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19 juin 2012 2 19 /06 /juin /2012 15:02

Echo de l'île de la Réunion de Juillet 2012 (n° 163)

 

Les mois de vacances Juillet/Août vont voir comme chaque année des milliers de touristes à part "pérégriner" sur les sentiers vers St Jacques de Compostelle dans la tradition des "jacquets" du Moyen Age.  Ses différents "caminos" soint devenus très populaires et attirent au delà des frontières de l'Hexagone depuis les pays du Nord et de l'Est. Les motivations ne sont plus uniquement religieuses mais, si diverses qu'elles peuvent être, elles gardent toujours une connotation religieuse, inévitablement dirais-je, du fait même de fouler ces chemins jalonnés de rappels constants aux origines (toponymie, croix, bornes, fontaines, édifices, églises et chapelles, etc...) Rome et Jérusalem (les "roumieux"), Saint-Jacques de Compostelle (les "jacquets"), étaient les trois grands pélérinages de la Chrétienté mais il y avait aussi, moins connus aujourd'hui, celui du Mont Saint Michel (les "miquelots") et celui de Saint Gilles du Gard.  J'ai parlé du premier dans l'"Echo de l'île de la Réunion" de Février 2008 (n°110), "sur les chemins de Saint Michel", je vais parler aujourd'hui du second, très ancien, qui a été relancé en 1965 par un passionné érudit, Marcel GIRAULT.

Ce nom de Regordane vient d'un terme local, gord, désignant une vallée encaissée.  Ce pays, voire cette province (provincia Regordana dans les documents anciens) correspond approcimativement au territoire situé entre Alès des Cévennes et Chamborigaud (Gard), Pradelles (Haute-Loire) et Largentière (Ardèche).  Le chemin de Regordane (et non "voie" qui fait romain certes mais le terme n'était pas employé anciennement) constitue en fait le tronçon cévenol de la route très importante qui reliait l'Ile de France au Bas-Languedoc ayant coinnu son essor à partir de l'an 893 quand le traité de Verdun divisa l'Empire carolingien en trois royaumes : la Francia Occidentalis de Charles le Chauve, le royaume de Lothaire et celui de Louis le Germanique..Or toute la vallée du Rhône jusqu'à la mer ne faisait pas partie de cette Francia Occidentalis mais du Royaume germanique, en constituant en fait la limite orientale, si bien que c'est du port de Saint-Gilles, sur le Petit-Rhône (et qui lui se trouvait en deçà de cette frontière) qu'embarquaient et débarquaient vers/de l'Orient marchandises et marchands puis pélerins pour la Terre Sainte et même Croisés au début, avant qu'il ne soit supplanté par celui d'Aigues-Mortes au bord même de la Méditerranée relié à celle-ci par le canal du Grau du Roi.


Primitivement Saint-Gilles s'appelaitPonte Aerarium  cité comme tel dans le récit du  "Pélerin de Bordeaux", ce qu'on pourrait presque traduire par Pont de l'Octroi (sur le Petit-Rhône), aerarium désignant à Rome le Trésor Public, ce qui laisse  à penser que c'était déjà un site commercial, avant de prendre le nom d'un saint ermite, moine d'origine athénienne, qui y fonda une abbaye vers la fin du VIIème siècle et où il fut inhumé. On connait la légende selon laquelle, voulant sauver un grand cerf pourchassé par des chasseurs et qui s'était réfugié devant la grotte où il priait, Saint Gilles fit apparaitre entre ses bois une grande croix lumineuse.  Son tombeau devint un lieu de pélérinage célèbre.  Les pélerins qui s'y rendaient venant du Nord passaient par Le Puy, point de départ de la Via Podiensis vers Saint-Jacques de Compostelle, de même que ceux (les "roumieux" ) qui se rendaient à Rome ou en Terre Sainte par mer et qui devaient embarquer au port fluvial de Saint Gilles.  Si bien qu'on finit presque par oublier que l'itinéraire Le Puy-Saint-Gilles était aussi celui d'un pélérinage propre sur le tombeau du Saint et s'arrêtant là, non point seulement étape (importante certes puisqu'on y quittait la terre ferme) vers Jérusalem.

Saint Gilles devint le siège du grand prieuré de l'Ordre de Saint Jean de Jérusalem et possession des comtes de Toulouse. 

Son importance sur le plan commercial comme sur celui des "voyageurs" était telle qu'on y comptait une trentaine de changeurs de monnaie, et à noter aussi la présence de chevaliers "pariers", confrérie laïque où tous étaient égaux (d'où le terme "pariers") dont la fonction essentielle était d'assurer la sécurité sur cette voie commerciale. 


Le chemin de Regordane (ou de Saint-Gilles) s'étire sur 242 kilomètres au départ du Puy-en-Velay (Haute-Loire) passant par l'Ardèche, la Lozère et le Gard.  Une voie très très ancienne en réalité, née avant l'homme d'une dislocation géologique nord-sud ayant ouvert des vallées encaissées et des cols, une faille qui a généré de nombreuses sources qu'instinctivement les animaux suivirent dans un mouvement spontané de transhumance.  Bien plus tard les hommes suivirent les animaux créant ainsi une draille.  Les Phéniciens, les Romains l'ont empruntée avant qu'elle devienne cet axe majeur, le plus oriental du Royaume de Francia Occidentalis.  Avec le développement du charroi, elle devint route véritable taillée dans le schiste sur les versants des vallées, jalonnés d'entrepôts à l'abri de villages fortifiés.  Une chanson de geste, "le charroi de Nîmes", parle de ce pays de Regordane où l'on rencontre chars et charrettes à foison.  Le climat aussi était favorable à l'élevage, à la culture produisant des récoltes abondantes, créant des richesses qui ne demandaient qu'à circuler.  Donc une région particulièrement riche et active économiquement, culturellement aussi avec le va et vient de voyageurs et pélerins, bien peuplée, alors qu'aujourd'hui on en parle plutôt comme du désert français. Pourtant, au XIVème siècle, il s'y produisit un changement climatique, plus froid et humide, provoquant une raréfaction des récoltes jusqu'à la disette de ses habitants qui avec le fléau de la peste noire virent leur nombre diminuer de plus de moitié.  Un malheur en entraînant d'autres, ce fut la Guerre de cent ans et ses ravages.  Le charroi arrêté, la route se dégrada rapidement, on n'y rencontrait plus que de rares convois de mulets et encore fréquemment dévalisés par les routiers anglais.  L'insécurité y était permanente.  Pourtant, vers la fin du XVIIème siècle, elle devait reprendre vie.  Au fil de temps elle fut réaménagée, reconstruite  voire déplacée à certains endroits pour éviter trop de dégâts dûs à la violence des eaux de ruissellement lors d'orages fréquents, elle redevint artère commerciale pour les vins, épices, sel, huile, fromages, vers les riches foires de Champagne.  Mais pas seulement car, pendant des siècles, elle draina les pélerins descendus du Nord pour aller  vénérer le tombeau de Saint Gilles, voire plus outre vers Rome, la Terre Sainte et Jérusalem. La littérature médiévale s'y est intéressée et en parle même comme du premier pélérinage du pays. Une autre chanson de geste nous parle d'un certain Guilhem à Cort Nes (au nez court) qui à la tête de son armée emprunta la Regordane pour aller reprendre Nîmes au Sarazins :


"Ils vêtent leurs hauberts, lacent leurs heaumes gemmés,

Ceignent leurs épées à la garde incrustée d'or,

Montent leurs destriers harnachés,

Pendant à leur flanc leurs écus sont bouclés.
Quittant la ville en rangs serrés,

L'oriflamme porté devant eux,

Tout droit vers Nîmes ils s'acheminent,

En tout dix mille Français bien armés,

Et fin prêts pour la bataille.

Au petit trot à travers bois ils chevauchèrent

Passant Regordane, allant plus outre,

Et du Puy jusqu'ici jamais ne s'arrêtèrent."

 

En 1878 un écrivain écossais bien connu, Robert Louis STEVENSON, déprimé suite à un amour malheureux et voulant se changer les idées décida de visiter les Cévennes à pieds et aux pas d'une petite anesse appelée "Modestine" portant son bagage.  Il partit du Monastier sur Gazeille (Haute-Loire) pour atteindre Saint Jean du Gard une douzaine de jours plus tard. Cet itinéraire devait être redécouvert pour devenir le GR Stevenson très prisé des randonneurs moyens.  Puis ce fut tout le parcours complet du Puy en Velay à Saint Gilles du Gard qui devint le GR700 "chemin de Regordane". 

 

Etant jeune j'ai visité cette région, non point au pas d'une anesse mais - plus prosaïquement - avec une deux chevaux (vapeur).  J'avais adoré, n'ayant  malheureusement jamais pu y retourner.  Mais aujourd'hui j'en rêve encore en relisant ces noms évocateurs comme Costaros, Pradelles, la Bastide Puylaurent, la Garde Guérin, Villefort, Portes, etc... etc...


Ayant en Métropole de nombreux petits-neveux et nièces, il se pourrait que certain(e)s aient eux-mêmes foulé ces sentiers...  J'en profite pour les saluer tous et toutes leur souhaîtant de bonnes vacances (si c'est le cas).

 

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