos et regroupe trois sections : agriculture, zootechnie et afforestation. Elle compte actuellement 400 étudiants et 25 professeurs. Le diplôme d'ingénieur agronome peut s'obtenir au bout de cinq ans d'études. En attendant le retour de mon ami Eduardo qui enseigne ici, on me laisse visiter les lieux. Les divers bâtiments (salles de cours, labos, bibliothèque, cantine, dortoirs) sont accueillants, disséminés parmi les eucalyptus. Tout autour, sur plusieurs dizaines d'hectares, s'étendent cultures et plantations expérimentales ainsi que des pâturages pour le cheptel bovin. La faculté de zootechnie comporte un laboratoire d'insémination artificielle.

Je passe le restant de la journée en discussions (en anglais) avec le directeur de la faculté de zootechnie et plusieurs étudiants et professeurs. Nous parlons aussi politique et même de la querelle linguistique en Belgique (l'un des profs a été quelque temps à l'université de Louvain). Les étudiants (ici plus qu'ailleurs) sont tous « contestataires », barrent fréquemment les routes et boycottent les cours pour appuyer leurs revendications. Leur réprobation de l'actuel régime du Président Fernando Belaunde—Terry (55 ans, architecte) est quasi unanime. Si une grande partie d'entre eux sont sympathisants d'un régime castro-communiste, d'autres restent « Action Populaire » (parti de Belaunde) mais tout en critiquant vivement leur président. Le ressentiment à l'égard des Américains du nord est unanime et non dissimulé, tandis que le Président de la République française jouit d'un grand prestige ce qui n'est pas sans m'étonner de la part de gars plutôt admiratifs de Fidel et du Ché. On ne comprend pas ici ce qui se passe en ce moment en France, à Paris surtout. Beaucoup m'interrogent sur les motifs de cette crise sans précédent. Je m'en tire laconiquement - car moi même ne suis pas au courant des évènements de Mai que j'ai appris en lisant hâtivement et mal (en espagnol) les gros titres des journaux liméniens devant les kiosques - en plagiant une formule célèbre : pas une émeute (la chienlit) Sire (de Gaulle) mais une révolution (culturelle) dirigée davantage contre les institutions que contre des hommes et leur politique. Je n'ai pas eu non plus le temps d'y réfléchir il faut dire. Mais çà semble sérieux, un phénomène nouveau, issue de la jeunesse, inattendu en tous les cas et qui a complètement désarçonné de Gaulle qui ne s'en relèvera peut être pas.

 

Mercredi 22 Mai -

C'est aujourd'hui que je dois quitter Huancayo pour rejoindre Lima. Tout en prenant notre desayuno, nous bavardons si bien, Eduardo et moi, que nous en oublions l'heure du train. Nous arrivons à la gare juste à temps... pour le voir s'éloigner. Qu'à cela ne tienne, mon camarade fait aussitôt demi tour et lance sa jeep dans une course-poursuite jusqu'à Concepcion où nous arrivons en même temps que le train. Bravo « maestro » !

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Le chemin de fer du Centre (Ferrocaril del Centro) qui relie Huancayo à Lima-Callao par la Ororya, long de 420 Kms, a été réalisé entre 1870 et 1893 par l'ingénieur américain Henry Meiggs. C'est la ligne la plus haute du monde puisqu'elle franchit le col du Ticlio à près de 4800 m d'altitude. Elle traverse 66 tunnels, franchit 59 ponts et comporte pas moins de 22 tronçons en zig-zag que le train doit parcourir alternativement en marche avant et en marche arrière. Les matériaux et les équipements nécessaires à sa construction furent importés des Etats Unis et d'Europe tandis que la main d'œuvre comprenait outre des Péruviens, des Boliviens, Chiliens et aussi des coolies chinois. Des difficultés financières puis la guerre avec le Chili (1879-1883) interrompirent les travaux. Pressé par ses obligataires britanniques, le gouvernement péruvien dût céder le chemin de fer à une compagnie anglaise en échange de l'annulation de sa dette. La ligne la Oroya -Cerro de Pasco – Callao assure principalement le transport des minerais.

Le service voyageurs est incontestablement le meilleur du Pérou. Les « seconde » correspondent aux « Première » des autres lignes. Après le gros village de Concepcion (déjà cité) où l'on élève des truites en viviers, nous faisons halte à Matahuasi puis à Jauja, importantes agglomérations de la vallée agricole du Mantaro. Nous allons entrer ensuite dans des montagnes arides en remontant le cours du Mantaro aux eaux rougeâtres. Haltes à Lloclla-pampa, Pachacayo, Huari, avant d'arriver au centre minier de la Oroya à 3710 m d'altitude. Avec ses fonderies, ses puits et son cirque de collines désolées, l'endroit n'est pas des plus accueillants. La population est ici d'environ 35000 habitants. Le personnel de direction de la C.P.C (Cerro de Pasco Corporation)est basé à Chulec à quelques Kms de la Oroya. Ce grand centre industriel se trouve à l'intersection des rios Mantaro et Yauli, à 185 Kms de Lima.

A « cut off » nous sommes à 3954 m d'altitude. Après Mahr-Tunnel qui n'est pas un tunnel de chemin de fer mais une énorme canalisation drainant les eaux usées des mines, voici Yauli à 4140 m d'altitude au pied d'un magnifique glacier.

A Rumichaca-Arriba nous arrivons au niveau des neiges éternelles.

Tout au long de la montée vers Ticlio on peut admirer d'inoubliables panoramas sur la cordillère enneigée. Après Gallera (4781 m) nous entrons dans le tunnel qui traverse le Mont Meiggs

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et au milieu duquel est atteinte l'altitude maxi de 4800 m. A la sortie nous nous arrêtons à la station de Ticlio qui dessert les mines de zinc et de plomb de la Volcan Company.

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S'y embranche également une ligne secondaire de quinze Kms jusqu'à Marococha, autre centre minier important. La descente rapide du Ticlio est tout aussi fantastique que la montée. Nous passons à Chinchan, G.W.Morkill (?) centre industriel, puis Casapalca (4100 m) petite ville active qui s'est développée sous l'impulsion de la C.P.C. Les fonderies se cachent au fond d'une gorge profonde. Corso Vado (carrières et usines à chaux), Saltacuna, puis par une succession de marche-avant et marche-arrière nous redescendons dans l'étroite vallée du Rimac jusqu'à Chicla. A travers plusieurs tunnels la descente continue longeant le rio Rimac que nous traversons et retraversons plusieurs fois. La gorge encaissée que dévalent les eaux furieuses du rio est très impressionnante. Caclay-Arriba (encaissé dans le canyon), San Mateo (sources minérales), Tamboraque (3008 m) centre minier, Ucatara, Matucana (2389 m). A partir de San Bartolome la vallée du Rimac commence à se couvrir de végétation. Nous surplombons la route qui monte depuis Lima jusqu'au col d'Anticona. Insensiblement les montagnes s'écartent et nous entrons bientôt dans une succession de vallées verdoyantes offrant de grandes variétés d'arbres fruitiers et de fleurs. A 850 m d'altitude (seulement !)nous sommes à Chosica au pied de montagnes désertiques aux tons rougeâtres. Cette localité offre l'aspect d'une ville tropicale résidentielle avec ses villas modernes entourées de jardins exotiques.

Passé l'hacienda San Juan et Cajamarquilla (où se trouvent les ruines d'un village inca) nous traversons le plafond de nuages cotonneux qui nous cachait la Capitale. A grands coups de sifflet (car les passages à niveau gardés n'existent pas au Pérou) le train traverse des plantations de coton et de maïs puis les quartiers misérables des faubourgs de Lima pour nous arrêter à la gare centrale, derrière le Palais du Gouvernement.

Après ces jours de solitude andine voici de nouveau la grande ville surexcitée. J'ai l'intention de repartir dès demain pour Pucallpa en Amazonie péruvienne mais pour cela je dois me mettre en quête d'un transport. Après avoir sur de mauvais renseignements (ou mal compris) parcouru inutilement des kilomètres à travers la ville, je trouve enfin l'entreprise de transports pour Pucallpa dans le quartier de la Victoria là où précisément je suis hébergé chez la mère d'Eduardo. Départ prévu demain à 14H, arrivée à destination Samedi en fin de matinée, normalement. Étant donné le peu de temps qu'il me reste, je rentrerai de Pucallpa par avion afin de pouvoir repartir sans tarder pour un dernier circuit vers le Nord du Pays.

 

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17 mars 2010 3 17 /03 /mars /2010 12:53

 

 

Dimanche 12 Mai -

indiennes-cuzco

Me voici donc au Cuzco « nombril du monde » pour l'empire inca, aujourd'hui ville de près de 100.000 habitants, situé à 3.300 m d'altitude et considérée comme la capitale archéologique et historique de l'Amérique du Sud. La population est en grande partie métis mais compte encore d'anciennes familles de pur sang espagnol. Les vallées de la région ont un sol assez fertile favorisant l'agriculture. De toutes les cités antiques, Cuzco est la seule à demeurer vivante et à garder traces dans ses rues mêmes des différentes époques de son histoire, combinant harmonieusement l'ancien et le moderne. Par le fait la ville est en elle-même un immense musée.

Cuzco est en voie d'expansion et de nombreux quartiers résidentiels ont depuis peu fait leur apparition dans la périphérie, du côté de l'aéroport notamment. La Plaza de Armas marque invariablement le Centre de la ville comme au temps des Incas ou lors des fêtes étaient exposées les momies sorties du Temple du Soleil et où plus tard furent exécutés les révoltés indiens d'avant l'indépendance.

Cuzco4

Sur la place entourée d'arcades coloniales pas moins de quatre églises : au nord la cathédrale construite en granit à l'emplacement d'un temple dédié à Viracocha. Commencée en 1536 elle ne fut achevée qu'un siècle plus tard. De chaque côté de la cathédrale les églises de Jesus-Maria et d'el Triomfo.

A l'est de la place d'armes se trouve la plus belle église du Cuzco, la Compaña de Jesus construite sur l'emplacement du Temple des serpents (Amaru Cancha) à la fin du XVIIème siècle. L'extérieur est d'un ensemble gracieux tandis qu'à l'intérieur se remarquent de riches autels sculptés et aussi une importante collection de peintures. La maison des Jésuites a côté de la Compaña a vu naître l'université du Cuzco fondée en 1692. Celle-ci se trouve aujourd'hui à l'extérieur de la ville, considérée comme l' université « rouge » du Pérou.

Au sud de la Place d'armes se trouve l'église et le cloitre de la Merced datant de 1534 reconstruits au XVIIème siècle. San Francisco reflète certaines influences indiennes tandis que l'église de Belen de los reyes doit sa construction à un indien. San Domingo a été construite au XVIIème siècle également sur les murs mêmes du Temple du Soleil (Koricancha) élevé par l'inca Pachacutec et avec les pierres provenant de cet édifice. Cuzco compte encore dix autres églises (!) toutes du plus grand intérêt architectural et abritant de nombreux trésors : statues, orfèvreries religieuses, tableaux de l'école dite du Cuzco (XVII/XVIIIème) représentant des scènes religieuses et historiques, des personnages de saints ou de grandes familles catholiques espagnoles.

En se promenant à pieds au hasard des vieilles rues on peut remarquer d'anciens murs incas de hauteur variable (celui de la calle Hatunrimiyoc fait environ quatre mètres et comporte une énorme pierre taillée comptant pas moins de douze angles). La calle Loreto est bordée sur un côté par le mur de la « maison des femmes choisies » (Ajlla huasi) et de l'autre par celui du temple des serpents (Amaru Cancha). Un grand nombre de maisons d'habitation reposent sur des fondations de constructions datant de l'époque incasique.

Le couvent de Saint Dominique comporte des restes du temple des étoiles et de la lune.

Plusieurs palais coloniaux sont à avoir : le Palacio del Almirante, la maison coloniale de Jan Borja où séjourna Simon Bolivar après la célèbre bataille d'Ayacucho, le Palais Concha au balcon finement sculpté, le Palais du marquis Valleumbroso, le Palais épiscopal sur l'emplacement de celui de l'inca Roca, la maison Valverde où naquit le chroniqueur d'origine inca Garcilaso de la Vega. Tous ont été plus ou moins endommagés par le tremblement de terre de 1950.

Le visiteur doit faire un tour sur le mercado et dans les quartiers adjacents. On peut y observer à loisir les allées et venues incessantes de la foule indigène et admirer les costumes typiques de la région du Cuzco.

J'ai parlé précédemment d'Arequipa comme de la plus belle ville du Pérou. La plus intéressante sur le plan archéologique et historique est incontestablement le Cuzco. Pourtant je ne garderai pas un très bon souvenir de la population métisse qui considère d'emblée tout étranger comme un « yankee » bourré de dollars et qu'il convient d'exploiter au maximum tout en affichant à son égard une ironie méprisante cachant en réalité un sentiment d'envie et de frustration vis à vis de l'Amérique du nord. Ce n'est qu'avec un jeune indien que j'ai pu engager une conversation tant soit peu amicale. Il est vrai aussi que l'attitude se modifie un tantinet quand on dit être « européen », en particulier français, et non américain.

A l'extrémité nord-est de la ville se dresse la colline de Sacsayhuaman mot signifiant « repaire de faucons » en quetchua. Rien de surprenant à ce que ce point stratégique dominant toute la vallée ait été utilisé comme place forte. Le flanc de cette colline faisant face à la ville présente déjà par son à pic une défense naturelle. Mais par contre l'autre face restait vulnérable à l'invasion. Pour cette raison furent élevées de ce côté les murailles cyclopéennes qui font aujourd'hui notre admiration. La forteresse de Sacsayhuaman reste sans conteste l'oeuvre la plus remarquable de l'ancien Pérou.

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Composée de trois enceintes en dents de scie reliées entre elles par des passages étroits menant à trois portes trapézoïdales, elle s'étendait sur un front de plus de trois kilomètres. L'assemblage en puzzle de ces énormes blocs de granit, l'exactitude de leur taille et de leur appareillage ne laissant aucun interstice entre eux et l'évasement des murailles à leur base ont assuré à la forteresse une solidité à l'épreuve des tremblements de terre. Si elle présente aujourd'hui l'aspect de ruines cela est dû au fait que les Espagnols après l'avoir envahie la démantelèrent pour en utiliser les matériaux.

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Au centre de la première enceinte se dressaient trois tours, l'une ronde (muyoc marca), les deux autres rectangulaires (sallac marca), tour de l'eau et paucar marca (belle tour). De l'autre côté de la grande esplanade, face à la forteresse, un rocher de vingt mètres de haut a été taillé en degrés formant ce que l'on appelle aujourd'hui le trône de l'Inca. C'est sur cette immense esplanade que se tient chaque année, le 24 Juin, la fête de l' Inti Raimi, ou fête de l'indien, reconstitution historique de la grande fête solaire des incas.

Le chroniqueur Garcilaso de la Vega attribue à l'empereur Yupanqui (1400 environ) la construction de Sacsayhuaman mais les dernières recherches archéologiques tendent à prouver que celle-ci fut bien antérieure aux incas. L'archéologue anglais Clements R. Markham en situe l'origine dans une ère mégalithique qui, à différentes époques, aurait vu naître Tiahuanaco, Chavín, Chachapoyas et plusieurs autres sites du même ordre. Sous l'empire inca, Sacsayhuaman fut également ville sainte et il est possible que les empereurs incas l'aient agrandi, renforcé et aménagé. Markham n'a pas hésité à affirmer que Sacsayhuaman était comparable à aucune autre construction au monde.

Non loin de Sacsayhuaman, sur la colline de Soccoro, se trouve le site mystérieux de Khenko (endroit tortueux).

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Une muraille en demi cercle dans laquelle vingt et un sièges ont été taillés formant un amphithéâtre au centre duquel se dresse une curieuse pierre levée de quatre à cinq mètres de haut. Derrière celle ci, une énorme masse de roche curieusement taraudée et ressemblant à une éponge ferme l'hémicycle. Depuis le sommet de ce rocher des rigoles en zig zag ont été creusées et en dessous un canal mène jusqu'à un grand bloc de pierre taillé en forme d'autel. Khenko devait donc avoir une signification religieuse avec peut être sacrifices humains. Quel rite y observait-on exactement ? Certains disent celui de la Pacha mama (Terre mère), d'autres celui du Puma assis qu'évoquerait plus ou moins la grande pierre levée avant que sa partie supérieure n'ait été cassée, d'autres enfin celui du Soleil, la pierre levée n'étant somme toute qu'un inti watana (une pierre cadran solaire).

Sept kms séparent Khenko de Tambo machay, sur la route de Pisac.

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Un peu avant d'y arriver, à droite de la route, se trouvent les ruines d'une construction en petit assemblage qui dût être un poste d'observation militaire.

Tambo Machay signifie « lieu de repos » en quetchua. On a cru voir dans ce petit ensemble architectural au style caractéristique de la période inca un temple voué au culte de l'eau. Une source jaillit en effet à cet endroit. Sur le chemin du retour vers Cuzco ont peut admirer l'ensemble des ruines de Sacsayhuaman et jouir d'une belle vue sur la ville et la vallée.

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Lundi 13 Mai -

Il est 6H et je me trouve devant la petite station ferroviaire qui assure le service jusqu'à Huadquiña faisant halte à Macchu Picchu où je me rends aujourd'hui. Une foule indigène attend déjà l'ouverture, assis sur les marches, certains ayant dû passer la nuit ici car il y a encore des hommes et des femmes couchés par terre enveloppés dans une couverture. En face c'est le marché où règne déjà l'animation habituelle. Les éternels porteurs ployés sous d'énormes charges trottinent en tous sens tandis que cars, camions et taxis dont un raffut de tous les diables se frayant passage à coups de klaxon. Je vais prendre un café avec un petit pain sur le trottoir d'en face. Il fait froid et le gobelet fumant que me tend la chola (métisse), le seul qu'elle possède et qui passe donc de main en main, est le bienvenu.

La foule a encore grossi devant les grilles toujours fermées. Les femmes assises sur leur paquet donne la tétée à leur dernier. Autour de moi on parle le quetchua qui reste la langue parlée entre eux par les campesinos des régions isolées. L'apport espagnol est toutefois de plus en plus important.

Mais voici le gardien de nuit qui vient ouvrir les grilles et c'est une belle ruée sur l'unique guichet. Je dois jouer des coudes comme tout le monde pour obtenir un billet. Je laisse partir la petite automotrice directe pour Macchu Picchu affectée en principe aux touristes pour monter en seconde à mon habitude. Toutes les places sont déjà occupées, je m'y attendais. Qu'importe, je ferai le trajet debout à l'extrémité d'un wagon ce qui me permettra de descendre à chaque arrêt me dégourdir les jambes, éventuellement prendre des photos. Je me trouve côte à côte avec un voyageur déjà rencontré dans le train de Puno à Cuzco. Nous engageons la conversation. Ce jeune cholo profite de deux jours de congé pour aller au Machu Picchu. Il est téléphoniste dans une cimenterie d'Arequipa. Vers 8H seulement nous démarrons. Et d'abord il nous faut sortir de la vallée ce qui n'est pas une mince affaire. La pente très forte ne laisse pas de place suffisante pour un seul virage si bien que la ligne comporte plusieurs tronçons en zig zag que le tortillard parcourt successivement en marche avant et en marche arrière. Cela du moins laisse le temps de regarder le paysage, Cuzco et sa vallée mal dégagée encore des brumes matinales.

Après six manœuvres, marche avant - marche arrière, nous sommes arrivés à un col à 3600 m d'altitude, point le plus élevé du parcours. La vue s'étend loin et, au nord ouest, dominant toute la sierra , le majestueux Salcantay (6271 m).

Salcantay

Notre tortillard suit un moment la route d'Urubamba à travers une campagne verdoyante et assez bien cultivée que nous saluons de puissants coups de sirène, dignes des plus grandes lignes ! Les haltes sont fréquentes à proximité de minuscules agglomérations d'où les femmes accourent porteuses de fruits et de victuailles à offrir aux voyageurs. Cet itinéraire est particulièrement intéressant car il donne une assez bonne idée de la vie rurale dans cette région. Les plantations d'eucalyptus sont nombreuses et j'ai aussi remarqué de petits peupliers au feuillage jaunissant.

On se rapproche peu à peu de la chaîne de nevados tout en nous enfonçant progressivement dans la profonde vallée du rio Vilcanota qui, plus loin, devient l'Urubamba puis l'Ucayali avant d'aboutir au fleuve Amazone.

vallé du Vilcanota

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Le fond de cette vallée que nous allons suivre jusqu'au pied du Machu Picchu est envahi par une végétation luxuriante au milieu de laquelle les cactus et les maguey (sorte d'agaves) mettent une note tropicale. De petits champs occupent des pentes impressionnantes et nous rencontrons quelques chaumières blotties au milieu de buissons de cactées. Au fur et à mesure de notre progression à travers un canyon aux parois vertigineuses qui me font penser à plus grande échelle aux gorges du Verdon, la végétation devient de plus en plus touffue et de plus en plus verte jusqu'à devenir une véritable jungle. En effet, c'est de l'autre côté de la cordillère que nous longeons en ce moment, sur notre droite, que commence le versant amazonien. Sur notre gauche, à quelques mètres seulement au dessus de la voie ferrée, le rio Vilcañota roule rageusement ses eaux claires, bouillonnantes et glacées. A partir de Collantaytambo, la route s'interrompt le tronçon devant la relier à Qillabamba étant en cours de construction. De la plate forme arrière du wagon où je me tiens debout depuis le Cuzco, je dois rejeter la tête complètement en arrière pour pouvoir apercevoir au dessus de nous le ciel que la profondeur et l'étroitesse de la gorge réduit à un mince ruban bleu. Ici la Nature écrase l'homme de toute sa masse. Nous passons à proximité de la centrale hydroélectrique de Machu Picchu qui alimente le Cuzco et sa région et faisons halte à la station du même nom où nous profitons de l'arrêt-buffet en dégustant une soupe aux grains de maïs et un plat de riz. Le prochain arrêt, Puentas Ruinas (1998 m d'altitude) à 104 Kms du Cuzco nous laisse au pied de la cité inca dont on aperçoit la partie supérieure quelque 600 mètres plus haut.

Nous profitons d'une camionnette qui monte des sacs de ciment jusqu'à l'hôtel Touristas pour gagner le sommet par un chemin très raide en lacets et qui nous fait entrevoir déjà l'impressionnante grandeur du site.

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Le Huayna Picchu (jeune ou petit pic) se dresse devant nous tel un énorme pain de sucre que contourne en une large boucle le rio Vilcañota coulant à plus de 1500 m plus bas que son sommet. Plus haut encore mais caché derrière de grosses masses de nuages se cachent les cimes immaculées de la chaîne du Salcantay. Ce paysage véritablement à couper le souffle explique bien des choses quant au choix de l'emplacement donné à cette mystérieuse cité oubliée que découvrit en 1912 l'explorateur et archéologue américain Hiram Bingham et dont les ruines étaient alors totalement recouvertes par la végétation. Dans la préface de son livre célèbre « Lost city of the Incas, the story of Machu Picchu and its builders » il a écrit ceci :

  • Il y a environ quatre cents ans les derniers Incas s'étaient réfugiés dans l'une des régions les plus inaccessibles des Andes, celle qui s'étend entre les fleuves Apurimac et Urubamba, tous les deux affluents de l'Amazone. D'infranchissables précipices, des cols de plus de 4800 m, des canyons de plus de 1500 m d'a pic, des glaciers et des jungles montagnardes les coupaient du reste du Pérou qu'occupaient alors Pizarro et les conquistadors. Pendant trente cinq ans ils jouirent ainsi d'une indépendance presque totale comme leurs ancêtres l'avaient connue pendant des siècles. Ils avaient deux capitales : Vitcos, sorte de quartier général hâtivement construit où ils recevaient de temps en temps quelques réfugiés, des émissaires espagnols et des missionnaires de l'ordre de Saint Augustin, et Vilcapampa, leur centre principal, magnifique, sanctuaire où nul espagnol n'avait jamais pénétré. Après la mort du dernier Inca en 1571, Vitcos tomba à l'abandon. C'était une forteresse située au sommet d'une montagne et difficilement habitable. Son nom même finit par disparaître et sa localisation se perdit. La cité royale de Vilcapampa sombra dans un oubli complet. C'était un sanctuaire caché au bord de profonds précipices dans un canyon terrifiant où le secret de son existence fut conservé précieusement pendant trois siècles à l'ombre de la montagne du Macchu Picchu. -

    Les ruines actuelles du Machu Picchu (vieux pic) s'identifient donc à celles de Vilcapampa que recherchait Bingham. Elles nous révèlent cependant presque rien des origines de la ville. Certains les font remonter à une époque bien antérieure aux Incas. Pour sa part, Hiram Bingham y voit le centre d'un petit royaume où était conservée toute la tradition du peuple qui développé la civilisation de l'ancien Pérou. Ici donc s'est peut être éteinte à jamais la civilisation inca.

Les ruine du M.P. S'étendent sur trois degrés : la cité du travail, la cité militaire et la cité religieuse, cette dernière occupant la partie la plus élevée. Commençons par celle-ci. On y trouve d'abord le temple aux trois fenêtres trapézoïdales. A proximité de celui ci une pierre plate ayant dû servir aux sacrifices. L'observatoire est construit sur un rocher au centre duquel se dresse une colonne de pierre à section rectangulaire appelée inti watana

machu picchu1

ou pierre solaire servant à fixer le cycle des saisons et des heures du jour. On retrouve une pierre semblable à Pisac non loin du Cuzco. Une autre opinion voit dans cette pierre dressée un culte phallique s'appuyant sur le fait que les ossements humains retrouvés à M.P. appartenaient tous à des femmes, les « femmes choisies » consacrées au culte du Soleil, lui même symbole de vie. Opinion qui n'empêche pas l'autre au demeurant.

Le Palais se compose de deux halls s'ouvrant sur un patio commun. Jouxtant quelques types d'habitations ayant appartenu au clergé.

Le quartier militaire comprend, outre la remarquable tour de guet ronde (Torreón) construite sur un rocher, quelques ouvrages de défense et le palais des chefs.

Machu Picchu map

Enfin les quartiers les plus bas comportant des maisonnettes carrées à fenêtres trapézoïdales et quelque trois mille terrasses de culture, certaines taillées directement dans le rocher. Le sommet du Huayna Picchu lui même recèle des traces de cultures en terrasses.

Le système d'écoulement des eaux et d'irrigation des terrasses semble avoir été particulièrement bien étudié.

Toutes ces ruines ont la beauté sévère des constructions incasiques, sans aucun ornement, rien que la pierre taillée et nue.

Le site du M.P. à lui seul mériterait que l'on y séjournât au moins quelques jours. L'intérêt archéologique est indéniable mais aussi et surtout ce qu'il y a alentour, l'atmosphère, la beauté sublime du cadre, presque envoutante. A l'heure où les ombres s'allongent sous le soleil déclinant, celle du Huayna Picchu, immense, couvre l'autre bord de la gorge vertigineuse. Mais il est temps de redescendre. Bientôt la nuit aura rendu àson mystère la ville oubliée des derniers Incas.

J'ai passé cette nuit là au petit pueblo de Machu Picchu en compagnie de deux jeunes cholos rencontrés au cours de ma visite des ruines. Redescendus à pieds ensemble jusqu'à la voie ferrée, nous l'avons suivie jusqu'au village, à deux kilomètres. L' alcade nous a autorisés à coucher dans la petite école faisant aussi office d'infirmerie-hopital. Avant qu'il ne fasse trop sombre nous sommes allés jusqu'à une source chaude que mes compagnons connaissent et que j'ai baptisée Bagnos del Inca. Nous nous y somme baignés entièrement nus à la seule lueur des lucioles voletant par milliers en tous sens. L'étrangeté de la situation, le cadre sauvage et le silence qui nous entourait m'est resté en souvenir.

Nous sommes retournés au pueblo en frissonnant un peu après la tiédeur de l'eau pour dîner frugalement à l'unique épicerie d'une soupe fumante, d'une tasse de thé et de trois petits pains.



Mardi 14 Mai -

Nous sommes debouts aux premiers rayons du soleil lesquels ne pénètrent qu'assez tard au creux de cet étroit ravin. Le minuscule village est réveillé depuis longtemps et l' alcade vient nous saluer et nous demander si nous avons bien dormi. Oui même si nous avons trouvé la couverture un peu mince. Des enfants jouent sur la place devant l'église rustique au toit de tôle ondulée. Nous allons prendre un café chez la chola de l'épicerie où nous avons dîner hier au soir. En attendant le train du Cuzco, nous flânons dans la « grand'rue » qui n'est autre que la voie ferrée elle même bordée sur un côté de bananiers et d'orangers. Nous sommes très peu de voyageurs à prendre le tortillard qui s'annonce bientôt à grands coups de sirène. Les voitures sont déjà pleines à craquer. Je m'installe avec mes deux compagnons sur la plate-forme qui relie deux wagons. Nous sommes tractés par une loco à vapeur qui va nous gratifier tout au long du trajet d'une pluie d'escarbilles. A l'intérieur, les indiens et leurs paquets sont entassés à un point inimaginable. Un jeune garçon tient une poule les pattes entravées au dessus de sa tête pour que celle-ci respire ! Le contrôleur arrive néanmoins à traverser les voitures pour faire son boulot ... sans jamais ou presque fouler le plancher ! A défaut de confort, les trains péruviens ont du pittoresque à revendre et si l'on s'y bouscule et s'y écrase c'est toujours sans se fâcher. Il nous faudra près de six heures pour rejoindre Cuzco où je prends congé de mes deux compagnons.

Une grosse averse s'abat en fin d'après midi que j'ai consacrée à des mises au point sur la poursuite de mon voyage. Je repartirai après-demain pour Abancay par le car de la compagnie Morales. Le soir je vais dîner au restaurant Cuzco qui s'avère être le rendez vous attitré des américains du Peace Corps. Cette institution d'aide technique aux pays du Tiers-Monde et en particulier ceux de l'Amérique latine est considérée avec défiance pour ne pas dire hostilité par l'intelligentsia péruvienne voyant en elle un instrument d'espionnage et de domination de la part des Yankees.

Je vais consacrer toute la journée de demain à une dernière visite du Cuzco.



Mercredi 15 Mai -

Cuzco. Il fait beau. Pour une fois rien à signaler. Je suis allé à pieds jusqu'au petit aéroport herbeux à l'exception de la piste. Me suis couché dans l'herbe au soleil imitant le lézard. Vu deux petits avions décoller puis atterrir.

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16 mars 2010 2 16 /03 /mars /2010 15:26

Mercredi 8 mai -

Comme je fais les cent pas sur le quai en attendant le train de Puno, je tombe sur un gringo, un Suisse en fait, globe-trotter, qui rentre après un an de voyage en Amérique latine. Au cours du trajet la Paz-Guaqui, je ferai également connaissance d'un Allemand, d'une Américaine, d'un couple de Suisses-Allemands et d'un couple de Français. Tous continuent directement sur Cuzco, je suis le seul à descendre à Puno.

Nous arrivons au petit port bolivien de Guaqui déjà cité vers 18H, juste à temps pour admirer une fois encore la Cordillère orientale teintée de rose par le soleil couchant. A 18H30 nous sommes à bord du bon vieux « Ollanta » qui lève l'ancre à 19H.

l' "Ollanta" à Guaqui (Bolivie)

003 steamer titicaca

Ce solide "steamer", un peu poussif, a son histoire. Construit en Angleterre (voir plaque ci-dessous)

011 steamer nameplate

il fut démonté complètement pour être transporté en pièces détachées jusqu'au port de Molendo et de là par le chemin de fer jusqu'à Puno où il fut remonté sur le lac et mis en service en 1932. Fantastique non ?

Avant d'aller rejoindre mes compagnons de route pour dîner, je monte sur le pont pour admirer le ciel étoilé au dessus de la masse sombre du lac le plus haut du monde (3812 m). L'air est si pur que les étoiles y brillent d'un éclat extraordinaire, presque fixe, et qui nous paraissent beaucoup plus proches. Dans quelques heures nous aurons quitté la Bolivie pour entrer dans les eaux péruviennes.



Jeudi 9 Mai -

Dès O5H je suis sur le pont de l' « Ollanta ». Le jour est déjà levé et le soleil émerge de la ligne brisée des montagnes. Nous sommes en vue de Puno.

Vers 06H30 nous entrons dans le port. Après contrôle des passeports nous débarquons et, après avoir traversé le hangar de la douane, nous rejoignons le train qui nous emmènera jusqu'à la gare où je prends congé de mes compagnons de route.

Le temps de déposer mon sac à l' Hôtel Ferrocaril et de manger un morceau, me voilà parti dans les rues de la ville. Une petite ville, froide bien que très ensoleillée, de quelque 20.000 habitants située à 3850 m d'altitude sur la rive nord-ouest du lac. C'est le chel lieu du département du même nom. L'agglomération par elle même n'est pas d'un grand intérêt. Elle possède cependant une très belle cathédrale baroque datant de 1754 et quelques palais datant de la fondation de la ville (1668). Puno est célèbre pour ses élevages de truites, les énormes truites du lac (Atherina regia, scientifiquement nommées)qui constituent avec le « suchi » (autre poisson du lac) et le saumon la spécialité gastronomique locale.

Comme je flâne sur le marché indigène (c'est toujours le meilleur endroit pour observer la population sans se faire remarquer) je suis abordé par un jeune indien qui cherche des passagers pour une visite aux îles flottantes des « Ouros ». Il me dit qu'il y a déjà plusieurs gringos qui attendent pour partir dans un instant. Bien que je n'aime pas çà, je marchande sur le prix qui me paraît tout de même bien élevé, en tout cas pour ma bourse, mon voyage est encore loin d'être terminé. On tombe d'accord et je le suis jusqu'à un hôtel où effectivement attendent trois personnes. Nous faisons connaissance : un jeune couple d'Américains, volontaires du « Peace corps » près de Cali en Colombie, actuellement en vacances, et une jeune femme française, hôtesse de l'air, basée à Pointe à Pitre. Précédés de notre guide qui est un aymara et porte le prénom de Victor, nous nous dirigeons tout en bavardant jusqu'à l'embarcadère où nous attend un minuscule canot à moteur.

Il nous faut près d'une heure pour atteindre l'île flottante la plus proche.


Gare aux coups de soleil sur le lac ils sont redoutables bien qu'en plein midi la température à cette saison qui correspond à notre hiver ne dépasse pas les 10°. La nuit elle tombe facilement à moins 5°. L'eau du lac est d'une étonnante transparence. En zig-zaguant parmiles roseaux nous nous approchons de bandes de canards sauvages d'ailleurs fort peu farouches. Les contours du lac se détachent avec netteté dans cet air exempt de toute brume.

Les îles flottantes constituent une attraction très vantée par les agences touristiques. Pour ma part j'ai été plutôt déçu de cette visite aux « ouros ». Je vais m'en expliquer plus loin.

Certains auteurs prétendent que les indiens de race Ouro furent des descendants des Arawaks aux Antilles et les premiers occupants de cette partie des Andes. Mais, refoulés peu àpeu par les envahisseurs aymara, ils se réfugièrent sur les îles flottantes que forment naturellement à certains endroits marécageux du lac les « totoras », sorte de joncs. Méprisés à la fois par les Aymaras et les Quetchuas, ils vécurent depuis complètement isolés au milieu de l'eau, se nourrissant du rhyzome de totora et des poissons du lac. Bien que sachant naviguer dans de petites embarcations de roseau, jamais dit-on ils ne remirent pied sur la terre ferme. Et encore aujourd'hui, les habitants des « totorales » qui ne sont plus de purs « ouros » depuis longtemps mais des métis d'indiens et d'ouros, n'abordent que rarement la rive de Puno.

Nous accostons sur la plus proche des cinq ou six îles du genre. Dès qu'ils nous ont vus approcher, la plupart des mâles ont dû se glisser à l'intérieur des huttes où l'on ne peut entrer qu'en rampant car nous ne trouvons à notre arrivée que des femmes et des gosses à l'exception d'un homme en train de fabriquer un radeau avec des bottes de totora. L'île ne doit pas faire plus de 60 mètres dans sa partie la plus longue. En tout cinq ou six huttes et, mais oui, une école (cet apport insigne de la civilisation valait bien qu'on la dotât d'un toit en tôle ondulé). La population d'une cinquantaine d'âmes (hommes, femmes, enfants, surtout enfants) vit là dans un état de crasse indescriptible. Bien que vivant sur l'eau, ces gens ne doivent guère en faire usage pour leur toilette. Les enfants surtout ont les joues et le postérieur tartinés de la boue nauséabonde (mélange de roseaux décomposés et d'excréments) qui forme le sol très élastique de leur île. A peine avons nous débarqué que nous sommes assaillis par ces marmailles qui a grands cris réclament propinas et friandises. Depuis que tant de gringos viennent les voir, les habitants n'ignorent plus rien de la valeur de l'argent et de la passion des touristes pour la photo. Comme en d'autres endroits plus évolués, ceux-ci sont systématiquement exploités. Après les enfants qui nous agrippent de partout ce sont les matrones, guère plus propres sinon vêtues que les marmots, qui à leur tour viennent à la charge et le malheureux touriste doit pour se libérer mettre son portefeuille à contribution, en prenant garde qu'il ne lui soit pas prestement subtilisé. Moyennant quoi il pourra prendre quelques photos et rapporter en souvenir quelques unes des très impressionnantes puces indigènes ! Avant de repartir je remarque sur une petite claie de roseau de minuscules pommes de terre récoltées sur l'île même m'affirme-t'on (dans le lit de fumier qui en forme le sol). Tout comme les indiens des Andes, les Ouros les exposent alternativement au chaud et au froid pour les deshydrater et en obtenir une sorte de fécule (chuño).

Si, bien souvent, au cours de mes déplacements à travers les Andes j'ai éprouvé de la pitié devant l'extrême dénuement de la population indigène, cette pitié fut toujours respectueuse pour l'indien qui est travailleur et a sa fierté. Mais ici je dois dire cette pitié a frisé le dégoût devant cette pitoyable humanité croupissant sur son fumier et s'y complaisant depuis que le tourisme a fait d'elle un objet de curiosité tout en lui apportant une manne de propinas. Les deux ou trois photos que j'ai eu le coeur de prendre chez les Ouros feront peut être leur effet mais ce sont bien les plus mauvais souvenirs que je garderai du Pérou.

Jeudi 9 Mai -

Revenus à terre, notre jeune guide (Victor) nous fait une proposition intéressante pour l'après-midi. Il connait un chauffeur de taxi qui pourrait nous emmener tous voir l'église de Lampa et les « Chulpas » pour un prix très raisonnable.

Dans une grosse Ford ancien modèle nous roulons vers le Nord en longeant le lac et la ligne de chemin de fer de Juliaca. La piste est très mauvaise par endroits et notre « maestro » n'hésite pas à la quitter pour rouler carrément sur la puna. Le paysage traversé est immense et désolé. La tristesse du « yaravi » (cet air andin joué sur les quénas) s'accorde bien avec cette vaste solitude. Au bord de la piste, à des lieues de toute habitation, nous croisons de loin en loin une indienne accroupie près de son ballot. Qu'attend-elle? Peut être un hypothétique véhicule ? Ou bien se repose-t'elle de la longue marche qu'elle doit faire pour se rendre d'un point à un autre ?

Nous arrivons en vue de quelques pauvres habitations entourant une église toute blanche aussi imposante qu'inattendue en pareil lieu. A proximité quelques troupeaux de moutons paissent l'herbe rare de la puna. Nous poursuivons notre route un peu plus à l'ouest traversant une contrée plus accidentée où notre guide nous signale de petites cultures de pommes de terre qui nous affirme-t'il sont encore plantées à la manière des Incas, c'est à dire avec le « tajlla » ou bâton à fouiller. Nous dépassons des troupeaux de lamas et d'alpacas, admirant au passage le port de tête « superbe » de ces animaux.

lama

Le guanuco est lui une sous-espèce du lama qui n'a pas été domestiqué vivant plutôt à l'état sauvage

Guanaco

La vigogne, elle, est infiniment plus douce.

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et l'alpaca célèbre aussi pour sa laine.

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Le lama dit-on est facilement irritable et manifeste sa mauvaise humeur en lançant sur l'importun un long jet de salive verdâtre, nauséabonde et urticante. Nous prenons donc quelques précautions pour approcher ces « messieurs » et les photographier nous rappelant la mésaventure du Capitaine Haddock. Ils se contenterons de nous toiser avec un souverain mépris.

Nous sommes en vue du petit lac Uyamu. Sur les hauteurs qui le dominent nous apercevons les étranges « chulpas » de Sillustani, tours funéraires d'origine pré-colombienne.

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Il en subsiste plusieurs sur une petite colline s'élevant juste derrière une ferme en adobe brune. Ces tours sont rondes, certaines en pierres simplement superposées et qui étaient destinées à recevoir le corps de personnage de second rang. D'autres plus rares sont construites avec des pierres admirablement taillées et appareillées. Celles ci recevaient le corps des grands dignitaires, parfois transféré depuis le Cuzco ou le Machu Picchu. Le paysage alentour est très caractéristique de la puna péruvienne, impressionnant par son immensité et son silence, son ciel vaste peuplé de nuages moutonneux, ses horizons de sommets enneigés. A nos pieds la lac Uyamu aux eaux bleu-vert avec en son centre une curieuse petite île en forme de plateau contribue à donner à ces lieux un caractère un peu envoûtant. C'est à regret que nous devons rebrousser chemin car la nuit sera là dans deux heures, propre à susciter cette grande peur superstitieuse que les indiens appellent le « susto »



Vendredi 10 Mai _

Pour aujourd'hui nous avons prévu, mes amis de rencontre et moi, une excursion le long de la rive sud-ouest du lac jusqu'à Desaguadero à la frontière bolivienne.

guaqui

Nous quitton Puno de bonne heure en taxi collectif. Notre chauffeur est un métis fort peu loquace. Arrêt au poste de contrôle routier obligatoire à l'entrée et à la sortie des agglomération assez importantes pour tous les véhicules de transport en commun. Il s'agit de lutter contre la contrebande très active et qui a provoqué parait-il plus d'un scandale, certaines hautes personnalités de la politique y ayant été impliquées. Ce qui est surprenant c'est que les voitures particulières ne sont pas fouillées alors qu'elles peuvent se prêter à une contrebande plus sérieuse que les pauvres indiens qui s'entassent dans les moyens de transports collectifs. Mais il m'a semblé que ces contrôles ne sont souvent qu'une formalité entre le « maestro » et le factionnaire.

Après avoir longé de très près les berges marécageuses plantées de roseaux, nous traversons Chucuito où se trouve un centre de l'ONU ayant pour mission la réhabilitation des peuples andins et comportant de nombreux ateliers. L'itinéraire que nous suivons est très intéressant car il nous fait découvrir le cadre de vie des campesinos aymaras de cette région du lac. La population paraît assez nombreuse mais très disséminée, occupée à la culture de la pommes de terre (omniprésentes dans les Andes), d'une sorte de seigle et à l'élevage de moutons et de lamas. Nous croisons plusieurs camions surchargés d'indiens et de marchandises qui se rendent au marché de Puno. Après chaque croisement nous restons un moment sans visibilité à cause de la poussière soulevée au passage du véhicule. De cette poussière andine qui s'insinue partout et que l'on mâche pour ainsi dire j'ai été saturé tout au long de mon séjour dans la sierra puisque nous sommes en saison sèche. A proximité des rares villages nous rencontrons quelques petits groupes d'écoliers qui doivent sûrement passer un temps fou à faire le chemin à pieds jusqu'à l'école et en revenir. Celle-ci est recouverte en tôle ondulée avec au milieu de la cour un mat où flotte le drapeau péruvien devant lequel, chaque matin, les enfants entonnent l'hymne national.

Mais voici la première agglomération digne de ce nom rencontrée depuis Puno : Llave avec la première des trois églises jésuites de style métis que l'on rencontre sur cette rive et qui sont les plus anciennes de la région. Celle de Llave en pierre rosée est passablement délabrée et d'ailleurs fermée à cause des chutes de pierres. L'autre église plus récente et restaurée a plusieurs autels dont le fond est en bois sculpté de décorations touffues assez intéressantes.

Le prochain village s'appelle Juli, admirablement situé sur une hauteur dominant le lac. Son église-cathédrale présente un grand intérêt artistique pour sa décoration intérieure. A noter aussi une chaire magnifique en bois sculpté et doré. Pas moins de trois autres églises dans ce village (!...) : l'Assumption, San Juan et la Cruz mais de moindre intérêt.

Après Pomata, village d'adobe dont l'église assez belle est en pierre rougeâtre, et Zépita, nous arrivons au bord même du lac à Desaguadero, à la frontière péruano-bolivienne. Nous sommes vendredi jour où l'on y enregistre le plus de passages, dans les deux sens. Aussi règne-t'il de chaque côté du pont franchissant le rio Desaguadero une animation extraordinaire. Cars, camions, taxis collectifs arrivent et repartent, chargent et déchargent d'innombrables sacs et colis, au milieu d'une foule très pittoresque. Un gros marché s'est installé en plein air où indiens et indiennes passent et repassent indéfiniment. De l'autre côté du lac se détache sur l'azur profond du ciel la blanche Cordillère orientale. Mes compagnons me quittent ici car ils ont décidé de poursuivre jusqu'à la Paz (d'où je reviens) En attendant que le chauffeur ait retrouvé assez de passagers pour remplir son véhicule et repartir pour Puno, je flâne sur le marché observant les allées et venues.

Sur la route du retour nous dépassons plusieurs véhicules en panne ou victimes de crevaisons (ce qui est très fréquent). Le soleil couchant avive les chaudes colorations du paysage et j'admire pour la dernière fois cette presque mer intérieure qu'est le lac Titicaca. Demain matin je vais quitter Puno par le train pour Cuzco, capitale de l'ancien Pérou, aujourd'hui capitale archéologique de toute l'Amérique du Sud.

 

Samedi 11 Mai -

Il est 8H15 et la grosse cloche de la gare de Puno annonce le départ. Comme d'habitude les « seconde » sont archi-bondées. A côté de moi un vieil indien très ... odorant mâche des feuilles de coca en y ajoutant de temps en temps un peu de chaux pour activer l'effet produit par la cocaïne (sinon on ne ressent pratiquement rien, j'ai essayé). Cela forme une bouilli verdâtre qui lui coule au coin des lèvres. L'usage de la coca est très répandu dans toutes les Andes, davantage chez les hommes, les insensibilisant à la fatigue et à la faim. Ma voisine d'en face qui est une métisse mâche elle aussi ... mais du chewing gum!

Vers 09H30 nous faisons halte à Juliaca (où je suis déjà passé en train dans l'autre sens). Le train est littéralement pris d'assaut par des femmes et des enfants qui viennent proposer aux voyageurs provisions et articles en laine d'alpaca et en peau. Guidée par une petite fille une vieille aveugle demande la charité tandis qu'un métis offre des cartes à jouer, breloques et, à l'intention du gringo que je suis des photos pornographiques!

Après Juliaca, voici Pucara, centre archéologique d'où serait issu dit-on la culture de Tiahuanaco. On y fabrique des céramiques représentant le plus souvent des taureaux.

Notre petit train des Andes poursuit sa route en père peinard à travers l'immense puna quasi désertique apparemment bien que l'élevage des lamas, alpacas, moutons ysoit important. Nouvelle halte au village d'Ayaviri à 92 Kms de Juliaca. Comme il est aux environs de midi, c'est aussi l'arrêt-buffet. Je fais mon menu du jour d'un fromage de lama (un peu sûr) et d'une galette de maïs que je vais manger assis sur une grosse pierre. Un gamin dépenaillé s'est approché et me regarde avec insistance. Je lui fait signe d'approcher et partage mes provisions avec lui, essayant de le faire sourire mais il persiste à me regarder sérieusement tout en portant à sa bouche son pain et son fromage. Dans un pays aussi déshérité que les Andes péruviennes, le voyageur pourrait s'attendre à être abordé à tout moment par des mendants mais il n'en est rien. Très peu demandent la charité, même aux gringos.

A la Roya La vallée s'élargit sur un beau panorama de hautes m (160 Kms de Juliaca) entouré de montagnes enneigées, nous avons atteint l'altitude de 4314m et la ligne de partage des eaux entre le Pacifique et le lac Titicaca et les tributaires de l'Amazone. La voie ferrée redescend maintenant assez rapidement dans la vallée du rio Vilcañota. Dans l'herbe verte courent des filets d'eau fumante, des sources chaudes sont en effet signalées dans cette région. La vallée s'élargit sur un beau panorama de hautes montagnes, d'arbres et de prairies dont l'aridité de la puna nous avait déshabitués.

Halte à Aguas calientes (eaux chaudes)

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puis, toujours à travers bois d'eucalyptus et champs verdoyants, Sicuani (197 Kms de Juliaca) à 3530 m d'altitude. C'est un centre agricole important. Près du village de San Pedro, à 12 Kms plus au nord, se trouvent les ruines incas du temple de Viracocha. Dommage qu'on ne puisse s'arrêter.

La campagne apparaît presque prospère avec ses champs de maïs et autres céréales, de diverses légumineuses aussi.

Non loin de Sicuani passe la nouvelle route longue de 260 Kms qui relie Cuzco à Puerto Maldonado (département du Madre de Dios)= en Amazonie péruvienne.

La vallée se resserre assez brutalement et le train serpente maintenant au dessus du torrent qui coule en contrebas au fond de la gorge.

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Quelques haltes aux curieux noms quetchua comme Combapata, Checacupe ... et nous voici à Cusipata où se trouvent les meuneries du Cuzco. Nombreux champs de maïs alentour. A Huambutio nous obliquons vers l'ouest pour suivre le rio Huatanay abandonnant à droite le Vilcanota qui va s'élargissant pour former le grand canyon de l'Urubamba allant rejoindre l'Ucayali tributaire de l'Amazone. Nous ne sommes plus qu'à une quarantaine de Kms du Cuzco. Le crépuscule envahit déjà la vallée et gagne les rudes sommets d'alentour. C'est mon voisin, un étudiant cuzquénien, qui me réveille car je m'étais assoupi alors que nous entrons en gare du Cuzco, à 390 Kms de Puno, distance que nous avons couverte en onze heures. Ce qui donnera une idée des « moyennes » sur lesquelles il faut compter dans la sierra péruvienne.

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14 mars 2010 7 14 /03 /mars /2010 16:12

 

Vendredi 3 – Samedi 4 Mai -

 

Il est 4H30 du matin lorsque je quitte l'hôtel Pullman pour me rendre à l'arrêt des cars où je vais prendre celui de Copacabana prévu à 5H30. Malgré toute l'épaisseur de mes vêtements : chandail + veste + anorak, je suis transi. L'Avenida Montes est déserte à l'exception d'un vieil indien la tête coiffée de son 'chullo' (bonnet de laine à oreillettes aux couleurs vives) qui balaie le caniveau d'en face. J'ai du mal à retrouver la calle Tumusla dans le quartier indigène de Buenos Aires. Les ruelles désertes ne sont pas éclairées et j'ai oublié ma lampe électrique. Après m'être retrouvé deux ou trois fois au même endroit, je croise enfin un couple d'indiens qui m'indique le chemin.

En haut de la rue Tumusla règne une atmosphère de caravansérail. Une vingtaine de cars et autant de camions sont à l'arrêt ou tournent sur la place tandis qu'alentour s'agite une foule d'indiens et indiennes. Pendant que l'on charge les innombrables paquets hétéroclites, le « maestro » vérifie son moteur. Des taxis vont et viennent se frayant un passage à grands coups de klaxon. Sur le trottoir quelques indiennes ont installé leur petit éventaire et servent du café chaud et des petits pains. Les premiers « camiones » débordant littéralement de passagers s'ébranlent dans une pétarade épouvantable à réveiller un cimetière tandis qu'ici et là des indiennes affolées courent en glapissant à la recherche de leur véhicule qu'elles ne retrouvent plus. Je ne saurais trop conseiller au voyageur d'utiliser ces transports populaires, non pas tant par souci d'économie que pour le pittoresque qui compense largement l'inconfort certain.

Après avoir demandé deux trois fois, je trouve enfin le car allant à Copacabana. Les places étant numérotées et ayant pris mon billet de la veille par précaution, je suis théoriquement assuré d'avoir une place assise. Mais tout est déjà archi plein, couloir compris. Le « maestro » s'apprête à me libérer ma place qui est occupée par une jeune indienne en melon noir avec son bébé encore accroché dans le doss je l'arrête en lui faisant comprendre que je serai très bien debout près de la porte (je pourrai descendre à chaque arrêt). Il semble donc que nous soyons maintenant plus qu'au complet mais, stupéfaction, de nouveaux voyageurs se présentent et pas des moins encombrants puisqu'il s'agit de deux énormes matrones. Pourtant, ô miracle ! On réussit à les caser et, autre miracle, on réussit à fermer la porte ! J'ai fait mettre devant une fillette toute seule serrant dans sa petite main brune l'argent de son billet et qui risquait d'être étouffée. Je suis moi même si serré que je ne puis remuer ni pieds ni pattes d'un centimètre.

Enfin nous démarrons et, lentement, très lentement,nous gravissons péniblement la dure montée en zig zag vers l'Alto.

les quartiers pauvres au flanc de l'Alto, la ville de la Paz en contrebas.

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Le jour commence à se lever quand nous arrivons sur l'Altiplano. Après être passés devant l'aéroport, nous quittons le tronçon de route asphaltée pour nous engager sur la piste poussiéreuse et cahoteuse (ce que l'on appelle dans les Andes une « regular ». Le spectacle est si beau que j'en oublie sans trop de mal ma position inconfortable. L'Altiplano s'étend devant nous encore noyé dans une semi obscurité alors que les crénelures de la Cordillère toute blanche sur fond de ciel orangé. Personne ne parle dans le car. L'indien est assez taciturne de nature. Après plusieurs heures de « regular » à travers une sorte de steppe quasi-désertique à l'exception de quelques petits champs où l'on cultive l' « oca » et la pomme de terre et où nous ne rencontrerons que deux ou trois villages, nous arrivons en vue du lac Titicaca d'un bleu profond encadré de montagnes qui nous semblent plus proches qu'elles ne le sont en réalité tant l'air est pur. Nous sommes à une altitude d'environ 4000 mètres. La piste longe le lac, en corniche. Nous arrivons bientôt au village de Tiquina où nous allons passer en bac un petit détroit pour continuer ensuite notre route vers Copacabana qui est situé à l'extrémité d'une petite péninsule.

le bac de Tiquina, véhicules d'abord, passages ensuite

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Le passage se fait en deux temps : voyageurs d'abord, véhicules ensuite. Sur l'autre rive, parmi les indiennes en « polleritas » (jupes de laine superposées) aux vives couleurs et à l'éternel petit chapeau melon noir ou marron perché sur le haut de la tête, je remarque une albinos ce qui est rare j'imagine et doit être pénible car une peau trop blanche résiste mal aux morsures du grand soleil et de l'air particulièrement vif à ces hauteurs. Je suis attiré par des sons de flutes. C'est un petit groupe d'indiens en ponchos et chullos déjà passablement ivres de « chicha » et qui dansent à l'écart une sorte de ronde. Ils paraissent tous assez jeunes et doivent rentrer je suppose de quelque partouze locale. Java partout !

Après Tiquina, nous escaladons le promontoire rocheux qui s'avance sur le lac et à l'extrémité duquel se situe Copacabana où l'arrivée est très belle. Comme nous redescendons vers la petite ville bolivienne entre ses deux cornes de rocher, le regard embrasse un vaste paysage d'eau et de montagnes et l'on peut apercevoir dans le lointain l'île du Soleil qui a donné son nom au lac Titicaca. En langue quetchua, Titicaca signifie rocher de la descendance ou des origines. Selon la légende c'est de cette île en effet que serait issu le premier couple humain créé par le dieu Soleil.

vue générale de Copacabana (Bolivie) sur sa petite péninsule avançant sur le lac Titicaca

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Copacabana est une localité très coquette aux toits de tuiles rouges avec une église de taille impressionnante. Mais nous sommes ici sur un lieu de pèlerinage fort célèbre dans toute la Bolivie. L'église renferme une statue miraculeuse de la Vierge du lac datant du XVIème siècle. Les plus grandes fêtes s'y tiennent au mois d'Août mais des manifestations de moindre importance s'y échelonnent pratiquement toute l'année. Le hasard a voulu que je tombe ici au bon moment. Je viens de m'arrêter sur le parvis de l'église pour écouter un pauvre aveugle jouer un air triste sur son crin-crin quand éclatent soudain plusieurs fanfares accompagnées de pétards. Je m'informe de l'objet de tout ce bruit auprès d'une vieille femme tassée dans son châle bariolé et qui vend des cierges et des images pieuses. C'est le « très de Mayo » m'apprend-telle, fête de la Croix. Allons donc voir cette fiesta. Débouchant sur la place devant l'église, un premier groupe s'avance précédé par une indienne dans ses atours et portant une statue de l'Enfant-Jésus complètement habillé comme c'est la coutume. Suit un orphéon composé de trombones, pistons, saxos et d'un « bombo » jouant un air, une vraie rangaine, j'ai appris par la suite que c'était un « taquirari » très populaire dans cette partie de la Bolivie. Derrière les musiciens, en veste bleue, viennent les premiers danseurs. Tous, hommes et femmes, sont de type aymara mais vêtus d'habits rutilants à côté de ceux de la foule qui les regarde. Chacun danse seul, tournant parfois sur lui-même, tout en suivant le cortège. L'un des danseurs portant un petit bidon et un gobelet sert de temps en temps une rasade pour stimuler ses compagnons. Suivent les travestis : le taureau, le toréador, la vache, le cheval, le sorcier avec un chinchilla étranglé dans la main (rongeur à fourrure grise très recherchée gros comme un petit lapin vivant à 5000 m dans les neiges éternelles) et un renard ligoté à la ceinture, les « diablos » aux masques fantastiques à cornes torsadées, les écuyers à masques hilares revêtus d'une sorte de carapace blanche et or et chaussés de bottines rouges, agitant des crécelles en forme de tatou. Tout ce monde carnavalesque saute et se démène comme de beaux diables, se pavane, bondit, dans une pantomime ponctuée par l'éclat des pétards fabriqués dans des tronçons de roseau.

Enfin, fermant le cortège, voici un modeste groupe d'indiens et d'indiennes qui dansent aux sons nostalgiques des « sampoñas » (grosses flutes de roseau)ponctués par le « tinya (gros tambour en peau de chèvre).

Après avoir fait plusieurs fois le tour de la place, le cortège se dirige vers une petite chapelle située à l'écart de l'agglomération, au pied de l'un des deux rochers qui dominent le lac et la ville et qui a été aménagé en chemin de croix.

Après l'office, nouveau défilé à travers les rues puis rassemblement devant la chapelle où, jusqu'à la nuit tombée, on dansera sans interruption, soutenu par des rasades de « chicha » (bière de maïs). Au cours de l'après midi je suis monté au sommet du calvaire, sentier très raide mais cela en valait la peine. De là haut on a une très belle vue sur le lac (on aperçoit même le petit port de Guaqui sur la rive opposée) et, de plus ce jour là, le spectacle extrêmement coloré qu'offrait la fête se déroulant en contre bas. Le petit groupe d'indiens dont j'ai parlé et qui doit être des environs se tient un peu à l'écart des autres. Ils sont tous passablement saouls et mâchent inlassablement des feuilles de coca.

La fête se poursuivra jusqu'à une heure avancée de la nuit à la lueur de torches. Pour ma part je rentre à l'hôtel Ambassador. Encore mal acclimaté à l'altitude je me sens fatigué et fiévreux. Je n'ai guère mangé non plus. De plus je dois demain me lever de bonne heure pour rentrer dans la journée à la Paz.

 

Dimanche 5 Mai -

 

C'est aujourd'hui que je devais quitter la Paz pour rejoindre Puno par le car. Mais j'apprends à l'« officina » que le service est supprimé et reporté à jeudi ! Çà m'ennuie beaucoup car je vais perdre quatre jours ce qui est considérable pour le temps limitée dont je dispose. Je vais donc regagner Puno par le train puisqu'il y a un départ mercredi. Finalement je ne devais pas regretter ce retard involontaire qui me permit de me retaper physiquement. Je fus réellement mal en point ces trois jours durant (du dimanche au mardi) que je passai en grande partie à somnoler dans ma chambre, faisant effort pour descendre manger quelque chose. Le « soroche » y était sûrement pour beaucoup mais aussi je pense un gros refroidissement. Tribu à payer à ce climat très rude des Andes.

 

Lundi 6 - Mardi 7 Mai -

rue commerçante de la Paz

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Je ne tiens pas la grande forme et me sens peu disposé aux promenades.  Je passe donc une partie de l'après-midi tranquillement dans le joli parc naturiste Franklin Roosevelt, au soleil, ne cessant d'admirer le site unique de la Paz.  Un clodo bolivien vient me taper pour une "propina".  J'essaye péniblement d'engager un semblant de conversation en espagnol.  Le vieux s'y prête mais je ne comprends rien.  Il doit me raconter sa vie.  Et de songer un peu amèrement, surtoût aujourd'hui où je n'ai pas trop le moral, qu'en définitive toutes les grandes villes se ressemblent, sous toutes les latitudes : leurs beaux quartiers et les taudis, les rupins et les clodos, le ciné (à moins de quat'sou aussi et surtout pour la qualité), la bagnole convoitée pour le prestige social qui s'y attache, l'admiration béate pour tout ce qui fait riche... Merde alors.

Comme je tousse beaucoup, je suis entré dans une pharmacie pour demander un remède.  Le potard parle anglais ce qui me facilite la tâche de lui expliquer ce qui ne va pas et de comprendre la prescription qu'il va me donner.  C'est un sirop qu'il va préparer lui-même.  Ne me demandez pas sa composition mais toujours est-il qu'il fut très efficace me débarrassant de cette toux qui me fatiguait, surtout la nuit, m'empêchant de dormir.

 


 


 

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13 mars 2010 6 13 /03 /mars /2010 15:03

 

 

Mardi 30 Avril -

De l'autre côté du rio Chili que franchit trois ponts se trouve le vieux quartier de Yanahuara où je me suis promené longuement à travers les ruelles montantes où seuls les piétons (et certains animaux) peuvent passer et où l'on découvre à chaque pas, au fond de petites boutiques et d'échopes de cordonniers, tailleurs, menuisiers, sur les placettes et dans les cours, de pittoresques scènes de la vie quotidienne. De Yanahuara on rejoint le quartier d'Antiquilla puis le pont Bolognesi. A droite, le long du rio, il ne faut surtout pas manquer de suivre l'ancienne « calle » bordée sur un côté par de vieilles habitations coloniales, en ruines pour la plupart. C'est à cet endroit que l'on a la plus belle vue panoramique d'Aréquipa.

Conformément à son étymologie quetchua, Arequipa est bien « l'endroit où l'on peut rester ». Par son unité de style, l'originalité et la couleur de ses édifices, l'émouvante beauté de son site, son climat vivifiant (qu'appréciera en son temps le grand asthmatique que fut toute sa vie le Ché Guevarra) c'est à mes yeux la plus belle ville du Pérou.

Aux environs d'Aréquipa se trouvent les sources thermales de Jesus, Yura et Socosani dont les eaux sulfureuses sont recommandées pour les rhumatismes, hypertension et affections biliaires.

 

Mercredi 1er Mai -

A 07H30 avec armes et bagages (2 appareils photos + sac à dos) je suis devant la gare d'Arequipa où je dois prendre le train de Puno prévu pour 8H00. Il y a foule, indienne en grande partie, et les marchandes de provisions (bananes, oranges, pommes, petits pains, etc...) accroupies au bord du trottoir attendent la clientèle sans jamais la solliciter.

Le « Ferrocaril del Sur del Peru »est la plus longue ligne ferroviaire du pays (920 kilomètres). Elle relie les ports de Matarani et Mollendo au Cuzco via Arequipa et Puno. Deux fois par semaine une liaison maritime assure la traversée du lac Titicaca jusqu'à Guaqui en Bolivie d'où l'on peut gagner la Paz.

A vingt minutes près (sensas !) nous allons quitter à l'heure et après un ultime coup de cloche notre tortillard s'ébranle sur sa voie étroite tiré par une locomotive diesel. Il y a peu de monde dans le compartiment. Il est vrai que je suis en « Première » classe ! La veille au soir en prenant mon billet l'employé m'avait fait comprendre qu'il ne restait plus de places en Seconde ce qui n'était – je m'en aperçois maintenant – qu'une façon de me forcer la main. En réalité, les « gringos » n'ont pas l'habitude de voyager en seconde où s'entassent les indiens et leurs multiples ballots. Par la suite j'ai toujours voyagé en seconde classe (en insistant), on n'y est guère plus inconfortablement installé qu'en première et on a l'avantage d'être mêlé – fort étroitement même – à la population locale. Voyager comme tout le monde.

la plaine d'Arequipa et le Misti



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Par un grand détour, nous traversons la plaine fertile d'Arequipa plantée de maïs et autres céréales, d'alfalfa, d'oignons, avec ici et là de petits hameaux s'abritant du soleil sous un bois d'eucalyptus. Comme dans tous les pays du monde les enfants nous font de grands saluts des deux mains.

Nous quittons bientôt cette douce « campiña » pour nous engager par d'infinis détours entre les volcans Misti et Chachani, parmi les déjections volcaniques où ne poussent que quelques petits cactus buissoneux.

A deux heures du départ, nous faisons halte à la cimenterie de Yura (2575 mètres d'altitude) puis nous nous élevons très sensiblement en nous insinuant dans un paysage chaotique que dominent les têtes chenues du Misti et du Chachani. Après Socosani nous nous arrêtons à Pampa de Arrieros, à 3750 mètres d'altitude. Des indiennes servent sur des tréteaux des soupes fumantes, des « choclos »(épis de maïs bouillis), des « anticuchos » (brochettes de viande), des « tamalès » (pommes de terre bouillies et farcies aux oignons) etc ... Sans être très raffiné tout ceci est excellent et mérite que l'on renonce au « menu » que les « mozos » viennent vous proposer. En attendant l'heure de repartir, je fais plus ample connaissance avec un voyageur belge qui travaille dans les prospections pétrolifères d'Amazonie péruvienne. Notre petit train poursuit vaillamment sa montée (nous ne devons pas faire plus de 20/25 kms/heure) à travers un paysage immense et désolé, sans une culture, sans une habitation, sans végétation autre que les touffes clairsemées d' « itchu » (sorte d'alfa) que broutent d'assez importants troupeaux de lamas, alpacas et de moutons. Au centre du troupeau égaillé sur plusieurs kilomètres, une petite tache de couleurs vives signale la bergère filant sa quenouille en compagnie de son chien noir. Parfois, sur l'immense « puna », un homme ou une femme, une charge sur le dos, chemine. D'où à où ?... Mystère pour l'étranger car il n'y a rien, strictement rien en vue sur ce plateau infini qu'effleurent de grands bancs de nuages. Au loin tout autour de nous se découpent les crêtes dentelées des montagnes. L'œil porte loin ici car l'air en raison de l'altitude est d'une grande pureté.

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A Crucero Alto (4470 m) nous avons atteint la cote maximale de la ligne Arequipa-Puno. C'est aussi le point de partage des eaux. A l'Est de ce point toutes vont vers l'Atlantique. La rareté relative de l'oxygène ne manque pas de provoquer au début un certain malaise, le « soroche »ou mal des montagnes dû au changement de pression du sang. Les tempes battent douloureusement, la nuque est lourde, on se sent nauséeux et le fait même de se lever de son siège exige un effort inaccoutumé. Les indiens qui vivent d'ordinaire à des altitudes inférieures n'en sont pas toujours exempts eux mêmes. C'est surtout à la descente que l'impression ressentie est la plus désagréable. Nous passons bientôt à proximité de lac Lagunillas puis du lac Saracocha qui viennent rompre un peu la monotonie du paysage bien propre en effet à susciter cette sorte d'angoisse que les indiens appellent « susto » (grande peur). Nous faisons halte à Santa Lucia (4038 m) la première agglomération digne de ce nom rencontrée depuis Pampa de Arrieros. Elle s'explique d'ailleurs par la présence de mines de manganèse.

Au fur et à mesure que nous descendons vers Puno, les ruisseaux se font plus nombreux. En quelques heures le paysage change et nous roulons maintenant à travers une pampa où de petites communautés indiennes se livrent à la petite agriculture. Nous marquons un arrêt à Yocara puis à Juliaca à 3820 mètres d'altitude. Cette dernière localité compte une population de 30.000 habitants en très grande majorité indienne. Elle tire son importance économique de la laine et du cuir. Il est O5H30 de l'après midi et il commence à faire froid. C'est à la nuit noire que nous arrivons à Puno. Après la gare, le train continue jusqu'à l'embarcadère où nous attend l'«Ollanta ».

lac Titicaca

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Après de longues formalités douanières nous pouvons enfin monter à bord. Fatigué par le soroche je rejoins directement ma cabine et me couche sans dîner.

 

Jeudi 2 Mai -

 

Je me réveille au moment où l' « Ollanta » entre dans le petit port bolivien de Guaqui après douze heures de traversée. Nous avons pris une heure d'avance sur l'heure péruvienne depuis que nous avons franchi la frontière qui traverse le lac. Titicaca. Devant nous s'étend l'éblouissante Cordillère Orientale dominée par l'« Illampu », le plus haut sommet des Andes après l'Aconcagua (7023 m). Les formalités douanières expédiées, nous montons dans la petite automotrice qui va nous mener à la Paz, à une centaine de Kms de Guaqui.

L'Altiplano est d'aspect fort différent de la puna péruvienne.

altiplano bolivien

med-altiplano-bolivie-perou-visoterra-20245Une population nombreuse d'indiens Aymara y cultive de petits champs de pommes de terre et d'une sorte de seigle que l'on est justement en train de couper. L'élevage des moutons est important. Les villages proprement dits sont assez rares mais l'on rencontre par contre de nombreuses petites fermes en adobe brune disséminées à travers la campagne.

Et voici que nous nous arrêtons à Tiahuanaco. L'agglomération est toute en adobe brune avec une immense église pour un si minuscule village ! A deux pas se trouvent les ruines de l'antique cité aymara. Celles-ci se réduisent d'ailleurs à peu de choses mais sont d'un intérêt de premier ordre : une rangée d'énormes piliers de pierre à section carrée d'une taille presque parfaite, deux monolithes dont l'un très bien conservé et, surtout,

site de Tiahuanaco, porte du Soleil

porte-du-soleilla célèbre Porte du Soleil de dimension très modeste mais dont tout l'intérêt réside dans la représentation du dieu Viracocha (the weeping god of Tiahuanaco, comme l'a écrit un auteur anglais). Un double mystère plane sur ce site de Tiahuanaco. Comment est née et comment est morte cette cité qui dût être très importante pour avoir laissé des vestiges aussi élaborés que ceux de la Porte du Soleil et des deux monolithes?... Nous ne savons rien, les Incas eux-mêmes ne savaient rien des constructeurs de Tiahuanaco. Et pourtant les témoignages sont là, il ne s'agissait pas de n'importe quels constructeurs. Cette ignorance des Incas à leur sujet ne pourrait s'expliquer que par une disparition subite et radicale de la civilisation de Tiahuanaco (nom donné par les Incas eux-mêmes). Sir Clements R. Markham dans son livre sur les Incas du Pérou parle d'un cataclysme géologique. Les Andes qui surgirent relativement tard durent être dans les temps anciens beaucoup moins élevées qu'elles ne le sont aujourd'hui, permettant à une population nombreuse de se fixer et de subvenir à ses besoins. Comment expliquer qu'une population ait choisi de se fixer dans un endroit aussi déshérité que les rives du lac Titicaca? Par suite d'un bouleversement géologique, peut-être l'effondrement d'un continent qui aurait existé entre l'Amérique du Sud et l'Océanie, la chaîne des Andes aurait été soulevée à une hauteur supérieure ou voisine de celle qu'elle atteint aujourd'hui, entrainant la disparition di Tiahuanaco. Toujours selon Clements R.Markham, Tiahuanaco relèverait d'une civilisation mégalithique très ancienne qui trouverait ses prolongements dans la titanesque construction de Sacsayhuaman et dans la pierre de Chavin.

Trop tôt il nous faut quitter ces lieux car notre automotrice nous rappelle à grands coups de trompe. Insensiblement nous nous rapprochons d'un majestueux « nevado », l' « Illimani », qui domine la Paz.

A el Alto, 4000 m d'altitude, nous sommes au bord même de l'entonnoir dans laquel s'étage la ville.

vue sur la Paz et l'Illimani

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Au moment où l'automotrice amorce la descente, la vue plongeante sur la Paz est impressionnante. L'« Illimani »et les autres cimes enneigées de la Cordillère orientale forment une toile de fond grandiose. En zig-zag nous descendons lentement le long de parois à pic traversant les quartiers misérables, anarchiques et poussiéreux, grouillant d'enfants. Quand nous atteignons la gare de la Paz, nous ne sommes plus qu'à 3700 mètres d'altitude.

Bien que Sucre en soit toujours la capitale officielle, la Paz est la première ville de Bolivie avec ses quelque 350.000 habitants (dont 50% d'indiens). Son étrange emplacement a dû être choisi par les Espagnols en 1548 pour se protéger des vents glacés du haut plateau. De Décembre à Février, il pleut chaque jour sur la Paz. Le reste de l'année est le plus souvent très ensoleillé mais la température varie considérablement au cours de la journée. En fin d'après midi lorsque l'ombre envahit la cuvette il fait déjà froid. La nuit venue l'air devient glacial et l'on s'explique les pommettes très rouges des femmes et des enfants.

La ville est traversée par le rio Paz qui descend de la Cordillère. La Paz est une ville fatigante à visiter car les rues y sont très abruptes et, en raison de l'altitude, on s'essouffle vite. Il faut donc adopter l'allure petits pas des indigènes qui eux, par accoutumance à ces hauteurs, développent une capacité pulmonaire de 25% supérieure à la moyenne.

Les quartier modernes occupent le fond de la cuvette tandis que les quartiers pauvres s'élèvent en gradins jusqu'au rebord de l'Altiplano.

La Plaza Murillo est le centre le plus animé de la ville. En face de la statue équestre élevée à la mémoire de Pedro Domingo Murillo (un général) se dressent l'énorme cathédrale moderne et le Palais présidentiel et, à gauche, le Palais législatif. A droite, à l'angle de l'Avenida Commercio, de la calle Socobaya et de la calle Yanacocha où habita un temps Ernesto Guevarra de la Serna alors jeune médecin et pas encore devenu le Ché, se trouve une ancienne demeure coloniale dite Casa de Murillo abritant aujourd'hui la Pinacothèque. C'est sur cette place que les citadins se rencontrent ou viennent lire leur journal en attendant l'ouverture ou la réouverture des bureaux et magasins. La relève de la garde est aussi un grand sujet d'attraction. De temps à autre, ployé sous une énorme charge retenue sur son dos par des cordes passées dans les poignées, un indien loqueteux, pieds nus ou en sandales taillées dans de vieux pneus, traverse à petits pas tandis que sur un banc deux hommes d'affaires discutent avec volubilité, un petit cireur leur faisant les pompes.

Par l'Avenida Commercio, l'artère la plus commerçante de la ville moderne, on peut gagner la Plaza San Francisco où se trouve l'église du même nom datant du XVIIème siècle présentant une intéressante façade baroque à colonnades sculptées. Une foule colorée en occupe le parvis. A gauche de cet édifice la pittoresque calle Sagarnaga monte vers les quartiers populaires où l'amateur de couleurs locales sera amplement satisfait : marchés indiens du quartier de Buenos Aires, rues étroites, abruptes et mal pavées, grouillantes de marchands en plein air, de porteurs, de véhicules hétéroclites (la calle Tumusla en est un bon exemple. Une chose frappe pourtant l'étranger : les gens ici sont silencieux. Point d'éclats de voix comme sur les marchés méditerranéens, pas même pour attirer l'attention du passant. Accroupi derrière sa marchandise étalée sur le trottoir, l'indien ou l'indienne attend la journée entière. L'attente morne au bord des routes, sur les places, au coin des rues, sur le parvis des églises, est un trait dominant et significatif de la vie indigène.

Revenu à la Plaza San Francisco, on peut descendre le Prado, l'Avenida Mariscal Santa Cruz et l'Avenida 16 de Julio jusqu'à la Plaza Roma près de laquelle se trouve la belle université moderne de San Andres ainsi que le Musée national de Tiahuanaco renfermant de remarquables collections de cet « horizon ». On peut voir également le petit musée en plein air devant le stade municipal.

Du Parque central Roosevelt que traverse le petit rio Choqueyapu on a une belle vue panoramique sur la Paz et son site étonnant.

Les quartiers résidentiels de la Paz (Sopocachi, Obrajes, Calacoto, la Florida) se trouvent situés plus bas encore, à trois ou quatre kilomètres du centre ville et à 450 m au dessous de la Plaza Murillo.

Depuis l'Alto, la chute du jour sur la Paz est un spectacle d'une émouvante beauté. Tandis que l'ombre gagne peu à peu le fond de cet immense entonnoir naturel, la Cordillère avec ses trois géants ( l'« Illimani », l'« Illampu » et le Huayna Potosi) dépassant les 6000 mètres se détache presque irréelle contre le ciel que teintent de rose les lueurs du couchant. Au dessus de l'homme misérable, la Nature ici domine dans sa royale majesté.

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12 mars 2010 5 12 /03 /mars /2010 17:12
                    Carnet de route Pérou Bolivie P Pérou

 

                                                                 1968

 

 

 

 

Bolivie

drapeau bolivie

 

Pérou

 

 

drapeau-Perou

 

 

 

à mon camarade Eduardo PEÑA-VASQUEZ rencontré quatre ans plus tôt à bord du « Césarée » au départ de Marseille pour Haïfa sans qui ce voyage dans son pays ne se serait pas fait et que je salue aujourd'hui où qu'il se trouve                                                                                                       

(île de la Réunion Mars 2010)

 

 

 

 

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Ce qui suit est  assez long aussi un peu de musique d'ambiance sera-t'elle la bienvenue.  J'ai choisi pour commencer le groupe latino-américain "Los Calchakis" qui remonte à1967, très populaire en France à l'époque.

 

Les illustrations sont des copies, toutes mes photos ayant été faites en diapositives.  Il est possible aujourd'hui de les numériser mais c'est un gros travail, plus tard peut être.

 

 


 

Mercredi 24 Avril/Vendredi 26 Avril 1968


vue sur la côte depuis Miraflores

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C'est à l'aéroport Jorge Chavez de Lima-Callao que, voyageur venu d'Europe, je foule pour la première fois le sol péruvien. Le cadre a beau être celui ultra-moderne d'un petit Orly (inauguré il y a quatre ans par l'actuel Président Belaúnde-Terry) me voici bel et bien arrivé dans ce légendaire « Pérou » dont plusieurs mois de lectures et d'informations préalables m'ont fait si souvent rêvé. Eduardo m'attend à la sortie les bras ouverts pour une interminable abrazo...

 

Depuis Guayaquil (Equateur) l'avion en survolant la côte m'a fait découvrir le formidable relief des Andes que déjà je suis impatient d'affronter. Mais je dois d'abord honorer la Capitale, surnommée 'Perle du Pacifique »


île San Lorenzo (base navale)

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où résident la mère et la sœur d'Eduardo dans le quartier de la Victoria. Mes trois premiers jours y seront consacrés.

vue aérienne

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Partons à sa découverte.

 

N.B. J'avertis toutefois mon lecteur que s'il trouve la suite un peu longue il peut sauter ces trois jours et reprendre au Samedi 27 Avril.

 

Par l'interminable Avenida Colonial, la Plaza dos de Mayo et l'Avenida Nicolas de Pierrola, voici le centre de la ville moderne, la Plaza San Martin. Asseyons-nous sur l'un des bancs publics, très jolis, face à la statue équestre du « Libérateur » et écoutons mon guide.

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A 12° sud de l'Equateur on pourrait s'attendre à trouver un climat tropical. Pourtant, du fait de la double influence des Andes et du courant froid de Humboldt qui longe la côte péruvienne, celle-ci bénéficie au contraire d'un climat tempéré (températures extrêmes : 10/25° C). La pluie y est rarissime d'Avril à Novembre, par contre une sorte de crachin, la garua, qui se forme pendant la nuit ne laisse que rarement percer le soleil. Si je le vois briller aujourd'hui sur Lima à trois heures de l'après midi, c'est sous une grisaille quasi-londonienne que je retrouverai la capitale un mois plus tard.

De la Plaza san Martin on peut rapidement gagner la


la cathédrale

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Plaza de Armas par le Jiron Union ou le Jiron Carrabaya. Et nous voici au coeur de la « Cité des rois » à une cuadra au sud du Rio Rimac. Autour de la place agrémentée en jardin public au centre duquel se dresse une élégante fontaine de bronze s'ordonnent les principaux monuments. Tout d'abord à l'Est la Cathédrale,

plusieurs fois reconstruites à la suite de tremblements de terre. L'édifice actuel bâti sur l'emplacement de la cathédrale primitive date de 1765, monument imposant mais qui, extérieurement comme intérieurement, ne peut soutenir la comparaison avec les autres églises et cathédrales du Pérou (principalement à Aréquipa et au Cuzco). Le visiteur doit prendre le temps néanmoins d'admirer les stalles sculptées datant du XVIIème siècle, de s'arrêter devant les autels décorés de plaques d'argent massif et de pierreries dont l'ensemble est d'un style assez lourd, sans oublier en sortant d'entrer dans la petite chapelle, à droite en haut de la nef, abritant dans un cercueil de verre la carcasse recroquevillée du conquistador Francisco Pizarro assassiné en 1541.

Jouxtant la cathédrale se trouve le palais archiépiscopal reconstruit en 1924 et comportant une très jolie façade avec balcon en bois sculpté.


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Au Nord de la Place d'Armes se trouve le Palais gouvernemental datant de 1938 à l'emplacement et plus ou moins dans le style de celui que fit construire Pizarro en 1535. Des Indiens portant uniforme de dragon et casque à la Minerve montent la garde devant l'énorme grille d'entrée.

A l'Ouest, le Palais municipal est une belle construction datant de 1945 sous laquelle court une galerie marchande. C'est entre le Palais du Gouvernement et le Palais municipal, sur une petite place au fond de laquelle on remarque un « Grand Café » avec terrasses (genre « Deux Magots » ou « Flore ») que se dresse la statue équestre de Pizarro (c'est une copie, l'original se trouve à Trujillo en Espagne).


Pizarro


Non loin de la Place d'Armes il ne faut pas manquer d'aller visiter la basilique de la Merced à façade style colonial, l'église San Domingo datant de 1549 et dans laquelle sont conservées les reliques de Sainte Rose de Lima, l'église San Francisco de style baroque avec double coupole achevée en 1674 et qui renferme un ostensoir d'or incrusté de bijoux provenant du Cuzco. Des catacombes ont été mis à jour en 1951. L'église baroque de San Pedro a été achevée par les Jésuites en 1638. Elle est considérée comme l'une des plus riches d'Amérique du Sud par ses retables dorés. La cloche appelée « la abuelita » (la petite grand'mère)a sonné la célébration de l'indépendance du Pérou. En face, sur une petite place ombragée, un monument moderne a été élevé à la mémoire du poète péruvien César Vallejo, poète contestataire qui mourut en exil à Paris en 1938

200px-Cesar vallejo 1929 RestauradabyJohnManuel "Je mourrai à Paris, un jour d'averse, un jour dont j'ai déjà le souvenir.  Je mourrai  à Paris - et cependant je reste - peut être un  jeudi, d'automne, comme aujourd'hui." (Poèmes humains)

 

 

 

lima center


Plus à l'Est de la Plaza de Armas, on débouche sur la Plaza de la Inquisicion avec, en son centre, la statue de Simon Bolivar. Al'Est de cette place se trouve e Palais du Congrès où se déroulent les séances des deux chambres du Parlement péruvien. Après avoir été soumis à une fouille rapide on peut aller prendre place dans les tribunes réservées au public et suivre les débats (au risque parfois de se laisser gagner par la somnolence). Eduardo m'y emmena un soir au cours de mon séjour. Dans un décors suranné sentant le vieux cuir et l'encaustique, l'étranger peut apprécier la volubilité, parfois la véhémence, des orateurs.

 

 

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Par la Puenta de Piedra traversons maintenant le rio Rimac pour entrer dans le vieux quartier du même nom où, le soir venu, on peut déguster au coin des rues les anticuchos accompagnés de pommes de terre bouillies ou de choclo, sucer les granadillas parfumées au milieu d'une population très mélangée : européens hispanisés (plus rares ici que dans le centre et les autres quartiers), Andins purs ou métissés (Cholos), Noirs (descendants d'esclaves « importés » d'Afrique par les Espagnols au temps de la Conquête) métis de Noirs et d'Indiens (Zambos) et, au comptoir d'une boutique d'épicerie ou d'un restaurant chifa quelques Chinois descendants de coolies qui, avant l'abolition de l'esclavage au Pérou, furent amenés pour travailler dans les plantations de canne à sucre.

Après la Plaza de Acho où se donnent des corridas au cours des mois de Mars, octobre et novembre, on peut flâner le long des deux célèbres « promenades » liméniennes : la Paseo de las aguas et l'Alameda. Au bout de cette dernière se trouve le Convento de los Descalzos (frères déchaussés) et au delà la barriada (bidonville) San Cristobal escalade les flancs de la colline du même nom dominée par une croix de pierre. On peut revenir vers le centre en faisant un crochet par la Quinta de Presa, résidence de la Péricole (de son vrai nom Michaela Villegas), la capricieuse autant que capiteuse amante du vice-roi Amat (1761-1776) rendue célèbre par l'opéra-bouffe d'Offenbach. Cette demeure est devenue aujourd'hui le Museo virreynal.

A la limite sud du district de Lima, un building cintré de vingt deux étages accroche le regard. Il s'agit du Ministère de l'Education nationale, face au Parc universitaire, véritable carrefour des étudiants. La célèbre université San Marcos, la première en date des deux Amériques, fut installée primitivement dans le couvent des Dominicains (1556). Après avoir été plusieurs fois déplacée, elle s'est récemment transportée dans la nouvelle cité universitaire, entre Lima et Callao qui est le port de Lima. L'université catholique date de cinquante ans seulement. Lima compte plusieurs autres universités d'origine récente dont l'Universidad Agraria de la Molina située en dehors de la ville dans un cadre de verdure très agréable. L'ancienne église jésuite San Carlos, de l'autre côté du Parc universitaire, est devenue le Panthéon des héros de la bataille d'Ayacucho (9 décembre 1824) que le général Sucre remporta sur le vice-roi et qui fut décisive pour l'indépendance de toute l'Amérique espagnole.

Lima proprement dit est entouré de plusieurs quartiers résidentiels. La plaza Grau près de laquelle se trouve le Musée des Arts marque la limite du quartier de la Victoria qui, outre le stade national, possède l'un des plus jolis parcs de la capitale, le Parque de la Reserva qui a été conçu de manière à représenter les trois régions constitutives du Pérou, la Costa, la Sierra et la Selva. On y voit la pittoresque fontaine mochica avec sa version locale du Mannekenpiss ! Au Nord de la Victoria s'étend le quartier de Ate près duquel se trouve l'hippodrome Monterrico, le golf et le célèbre Musée de l'or du Senor Miguel Mujca Gallo. En redescendant vers le Sud on traverse Surco puis Surquillo pour arriver à Miraflores, le quartier le plus important du Gran Lima, très élégant avec ses villas alliant le style colonial au style moderne. Dans le Parc Salazar ont peut voir une huaca (tombe de forme pyramidale). En continuant plus au sud on entre dans Barranco où se trouve le Parc zoologique, au bord de l'océan et la Playa d'Agua Dulce. Plus bas encore, s'étend Corillos, district résidentiel d'origine récente où a été construite l'Ecole militaire. On peut voir également la tombe du soldat inconnu péruvien et la station balnéaire de la Herradura. En remontant de Miraflores vers le Centre, on traverse San Isidro qui possède une olivaie dont les trois premiers arbres furent plantés en 1560, moins de trente ans après le débarquement des Espagnols. Au Nord de San Isidro se trouvent les districts de Jesus Maria et de Lince. A l'Ouest on entre dans Pueblo libre où se trouve le Musée national d'archéologie et d'anthropologie donnant sur la charmante place Bolivar et sa célèbre collection Rafael Larco Herrera (période mochica). Au sud de Pueblo libre, à Magdalena del mar, se trouve le Parc des Expositions (feria del Pacifico). Au Nord, Bena et son corso monumental (arènes). A l'Ouest, San Miguel où l'on visite le Parque de las leyendas. En continuant vers l'ouest voici Bellavista d'où l'on peut rejoindre la petite péninsule de la Punta en face de l'île San Lorenzo qui abrite la prison. A proximité se trouve la forteresse Real Felipe construite par le vice-roi Amat et qui abrite aujourd'hui le Musée de l'Armée. En remontant vers le Nord on entre dans Callao.

A lui tout seul le Callao compte une population de 220.000 habitants essentiellement ouvrière. C'est un centre commercial sans grande beauté architecturale mais on pourra y apprécier le pittoresque mercado et y déguster le cebiche qui fait toujours très « forte » impression au palais européen ! Le port du Callao, le plus ancien d'Amérique du Sud, assure 75% des importations et 25% des exportations. C'est aussi un port militaire où est basée la Marine péruvienne ainsi qu'un important centre de pêche. La forteresse Real Felipe fut le dernier point de résistance des royalistes en Amérique du Sud. Elle supporta un siège de deux ans avant de capituler en 1826. Au nord du Callao, de l'autre côté du Rimac, on rejoint l'aéroport. Par le district San Martin de Porras on peut rejoindre le Centre par l'Avenida Alfonso Ugarte jusqu'à la Plaza dos de Mayo près de laquelle se trouve le Musée d'Histoire et de la culture péruvienne.

La circulation automobile est dense à Lima, un peu anarchique aussi. On y roule vite. Les accrochages sont fréquents. Une chose me frappe : notre panneau STOP est remplacé ici par un monticule de béton qui ne peut être franchi sans mal qu'en marquant l'arrêt complet. L'idée n'est pas mauvaise (vis à vis des récalcitrants) mais pas fameuse pour les suspensions de tous. En tous les cas c'est dissuasif !

 

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Mais en lisière du Gran Lima, au nord en particulier, voici maintenant l'envers du décors : les barrios marginales ou barriadas, bidonvilles dans lesquels s'entassent les Indiens et leur famille descendus des Andes pour trouver de l'embauche et une vie moins dure. Contrastant crûment avec les quartiers chics, aérés, aux vastes espaces verts de Miraflores ou San Isidro, s'étale ici la mauvaise conscience de Lima : promiscuité, misère, insalubrité ayant pour corollaires : prostitution, alcoolisme, criminalité, délinquance juvénile, forte mortalité (tuberculose) due notamment au climat de la côte auquel les Andins ne sont pas adaptés. L'attrait factice de la grande ville a plongé ces hommes, femmes, enfants, vieillards, près de 500.000, dans une détresse physique et morale qu'ils ne connaissaient pas à ce point dans leurs pauvres villages de la Sierra.

 

Trop longue cette présentation au pas de charge du Lima de 1968, j'en ai bien conscience, mais je n'y reviendrai plus.

 

 

Samedi 27 Avril -

site de Pachacamac

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Le temps est venu pour moi de quitter la capitale péruvienne, d'oublier ses grandes artères modernes, ses magasins de luxe, ses enseignes lumineuses, ses cafétérias, ses spectacles sophistiqués, ses mini-jupes et ses lunettes « op », tout ce fard en somme, pour découvrir le vrai visage du Pérou, beau et tragique à la fois.

Il me reste pourtant, avant de m'en éloigner, une visite importante à faire dans les environs, Pachacamac où Eduardo me déposera avec sa jeep, c'est sur sa route.

A une trentaine de kilomètres au sud de Lima, dans la vallée du rio Lurin, s'étendent à moitié ensevelies sous le sable du désert côtier, les ruines de l'antique cité. Pachacamac d'origine pré-incasique tire son nom du dieu « maître du monde » et de l'océan qu'y adorait la population. Les Incas conquérirent la ville, laissant à ses habitants la liberté de leur culte tout en introduisant progressivement le leur, celui du soleil. Quand débarquèrent les Espagnols, Pachacamac était la plus importante ville de la côte. On y visite aujourd'hui la « maison des vierges » (mamacunas huasi) intéresante bien que très restaurée et l'on peut errer à loisir à travers les vestiges de sanctuaires et d'habitations entourant la colline sur laquelle fut élevé le temple du soleil de forme pyramidale et d'où la vue sur l'océan d'un côté, le désert et les premiers contreforts des Andes de l'autre, laisse une impression inoubliable, celle de tout un passé mystérieux. La légende veut que ce soit à Pachacamac que l'inca Viracocha ait appris d'un oracle l'arrivée de ceux qui allaient jeter la mort sur la cité. En 1533 en effet Gonzalo Pizarro, frère du conquistador, entrait dans la ville pour la piller, la détruire et massacrer ses habitants. Le sable a bu le sang des victimes, le grondement de l'océan a emporté leurs plaintes mais le vent continue d'effacer lentement les derniers souvenirs.

 

Dimanche 28 – Lundi 29 Avril -

Le voyageur qui veut utiliser les transports en communs au Pérou doit s'efforcer dès le début d'acquérir cette patience qui, chez les gens du pays, en particulier les Indiens, est à toute épreuve. Il s'apercevra vite que l'heure péruvienne est très ... approximative. Ainsi le car d'Aréquipa que je dois prendre devrait partir à O9H30. Il est maintenant passé 11H et l'on n'a pas fini de charger l'impériale qui n'est qu'un incroyable entassement de paquets les plus divers.

Enfin nous démarrons. Le car est un solide Ford ancien modèle bourré d'Indiens des deux sexes, callés entre leurs sacs et leurs couvertures. Ma voisine est une indienne « aymara » qui retourne en Bolivie. Je suis le seul « gringo » et le resterait sur tous les trajets par la route.

On est très pieux au Pérou, religion et superstition faisant au demeurant bon ménage il faut quand même le dire. On ne s'étonnera donc pas de voir dans les cars (ou taxis collectifs) au dessus du chauffeur une profusion d'images de la Vierge ou du Sacré Coeur, parfois même un véritable petit oratoire avec une lampe allumée, le tout voisinant sans vergogne avec des photos de pin-up en costume d'Eve. On se signe au moment du départ et en passant devant les églises, les calvaires, les cimetières. J'ai remarqué que, pendant tout le temps du voyage jusqu'à Aréquipa, mon indienne avait gardé serrée dans sa main une image pieuse.

Nous roulons à présent sur la Pan-Américaine-Sud qui suit à vue la côte pacifique à travers les dûnes de sable de la « Costa ». Après trois heures de route une panne de moteur nous immobilise loin de tout. Nous devons à la débrouillardise de notre « maestro » (entendez : chauffeur-mécanicien) de pouvoir repartir tant bien que mal et d'atteindre l'agglomération la plus proche, Cañete, où l'on pourra réparer sérieusement ce qui demandera près de deux heures.

Nous repartons, pleins gaz cette fois, et à travers le même type de paysage désertique pour arriver à Chincha Alta, à 180Kms de Lima. C'est en centre de 30.000 habitants environ où l'on exploite le coton, les fruits, le raisin et où l'on distille le fameux « pisco », sorte de brandy local. Pisco à 240 Kms de Lima est le port le plus important entre Callao et Molendo, desservant tout l'arrière pays.

La Pan-Am s'éloigne maintenant de la côte, laissant à droite la péninsule de Paracas où furent découverts dans l'immense nécropole du même nom les merveilleux tissus brodés qui font la gloire du Musée de la Culture péruvienne à Lima.

La nuit est tombée quand nous entrons dans Ica, charmante localité de 45000 habitants tout de même. Non loin d'Ica se trouve Huacachina dont les eaux alcalines sont recommandées pour les maladies de peau.

Prochaines localités : Palpa, puis Nazca, petite ville coloniale de 18000 habitants à 470 Kms de la capitale. A quarante kilomètres à l'ouest de Nazca se trouve le port de San Juan construit primitivement pour assurer le transport du minerai de fer de Maracona.

Peu de temps après avoir quitté Nazca, nous nous arrêtons devant une barque en planches et roseaux éclairées à la bougie où nous pouvons prendre la « comida ». Soupe épaisse aux grains de maïs, pomme de terre et fèves, un plat de riz avec un petit morceau de viande dessus, un quart de thé, c'est le menu standard du Péruvien moyen. La nuit est claire et froide. Au dessus des dunes entre lesquelles s'insinue la route, les étoiles brillent d'un vif éclat et pour la première fois je découvre la Croix du Sud.

Tous les passagers se sont enveloppés dans leur couverture et somnolent. Je veille un peu jusqu'à Lomas où la route rejoint la côte pour continuer sa descente vers le sud. Je me laisse gagner peu à peu au sommeil.

C'est aux environs d'Ocoña que je me réveille. Le jour commence à se lever, toujours sur le désert, et les rougeurs du ciel teintent les dunes d'une couleur rose. Il fait froid. A notre gauche les contreforts des Andes se détachent nettement. A Camaña, 390 Kms de Nazca, nous quittons définitivement la côte pour nous élever sur un plateau aux curieuses dunes en forme de croissant. Nous suivons maintenant des étendues pierreuses, plongeant de temps en temps dans des cirques désolés. Et bientôt nous apercevons devant nous les trois sommets enneigés qui dominent la ville d'Aréquipa. A Repartición, 130 Kms de Camaña, nous bifurquons vers l'Est. Après une rude montée en lacets d'une cinquantaine de Kms sur des contreforts arides, nous arrivons enfin en vue d'Arequipa, remarquablement bien situé dans une vallée que dominent les trois « nevados » que nous avons aperçus ce matin.

Il est midi quand nous entrons en ville. Nous y sommes à 1040 Kms de Lima et avons mis près de vingt huit heures pour faire le voyage.

Je descends à l'« Hôtel Sucre » tout près de la Place d'Armes. C'est une ancienne demeure coloniale à balcon de bois courant sur toute la longueur de la façade. Suivant la mode espagnole, la batisse entoure une cour intérieure, les chambres à l'étage s'ouvrant sur un balcon unique. Les patrons sont des Boliviens de la Paz. Après m'être lavé (dépoussiéré)je pars à la découverte de la ville. Celle-ci est située à 2335 mètres d'altitude dans la vallée du rio Chili, au pied de trois « nevados »qui sont aussi des volcans portant de jolis noms quetchua : le « Misti » (le Maître) 5820 mètres d'altitude, le « Chachani »(chemin de la conversion ?) 6075 mètres, et le « Pichu Pichu » (plusieurs pics) 5420 mètres. Le « Misti » avec son cône parfait et sa calotte blanche a été justement comparé au Fuji Yama.

Arequipa, la cathédrale

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Aréquipa est la deuxième ville du pays. Politiquement elle serait même la première pour ses idées avant-gardistes, révolutionnaires voire libertaires. Sa population est de 200.000 habitants. C'est le grand centre commercial de la région sud-péruvienne. On y trouve des usines de textiles, de cuir, des conserveries, des meuneries et des laiteries. Par sa position intermédiaire entre le désert côtier et les Andes, Aréquipa jouit d'un excellent climat. Le soleil y brille (dit-on ,) 360 jours par an ! C'est vrai qu'aujourd'hui le ciel est parfaitement dégagé et il fait même assez chaud. Mais la fraicheur tombe vite, dès le coucher du soleil. Aréquipa a été surnommée la « ciudad blanca » en raison de la couleur blanche du matériau (le « sillar ») d'origine volcanique utilisé pour la construction des principaux édifices. La première fondation de la ville remonte aux premiers empereurs incas mais la ville actuelle date de 1540.

Marquant le centre de la ville, voici la traditionnelle « Plaza de Armas »avec ses parterres fleuris et le « Turututu » de sa fontaine. Elle est bordée sur trois côtés par des constructions à arcades style colonial et sur le quatrième par la cathédrale fondée en 1612 mais reconstruite en grande partie au XIXème siècle. Ses deux clochers effilés et très éloignés l'un de l'autre se découpent sur le ciel pur et les cimes enneigées des montagnes.

Tout près de la Place d'Armes se trouve l'église jésuite de la Compaña datant de 1698, extrêmement surchargée de décorations contrastant avec la grande simplicité de style de la cathédrale. C'est la seule église qui soit restée intacte après les nombreux séismes qui ont endommagé la ville. Les autres églises intéressantes sont celles de San Agustin avec sa fine tour blanche, très mauresque, mais qui a beaucoup souffert du tremblement de terre de 1868, particulièrement violent, la Merced datant de 1607, San Francisco (XVIIIème siècle), Santo Domingo. La ville compte également plusieurs monastères : Santa Catalina fondé en 1559, Santa Rosa (1747) et Santa Teresa (1700).

Ce n'est que le matin à midi et le soir que l'on peut visiter l'intérieur des sanctuaires. La population, jeunes et vieux, s'y rend nombreuse aux offices ou simplement pour quelques instants. Les indiennes se découvrent comme les hommes alors que les autres femmes font le contraire en se couvrant la tête d'une mantille.

On peut être plus ou moins choqué par cet étalage de richesses, cette profusion d'or, ces statues habillées et ornées comme des idoles, cette intention voyante de frapper l'indien dans sa naïveté. Je me suis demandé quelle différence il y avait pour lui entre le culte du soleil de ses ancêtres et celui qu'apportèrent les missionnaires jésuites. Pour ceux dont la préoccupation majeure est tout simplement de survivre physiquement, l'un comme l'autre ne pouvait leur apporter que la résignation, la soumission. Ces indiens, hommes et femmes, que j'ai vus prosternés, certains pleurant, devant les statues de la Madone ou d'un saint évoquent le drame de l'Andin trop longtemps habitué à courber l'échine et à subir.

L'intérêt d'Aréquipa réside également dans ses vieilles maisons coloniales dont la plus remarquable est sûrement la Casa del Moral (du nom d'un arbuste, le mora, qui se trouve dans le patio). Relevée de l'état de ruines où elle se trouvait par un Anglais, Arthur Williams, elle est devenue depuis le siège du Consulat britannique. La Casa Gibbs e Ricketts, actuellement le siège d'une firme hollandaise, datant de 1738, fut autrefois palais épiscopal. Ses gargouilles à tête de puma et la partie supérieure du portail en sillar sont très caractéristiques. La Casa de la Moneda datant de 1798 fut la résidence de la famille Quiroz. A voir aussi la Casa Yriberry, le Palacio et la Casa Goyaneche.

 

 

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