Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 février 2022 6 12 /02 /février /2022 08:38

Après un long article sur le roi d'Angleterre Henry II Plantagenêt et son chancelier Thomas Beckett,  j'ai évoqué la fin de ce souverain au château de Chinon en 1189 et son inhumation en l'abbaye de Fontevraud rejoint en ce lieu par son épouse Aliénor d'Aquitaine quinze ans plus tard.

Dans la continuité en somme, c'est de leur fils Richard Ier dit Coeur de Lion dont je vais parler et en particulier des circonstances de sa mort en 1199 à Châlus (Limousin), mort prématurée au demeurant car âgé de quarante et un ans.

Bien que n'ayant régné effctivement qu'une dizaine d'années et davantage sur le Continent et la Terre Sainte qu'en Angleterre proprement dite dont le royaume, rappelons-le, s'étendait alors de l'Ecosse aux Pyrénées avec la Normandie, le Maine, la Touraine, le Poitou et l'Aquitaine,  il est passé pour légendaire en particulier pour sa participation à la troisième Croisade où il s'illustra en s'emparant du port d'Acre et par ses victoires d'Arsouf et de Jaffa contre Saladin.  C'est avec lui qu'a débuté le second Royaume latin de Jérusalem. 

Il voulait reconquérir la Ville Sainte tombée aux mains des musulmans suite à la défaite des Francs à Hattin en 1187, elle aurait même été à sa portée, mais il dût rentrer en Angleterre où son frère Jean dit "sans terre", profitant de son absence prolongée et des dissensions entre le roi son père et ses autres frères, rapports qui furent toujours conflictuels, tenta de prendre sa place sur le trône.  

Richard était le préféré de sa mère, la reine Aliénor d'Aquitaine, celle-ci l'ayant particulièrement suivi dans son éducation qui se fit majoritairement en Aquitaine au point qu'il ne devait parler que médiocrement l'anglais au profit du français et de l'occitan.  Aliénor, femme très cultivée, l'avait initié très jeune à la poésie des troubadours, à la musique, et lui-même devait composer en langue d'oc, paroles et musique sur le luth.   

Ainsi Richard était-il devenu un solide gaillard, rompu au métier des armes mais aussi poète, mûr pour être ce roi-chevalier légendaire.

Dès son retour de Croisade, retour qui fut long et mouvementé après un naufrage et un séjour en prison en Allemagne d'où sa mère put le tirer en rassemblant péniblement la lourde rançon exigée, il recommença à batailler mais cette fois sur ses terres, contre son frère Jean sans terre et les barons acquis à sa cause mais aussi contre le roi de France Philippe-Auguste qui pourtant avait été son ami et l'avait accompagné dans la troisième croisade pour reconquérir ses possessions tant en Angleterre que sur le Continent.  

Ce qui nous amène au terme de ces années sous les murs du château de Châlus (Hte Vienne) en mars 1199 où il devait trouver la mort dix ans après celle de son père le roi Henry II. 

Cette mort allait devenir un thème littéraire dont s'emparèrent plusieurs auteurs et conteurs entretenant la légende du roi-chevalier.  Le personnage s'y prêtait aussi au physique, grand et bel homme, d'une grande bravoure, à pieds comme à cheval, parfois jusqu'à la témérité.  Mais aussi fin lettré comme nous l'avons vu.

Et comme je suis féru autant de Littérature que d'Histoire, je reviendrai sur ce dernier aspect de sa personnalité.

Pour cet homme expérimenté qui avait bravé et échappé à tant de dangers, en Europe comme outre-mer, sa mort à 41 ans apparait je dirais presque "stupide".

Voyons les faits.

Le château de Châlus-Chabrol se dressait (comme encore aujourd'hui) sur un éperon rocheux dominant la Tardoise, un sous affluent de la Charente, situé en une zone frontière entre le Duché d'Aquitaine détenu par les Plantagenêts et le Royaume de France alors fort réduit comparé à celui d'Angleterre, insulaire et continental.

Il comportait un donjon et un corps de logis avec tours d'angle et appartenait à Widomar (ou Adhémar) vicomte de Limoges, dit Boson.  Ce n'était donc pas un fief si considérable bien que situé sur une voie de passage, mais on peut se demander pourquoi Richard décida de l'attaquer.  Il s'est dit que Widomar (ou Adhémar) avait découvert sur ses terres un important trésor en or et argent dont, fort louablement, il aurait informé son suzerain le roi Richard, lui proposant un partage. Mais le roi aurait refusé et en aurait revendiqué la totalité.  Dès lors l'affrontement était inévitable et Richard pensait ne faire qu'une bouchée de Châlus.  

Il fit donc le siège du château où il pensait le trésor caché.  Tel du moins le récit qu'en donne Roger de Hoveden, chroniqueur anglais ayant participé à la Croisade aux côtés de Richard. Mais celui-ci aurait aussi bien pu être défié autrement par Widomar le poussant à répondre à l'affront.  D'autre part c'était une position intéressante sur l'itinéraire Limoges-Périgueux.  

Un historien anglais, le Professeur John Guillingham, spécialiste de cette époque, a intitulé son livre "The un-romantic death of Richard Ist".

Et de fait, elle le fut, peu romantique, devant une proie aussi facile (le château n'était gardé que par une quarantaine d'hommes) et pour s'être inutilement et imprudemment hasardé à découvert et sans armure à portée de flèches.  Une mort presque stupide comme je l'ai déjà dit.  

Les assiégés avaient résisté vaillamment aux assauts des hommes de Richard avec à leur tête le chef-routier Mercadier (dont je reparlerai plus loin), très supérieur en nombre et équipements et au terme de trois jours (le 26 mars) se trouvaient repoussés dans le donjon.

Cette résistance farouche faisait à la fois l'étonnement, l'irritation  mais aussi l'admiration du roi Richard lui-même qui ne s'attendait pas à celà.

Il voulu se rendre compte par lui-même des positions, s'approchant des remparts sans armure mais entouré d'hommes d'arme le protégeant de leur écu.  La manoeuvre fut pourtant repérée par un des chefs des défenseurs nommé Pierre Basile (dont je reparlerai plus loin) sans qu'on sache s'il avait reconnu la personne du roi.  Il braqua son arbalète sur ce groupe insolite, le suivant des yeux jusqu'au moment favorable pour décocher son carreau, atteignant ainsi Richard à la base du cou.  Celui-ci aurait lui-même arraché la flèche qui se cassa laissant le fer dans les chairs avant de rejoindre son campement.  Le barbier (chirurgien du temps) dût le charcuter assez profond pour retirer le métal et désinfecta la plaie avec les moyens de l'époque.

Entre temps, les assiégés avaient fini par se rendre et parmi les prisonniers on présenta au roi l'arbalétrier qui l'avait touché, Pierre Basile.  Ce dernier n'exprima aucun regret d'avoir atteint le roi de France (qu'il l'ait ou non reconnu), néanmoins celui-ci lui fit grâce pour son habileté.

Vite gangrénée, la plaie du roi devait provoquer son décès au bout de quelques jours alors que son armée n'avait pas encore levé le camp et que sa vieille mère de plus de soixante dix ans avait eu le temps de le rejoindre à son chevet.

Après le doute sur le motif exact du siège de Châlus, comme nous l'avons vu, un autre fut jeté sur le lieu même où mourut Richard et qui n'aurait pas été Châlus mais Nontron ou Piégut en Périgord, les bords de Loire voire même le château de Chinon (comme son père Henry II !).  Mais l'ouvrage magistral de l'historien John Guillingham pré-cité a mis fin à ces controverses une fois pour toutes.  Ce fut bien à Châlus où ses entrailles furent enterrées en la chapelle du lieu tandis que son cadavre fut inhumé à Fontevraud et son coeur conservé en la cathédrale de Rouen.  

Mercadier était un "routier" autrement dit un mercenaire au service des Anglais et du roi Richard en particulier.  Il l'avait accompagné dans sa Croisade et reçut de lui en récompense le château de Beynac (Dordogne) et fait par ailleurs duc d'Aquitaine.  N'eut été l'intervention royale, il aurait occis de ses mains ce Pierre Basile l'auteur du carreau d'arbalète ayant coûté la vie à Richard. Mais il le retint prisonnier et après la mort du roi le fit écorcher vif. Il mourut en 1200 après avoir servi sous Jean sans Terre, assassiné par un rival.

Au Château-Gaillard (Les Andelys) oeuvre de Richard coeur de Lion un des ponts porte son nom. 

Pierre Basile était un chevalier limousin né à Firbeix non loin de Châlus.  A son sujet aussi il y a controverse quant à sa fin.  En fait on aurait retrouvé sa trace longtemps après la mort du roi Richard dans un acte de succession prouvant qu'il avait bel et bien été grâcié et libéré et que Mercadier n'aurait pas osé contrevenir au désir du roi après sa mort. A noter qu'une rue de Châlus montant vers le château porte son nom. 

L'histoire agitée de ce roi-chevalier a, comme on le voit, suscité plusieurs versions.  

Les historiens anglais ont en général plutôt dénigré Richard Ier sans doute parce que celui-ci régna le plus souvent hors d'Angleterre, depuis le Continent et les possessions anglaises de Normandie, Maine, Touraine, Poitou et Aquitaine. 

Edward Gibbon quant à lui, historien et homme politique anglais, en avait une bien mauvaise opinion : "Si l'héroïsme se limite à la brutalité et la férocité, Richard Plantagenêt occupe une place éminente parmi les héros de son temps."

Rude guerrier, certes, intrépide, lui ayant valu son surnom, n'ayant pas hésité à faire passer en nombre des prisonniers au fil de l'épée, notamment lors de la prise d'Alep, à côté de celà capable de gestes magnanimes, "chevaleresques". Un évêque anglican érudit, William Stubb, le jugea " mauvais fils, mauvais époux, dirigeant égoïste, individu plein de vices."

Il est vrai qu'il négligea son épouse, Bérengère de Navarre, fille du roi Sanche le sage (Elle n'eut pas d'enfant, ne se remaria pas après la mort de son mari, se retira au Mans - maison dite de la reine Bérengère - et fit bâtir l'abbaye de l'Epau où elle fut inhumée). Mais il semble avoir été au demeurant peu porté sur les femmes hormis sa mère.  Un historien anglais des années 1950, John Boswell, va jusqu'à le supposer homosexuel, ses relations avec le jeune Philippe-Auguste, avant leur brouille, étant parues ... suspectes à l'époque (ce à quoi devait peut-être faire allusion William Stubb).

Ainsi comme dit le proverbe, nul n'est prophète en son pays.

Heureusement qu'il y eut Walter Scott (encore qu'il fut Ecossais) pour le réhabiliter dans son roman médiéval "Ivanhoe".

Voyons maintenant Richard Coeur de Lion dans la Littérature de son temps.

Du point de vue historique il y a deux chroniques sur sa Croisade.

Nous avons vu que c'est suite à la perte de Jérusalem après la défaite cuisante des Croisés à Hattin (près de Tibériade) qu'une troisième croisade avait été lancée par le pape Grégoire VIII dès 1189.

Après Frédéric Barberousse, Richard Ier d'Angleterre et Philippe-Auguste roi de France partirent à leur tour vers la fin de l'été 1190 mais séparément, l'un de Marseille, l'autre de Gênes mais ils se retrouvèrent en Sicile, à Messine où commença la mésentente entre les deux souverains.  

Philippe-Auguste arriva le premier devant Acre contrôlé par les musulmans et ne put y débarquer.  Richard arriva deux mois plus tard étant passé par Chypre et y ayant épousé Bérengère de Navarre.  Grâce à lui, les Croisés purent s'emparer du port d'Acre.

La première chronique est celle en langue d'oïl d'Ambroise, un trouvère normand qui suivit Richard dans sa croisade.  En fait un long poème à la gloire de celui-ci intitulé "l'Estoire de la guerre sainte". Il n'avait pas porté les armes mais participé à cette croisade que comme "jongleur" prenant force notes devant servir à la composition de son récit. Du vêcu, donc.

La seconde chronique en latin et en prose est "Itenerarium regis Ricardi" attribué initialement à Geoffrey de Vinsauf, poète et chroniqueur anglais qui aurait été précepteur de Richard Ier, mais il est  beaucoup plus probable qu'elle ne fut pas de lui bien qu'il ait composé une complainte funèbre sur la mort de Richard mais sans l'avoir suivi en Terre Sainte.   Ce serait en réalité la compilation par un chanoine trinitaire de Londres nommé Richard de Templo de deux documents d'époque : la chronique de Guillaume de Tyr, historien du Royaume latin de Jérusalem, né et mort à Jérusalem, précepteur du roi Beaudouin IV le lépreux et archêque de Tyr et de l' "Estoire de la guerre sainte" d'Ambroise que nous avons vue. Ces deux documents s'appuyant sur du réellement vêcu par les auteurs.  

L' "Estoire de la guerre sainte" d'Ambroise peut être consultée sur le site de la BNF Gallica mais on peut en prendre connaissance plus rapidement avec l'étude de Marianne Ailes de l'université de Bristol intitulée "Ambroise's Estoire de la guerre sainte and the development of a genre".

Côté poésie, on site Blondel de Nesle, trouvère du Nord de la France, attaché à Richard Ier et connu pour son confident l'ayant en partie suivi dans ses expéditions.  Quand la nouvelle parvint de son emprisonnement en Allemagne par Leopold V de Babenberg, il se mit en route à la recherche de sa prison et s'en serait fait reconnaitre en chantant de chateau fort en chateau fort une romance qu'il avait composé avec lui et qu'ils étaient tous les deux seuls à connaitre.  Parvenu devant le donjon de Trifels, alors qu'il achevait le premier couplet, une voix lui répondit en entonnant le second et Blondel de s'écrier : "Ô Richard, ô mon Roi !".

Mais le roi-chevalier, brave des braves, aussi généreux et magnanime qu'il pouvait être impitoyable et cruel fut aussi un roi-troubadour.  Tout à fait à l'instar de son ennemi Saladin.  Bien qu'ils ne se soient jamais rencontrés face à face, ils s'estimaient car tous deux de la même trempe. Le frère de Saladin, Al Adil, lui-même guerrier hors pair, leur servit d'intermédiaire et les deux hommes s'entendirent fort bien.  Richard, sensible à la musique et à la poésie, fut captivé par les chants et danses orientales lors des moments de convivialité, au point qu'il aurait proposé sa soeur Jeanne comme épouse à Al Adil et créer ainsi des liens entre les deux civilisations. Ce qui était très hardi pour l'époque.  Al Adil aurait accepté mais Jeanne refusa catégoriquement.

Ainsi donc la cuirasse n'en avait pas moins une faille laissant s'exprimer par moments le côté poète et musicien du personnage ce qu'il devait à sa mère Aliénor d'Aquitaine.  Il aimait la compagnie des trouvères et troubadours, comprenant les langues d'oc et d'oïl, se faisant leur mécène.

Lui-même est reconnu pour avoir composé et mis en musique deux poèmes.

Le premier dans sa prison intitulé "la complainte du prisonnier" en langue d'oc, le second plus tard en langue d'oïl, une sirventes, poème à caractère satyrique ou moral.

La "complainte du prisonnier" peut être écoutée sur Youtube chantée en occitan. 

En voici les premiers vers :

Ja nus hons pris ne dira sa raison 

Jamais nul homme pris ne dira sa raison

Adroitement, se dolantement non ;

De manière juste et sans fausse douleur ;

Mais par effort puet il faire chançon.

Mais il peut faire l'effort d'une chanson.

Mout ai amis, mais povres sont li don,

J'ai beaucoup d'amis mais pauvres sont leur dons,

Honte i avront se por ma reançon

La honte sera sur eux si, faute de rançon,

Suis ça deus yvers pris.

Je reste deux hivers prisonnier.

 

Richard était issu d'une lignée angevine connue pour son tempérament colérique, irascible, la "l'ire angevine" était devenue presque proverbiale.  S'agissant d'Henry II d'Angleterre celà frisait les crises d'épilepsie. Richard en hérita, à un moindre degré, de tempérament bouillonnant et parfois trop téméraire ce qui le servit à l'occasion. C'était pourtant un défaut que son adversaire Saladin lui reconnaissait.  

Enfin bref, c'était un noble seigneur-chevalier du Moyen Age, doté de hautes qualités comme de pires travers. Son panache l'a immortalisé et en a fait une légende.

 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires