Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
4 septembre 2009 5 04 /09 /septembre /2009 14:52

 

 

Bel Canto ...Jusqu'au début des années 80 Maman suivait assidument une émission radio d'Ève RUGGIERI sur des personnages illustres dont des musiciens. Elle nous en parlait parfois et de son admiration pour la présentatrice (âgée aujourd'hui de 70 ans), sa culture et sa diction parfaite. Malheureusement elle quitta la radio pour la télé avec son émission hebdomadaire en duo avec son compère en musique Alain DUHAULT (« Musiques au coeur  ») que je regardais assez souvent car elle me plaisait beaucoup et m'en apprenait autant. Ainsi d'un sujet que je ne connaissais guère, celui des « castrats » alors qu'ils furent au XVII et XVIII ème siècle les principaux acteurs du Bel Canto fondé sur la beauté du timbre de la voix (dans les aigus à la mode de l'époque en Italie) et la recherche de la virtuosité et de l'ornement de celle-ci. Mon propos n'est pas de raconter ce qui fut une réalité historique bien précise – malgré l'horreur que cette « pratique » nous inspire aujourd'hui (alors qu'elle était tolérée « ad honorem dei » ... ) - mais seulement de revenir sur le personnage du plus célèbre d'entre eux, FARINELLI. En 1994 est sorti un film de Gérard CORBIAU que j'ai regardé plus tard à la télé. Suite à l'émission d'Ève Ruggieri, j'étais resté sur l'impression que ces véritables monstres sacrés qu'étaient à l'époque les grands castrats que s'arrachaient toutes les cours d'Europe brillaient autant par leur voix véritablement éblouissante de sopraniste virtuose que par leurs caprices de diva. Or j'ai lu un ouvrage très intéressant, complet et objectif sur l' « Histoire des castrats » (éditions Grasset) de Patrick BARBIER professeur à l'Université catholique de l'Ouest d'Angers, italianiste et spécialiste de l'histoire de l'opéra et de l'art lyrique en particulier. Il en ressort que, s'il en est un qui fit exception à la règle ce fut Farinelli justement, le film de Corbiau nous le présentant sous un jour correspondant nullement à la réalité. Son histoire à lui est belle, au delà de cette terrible mutilation bien sûr. La voici. Carlo BROSCHI naquit dans les Pouilles (région de Bari) en 1705, fils d'un gentilhomme de petite noblesse (contrairement à la plupart des castrats originaires du peuple) passionné de musique, au point qu'il entendait y vouer ses deux fils, l'aîné (de 8ans) Ricardo pour la composition, le cadet pour le chant ce dernier s'y étant révélé particulièrement doué. Et pour lui garder cette voix « angélique » le père n'hésita pas à le faire « opérer » le moment venu (soit vers 9/10 ans) n'ayant pas même – à nos yeux – l'excuse de la pauvreté des parents dans ces cas là. L'« éviration » comme on disait alors qui était pratiquée sur les « recrues » de choix en particulier dans le Royaume de Naples mais aussi ailleurs en Italie pouvait bien comme mal se passer et c'était la mort du pauvre enfant par hémorragie. Pour ceux qui surmontaient l'opération, celle-ci n'avait pas toujours le résultat escompté c'est à dire l'absence totale de mue de la voix et c'était le plus affreux finalement ... ce supplice pour rien. Que devenaient-ils ces « sacrifiés » ? des chantres ordinaires dans de simples chorales d'église, parfois une reconversion dans la musique instrumentale, la prêtrise, ceci dans les meilleurs des cas, le pire étant les bordels du Trastevere à Rome. Enfin, restaient les autres, « happy few », parmi lesquels bien peu atteignirent les sommets. Il semble que ce qui nous révolte aujourd'hui ne soulevait pas à l'époque une émotion particulière, ni en Italie au nom de son culte pour le chant, ni à l'étranger où la personne du castrat (pas sa voix) était considérée avec mépris alors que celui-ci n'était pas responsable de son « état » lequel était diversement qualifié : arrangé, chaponné, incommodé, « primo-uomo », ... autant de termes se voulant déshonorants. Mais revenons à l'enfant Carlo BROSCHI pour qui l'opération se passa bien et qui put rentrer au plus célèbre des « conservatoires » de Naples, Santa Maria di Loreto, où officiait le non moins célèbre maître Nicolo PORPORA. Véritable entrée en religion. Toute la scolarité était ponctuée d'exercices religieux astreignants, les exercices profanes non moins sévèrement règlementés. La tenue (soutane rouge et surplis bleu) ne laissait aucun doute aux Napolitains sur l'appartenance des enfants (les figlioli) les rares fois où on pouvait les voir en ville. Lever à 6H30 l'hiver, 4H30 l'été, coucher à 22H l'hiver, 23H30 l'été, une nourriture des plus frugales sans aucune fantaisie. Les observateurs du temps trouvaient à tous ces « écoliers » un visage pâle et décharné. Outre le travail intensif de la voix et du chant, ils étudiaient parallèlement la grammaire, la rhétorique, les lettres. A la fin de leurs études ils passaient généralement par les chœurs d'églises et de cathédrales qui les préparaient en somme avant leur entrée sur la scène des principaux théâtres. C'était alors la coutume qu'ils choisissent un nom et Carlo BROSCHI prit celui de FARINELLI car il avait été le protégé des frères FARINA, mécènes napolitains, et c'est en 1720, à quinze ans, qu'il débuta au Palais de la Torella à Naples. A noter que d'autres se produisaient encore plus tôt (12/13 ans). La renommée de Farinelli déjà perçue depuis ses prestations dans les cathédrales et chapelles (dont la pontificale à Rome) ne tarda pas à se répandre dans toute l'Italie et au delà. Sa voix tout à fait exceptionnelle portait sur trois octaves, d'une sonorité et d'une puissance encore jamais égalées. Son souffle (ce qui était aussi affaire de travail bien entendu) était chez lui stupéfiant lui permettant de rester sur une note plus d'une minute d'affilée, de mettre un trompettiste hors d'haleine. Adulé, réclamé de partout, il n'en demeurait pas moins modeste, acceptant les remarques que pouvaient lui faire les maestros alors que ses congénères ne le supportaient pas, menant une vie nullement déréglée, au contraire, afin de donner le meilleur de sa voix. Beaucoup de femmes de la haute société italienne étaient très attirées par ces « phénomènes » et pas uniquement pour leur voix d'ange... Comme ils avaient conservé leur membre viril qui était tout à fait capable d'érection, ils pouvaient devenir des partenaires sans risque d'engrossement avec le piment que pouvait procurer l'ambiguïté de leur sexe. Farinelli qui était très beau de sa personne (comme en témoigne l'unique portrait en pied qu'on ait de lui peint par Giacomo Amidoni)

images

grand et élancé, aux traits fins, ne dût pas manquer de propositions auxquelles, sans doute, il céda parfois mais sans jamais entretenir de liaison. Ce que raconte le film sur une connivence des deux frères Broschi dans leurs rencontres amoureuses des deux sexes est pure invention comme l'est tout autant sur le plan musical la relation désastreuse entre Farinelli et Haëndel à Londres. Ayant fait la connaissance à Naples de Pietro Metastasio (alias Métastase) poète, compositeur et librettiste d'opéra, Farinelli et lui devinrent amis et le restèrent jusqu'à leur mort survenu la même année. Après s'être produit avec un égal triomphe à Naples, Rome, Venise, Milan, Bologne, Vienne, Paris, tout en se gagnant l'admiration de tous par ses réelles qualités humaines, affable, modeste, attentif aux autres dans ce monde particulier où cela n'était pas courant, il se rendit à Londres un peu malgré lui, sur invitation pressante de Porpora qui avait été son maître. Il y chanta au Lincoln Inn Field que dirigeait Porpora. Malgré le triomphe qu'il rencontrait il se lassa très vite de l'ambiance détestable qui régnait dans la capitale britannique à cause de la rivalité acharnée entre la troupe d'opéra d'Haëndel soutenue par le roi George II et celle de Porpora soutenue par le Prince de Galles et la noblesse. Il avait déjà pris sa décision de rentrer en Italie quand il reçut une étrange proposition : Elisabeth Farnèse, épouse du roi Philippe V d'Espagne, était d'origine italienne et avait eu l'occasion lors d'un voyage d'entendre chanter Farinelli dont la voix l'avait subjuguée. Or son mari était atteint de langueur, on dirait aujourd'hui de neurasthénie ou de grave dépression, ayant perdu le goût à la vie, ne s'occupant plus de rien et menaçait de sombrer dans la folie. Elle se rendit spécialement à Londres pour rencontrer Farinelli et l'inviter à venir chanter à Madrid pour distraire le roi de sa mélancolie. Ce fut là l'occasion rêvé pour lui de quitter Londres. Avant que de le présenter au roi, la reine lui demanda de se tenir dans une pièce adjacente et sur un signe d'elle de commencer à chanter. S'opéra alors un véritable miracle chez le roi soudain tiré de sa torpeur en écoutant ce chant merveilleux et quand le chanteur lui fut présenté il lui demanda quel était son souhait pour l'avoir charmé ainsi : que vous vous leviez, sire, que vous vous rasiez et mangiez, et ainsi tous les jours... ce que fit aussitôt Philippe V suppliant Faranelli de demeurer à la cour contre une rétribution royale mais à la condition de ne chanter que pour lui. Farinelli qui avait alors 32 ans et qui était au faîte de sa gloire, accepta aussitôt, renonçant ainsi à la poursuite de sa carrière. On croirait entendre un conte pour enfants : une voix de rossignol sortie d'un corps d'homme, ramenant à la vie un roi mélancolique qui dès lors le veut garder pour lui tout seul, et pourtant cela se passa bien ainsi, Faranelli demeura vingt deux ans à la cour d'Espagne, ayant reçu du roi la plus haute distinction réservé aux gentilshommes, ayant eu une grande influence à la cour et y ayant même été chargé de dossiers importants. On dit même que le roi de France qui l'avait reçu à sa propre cour chercha à le soudoyer pour obtenir des renseignements. Il en fut pour ses frais. Farinelli était entièrement dévoués à ses nouveaux maîtres. Il entreprit de se faire construire près de Bologne une superbe villa pour sa retraite, en dirigeant lui même à distance l'exécution et où il devait se retirer quand, à l'avènement de Charles III, il décida de quitter l'Espagne s'y étant senti devenu indésirable.. C'est là qu'il reçut Mozart adolescent et que s'acheva sa vie à l'âge avancé pour l'époque de 77ans sans avoir abandonné le chant. A ceux qui le pressaient d'écrire ses mémoires il répondait invariablement : à quoi bon ? Il suffit qu'on sache que je n'ai porté préjudice à personne et en ajoutant mon regret de n'avoir pu faire plus de bien que je n'en ai fait. En 1798 le Pape révoqua cette interdiction faite aux femmes de monter sur scène laquelle avait favorisé l'apparition des castrats mais ceux-ci ne disparurent pas tout de suite pour autant (pas plus que la pratique de l'éviration) mais ils subirent de plus en plus la concurrence des cantatrices, et puis les goûts avaient changé, le Bel Canto déclinait au profit de l'opéra romantique. Le dernier grand castrat d'opéra fut Girolamo Crescentini qui s'arrêta de chanter après une dernière tournée des grandes capitales européennes et avoir été invité par Napoléon et Joséphine aux Tuileries. On dit même qu'il arracha des larmes à l'empereur dans l'aria du Roméo et Juliette de Zingarelli.

Partager cet article
Repost0

commentaires