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26 janvier 2008 6 26 /01 /janvier /2008 11:13
Quand Louis X (le Hutin) successeur de son père Philippe IV le Bel mourut le 5 Juin 1316, deux ans à peine après son sacre, sa seconde épouse, Clémence de Hongrie, était enceinte.  De son premier mariage avec Marguerite de Bourgogne (compromise dans l'affaire d'adultère de la Tour de Nesle et qu'il fit étrangler dans sa prison au Château Gaillard) il avait eu une fille, Jeanne.  Selon la nouvelle interprétation de la  "loi salique" (qui, initialement, n'excluait les femmes que de la successions  à la terre) et étant de surcroît présumée bâtarde, elle se trouvait donc écartée du trône.  Philippe (dit le Long), frère de Louis X, se proclama régent jusqu'à la naissance de l'enfant qui survint cinq mois après la mort de son père au château de Vincennes.  Ce fut un garçon qui devait porter le nom de Jean Ier.  Philippe le Long avait épousé Jeanne de Bourgogne, une des filles de la redoutable Mahaut, comtesse d'Artois et pair du royaume par jugement royal  de Philippe IV (au détriment de son neveu, Robert III d'Artois). Or Mahaut était fortement soupçonnée d'avoir provoqué la mort de Louis X (d'empoisonnement à 27 ans)  : sa disparition faisait de son gendre le nouveau roi à moins que la reine Clémence mette au monde un fils.  La naissance du petit Jean venait donc ruiner ses espérances de voir sa fille devenir reine de France.   Le nouveau né ne devait vivre que cinq jours, juste le temps d'être baptisé.  Marraine de droit, la comtesse Mahaut avait donc eu l'occasion de tenir l'enfant ... Elle avait pour dame de compagnie, toute dévouée par intérêt,  une demoiselle Béatrice d'Hirson forte experte en magie, potions et poisons divers et de là à penser que celle-ci lui procura un moyen discret d'éliminer l'enfant  ... après le père !... Conclusion un peu hâtive peut être ?... Certes il s'agissait d'un premier accouchement, difficile de surcroît, pour la reine Clémence, très belle mais un peu faible de constitution.  L'enfant apparut pourtant parfaitement viable.  Certes Mahaut était connue pour son caractère intraitable et son ambition démesurée au service de laquelle tous moyens lui étaient bons.  La présence constante à ses côtés de cette mystérieuse Béatrice (qui secrètement poursuivait elle même ses propres ambitions)  accréditait encore la rumeur.  Ce n'est pourtant qu'une quarantaine d'années plus tard que surgit un "fait nouveau" renforçant la thèse du meurtre tout en révélant un étrange secret d'état.  Une affaire qui s'apparente à celle (ultérieure) concernant le petit Louis XVII, officiellement mort à la prison du Temple à l'âge de dix ans mais qu'en réalité on aurait fait évader grâce à une substitution d'enfant avec la complicité du gardien Samson.  Légende ou réalité ?... question demeurée en suspend au rayon des énigmes de l'Histoire. 
Revenons au moment de la venue au monde du petit Jean Ier.  Après la série d'évènements funestes survenus dans le royaume de France depuis la condamnation au bûcher du Grand Maître des Templiers Jacques de Molay et de Géoffroy de Charnay, Précepteur de l'Ordre pour la Normandie, cette naissance apparaissait comme un rayon de soleil capable, chacun l'espérait du moins, de conjurer cette malédiction qu'aurait lancé Jacques de Molay avant de mourir au roi Philippe IV le Bel et ses complices : "Maudits, maudits, soyez maudits jusqu'à la treizième génération de vos races !".  La reine Clémence était totalement épuisée mais heureuse malgré la disparition de son époux.  Tous deux s'étaient demandés si leur union n'allait pas demeurer stérile.   Clémence ne pouvant assurer elle même l'alaitement de son enfant, le vieux  chambellan Hugues de Bouville, fidèle parmi les fidèles de Philippe IV, fut chargé de lui trouver une nourrice sûre.  Il n'eut pas à chercher longtemps s'agissant de Marie de Cressay alors âgée de dix huit ans, fille de chevalier, secrètement mariée à Guccio Baglioni, fils d'un banquier de Sienne apparenté à la riche famille lombarde des Tolomei spécialisée dans la finance internationale. Pas un royaume d'Occident qui n'eut un compte chez les Tolomei.  Leur représentant en France, Spinello, était bien connu à la Cour et de Bouville en particulier car c'est lui qui avait recommandé au chambellan les services de ce  jeune homme dont il répondait (Guccio Baglioni précisément) quand  il dût se rendre à Naples à la tête d'une ambassade chargée de demander, au nom du roi Louis X, la main de Clémence de Hongrie. Ayant appris que Marie de Cressay venait elle aussi d'accoucher d'un garçon, Bouville s'était immédiatement rendu aux environs de Nauphle le Château où elle allaitait son enfant pour la ramener à la cour avec le bébé après l'avoir persuadée de rendre ce signalé service à la reine Clémence, un grand devoir et un grand honneur aussi car son petit Jean (Giannino) allait devenir frère de lait de l'autre petit Jean, futur roi de France.  Mais Bouville flaira une autre menace venant du côté de la comtesse Mahaut.  En tant que marraine légitime elle allait le tenir dans ses bras et, si brièvement que celà puisse être,et même en public, on pouvait s'attendre à tout de sa part avec l'aide efficace de son âme damnée de Béatrice d'Hirson.  Après en avoir discuté toute la nuit avec son épouse, tous deux prirent en conscience une décision d'une extrême gravité : persuadés l'un et l'autre que Mahaut allait tout tenter pour faire disparaitre ce dernier obstacle à son ambition pour sa fille, ils allaient demander à Marie de Cressay de mettre son fils Giannino à la place du petit Jean Ier dans le berceau royal, il en allait de la vie de ce dernier. Les deux bébés étaient blonds, presque de la même taille, la confusion serait parfaite.  Mais ils eurent quand même beaucoup de mal à persuader la jeune femme, excellente mère outre sa capacité d'allaiter deux enfants à la fois, d'accepter ce transfert où son propre fils risquait sa vie ... et obtinrent d'elle qu'elle signe un acte l'engageant sous serment à garder le secret absolu, même en confession, jusqu'à ce qu'elle en soit relevée, voire jusqu'à sa propre mort.  Moyennant quoi une confortable rente lui serait versé ponctuellement pour son entretien et celui de l'enfant.  Sa famille avait refusé Guccio Baglioni comme gendre d'où ce mariage secret.  Elle même, Marie, allait refuser de revoir Guccio, son époux, se sentant incapable de garder contenance devant lui avec ce si lourd secret entre eux deux concernant l'identité de l'enfant. 
Les années passèrent jusqu'au jour où Guccio enleva l'enfant alors âgé de neuf ans pour l'emmener en Italie, à Sienne, où il s'était établi banquier.  Il l'initia au métier dans lequel il s'avéra très doué.  Si bien qu'à sa mort en 1340, Guccio Baglioni laissa à ce fils qu'il croyait être le sien une des affaires les plus florissantes non seulement de la place de Sienne mais des principales capitales financières d'Europe. 
Quatre ans après le décès de son père, Giannino Baglionireçut une curieuse lettre de la part du tribun Cola de Rienzi, gouverneur de Rome, qu'il ne connaissait nullement, l'invitant à venir le voir dans la capitale et ce dans la plus grande discrétion pour une affaire concernant le royaume de France.  Rien moins que celà.  Dans l'instant il pensa qu'il devait s'agir d'une histoire de prêt ou peut être d'une rançon à payer pour le compte d'un grand seigneur prisonnier des Anglais comme celà s'était déjà vu.  Mais c'était de lui même qu'il s'agissait, de sa personne. Après lui avoir posé toute une série de questions, Rienzi finit par mettre genou en terre et s'inclinant lui déclara : "Vous êtes bien le roi de France." .  Guccio ouvrit de grands yeux et demeura muet. "Oui, grandissime seigneur, il y a neuf ans de celà la dame Marie de Cressay est morte..." - "Ma mère ! " l'interrompit Guccio - "Celle que vous croyez être votre mère, mais la veille de sa mort celle ci  s'est confessé à un moine qui a consigné ses dires par écrit.  Cet écrit je l'ai en ma possession, le voici." Rienzi se devait d'instruire Giannino d'évènements vieux de quarante ans s'agissant de la mort de Marguerite de Bourgogne, étranglée au Château Gaillard, du remariage de Louis X avec Clémence de Hongrie, l'ambition démesurée de la comtesse Mahaut, intrigante et criminelle,sa naissance posthume, la nourrice qu'il avait eue en la personne de Marie de Cressay allaitant en même temps son propre fils également prénommé Jean (Giannino).  Pour ce notable de trente huit ans, marié, père de famille, ce fut comme si le ciel lui tombait sur la tête : il apprenait d'un coup que son père n'était pas le sien, que sa mère ne l'était pas non plus, que son vrai père était roi de France, meurtrier de sa première épouse convaincue d'adultère, ayant péri lui même empoisonné !... Il savait depuis son plus jeune âge qu'il avait été frère de lait d'un futur roi qui était mort ... mais voilà qu'on lui annonçait que c'était lui ce roi !... La lecture de la confession de Marie de Cressay lui révéla la substitution d'enfant imaginée par le comte de Bouville pour sauver le petit roi (c'est à dire lui même) et le secret absolu qui lui avait été imposé et qu'elle avait rigoureusement tenu jusqu'à l'article de la mort car personne n'était jamais venu pour l'en délier.   Giannino comprit alors la raison pour laquelle Guccio Baglioni (celui qu'il croyait être son père) n'avait jamais pu revoir son épouse ce qu'il avait amèrement regretté toute sa vie.  C'était à cause de leur enfant mort à la place du petit roi qu'elle lui avait défendu de la revoir.  Elle n'avait jamais connu d'autre homme et Guccio ne s'était jamais remarié à cause de ce fils qu'il croyait le sien.   Il se souvenait d'avoir vu une fois, tout enfant, la reine Clémence (sa mère) qui lui avait donné un petit pendantif en forme de reliquaire que sa mère (adoptive) lui avait fait porter et qu'il portait encore.  Il essaya de se rappeler son visage mais c'était si loin ... il était très beau lui semblait-il.  Elle était morte douze ans après sa naissance.  Il découvrait en même temps le crime monstrueux de cette comtesse Mahaut, sa marraine, ayant d'un coup assassiné un innocent et jeté dans le malheur plusieurs existences : celle de Marie de Cressay ayant sacrifé son enfant et son mari, celle de la reine Clémence ayant cru son fils mort, celle de Bouville et de sa femme, responsables de la substitution et qui en furent tourmentés jusqu'à leur mort, se demandant s'ils n'auraient pas mieux fait de laisser les choses se faire, finissant par douter que le petit roi sauvé puisse un jour faire valoir ses droits légitimes. Mais, passé sa stupéfaction, ce fut là le cadet de ses soucis, il entendait bien continuer son métier de banquier, y élever son fils ainé.  Il ne se voyait pas se lancer en campagne proclamant partout quarante ans après "Je suis le roi deFrance Jean Ier, celui qu'on croit mort !" ... en brandissant la confession écrite d'une certaine Marie de Cressay faute de témoin encore vivant... Qui le croirait ?... 
Deux ans passèrent encore durant lesquels "Giannino di Francia" se tint coi.  Mais il n'avait pas gardé la chose tout à fait secrète pour autant : il en avait parlé à sa femme, à son notaire ... celà suffisait pour que çà finisse par se savoir à Sienne et les marchands colportèrent la nouvelle dans tous les comptoirs italiens.  Or les malheurs étaient grand au royaume de France, à cette époque où le roi Jean II dit le Bon était prisonnier du roi d'Angleterre Edward II.  Paris avait connu une tentative de prise de pouvoir populaire menée par le prévôt des marchands Etienne Marcel, les campagnes étaient sillonnées par de sinistres bandes qu'on appelaient les "Jacques" poussées par la misère et qui tuaient et pillaient sans vergogne.  La papauté d'Avignon était en guerre avec celle de Rome.  L'Anglais régnait  sur presque toute la moitié du pays.  Le Conseil de la République de Sienne, travaillée par les prêches enflammés d'un frère Bartomomeo, finit par s'émouvoir d'abriter dans ses murs le légitime roi de France alors que tout y allait si mal et fit pression sur Giannino pour qu'ils se joignent à eux pour revendiquer ses droits.  Très réticent au début, il finit par céder.  Mais négociants et banquiers qui composaient la majorité du Conseil furent très vite dissuadés d'agir par leurs correspondants français qui, subissant déjà suffisamment de déboires financiers, ne tenaient pas du tout à ce qu'on y ajoutât encore en allant soutenir les prétentions de ce Giannino. Et toute l'affaire retomba à plat.  Giannino aurait dû s'en réjouir mais, étrangement, ce fut le contraire, c'est lui maintenant qui voulait absolument qu'on poursuive l'action.  Il mettait, tardivement, un point d'honneur.  Il allait donc continuer seul, écrivant au Pape Innocent VI, au roi d'Angleterre, de Navarre, de Hongrie, leur joignant document à l'appui.  Seul répondit le roi de Hongrie qui était neveu de la reine Clémence pour lui reconnaitre le titre de roi et l'en féliciter.  Mais c'était tout !... Or Giannino, laissant tomber toutes ses affaires personnelles et sa famille, emportant tout son dossier et une partie de sa fortune, partit pour Buda afin de demander asile à son cousin.  Mais celui ci n'y était pas et il dut attendre tout l'hiver qu'il revienne dans sa capitale.  Interrogé et contre interrogé par lui et plusieurs seigneurs de la cour, on sembla d'abord convaincu de sa légitimité, puis on fit volte face, parlant même d'imposture. Giannino protesta, refusant de quitter la Hongrie, se constituant un conseil présidé par un évêque siennois, recrutant à ses frais une cinquantaine de gentilshommes avec leurs cavaliers et leurs archers. Décidément, il en voulait !...  Le roi Louis de Hongrie finit par l'autoriser à quitter le pays avec sa suite armée.  Il se rendit d'abord à Venise, puis à Trévise, Padoue, Ferrare, Bologne et revint finalement à Sienne, seize mois après, ayant achevé d'épuiser sa fortune.  Il se présenta alors aux élections du Conseil de la ville où il fut élu mais son élection fut invalidée du fait qu'il était fils du roi Louis X et reconnu comme tel par le roi Louis de Hongrie.  On lu ôta même la citoyenneté siennoise.  Mais plus obstiné que jamais il voulut se joindre à la suite du grand sénéchal du royaume de Naples en route pour la France et qui passait par Sienne, faisant valoir que Naples était le berceau familial de sa mère, la reine Clémence, mais le sénéchal lui conseilla plutot d'aller voir le Pape.  Ce qu'il fit mais celui ci refusa de le recevoir, n'avait il pas assez de soucis avec la France et Avignon ... Abandonné par les nobles hongrois qui l'avaient suivi jusque là, Giannino parvint à rentrer en France en s'acoquinant plus ou moins avec des bandes de routiers, errant, quêtant quelqu'argent, essayant d'intéresser les gens à sa cause dans les auberges, passant pour un fou.  Il le devenait positivement, se rendant compte  jour après jour de l'inanité de sa démarche.   Il finit par être arrêté à Aix en Provence pour avoir provoqué un trouble dans la ville. Il s'évada mais fut repris.  Comme il se réclamait haut et fort de sa famille de Naples, berceau de sa mère, on finit par l'y renvoyer et fut emprisonné non loin du Castel Nuovo qu'il pouvait voir du soupirail de sa cellule et que sa mère, quarante six ans plus tôt, avait quitté pour devenir reine de France.  C'est dans cette geôle qu'il mourut quelques mois plus tard. 
Quel destin !... étrange  en vérité !... n'ayant pu échapper, semble-t'il, à la "malédiction" de Jacques de Molay !...

Janvier 2006

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