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13 décembre 2022 2 13 /12 /décembre /2022 17:55

C'est en Algérie qu'un camarade me fit connaître la lettre de Saint-Exupéry au Général X...

Je me souviens de son nom, Noinsky ;  il était secrétaire de l'officier de renseignements de notre unité, le capitaine Noguès, à Duquesne (aujourd'hui Kaous) en Petite Kabylie arrondissement de Djidjel.

Il l'avait tapée sur sa machine à écrire et m'en avait donné une copie "carbonée".

Cette copie que j'ai conservée jusqu'à maintenant, toute jaunie et froissée, je l'ai lue et relue je dirais tout au long de ma vie tant elle m'avait impressionné à vingt ans et encore aujourd'hui à quatre vingts passés.

 

Saint-Ex était parvenu de haute lutte à se faire réintégrer dans son unité, le groupe 2/33 basé à Borgo en Corse dans lequel il avait combattu en 1939/40 et ce en dépit de la limite d'âge de 30 ans pour piloter le nouvel avion américain de reconnaissance Lightning P38. Les instructeurs américains étaient intraitables sur cette limite d'âge  : ils voulaient avoir à faire à des hommes jeunes.

Mais St-Ex avait alors 42 ans, âge que lui-même reconnaissait canonique pour ce métier et en temps de guerre  sur un tel engin. Pourtant et malgré ses misères physiques, il tenait absolument à revoler ne pouvant supporter de se retrouver derrière un bureau à Alger ou même à Londres dans l'ombre de de Gaulle.

 

Il avait un ami, le général d'aviation René CHAMBE, lui aussi écrivain, proche du Général Henri Giraud. Il le harcela pour obtenir un entretien avec lui afin d'obtenir une dérogation du général américain Eisenhower lui-même. Après plusieurs tentatives et de guerre lasse, Ike finit par céder en grommelant  que ce saint emmerdeur de St-Ex le serait peut-être moins en l'air que sur terre.

 

C'est donc bien grâce à ce général CHAMBE qu'il put reprendre du service dans son groupe, seule façon selon lui d'être encore utile dans la guerre, ne doutant pas de la victoire alliée mais par contre en redoutant l' "aftermath" comme disaient les Anglais.

 

 

Je ne me suis jamais préoccupé de savoir qui se cachait derrière ce Général X dans cette lettre non datée  qui ne fut jamais envoyée mais retrouvée parmi d'autres papiers personnels de l'auteur.

Elle ne devait être publiée par le Figaro qu'en 1948, post-mortem donc.

Mais, par certains détails du texte et par recoupements, il semble qu'elle fut écrite depuis le camp d’entraînement américain de la Marsa en Tunisie, courant Juin 1943, période où St-Ex effectuait ses premiers vols d'essais sur le P38.

 

Bien qu'il ne voulut jamais en affirmer la certitude, le général Chambe, grand ami de St-Ex et partageant ses préoccupations intimes, semble bien être le destinataire de cette lettre.

 

Saint Ex était pourtant loin d'être enthousiaste de revoler et sur un tel engin, alors qu'il l'avait demandé à cors et à cris ce qui apparaît contradictoire.  Mais en réalité  il vivait une crise de dépression que traduit d'ailleurs ce passage désabusé :

" J'aurais été heureux de disposer de ce joujou  (l'avion P38) pour mes vingt ans. Je constate avec mélancolie qu'aujourd'hui, à quarante trois ans, après quelque 6500 heures de vol sous tous les ciels du monde, je ne trouve plus grand plaisir à ce jeu-là. L'avion n'est plus qu'un instrument de déplacement -ici de guerre- et si je me soumets à la vitesse et à l'altitude à un âge patriarcal pour ce métier, c'est bien plus pour ne rien refuser des emmerdements de ma génération que dans l'espoir de retrouver les satisfactions d'autrefois.

 

Il écrit plus loin que :

"passé le temps de ce "job nécessaire et ingrat" - expression américaine - et si j'avais la foi,  je ne supporterais plus que Solesmes. "

On peut en douter. 

Certes il avait une tendance au pessimisme, porté à la philosophie et la spiritualité, mais aussi un grand appétit de vivre et d'éprouver la chaleur humaine et, bien que haïssant son époque de toutes ses force comme il le déclare, se serait-il vraiment abstrait du monde des hommes ? ...

 

Ses réflexions très personnelles et sombres qu'il épanche dans cette lettre ne s'adressent au fond à personne en particulier ; disons un besoin de les exprimer sans oser les confier à quiconque de crainte d'être jugées défaitistes, d'avouer que ses missions de reconnaissances,  physiquement éprouvantes sur son organisme déjà très entamé mais qui l'éloignaient du monde d'en bas,  n'étaient finalement qu'une "distraction" à son profond désespoir.  

"Je suis malade pour un temps inconnu.  Mais je ne me reconnais pas le droit de ne pas subir cette maladie."

 

L'idée qu'il fallait absolument parler aux hommes le taraudait :

"Que peut-on, que faut-il dire aux hommes ? "

au delà des nationalismes, des partis, des religions mêmes.

Mettre en garde l'humanité mais comment leur parler, comment "relever le niveau", et d'une voix suffisamment forte ?...  Celle d'un nouveau prophète sans doute ?

 

C'est là un aspect de sa personnalité  souvent occulté au profit du "héros" pur mais qui pourtant nous le rend d'autant plus attachant, tout simplement humain.

 

Et, à quatre vingt ans de distance, il est frappant de constater que toutes ses réflexions sont toujours criantes d'actualité.

Cette époque là était terrible, certes et Saint-Ex avait raison sur l'aftermath.  Néanmoins je ne partage pas son pessimisme noir quand il parle d'une descente de l'humanité  vers un sombre abîme.

Si par bien de ses aspects je déteste aussi l'époque actuelle, je me raccroche à l'espoir (naïf peut être ?...) que d'étape en étape le meilleur reste à venir plutôt que forcément le pire. Sur le long terme. 

 

                                   -oOo-

 

 

Gilbert aimait St-Ex et le connaissait bien.  Je me souviens d'avoir trouvé sur ses rayons de livres à Bruyères un volume de "Citadelle" abondamment annoté de sa main au crayon. Une œuvre de la maturité que moi même avait lue l'ayant trouvée difficile, ardue.  J'avais peiné pour suivre mais par moments c'était un éblouissement.  

Or je crois bien me souvenir que c'est moi qui lui avait fait connaître cette lettre au Général X... peu évoquée à l'époque parmi les œuvres de St Ex, n'en étant d'ailleurs pas une à proprement parler. 

 

 

Juste un mot pour terminer sur ce général René Chambre (1889 - 1983) né à Lyon mort à 94 ans après avoir traversé les deux guerres mondiales, héros de l'aviation, grand patriote et écrivain auteur entre autres de "l'escadron de Gironde", "Carrefour du destin" et  d'une "Histoire de l'aviation".

 

 

 

 

 

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12 février 2022 6 12 /02 /février /2022 08:38

Après un long article sur le roi d'Angleterre Henry II Plantagenêt et son chancelier Thomas Beckett,  j'ai évoqué la fin de ce souverain au château de Chinon en 1189 et son inhumation en l'abbaye de Fontevraud rejoint en ce lieu par son épouse Aliénor d'Aquitaine quinze ans plus tard.

Dans la continuité en somme, c'est de leur fils Richard Ier dit Coeur de Lion dont je vais parler et en particulier des circonstances de sa mort en 1199 à Châlus (Limousin), mort prématurée au demeurant car âgé de quarante et un ans.

Bien que n'ayant régné effctivement qu'une dizaine d'années et davantage sur le Continent et la Terre Sainte qu'en Angleterre proprement dite dont le royaume, rappelons-le, s'étendait alors de l'Ecosse aux Pyrénées avec la Normandie, le Maine, la Touraine, le Poitou et l'Aquitaine,  il est passé pour légendaire en particulier pour sa participation à la troisième Croisade où il s'illustra en s'emparant du port d'Acre et par ses victoires d'Arsouf et de Jaffa contre Saladin.  C'est avec lui qu'a débuté le second Royaume latin de Jérusalem. 

Il voulait reconquérir la Ville Sainte tombée aux mains des musulmans suite à la défaite des Francs à Hattin en 1187, elle aurait même été à sa portée, mais il dût rentrer en Angleterre où son frère Jean dit "sans terre", profitant de son absence prolongée et des dissensions entre le roi son père et ses autres frères, rapports qui furent toujours conflictuels, tenta de prendre sa place sur le trône.  

Richard était le préféré de sa mère, la reine Aliénor d'Aquitaine, celle-ci l'ayant particulièrement suivi dans son éducation qui se fit majoritairement en Aquitaine au point qu'il ne devait parler que médiocrement l'anglais au profit du français et de l'occitan.  Aliénor, femme très cultivée, l'avait initié très jeune à la poésie des troubadours, à la musique, et lui-même devait composer en langue d'oc, paroles et musique sur le luth.   

Ainsi Richard était-il devenu un solide gaillard, rompu au métier des armes mais aussi poète, mûr pour être ce roi-chevalier légendaire.

Dès son retour de Croisade, retour qui fut long et mouvementé après un naufrage et un séjour en prison en Allemagne d'où sa mère put le tirer en rassemblant péniblement la lourde rançon exigée, il recommença à batailler mais cette fois sur ses terres, contre son frère Jean sans terre et les barons acquis à sa cause mais aussi contre le roi de France Philippe-Auguste qui pourtant avait été son ami et l'avait accompagné dans la troisième croisade pour reconquérir ses possessions tant en Angleterre que sur le Continent.  

Ce qui nous amène au terme de ces années sous les murs du château de Châlus (Hte Vienne) en mars 1199 où il devait trouver la mort dix ans après celle de son père le roi Henry II. 

Cette mort allait devenir un thème littéraire dont s'emparèrent plusieurs auteurs et conteurs entretenant la légende du roi-chevalier.  Le personnage s'y prêtait aussi au physique, grand et bel homme, d'une grande bravoure, à pieds comme à cheval, parfois jusqu'à la témérité.  Mais aussi fin lettré comme nous l'avons vu.

Et comme je suis féru autant de Littérature que d'Histoire, je reviendrai sur ce dernier aspect de sa personnalité.

Pour cet homme expérimenté qui avait bravé et échappé à tant de dangers, en Europe comme outre-mer, sa mort à 41 ans apparait je dirais presque "stupide".

Voyons les faits.

Le château de Châlus-Chabrol se dressait (comme encore aujourd'hui) sur un éperon rocheux dominant la Tardoise, un sous affluent de la Charente, situé en une zone frontière entre le Duché d'Aquitaine détenu par les Plantagenêts et le Royaume de France alors fort réduit comparé à celui d'Angleterre, insulaire et continental.

Il comportait un donjon et un corps de logis avec tours d'angle et appartenait à Widomar (ou Adhémar) vicomte de Limoges, dit Boson.  Ce n'était donc pas un fief si considérable bien que situé sur une voie de passage, mais on peut se demander pourquoi Richard décida de l'attaquer.  Il s'est dit que Widomar (ou Adhémar) avait découvert sur ses terres un important trésor en or et argent dont, fort louablement, il aurait informé son suzerain le roi Richard, lui proposant un partage. Mais le roi aurait refusé et en aurait revendiqué la totalité.  Dès lors l'affrontement était inévitable et Richard pensait ne faire qu'une bouchée de Châlus.  

Il fit donc le siège du château où il pensait le trésor caché.  Tel du moins le récit qu'en donne Roger de Hoveden, chroniqueur anglais ayant participé à la Croisade aux côtés de Richard. Mais celui-ci aurait aussi bien pu être défié autrement par Widomar le poussant à répondre à l'affront.  D'autre part c'était une position intéressante sur l'itinéraire Limoges-Périgueux.  

Un historien anglais, le Professeur John Guillingham, spécialiste de cette époque, a intitulé son livre "The un-romantic death of Richard Ist".

Et de fait, elle le fut, peu romantique, devant une proie aussi facile (le château n'était gardé que par une quarantaine d'hommes) et pour s'être inutilement et imprudemment hasardé à découvert et sans armure à portée de flèches.  Une mort presque stupide comme je l'ai déjà dit.  

Les assiégés avaient résisté vaillamment aux assauts des hommes de Richard avec à leur tête le chef-routier Mercadier (dont je reparlerai plus loin), très supérieur en nombre et équipements et au terme de trois jours (le 26 mars) se trouvaient repoussés dans le donjon.

Cette résistance farouche faisait à la fois l'étonnement, l'irritation  mais aussi l'admiration du roi Richard lui-même qui ne s'attendait pas à celà.

Il voulu se rendre compte par lui-même des positions, s'approchant des remparts sans armure mais entouré d'hommes d'arme le protégeant de leur écu.  La manoeuvre fut pourtant repérée par un des chefs des défenseurs nommé Pierre Basile (dont je reparlerai plus loin) sans qu'on sache s'il avait reconnu la personne du roi.  Il braqua son arbalète sur ce groupe insolite, le suivant des yeux jusqu'au moment favorable pour décocher son carreau, atteignant ainsi Richard à la base du cou.  Celui-ci aurait lui-même arraché la flèche qui se cassa laissant le fer dans les chairs avant de rejoindre son campement.  Le barbier (chirurgien du temps) dût le charcuter assez profond pour retirer le métal et désinfecta la plaie avec les moyens de l'époque.

Entre temps, les assiégés avaient fini par se rendre et parmi les prisonniers on présenta au roi l'arbalétrier qui l'avait touché, Pierre Basile.  Ce dernier n'exprima aucun regret d'avoir atteint le roi de France (qu'il l'ait ou non reconnu), néanmoins celui-ci lui fit grâce pour son habileté.

Vite gangrénée, la plaie du roi devait provoquer son décès au bout de quelques jours alors que son armée n'avait pas encore levé le camp et que sa vieille mère de plus de soixante dix ans avait eu le temps de le rejoindre à son chevet.

Après le doute sur le motif exact du siège de Châlus, comme nous l'avons vu, un autre fut jeté sur le lieu même où mourut Richard et qui n'aurait pas été Châlus mais Nontron ou Piégut en Périgord, les bords de Loire voire même le château de Chinon (comme son père Henry II !).  Mais l'ouvrage magistral de l'historien John Guillingham pré-cité a mis fin à ces controverses une fois pour toutes.  Ce fut bien à Châlus où ses entrailles furent enterrées en la chapelle du lieu tandis que son cadavre fut inhumé à Fontevraud et son coeur conservé en la cathédrale de Rouen.  

Mercadier était un "routier" autrement dit un mercenaire au service des Anglais et du roi Richard en particulier.  Il l'avait accompagné dans sa Croisade et reçut de lui en récompense le château de Beynac (Dordogne) et fait par ailleurs duc d'Aquitaine.  N'eut été l'intervention royale, il aurait occis de ses mains ce Pierre Basile l'auteur du carreau d'arbalète ayant coûté la vie à Richard. Mais il le retint prisonnier et après la mort du roi le fit écorcher vif. Il mourut en 1200 après avoir servi sous Jean sans Terre, assassiné par un rival.

Au Château-Gaillard (Les Andelys) oeuvre de Richard coeur de Lion un des ponts porte son nom. 

Pierre Basile était un chevalier limousin né à Firbeix non loin de Châlus.  A son sujet aussi il y a controverse quant à sa fin.  En fait on aurait retrouvé sa trace longtemps après la mort du roi Richard dans un acte de succession prouvant qu'il avait bel et bien été grâcié et libéré et que Mercadier n'aurait pas osé contrevenir au désir du roi après sa mort. A noter qu'une rue de Châlus montant vers le château porte son nom. 

L'histoire agitée de ce roi-chevalier a, comme on le voit, suscité plusieurs versions.  

Les historiens anglais ont en général plutôt dénigré Richard Ier sans doute parce que celui-ci régna le plus souvent hors d'Angleterre, depuis le Continent et les possessions anglaises de Normandie, Maine, Touraine, Poitou et Aquitaine. 

Edward Gibbon quant à lui, historien et homme politique anglais, en avait une bien mauvaise opinion : "Si l'héroïsme se limite à la brutalité et la férocité, Richard Plantagenêt occupe une place éminente parmi les héros de son temps."

Rude guerrier, certes, intrépide, lui ayant valu son surnom, n'ayant pas hésité à faire passer en nombre des prisonniers au fil de l'épée, notamment lors de la prise d'Alep, à côté de celà capable de gestes magnanimes, "chevaleresques". Un évêque anglican érudit, William Stubb, le jugea " mauvais fils, mauvais époux, dirigeant égoïste, individu plein de vices."

Il est vrai qu'il négligea son épouse, Bérengère de Navarre, fille du roi Sanche le sage (Elle n'eut pas d'enfant, ne se remaria pas après la mort de son mari, se retira au Mans - maison dite de la reine Bérengère - et fit bâtir l'abbaye de l'Epau où elle fut inhumée). Mais il semble avoir été au demeurant peu porté sur les femmes hormis sa mère.  Un historien anglais des années 1950, John Boswell, va jusqu'à le supposer homosexuel, ses relations avec le jeune Philippe-Auguste, avant leur brouille, étant parues ... suspectes à l'époque (ce à quoi devait peut-être faire allusion William Stubb).

Ainsi comme dit le proverbe, nul n'est prophète en son pays.

Heureusement qu'il y eut Walter Scott (encore qu'il fut Ecossais) pour le réhabiliter dans son roman médiéval "Ivanhoe".

Voyons maintenant Richard Coeur de Lion dans la Littérature de son temps.

Du point de vue historique il y a deux chroniques sur sa Croisade.

Nous avons vu que c'est suite à la perte de Jérusalem après la défaite cuisante des Croisés à Hattin (près de Tibériade) qu'une troisième croisade avait été lancée par le pape Grégoire VIII dès 1189.

Après Frédéric Barberousse, Richard Ier d'Angleterre et Philippe-Auguste roi de France partirent à leur tour vers la fin de l'été 1190 mais séparément, l'un de Marseille, l'autre de Gênes mais ils se retrouvèrent en Sicile, à Messine où commença la mésentente entre les deux souverains.  

Philippe-Auguste arriva le premier devant Acre contrôlé par les musulmans et ne put y débarquer.  Richard arriva deux mois plus tard étant passé par Chypre et y ayant épousé Bérengère de Navarre.  Grâce à lui, les Croisés purent s'emparer du port d'Acre.

La première chronique est celle en langue d'oïl d'Ambroise, un trouvère normand qui suivit Richard dans sa croisade.  En fait un long poème à la gloire de celui-ci intitulé "l'Estoire de la guerre sainte". Il n'avait pas porté les armes mais participé à cette croisade que comme "jongleur" prenant force notes devant servir à la composition de son récit. Du vêcu, donc.

La seconde chronique en latin et en prose est "Itenerarium regis Ricardi" attribué initialement à Geoffrey de Vinsauf, poète et chroniqueur anglais qui aurait été précepteur de Richard Ier, mais il est  beaucoup plus probable qu'elle ne fut pas de lui bien qu'il ait composé une complainte funèbre sur la mort de Richard mais sans l'avoir suivi en Terre Sainte.   Ce serait en réalité la compilation par un chanoine trinitaire de Londres nommé Richard de Templo de deux documents d'époque : la chronique de Guillaume de Tyr, historien du Royaume latin de Jérusalem, né et mort à Jérusalem, précepteur du roi Beaudouin IV le lépreux et archêque de Tyr et de l' "Estoire de la guerre sainte" d'Ambroise que nous avons vue. Ces deux documents s'appuyant sur du réellement vêcu par les auteurs.  

L' "Estoire de la guerre sainte" d'Ambroise peut être consultée sur le site de la BNF Gallica mais on peut en prendre connaissance plus rapidement avec l'étude de Marianne Ailes de l'université de Bristol intitulée "Ambroise's Estoire de la guerre sainte and the development of a genre".

Côté poésie, on site Blondel de Nesle, trouvère du Nord de la France, attaché à Richard Ier et connu pour son confident l'ayant en partie suivi dans ses expéditions.  Quand la nouvelle parvint de son emprisonnement en Allemagne par Leopold V de Babenberg, il se mit en route à la recherche de sa prison et s'en serait fait reconnaitre en chantant de chateau fort en chateau fort une romance qu'il avait composé avec lui et qu'ils étaient tous les deux seuls à connaitre.  Parvenu devant le donjon de Trifels, alors qu'il achevait le premier couplet, une voix lui répondit en entonnant le second et Blondel de s'écrier : "Ô Richard, ô mon Roi !".

Mais le roi-chevalier, brave des braves, aussi généreux et magnanime qu'il pouvait être impitoyable et cruel fut aussi un roi-troubadour.  Tout à fait à l'instar de son ennemi Saladin.  Bien qu'ils ne se soient jamais rencontrés face à face, ils s'estimaient car tous deux de la même trempe. Le frère de Saladin, Al Adil, lui-même guerrier hors pair, leur servit d'intermédiaire et les deux hommes s'entendirent fort bien.  Richard, sensible à la musique et à la poésie, fut captivé par les chants et danses orientales lors des moments de convivialité, au point qu'il aurait proposé sa soeur Jeanne comme épouse à Al Adil et créer ainsi des liens entre les deux civilisations. Ce qui était très hardi pour l'époque.  Al Adil aurait accepté mais Jeanne refusa catégoriquement.

Ainsi donc la cuirasse n'en avait pas moins une faille laissant s'exprimer par moments le côté poète et musicien du personnage ce qu'il devait à sa mère Aliénor d'Aquitaine.  Il aimait la compagnie des trouvères et troubadours, comprenant les langues d'oc et d'oïl, se faisant leur mécène.

Lui-même est reconnu pour avoir composé et mis en musique deux poèmes.

Le premier dans sa prison intitulé "la complainte du prisonnier" en langue d'oc, le second plus tard en langue d'oïl, une sirventes, poème à caractère satyrique ou moral.

La "complainte du prisonnier" peut être écoutée sur Youtube chantée en occitan. 

En voici les premiers vers :

Ja nus hons pris ne dira sa raison 

Jamais nul homme pris ne dira sa raison

Adroitement, se dolantement non ;

De manière juste et sans fausse douleur ;

Mais par effort puet il faire chançon.

Mais il peut faire l'effort d'une chanson.

Mout ai amis, mais povres sont li don,

J'ai beaucoup d'amis mais pauvres sont leur dons,

Honte i avront se por ma reançon

La honte sera sur eux si, faute de rançon,

Suis ça deus yvers pris.

Je reste deux hivers prisonnier.

 

Richard était issu d'une lignée angevine connue pour son tempérament colérique, irascible, la "l'ire angevine" était devenue presque proverbiale.  S'agissant d'Henry II d'Angleterre celà frisait les crises d'épilepsie. Richard en hérita, à un moindre degré, de tempérament bouillonnant et parfois trop téméraire ce qui le servit à l'occasion. C'était pourtant un défaut que son adversaire Saladin lui reconnaissait.  

Enfin bref, c'était un noble seigneur-chevalier du Moyen Age, doté de hautes qualités comme de pires travers. Son panache l'a immortalisé et en a fait une légende.

 

 

 

 

 

 

 

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17 décembre 2011 6 17 /12 /décembre /2011 13:46

Thomas-Edward, alias "Lawrence d'Arabie" oui lui et je ne me serais pas risqué à associer ces deux noms si quelqu'un de plus autorisé ne l'avait déjà fait s'agissant de Malraux.

A un moment donné de leur vie, on trouve en effet chez ces deux hommes une similitude de destin si opposée que soit par ailleurs leur personnalité.

Nous savons ce que pensait de Lawrence Winston Churchill qui était son ami mais qu'en pensait de Gaulle, si tant est qu'il ait daigné se pencher sur son cas ?

Au fond on peut se poser la même question à leur sujet : Que serait devenu Lawrence, que serait devenu de Gaulle s'il n'y avait eu pour l'un l'entrée en guerre de la Turquie aux côtés de l'Allemagne en 1916, pour l'autre l'armistice capitulation de 1940 ?  Il y a fort à parier qu'on ne parlerait aujourd'hui ni de l'un ni de l'autre. Lawrence serait probablement resté archéologue de terrain en Orient, universitaire-chercheur  anonyme mais connu dans son milieu pour ses publications spécialisées.  Point.  Le colonel de Gaulle serait resté dans l'armée, sa famille, devenu quand même général et peut être auteur d'autres ouvrages techniques genre "au fil de l'épée" et "vers l'armée de métier".  Point.

Mais voilà, Lawrence fut célèbre et l'est resté pour son action auprès des Arabes dans la guerre orientale contre les Turcs au cours du premier conflit mondial et pour ce grand livre que sont "les sept piliers de la sagesse" tout comme de Gaulle le fut (mais pas seulement) pour son appel et son action depuis l'Angleterre contre l'occupation allemande de la France et par ses remarquables "Mémoires de guerre".

Il faut donc revenir à ce moment précis où sonna pour l'un et l'autre l'heure du destin.

 

 

A la déclaration de guerre (Août 1914) T.E.L. âgé de 26 ans était archéologue débutant mais prometteur sur le site mésopotamien de Karkémish (Iraq actuel) et venait de participer avec son chef de fouilles, Léonard Wooley, à une exploration du désert de Sin (partie occidentale du Sinaï) pour y effectuer un relevé topographique pour le compte du service cartographique de l'armée britannique au Caire et dont il avait été chargé du rapport.  L'ayant terminé, il chercha à s'engager comme la plupart des jeunes gens de son milieu et fut d'abord affecté au service cartographique à Londres mais, sitôt l'entrée en guerre de la Turquie aux côtés de l'Allemagne, il fut transféré à l'état major du Caire  et bientôt affecté au Bureau arabe de renseignements où il devait se faire remarquer tant par ses excentricités et son mépris des conventions militaires que par son excellente connaissance de l'arabe  et du Moyen Orient rapportée de ses voyages antérieurs à pieds  plus souvent qu'à chameau. Bien que de petite taille et d'aspect fluet, il était d'une résistance surprenante à la fatigue, la douleur, au sommeil, à la faim et la soif, tout comme les nomades du désert en fait sur lesquels il avait calqué sa manière de vivre lors de ses pérégrinations.

Les Anglais s'étaient rapprochés des Arabes du Hedjaz pour les soutenir dans leur révote contre l'occupant ottoman devenu ennemi commun moyennant promesse d'indépendance  à l'issue du conflit.  On  avait eu recours aux services du lieutenant-interprète Lawrence dès les premières entrevues avec le chérif hachémite de la Mecque Hussein et quand il se fut agi d'envoyer un émissaire anglais à Hamra en plein désert d'Arabie auprès de l'émir Fayçal, troisième fils d'Hussein, c'est encore et tout naturellement à lui que l'on pensa. Nul autre anglais n'était capable de remplir pareille mission en fait.  Au terme d'un voyage épuisant à dos de chameau et à marche forcée en compagnie de deux guides arabes, traversant le territoire de tribus encore hostiles, l'arrivée de Lawrence au camp de Fayçal et sa rencontre avec l'émir fut véritablement historique.  Les deux hommes furent impressionnés l'un par l'autre en fait : Fayçal de se trouver en présence d'un petit lieutenant mal fagotté et cramoisi mais qui, durement éprouvé par le trajet et sans avoir pris de repos était encore capable de s'entretenir avec lui en arabe sur des questions subtiles et avec à propos.  Epuisé physiquement mais restant maître de lui -  Lawrence par l'impression première et irrésistible de noblesse se dégageant de toute la personne de l'émir Fayçal en qui il vit immédiatement l'homme qu'il recherchait pour prendre la tête du mouvement.  Tel fut en cette fin d'Octobre 1916 le point de départ du ralliement et de l'entrée en guerre des tribus arabes du Hedjaz contre les Turcs avec Fayçal pour leader t Lawrence comme conseiller militaire mais aussi acteur de terrain, souvent au péril de sa vie et au prix de plusieurs blessures.  S'il avait vu d'emblée en Fayçal l'âme de la révolte, il savait que celui-ci ne pouvait pour autant se passer de lui dans une guerre "moderne".  En fait Lawrence sut parfaitement utiliser l'armée (non conventionnelle) de Fayçal partout où les Turcs ne faisaient pas le poids en dépit de leur moyens matériels et numériques, dynamitant en maints endroits la ligne ferroviaire entre Amman et Deraa, les coupant ainsi de leurs approvisionnements. Parce qu'il payait grandement de sa personne, menait la même vie qu'eux, il était presque devenu un frère d'arme pour les Arabes qui l'acclamaient aussi souvent que Fayçal.

Mais "Aurens" servaient deux maîtres : fervent arabophile il avait dès le début pris fait et cause pour ce mouvement d'émancipation arabe vis à vis de l'empire ottoman et comme ce dernier venait de se ranger du côté de l'Allemagne, ce mouvement soutenu et orienté par l'Angleterre pouvait aider celle-ci puissamment à vaincre les Turcs sur le front oriental.  Elle promit donc (et par écrit) l'indépendance aux Arabes en contrepartie de leur participation à la guerre orientale mais, assez tôt, Lawrence s'aperçut qu'il n'en resterait que chiffon de papier une fois la paix revenue car, en réalité, les alliés s'étaient déjà plus ou moins secrètement entendus sur le partage des territoires libérés.  Ainsi l'Angleterre se parjurait-elle vis à vis des Arabes mais comme ceux-ci (dans leur tradition) faisaient davantage confiance à un homme qu'à des institutions, ils virent en la personne de Lawrence le garant de cette fausse-promesse. Engagé à fond à leurs côtés, il ne pouvait démissionner sans faire tout échouer aussi bien du côté anglais que du côté arabe.  Il fut donc contraint et forcé de jouer double jeu sans en  rien laisser transpirer mais au prix d'une véritable torture morale qui devait laisser sur son équilibre nerveux et psychique des séquelles irréversibles.  Du moins se jura-t'il (et il tint parole au delà de ce qu'il était possible) de tout faire pour entrainer les Arabes vers une victoire qui serait véritablement la leur tout en faisant celle des Anglais et leur confèrerait en qualité de belligérants un droit indiscutable à un part non négligeable dans le partage que prévoyait les accords Sykes-Picot.  C'est grâce à lui que Fayçal et son armée put entrer en premier à Damas libéré, trois jours avant les troupes d'Allenby et après qu'une administration provisoire ait été mise en place , non sans mal, toujours grâce à lui.  Estimant sa tâche accomplie sur le terrain, il posa alors sa démission au général Allenby, seule et unique demande qu'il fit jamais pour lui-même.

Fayçal devait  revoir son ami lors de la conférence de la paix où il fut son interprète comme plus tard à celle de San Remo.  Lawrence, dès qu'il en avait eu la certitude, l'avait mis au courant de la précarité de la promesse anglaise d'indépendance mais il ne lui en tint pas rigueur car il connaissait le coeur de Lawrence, il savait pour qui il battait, il comprit son drame personnel mais, après tout ce qu'il avait fait et subi pour la cause arabe, il estimait qu'il ne devait pas s'en tenir rigueur. 

C'est au cours de cette conférence de la paix au quai d'Orsay où il logeait avec Fayçal que Lawrence commença de rédiger les premières pages de ce qui allait devenir son oeuvre littéraire, "les 7 piliers de la sagesse" long récit d'une épopée de deux ans (1916/17) dont pratiquement tout est dit dans le mystérieux poème liminaire.  Il ne se pardonna jamais sa duplicité vis à vis des Arabes.  Il avait  rêvé  les yeux ouverts pour eux et avec eux d'un grand royaume indépendant  (la maison aux sept piliers) avec Fayçal pour souverain et, dans cette perspective, les avaient engagés dans la lutte contre les Turcs.  La paix revenue, la promesse de l'Angleterre fut réduite à peau de chagrin en dépit des protestations (compromettantes pour lui) de Lawrence.  L'auto-punition qu'il s'infligea en s'engageant dans l'armée sous un faux nom et comme simple soldat  s'apparente à une sorte de suicide mental.

 

Juin 1940 : après avoir participé à la campagne de France (10 mai - 25 juin) à la tête d'une unité de chars, le colonel de Gaulle âgé de cinquante ans nommé général de brigade à titre temporaire entre dans le cabinet Paul Reynaud en tant que sous secrétaire d'état à la défense.   Il se rendra par deux fois en Angleterre demander le renvoi en France de troupes britanniques et d'une partie de la RAF et des moyens polur l'Afrique du Nord.  Il fera accepter par Reynaud le projet d'union franco-britannique présenté par Jean Monnet et approuvé par Churchill.  Il rentre de Londres à Bordeaux au moment où Reynaud n'ayant pu conjurer la défaire vient de démissionner.  Pétain va demander l'armistice.  La France capitule.  De Gaulle est un soldat par vocation ayant au plus haut point le sens de la Patrie.  Il a combattu en 14, y a été blessé et a tiré les leçons de la guerre exposant ses points de vue tranchés dans "Au fil de l'épée" et "Vers l'armée de métier". Il avait une profonde admiration pour Pétain, héros de 14, qui était le parrain de son fils Philippe.  Il fut donc cruellement déçu de sa décision de demander l'armistice.  Aussi, à peine celle ci annoncée à la radio, va-t'il franchir son Rubicon et consommer sa rupture avec le maréchal et son gouvernement.  Profitant de l'avion du général anglais Spiers, il s'envole pour Londres avec son aide de camp Geoffroy de Courcel tandis que sa famille embarque à Brest sur un cargo pour l'Angleterre.  A peine débarqué, il fonce à la BBC et dès le lendemain, 18 Juin 1940, lance sur les ondes son appel historique.  Point de départ de cette France Libre qu'il va incarner désormais.  On connait la suite, inutile d'y revenir.  Toute l'action de de Gaulle depuis Londres sera d'associer aussi étroitement que possible les forces armées et de résistance der la France Libre dans la lutte contre les Allemands pour la libération  du pays.  Avant même que les combats aient cessé il va retourner en France pour être le premier à entrer dans Paris libéré.  S'imposer aux anglais et aux américains avaient été pour lui une tâche extrêmement rude mais, aiguillonné constamment par son refus de la capitulation il avait triomphé et entrait en même temps dans l'Histoire.  Toutefois l'armistice avait d'une certaine façon favorisé ses dessiens en lui laissant le temps d'organiser la résistance  contre laquelleune armée d'occupation finit toujours par s'user. L'intervention décisive des Etats Unis dans le conflit et le débarquement allié en Normandie firent tout le reste. La paix revenue, de Gaulle ne devait faire qu'un bref passage en politique, hostile au projet de constitution et au jeu des partis, partisan d'un exécutif fort et, après l'échec de son mouvement RPF (Rassemblement du Peuple Français) il va de retirer complètement de la scène politique pour se consacrer à ses "Mémoires de Guerre" dans lesquelles il se révèle comme un très grand écrivain classique. Mais, comme l'on sait, L'Histoire devait le rattraper en Mai 1958 avec la crise algérienne.

 

Il n'est donc pas du tout incongru de faire un parallèle entre T.E Lawrence et de Gaulle, chacun dans sa guerre, et pour ce qui est des évènements déterminants ayant marqué le début de leur trajectoire respective.  Savoir aussi que nous sommes en présence de deux hommes chez qui l'action a précédé la littérature, deux hommes qui ayant joué un rôle dans l'Histoire (même si celui de Lawrence en Orient parait plus lolintaine) servi en celà par les circonstances, et quyi en ont témoigné ensuite.  T.E Lawrence (mort accidentellement en 1935 alors qu'il venait de quitter l'armée) ne devait pas connaître la seconde guerre mondiale à laquelle il aurait probablement participé en tant que volontaire, d'une manière ou d'une autre, et peut être pas forcément de la moindre, car son ami Churchill l'aurait sûrement relancé pour lui confier un poste important ce qu'il avait voulu faire mais ne put obtenir de lui après la première guerre mondiale. 

 

Pline le jeune dans une lettre à Tacite a écrit :

"Heureux ceux dont les actes valent la peine d'être écrits, ou les écrits la peine d'être lus ;  plus heureux encore ceux auxquels il est donné d'allier les deux."


Nous en avons ici deux exemples.

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1 septembre 2011 4 01 /09 /septembre /2011 15:25

Un BALZAC en « indianocéanité » ?... Eh oui ! Mais il s'agit d'Henry-François, le demi-frère de l'immense auteur de la « Comédie Humaine ».

Voyons cela.

Honoré, l'aîné de la famille, était né en 1799 à Tours d'un père (Bernard-François) de petite bourgeoisie disons, originaire du Tarn, du nom de BALSSA en réalité, mais se piquant d'aristocratie il l'avait fait changer en BALZAC avec la particule devant. Il était monté très jeune à Paris comme clerc de notaire et avait épousé tardivement Laure SALLEMBIER d'une famille de passementiers parisiens n'ayant que vingt et un ans à la naissance d'Honoré alors que son père était déjà âgé de cinquante trois ans. Il eut deux sœurs : Laure née à Tours en 1800 qui épousa un ingénieur des Ponts et Chaussées du nom de SURVILLE et Laurence née à Tours en 1802 et qui mourut à 23 ans après un mariage malheureux. C'est en 1807 que naquit à Tours Henry-François déclaré en mairie et au baptême comme fils légitime du couple mais dont le père était en réalité Jean de MARGONNE, châtelain de Saché, qui plus tard deviendra l'ami d'Honoré. A la naissance de ce cadet, Honoré avait 8 ans et se trouvait pensionnaire à Vendôme, situation dont il souffrait beaucoup s'estimant délaissé. Il en conçut du ressentiment pour sa mère d'autant plus qu'elle chouchoutait ce petit dernier plus qu'il ne l'avait été lui et ses sœurs et qui, d'enfant trop gâté et paresseux, allait devenir un « raté » comme on disait, un « loser » comme on dit maintenant. Après la mort de son père, Honoré se rapprocha de sa mère qui devint son associée de fait dans cette affaire d'imprimerie dans laquelle il s'était lancé et où elle apporta ses économies, affaire qui devait mal tourner de sorte qu'Honoré ne pouvait plus compter que sur les succès de sa plume pour rembourser à sa mère les fonds avancés. Entre temps, Henry était une source perpétuelle d'ennuis pour la famille bien qu'Honoré soit intervenu plusieurs fois pour lui trouver un emploi.

 

Dans une lettre à sa mère écrite de Saché en date du 23 Juin 1832 (cf. « Lettres de Balzac à Saché  1823 - 1848 » du Professeur Paul METADIER) Honoré écrit ceci :

« Ta lettre m'a fait plaisir ; les nouvelles d'Henry me comblent de joie. Enfin, si tout cela va bien, en voilà un de moins mal que les deux autres. Monsieur de Margonne n'en sait encore rien, il ne revient de Tours que ce soir, je lui dirai... »

 

Dans quelles circonstances exactes Henry s'était-il embarqué pour l'île Bourbon (future île de la Réunion) et y avait-il épousé la veuve d'un capitaine au long cours du nom de Fidèle CONSTANT lui ayant laissé, outre quelques enfants, une petite plantation à la tête de laquelle il se trouvait désormais, sans y avoir été préparé ?... Car c'est de cette bonne nouvelle dont parle Honoré dans sa lettre et dont se réjouit toute la famille Balzac. Du moins Henry s'en trouve t'il très éloigné à présent !... Malheureusement, jusqu'à sa mort en 1858, soit pendant 27 ans, Henry va « galérer » d'île en île sans rien réussir. Bien que les documents d'époque sur cette période de sa vie soient très minces, j'ai toutefois pu trouver quelque chose de succinct sur Internet dans les archives du journal mauricien « Express » d'abord.

 

... Notre Balzac (à Maurice) ne se prénomme pas Honoré, comme son frère adultérin et célèbre auteur de La Comédie humaine, mais Henry-François. Plus terre-à-terre, il fut géomètre-arpenteur, né à Tours, comme il se doit, le 31 décembre 1807 et mort à… Mayotte, le 11 mars 1858. Adoré de sa mère, il inspira à son frère romancier une féroce jalousie, nous assure l’auguste Dr Toussaint. Pas étonnant donc qu'il préféra aller chercher fortune aux Mascareignes après avoir été arpenteur. Il dut se contenter d’un poste de professeur au pensionnat de M. Victor Singery. Sa vie se romance quelque peu après son heureux mariage avec la veuve d'un capitaine au long cours qui avait 15 ans de plus mais autant de maisons, habitation et de Noirs. De quoi donc voir la vie en rose. Après avoir donné un filleul à son frère comme lui prénommé Honoré, il revint à Maurice, obtint un poste d'architecte dans le service civil mauricien. Furieux de ne pas obtenir aussi une charte d’arpenteur-juré, il se met à son compte et se transforme en entrepreneur (malheureux) en bâtiments. Endetté jusqu'au cou, selon les meilleures traditions balzaciennes, il s'exile d'abord à la Réunion puis à Mayotte où le rejoint la Camarde. C’est alors que la nouvelle parvient à Maurice que son vrai père, M. de Margonne, mort à Paris le 11 mai 1858, lui laisse un héritage considérableet révèle du même coup aux Mauriciens que le gouvernement colonial, qui préside à leurs destinées, a refusé une charte d’arpenteur-juré au frère adultérin d’Honoré de Balzac. La perfide Albion “jura mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus”...

D'après ce texte, Henry se serait donc d'abord rendu à Maurice où il aurait été professeur dans une pension privée avant d'épouser à la Réunion cette veuve fortunée. Mais son exploitation ayant périclité (mal gérée probablement outre le bouleversement apporté par l'abolition) il serait revenu à Maurice où il aurait obtenu un poste dans le service civil avant d'ouvrir une entreprise de bâtiment qui fit fiasco à son tour. Il aurait alors fui ses créanciers en retournant à la Réunion d'abord, puis à Mayotte où il meurt, deux mois avant la mort de Monsieur de Margonne qui, dans un testament, lui laissait en même temps que sa part d' héritage la reconnaissance de sa vraie paternité.

Puis, toujours sur internet, j'ai trouvé autre chose et à propos d'un certain Charles BAZOCHE, né à Nancy en 1784, qui fit carrière dans l'Armée et qui, en 1841, fut nommé Gouverneur de l'île Bourbon et dépendances, poste qu'il occupa jusqu'en 1846. Il y est dit que :

« Henry-François de Balzac était le frère cadet, moins âgé de huit ans, d'Honoré. Comme son frère, il fut toute sa vie "criblé de dettes, chasseur de chimères et rêveur de trésors". Il séjourna d'abord à l'île Maurice où il se maria avec une veuve créole de douze ans son aînée et pourvue de nombreux enfants. Obligé de fuir l'île Maurice, il se réfugia à l'île Bourbon où son frère le recommanda au Gouverneur BAZOCHE qui le nomma arpenteur-juré et le fit participer à l'édification de la nouvelle capitale, Saint Denis. Après le départ de BAZOCHE, il retomba dans l'infortune et mourut misérable à l’hôpital militaire de Mayotte le 11 Mars 1858. »

Les deux textes sont contradictoires s'agissant du mariage d'Henry : à la Réunion dans le premier, à Maurice dans l'autre, mais il ne faut peut être pas être surpris d'une confusion entre les deux îles vues de la lointaine Métropole. Dans son testament, M. de Margonne n'avait-il pas dicté : « Je donne et lègue à M. Henry de Balzac, frère de l'auteur mort il y a quelques temps, deux cent mille francs pris sur les fonds placés par obligation chez Maître Thion de La Chaume, notaire à Paris, le dit M. de Balzac demeurant à l'Ile Maurice autrefois Bourbon. » (La légatrice universelle de M. de Margonne avait été sa fille naturelle, Marie-Alix Salleyx). Il confond manifestement l'Île Maurice, autrefois Île de France, cédée à l'Angleterre en 1815, et sa voisine l'Île Bourbon.

Contradictoires aussi s'agissant de son emploi d'architecte dans le service civil, à Maurice dans le premier texte, à Bourbon dans le second.

Mais, preuve certaine de sa dernière fuite à l'île de Mayotte (Comores), sa tombe au cimetière chrétien de Pamandzi, près du lagon.

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Le peu que nous savons de ce demi-frère du grand écrivain, mort ruiné et malade à 50 ans (8 ans après son aîné) dans le lazaret d'une île perdue, nous laisse l'impression d'un personnage tragique qui aurait eu sa place finalement dans « la comédie humaine ». Une vaste interrogation demeure à son sujet.

C'est ce sentiment qui a poussé Michel THOUILLOT à écrire ce livre qui vient de paraître chez  l'Harmatan  « Henry de Balzac, enfant de l'amour ». Le peu de matière sur son sujet l'ayant détourné de faire un roman strictement historique, il y a donc mis une bonne part de fiction tout en essayant d'être vraisemblable, insistant sur le côté psychologique : cette rivalité entre Honoré et son frère, entre le génie et le « loser », ce dernier très longtemps préféré de la mère, aurait-il fui au loin de lui même ou poussé par la famille pour s'en débarrasser. Le fait qu'Henry se soit trouvé dans les îles au moment de l'abolition de l'esclavage donnait aussi l'occasion à l'auteur d'évoquer ce fait historique et ses répercussions.

A la question sur ce qu'avait pu devenir la famille d'Henry de Balzac à la Réunion, Michel THOUILLOT répond que son fils, Honoré, aurait terminé sa vie comme pion à Saint Denis. Quant à sa veuve, Marie Françoise, elle aurait vécu d'expédients, aurait même écrit à la veuve d'Honoré de Balzac (Mme Hanska) pour quelques subsides. Mais le nom de Balzac s'est éteint avec lui à la Réunion.

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Michel THOUILLOT est agrégé et docteur es-lettres, spécialiste de Claude SIMON, écrivain français né le 10 Octobre 1913 à Madagascar, mort le 6 Juillet 2005 à Paris, prix Nobel de Littérature en 1985. Claude SIMON dont voici un extrait du discours de remerciement lors de la cérémonie de remise des Prix Nobel à Stockholm :

« Je suis maintenant un vieil homme, et, comme beaucoup d'habitants de notre vieille Europe, la première partie de ma vie a été assez mouvementée : j'ai été témoin d'une révolution, j'ai fait la guerre dans des conditions particulièrement meurtrières (j'appartenais à l'un de ces régiments que les états-majors sacrifient froidement à l'avance et dont, en huit jours, il n'est pratiquement rien resté), j'ai été fait prisonnier, j'ai connu la faim, le travail physique jusqu'à l'épuisement, je me suis évadé, j'ai été gravement malade, plusieurs fois au bord de la mort, violente ou naturelle, j'ai côtoyé les gens les plus divers, aussi bien des prêtres que des incendiaires d'églises, de paisibles bourgeois que des anarchistes, des philosophes que des illettrés, j'ai partagé mon pain avec des truands, enfin j'ai voyagé un peu partout dans le monde ... et cependant, je n'ai jamais encore, à soixante-douze ans, découvert aucun sens à tout cela, si ce n'est comme l'a dit, je crois, Barthes après Shakespeare que " si le monde signifie quelque chose, c'est qu'il ne signifie rien " — sauf qu'il est. »
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27 août 2011 6 27 /08 /août /2011 12:53

Je reprends une « série » déjà commencée dans l' « Écho » avec Isabelle EBERHARDT, Ida PFEIFFER, Suzanne TRAVERS, Ella MAILLARD et d'autres, destin de femmes à l'esprit d'aventure et au caractère bien trempé. Il s'agit ce mois ci d'une pionnière de l'aviation, l'Américaine Amélia EARHART. Sa disparition en plein Océan Pacifique en Juillet 1937 a contribué à sa légende (à l'instar de Saint-Ex en Méditerranée)

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Elle naquit au Kansas, à Atchinson, le 24 Juillet 1897 et, dès son plus jeune âge, se révéla un vrai garçon manqué, de plus très habile de ses mains et lectrice assidue. Elle fit de bonnes études jusqu'à l'entrée en guerre des États Unis en 1917 où elle entra comme infirmière dans un Corps de Volontaires pour soigner les soldats rentrant du front. C'est en 1920 qu'elle prit l'air pour la première fois, ce dont elle rêvait depuis l'âge de dix ans où elle avait assisté avec son père à un meeting aérien. « Dès que l'avion eût quitté le sol– devait-elle confier plus tard – je sus que j'allais voler seul un jour ». Et de fait, quelques semaines plus tard, elle prit sa première leçon de pilotage sur un zinc de type « Curtiss ». Six mois après, ayant obtenu son brevet de pilote, fait encore rarissime chez les femmes, elle acheta son propre avion « Kinner Airster » avec lequel elle devait en 1922 battre le record d'altitude féminin (4.300m). Ayant contracté la grippe espagnole en 1918 elle devait en garder une sinusite chronique à laquelle rien ne fit et qui fut un handicap pour elle en tant que pilote. C'est en 1928 (18/19 Juin) qu'elle devint la première femme à avoir réussi la traversée de l'Atlantique (sur Fokker) et qu'on commença de parler d'elle dans le monde entier. Le vol (de Terre Neuve à Burry Port au Pays de Galles) avait duré 20 heures et 40 minutes. Avec ses cheveux courts et blonds elle avait beaucoup de ressemblance avec Lindberg (qu'on avait surnommé en Amérique « Lucky Lindy ») aussi certains journaux et magazines ne parlèrent plus d'elle désormais que sous le pseudonyme de « Lady Lindy ». Elle fut dès lors très courtisée par les photographes et les publicistes auxquels elle se prêtait de bonne grâce sans interrompre pour autant ses activités « aériennes » accumulant les records couronnés en 1932 (20/21 Mai) par la première traversée « féminine » de l'Atlantique en solo (14H56mn sur un « Lockheed-Vega ») alors même qu'on fêtait le 5ème anniversaire du vol de Lindberg à travers l'Atlantique. Elle épousa, sur les instances de celui-ci, un publiciste new-yorkais du nom de George Putnam qui avait divorcé de sa femme. Mais elle avait une conception du mariage très libérale, s'estimant associée plutôt que liée dans l'histoire. Amélia battit d'autres records en solo : vol d'un océan à l'autre à travers les États Unis, vol au dessus du Pacifique entre Hawaï et Oakland (Californie), de Mexico-City à Newark (US) avant que naisse chez elle le désir d'effectuer un tour du monde d'Ouest en Est. S'étant choisi un coéquipier en la personne de Fred Noonan, capitaine au long cours et capitaine d'aviation, elle fit une première tentative qui échoua, leur avion ayant subi une avarie assez grave. Parti de Miami (Floride) à bord du Lockheed« Electra » le 1er Juin 1937, ils firent plusieurs escales en Amérique du Sud, Afrique, sub-continent indien, Asie du Sud-Est avant d'arriver en Nouvelle Guinée, à Lea, le 29 Juin 1937. Ils avaient alors parcouru environ 35.000 Kms et il leur en restait 11.000 à travers tout le Pacifique. Ils redécollèrent de Lea le 2 Juillet à destination de l'île d'Howland, dépendance américaine dans l'archipel des Phœnix, distante d'environ 3.500 Kms, où un garde-côte, l' « Itasca », était stationné et chargé de les guider à l’atterrissage. Celui-ci reçut un premier message radio « KHAQQ calling Itasca. We must be on you but cannot see you … gas is running low ... ». Une heure plus tard, un second message : « We are in a line position of 157 – 337. Will report on 6210 kilocycles. Wait, listen on 6210 kilocycles. We are running North and South. ». Puis … plus rien.

Les circonstances de la disparition de l'appareil et des deux passagers sont demeurés depuis lors un mystère lequel devait immanquablement alimenter un tas de suppositions plus ou moins réalistes. Ce qui vient immédiatement à l'esprit est que l'  « Electra » d'Amélia ERHARDT fut à court de carburant après s'être éloigné de son cap et avoir perdu beaucoup de temps à le retrouver suite à une défaillance radio. D'où crash en plein océan. Mais, immédiatement après la disparition d'Amélia et de son co-pilote Noonan, des recherches sérieuses furent entamées par les États Unis d'où ressortit l'hypothèse que ce vol trans-pacifique aurait pu couvrir une mission d'espionnage commandée par le Président Roosevelt afin de savoir ce qu'y trafiquaient les Japonais. A partir de là deux autres hypothèses sur la fin possible des deux aviateurs : qu'ils aient été capturés par les Japonnais en se posant en catastrophe sur l'atoll d'un archipel proche des Phoenixqu'ils occupaient et exécutés par eux comme espions. Ou alors qu'ils aient survécus et se soient fondus dans l'anonymat. Malgré les recherches de l'US Navy, aucun débris d'appareil n'avait été encore retrouvé dans la zone. Mais en 2007 une expédition de recherche de la TIGHAR (The International Group for Historic Aircraft Recovery) sur l'île de Nikumaroro(ou Gardner island) autre atoll de l'archipel des Phœnix, avait permis de retrouver quelques débris ayant pu appartenir à l'avion d'Amélia ainsi qu'un pull à fermeture éclair pouvant provenir de son équipement de vol.

En définitive, nul ne saura jamais ce qui se produisit exactement. Mais son souvenir reste vivace en Amérique, ce visage et cette silhouette de jeune femme de tout juste 40 ans.  

 

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29 septembre 2009 2 29 /09 /septembre /2009 13:37

BaldwinIV.jpg     Beaudouin IV et son précepteur Guillaume de Tyr

Prologue

Sujet  historique se situant en Palestine d'entre 2ème et 3ème croisade, soit entre les années 1144 (prise d'Edesse par l'atabeg de Mossoul Zangui) et 1187 (prise de Jérusalem par Saladin). 
L'intrigue suit les faits tels que nous les connaissons des historiens dont le seul à être né et avoir vécu en Syrie franque et à nous avoir laissé une véritable chronique du royaume latin de Jérusalem est Guillaume de Tyr, fils d'un bourgeois d'origine italienne. Né à Jérusalem il devint clerc, fervent "patriote" de cette "terre sainte".  C'est à la demande du roi Amaury Ier, père de Baudouin le lépreux dont il fut le précepteur, que Guillaume de Tyr entreprit ce long travail.  Il fut nommé chancelier du royaume puis évêque de Tyr.  Il aurait dû devenir Patriarche de Jérusalem à la mort d'Amaury de Nesle si la reine Agnès n'avait intrigué pour faire nommer à sa place un de ses amants, Heraclius, qu'elle avait déjà fait accéder au rang d'archidiacre.
La relation de Guillaume de Tyr s'appuie sur des récits antérieurs jusqu'à l'époque où il retourna en Syrie franque vers l'âge de trente ans après plusieurs années passées en occident pour ses études. Dès lors il put décrire les évènements survenus de son vivant jusqu'au jour où peu de temps après la mort de Baudouin IV il s'embarqua pour la France et de là se rendre à Rome.  Il mourut mystérieusement en cours de traversée, probablement empoisonné par crainte qu'il ne révèle au Pape les intrigues de la cour de Jérusalem.
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                                                                                                      Raimvndvs Comestripolitanus et hecsva civitastripolis
principaux personnages :
Amaury Ier, roi de Jérusalem, père de Baudouin et de Sybille
Agnès de Courtenay, épouse d'Amaury et mère de Baudouin et Sybille
Baudouin devenu roi de Jérusalem sous le nom de Baudouin IV
Guillaume de Tyr, précepteur de Baudouin, chancelier et évêque de Tyr
Aymery de Lusignan, chambellan, amant de la reine Agnès
Heraclius, archidiacre de Jérusalem puis patriarche, autre amant de la reine Agnès
Milon de Plancy, sénéchal
Raimon III, comte de Tripoli
Guillaume de Montferrat (dit longue épée), premier mari de Sybille, père de Baudouinet (futur Baudouin V qui mourra en bas âge)
Guy de Lusignan, frère d'Aymeri, second mari de Sybille, régent de Baudouinet puis roi de Jérusalem
Saladin (Salah ad Dîn, le gardien de la Religion) sultan d'Egypte et de Syrie
Maimonide, médecin juif natif de Cordoue, ancien élève d'Averroes, au service de Saladin
Gérard de Ridefort, aventurier qui se fit Templier, d'abord familier de Raimon comte de Tripoli puis devenu son ennemi, fut élu Grand Maître de l'Ordre contre toute attente
Renaud de Chatillon, prince d'Antioche jusqu'à sa captivité puis seigneur du Krak de Moab en Transjordanie.


L'action débute en 1169 à Jérusalem qui est franque depuis 70 ans alors que Saladin est devenu sultan d'Egypte.
Baudouin est alors âgé de 9 ans

ACTE I (l'an 1169)

Scène I (extérieur près des murs de la ville)
Guillaume de Tyr surprend le jeune Baudouin et quelques camarades en train de jouer au roi et s'aperçoit que celui-ci est insensible à une piqure d'épine.

Scène II (à l'intérieur du palais)

Extrait:
Guillaume de Tyr : Sire, et vous Dame Agnès, sachez que cette chose grave que j'ai découverte concernant votre fils me pesait terriblement sur la conscience.  Si j'ai tardé  à vous en informer c'est que je voulais être sûr.  Ne m'en veuillez pas.  Ce médecin juif dont je vous ai parlé n'a pu que confirmer mes craintes.  Beaudouin est mésel ...
......
Amaury : N'y a-t'il aucun remède, ce médecin ... ?
Guillaume : Hélas non, Sire.  Cependant le sujet est très jeune et de constitution robuste, il se peut qu'avec beaucoup de soins, d'hygiène et l'application de certains onguents que m'a recommandés Yehouda le mal ne progresse qu'assez lentement au début mais la phase ultime sera terrible ...
......
Amaury : Devons nous lui révéler son mal maintenant ?
Guillaume : il est à l'oeuvre depuis un certain temps déjà sans qu'il n'y paraisse.  Votre fils est très au dessus de son âge je vous l'ai déjà dit, il a beaucoup de volonté, du courage, un esprit très religieux aussi.  Je suis d'avis qu'il faut le préparer.
Amaury : je le pense aussi et qu'avec ce mal qui me ronge les entrailles et m'affaiblit de jour en jour il pourrait bien être appelé au trône plus tôt qu'on ne pense.


Scène III/IV/V (chambre de Baudouin)
Guillaume de Tyr informe Baudouin de son mal.  Ce dernier reçoit la terrible nouvelle sans broncher mais une fois seul il s'écroule en sanglotant.
Il se relève lentement, tire le rideau devant la fenêtre, met le verrou à la porte et va s'agenouiller devant le crucifix, à même les dalles.
La reine Agnès qui a supplié toute la journée son fils de lui ouvrir  l'exhorte à prendre quelques dattes et un peu de lait.
Il ouvre pour prendre le panier mais refuse de quitter sa chambre avant trois jours.
Scène VI (cour du palais)
Discussion entre Agnès  et ses deux amants, Aymery de Lusignan et Heraclius, sur la maladie de Baudouin, celle du roi Amaury et l'urgence de marier Sybille pour la descendance que Baudouin n'aura jamais. La question du Régent est aussi évoqué. Aymery propose Guillaume de Montferrat, son ami demeuré à Toulouse, comme parti pour Sybille et  Héraclius le sénéchal Milon de Plancy, tout dévoué au trio, comme régent de Baudouin à la mort du roi.

ACTE II (l'an 1174)

Scène I/II (Funérailles du roi Amaury dans la basilique du Saint Sépulcre et couronnement de Baudouin IV dit Baudouinet)
Scène III (dans l'ancienne mosquée Al Aqsa où l'Ordre du Temple a établi sa commanderie de Jérusalem)
Banquet offert par les bourgeois de la ville pour le couronnement du nouveau roi.
Scène IV (cour de Saladin au Caire)
Maimonide est en train d'opérer le sultan d'un furoncle mal placé.  Saladin interroge son médecin sur les récents évènements à Jérusalem, sur ce jeune roi qu'on dit lépreux et son avenir sur le trône, de Raimon comte de Tripoli qui en tant que plus proche parent aurait dû être nommé régent.

Extrait :
Saladin : Tu le connais ? On a dit que c'est une tête brûlée, un chien fou parti guerroyer par caprice et qui s'est fait capturer bêtement.
Maimonide : Il l'était mais il a changé en prison. Non je ne le connais pas personnellement mais j'en ai beaucoup entendu parler par certains qui l'ont approché.  Il s'est instruit et assagi durant sa captivité qui a duré huit ans, le temps qu'on réunisse la rançon énorme réclamée par Nour ed Dîn.  Sais-tu qu'il parle et écrit couramment ta langue et qu'il connait le Coran ?  Celà pourrait t'être utile.
Saladin : comment celà?
Maimonide : Si tu cherchais un accord, une trêve, vous pourriez vous entendre.  Bien que Chrétien il n'est pas l'ennemi irréductible des musulmans comme les autres.  Il ne demanderait que celà, parlementer.
Saladin :  Et si moi je cherche la guerre
Maimonide : Alors tu trouveras devant toi un valeureux guerrier.


Scène V
( rez de chaussée de la Citadelle)
Le jeune Baudouin qui porte déjà les traces de sa maladie préside la Haute Cour du royaume pour   la désignation du Régent (laquelle a déjà été arrangée)  Mais le roi n'est qu'à quelques mois de sa majorité en fait et Milon de Plancy trouve plus urgent d'en venir tout de suite au péril qui menace Jérusalem. Des espions ont rapporté d'Egypte la nouvelle que Saladin a rassemblé près des Pyramides une immense armée qu'il va lancer sur Jérusalem.  Raimon de Tripoli intervient alors pour déclarer que selon lui çà n'est pas maintenant qu'il va attaquer Jérusalem mais la contourner par le Sinaï et l'outre-Jourdain pour aller prendre Damas qui depuis la mort de Nour ed Dîn est pour lui un fruit mûr à cueillir.  De là il voudra s'emparer d'Alep et c'est alors seulement qu'il songera à reconquérir Jérusalem.  Il faut donc l'empêcher de prendre Alep et Raimon dont c'est le secteur s'en charge avec les troupes dont il dispose mais qu'il conviendra de renforcer par une armée d'appoint qu'il faut lever tout de suite. Cette intervention de Raimon est fort mal appréciée de la majorité de l'assistance qui le suspecte de collusion avec l'ennemi.  Ne connait-il pas l'arabe et le Coran, n'a t'il pas traité avec des émirs syriens sur des droits de passage ?...  S'ensuit une grande confusion où les insultes volent entre barons venus d'outre-mer et "poulains" c'est à dire ceux qui sont nés en Palestine.  Le petit roi malade surprend l'assemblée en faisant preuve d'autorité pour rétablir l'ordre.  Il enterrine la nomination de Milon de Plancy mais en lui adjoignant Raimon de Tripoli et le choix de Guillaume de Montferrat comme époux de sa soeur Sybille.  Il demande aussi qu'on négocie la libération de Renaud de Chatillon, combattant exceptionnel (en valant dix à lui tout seul) bien que porté à des excès inutiles, interné depuis dix ans à Alep. Raimon de Tripoli l'a bien connu là bas mais il met en garde le jeune roi : il n'est plus sain d'esprit n'est plus animé que par une haine féroce.  Libéré il deviendra un fauve incontrôlable. Néanmoins le roi en décide ainsi.
Scène VI
A l'issue de la réunion Raimon de Tripoli et Guillaume de Tyr se retrouvent seuls dans la cour.  Raimon laisse éclater sa colère contre la reine et ses amants qui manipulent le petit roi malade.  Guillaume n'en disconvient pas mais il connait le jeune roi mieux que lui et le détrompe quant à sa force de caractère.
Scène VII
Camp de Saladin.  Discussion animée entre l'émir et ses cinq  fils sur l'opportunité de différer l'attaque contre Jérusalem au profit de Damas où règne l'anarchie depuis la mort de Nour ed Dîn et qui tombera comme un fruit mûr. L'armée de Saladin évitera donc les Franjis (Francs) en passant par le Sinaï et l'outre-Jourdain.
Scène VIII
A Jérusalem dans la bibliothèque où Guillaume de Tyr, chancelier et historien du Royaume est assis devant son écritoire, écrivant puis réfléchissant à haute voix.
Saladin s'est emparé de Damas, de Baalbek, Homs mais il achoppe devant Alep.  La rançon payée pour la libération de Renaud de Chatillon a attiré aux Franjis la faveur des Zanguides opposés à Saladin et qui le tiennent en échec.  Mais au Caire en son absence les choses se gâtent et il va devoir y retourner dare dare avec une partie de son armée pour y rétablir l'ordre.  Ce qui inquiète Guillaume car il est à craindre que, n'ayant pu s'emparer d'Alep comme il l'avait promis, Saladin ne pourra plus contenir la poussée de l'opinion en faveur de l'attaque contre Jérusalem. 

ACTE III
(l'an 1177)

Scène I
Dans la palmeraie d'el Arish où est rassemblée l'armée de Saladin.  Maimonide est à ses côtés pendant qu'il s'équide aidé par son aide de camp.  Il juge prématuré cette attaque de Jérusalem mais il ne peut cette fois la différer, il a l'épée dans les reins. Cependant El Qods (la Sainte) est dégarnie de troupes et Raimon de Tripoli et le roi Baudouin se sont brouillés à cause de la reine Agnès.  L'effet de surprise pourrait jouer et éviter un siège de la ville qui l'immobiliserait trop longtemps. 

Scène II
A Jérusalem dans les appartements du roi.  Baudouin est en compagnie de sa mère, d'Aymery de Lusignan, du nouveau sénéchal Onfroy de Toron (Milon de Plancy ayant été assassiné suite aux propos malveillants qu'il avait tenus contre les Poulains) et du Grand Maître des Templiers.
Extrait :
un messager hors d'haleine tombe à genoux devant le roi : Sire, Sire, l'armée de Saladin est rassemblée à El Arish et va marcher sur nous, cette fois c'est sûr, des espions bédouins l'ont entendu de leurs oreilles.
Baudouin (stupéfait) : Mais ... Saladin n'était-il pas en Syrie devant Alep ?...  Messeigneurs étiez vous au courant qu'il était redescendu en Egypte ?...
Onfroy de Toron : Nous nous en doutions d'après des rumeurs mais pas du tout que çà serait si tôt
Guillaume de Tyr (qui vient d'entrer mais à entendu ce qui vient d'être dit) : Moi si.  C'est pourquoi j'ai fait envoyer un message par pigeon voyageur à Raimon de Tripoli peut être déjà au courant des évènements du Caire mais mieux valait prendre cette précaution.
Baudouin : Certes, Maître Guillaume, vous avez bien fait mais nous voilà pris de court, Saladin a brusqué l'attaque pour nous surprendre. Ce message est-il déjà parvenu à Tripoli?
Guillaume : Je le pense, il faudrait demander au "coulonneux"
Baudouin : qu'on aille donc le chercher.
La reine Agnès (vivement) : Je m'en charge.


Scène III
Onfroy de Toron et Guillaume de Tyr sont assis sur un banc de pierre dans la cour de la citadelle.
Onfroy fait à Guillaume le récit des batailles d'Ashkalon puis de Montgisard. A Ashkalon c'est  à Renaud de Chatillon qu'était revenu le mérite d'avoir impressionné les Sarrasins au point que ceux ci à la faveur de la nuit avaient levé le camp pour foncer sur Jérusalem.  Mais à Montgisard  les Franjis qui avaient réussi à dépasser les Sarrasins les y attendaient de pied ferme dans une embuscade qui les mit en déroute, Renaud de Chatillon leur étant apparu  dans la bataille comme le diable en personne.  Mais c'est en pleurant d'émotion qu' Onfroy évoque l'attitude si digne et courageuse du petit roi mésel à la tête de l'ost royal et de la grande croix d'or où est enchassé un morceau de croix du Christ.
Extrait :
Onfroy de Toron : ... Ah, Maître Guillaume, il fallait voir les yeux de Baudouin au milieu de son pauvre visage découvert, creusé, déjà déformé par le mal, ils brillaient d'un éclat presque surnaturel.  Il est tombé à genoux devant le maitre autel de la basilique du Saint Sépulchre où il a été sacré et nous l'avons tous entendu s'écrier : "Seigneur ! Tu n'as pas voulu que je meure, moi qui le souhaitait tant.  Loué sois-tu ! Je ne penserais qu'à vivre désormais afin de remplir jusqu'au bout mes devoirs de roi et de chrétien."


ACTE IV (l'an 1185)

Scène I
Baalbek (prise par Saladin mais reprise par les Francs après leur victoire de Montgisard)
Dans la palmeraie Saladin et Raimon de Tripoli jouent aux échecs sous un dais tout en discutant.  Saladin reproche à Raimon de soutenir le fils de Nour ed Dîn en reconnaissance pour ce dernier qui lui avait permis de s'instruire en prison en lui envoyant ses ulémas.  Raimon réplique qu'il ne fait que défendre son comté.  En fait il tarde à Saladin de rejoindre le Caire où il craint de nouveaux trouble.  Une trève  de deux ans entre eux deux l'arrangerait. Raimon réplique qu'il est d'accord à condition qu'elle s'applique à tout le Royaume franc, et même pour plus longtemps car il n'est pas pour la guerre et ne rêve que de paix pour ce pays qui est le sien puisqu'il y est né. Il ne connait même pas la France ( Saladin lui est né au pays des Kurdes)

Scène II
Jérusalem.  Dans la bibliothèque. Guillaume de Tyr est à son écritoire.  Entre Raimon de Tripoli encore tout équipé, une sacoche de cuir à la main.  Ils ne se sont pas revus depuis le couronnement du roi Baudouin. Guillaume l'informe  du remariage de Sybille devenue veuve avec Guy de Lusignan. Baudouin dont la maladie s'aggrave de jour en jour a désigné son successeur en la personne du fils de Sybille et de Guillaume de Montferrat Baudouinet  âgé de sept ans et Guy de Lusignan comme  régent. Raimon n'a jamais reçu le message de Guillaume et n'a été informé des évènements quasi miraculeux d'Ashkalon et Montgisard  qu'après coup. Mais Guillaume s'est aperçu que c'est la reine Agnès par l'intermédiaire de son espion un nain diabolique mais qui lui est tout dévoué qui a intercepté le message et l'a détruit. Et pour ne pas que le coulonneux révèle la vérité elle l'a fait étrangler.  De sorte qu'à Jérusalem Raimon déjà suspect par ses relations avec les émirs syriens  a été accusé de ne pas avoir levé le petit doigt pour mieux laisser faire ... la Providence.  Et pire encore la rumeur est déjà arrivée qu'il joue maintenant aux échecs avec Saladin et négocie avec lui une trêve.
Extrait :
Raimon de Tripoli : Et toi, Guillaume, tu m'accuses comme les autres ?
Guillaume : Hormis l'affaire du message que tu n'as jamais reçu ... franchement, Raimon, je ne sais trop que penser ...
Raimon : Alors toi aussi !... Toi qui écris l'histoire de cette terre, tu aurais voulu sans doute un combat singulier, Saladin et moi, çà aurait eu plus d'allure qu'une partie d'échecs.  Mais as-tu songé à ce que nous aurions gagné à sa mort et à la mienne ?... De nouveau la guerre et cette fois contre tout l'Islam coalisé.
Guillaume : Enfin, Raimon, crois-tu que ton aïeul, Raimon de Saint Gilles, ait apprécié de te voir jouer aux échecs avec l'infidèle ?...
Raimon : Mais, Guillaume, ne comprends tu pas que les temps ont changé depuis lors ?...Nous sommes implantés ici maintenant et pour nous y maintenir il faudra bien un jour ou l'autre s'entendre avec ceux qui s'y trouvaient avant nous et y sont infiniment plus nombreux ?...
Guillaume : Peut-être que tu n'as pas tort mais ...
Raimon (d'une voix sifflante) Allons, trève de mots, dis franchement que tu me désapprouves.
Guillaume : En tous les cas dans l'entourage du roi tu ne trouveras personne qui te donne raison.
Raimon : Eh bien qu'ils aillent au diable tous !  J'apporte la trêve valable pour tout le royaume latin de Jérusalem et Baudouin agira comme il voudra.  Après tout il est majeur à présent.
Guillaume : Oui mais sa maladie a beaucoup progressé, il est en fait en phase terminale.  Tu verras comme il a changé, toujours admirable de courage, de force d'âme mais néanmoins terriblement diminué et de plus en plus dépendant de sa mère au sujet de laquelle je suis toujours partagé entre la bassesse de sa conduite et son dévouement sans faille auprès de son fils malade.
Raimon : Que lui as-tu dit au sujet du meutre du coulonneux ?
Guillaume : Rien.  Mais elle sait que je sais ...


Scène III
Cour de Jérusalem.  Baudouin  a réuni son Conseil.  Il apparait dans un triste état. Son visage est  à moitié dissimulé par des pansements, le corps et les mains caché sous un ample  vêtement.   Seul son regard vit. Partout des brûle parfums mais l'odeur est là. Raimon de Tripoli est présent, présence qui soulève des remous ...

Extrait :
Baudouin : J'ai demandé à Messire Raimon, comte de Tripoli, de se joindre à nous dans ce conseil pour nous informer de la situation actuelle en Syrie du Nord.  J'ai appris, Messire, par Maître Guillaume de Tyr, notre Chancelier, que vous n'aviez pas reçu un certain message de lui qui vous précisait la menace pesant sur nous  à Jérusalem, ce qui vous innocente des accusations de non assistance que certains ici même ont porté contre vous.
Au moment où Raimon va se lever pour prendre la parole, Renaud de Chatillon le devance venant se camper devant le roi.
Renaud de Chatillon (d'une voix rauque) : Sire, l'engagement pris par Raimon de Tripoli avec Saladin c'était encore sous la régence, il est donc caduc.  Brisons cette trêve honteuse.
Héraclius : Honteuse et sacrilège !  Comment un seigneur chrétien peut-il s'abaisser à jouer aux échecs et pactiser avec l'infidèle ?...
Guillaume de Tyr : Cependant le royaume de Jérusalem n'a qu'une parole.  Elle a été donnée en son nom pour deux ans, elle doit être respectée.
Renaud de Chatillon  (hurlant) : Parole donné par un couard ! Elle ne compte pas.
Raimon a blêmi sous l'insulte et bondit la main sur la garde de son épée.
Baudouin (d'une voix forte qui surprend)  : Assez! Assez! Encore une fois vous oubliez que vous vous trouvez devant le roi.  Votre attitude est indigne.  Messire Raimon, vous avez été insulté, justifiez vous.
Raimon : Sire je n'ai pas pris d'engagement avec Saladin mais c'est moi qui l'ai amené à pactiser avec nous pour une trêve, ce n'est pas la même chose et vous le comprenez fort bien.  Voici le traité portant le sceau de Saladin.  Il a levé le siège devant Alep dont nous gardons la maîtrise.  Nous avons maintenant deux ans pour rééquilibrer nos forces en levant une nouvelle armée.  La situation au Caire comme en Syrie est confuse, les luttes d'influence sont grandes entre Saladin, les Zanguides et les Fatimides. Vous savez que j'ai toujours prôné plutôt que la guerre à outrance une cohabitation raisonnable sur cette terre au bénéfice des Chrétiens comme des Musulmans.  Puisse cette idée faire son chemin dans le camp de Saladin , du nôtre aussi. 
Renaud (begayant de rage) : Nous n'écraserons pas Saladin et tous ces chiens d'infidèles avec des sceaux et des sots, ni à coups d'échecs, mais avec çà ...
Dégainant sa lourde épée il la brandit à deux mains et la fait retomber sur le sol d'une telle force qu'une des grosses dalles se fend dans une gerbe d'étincelles.


Scène IV
Dans la basilique du Saint Sépulchre. Le nouveau Patriarche de Jérusalem Héraclius a tenu la couronne au dessus de la tête du petit Baudouinet pendant que Baudouin a prononcé la formule selon laquelle il la lui confiait à sa mort.
Baudouin se fait ensuite transporter derrière le maitre autel où selon la tradition fut déposé le corps du Christ. Il a demandé au prieur de faire venir Raimon de Tripoli et de les laisser seuls tous les deux.
Extrait :
Baudouin : Messire Raimon, je n'ai pas su prendre votre défense quand il le fallait, j'étais pris dans les filets de ma mère et tous autour de moi me déformaient la réalité des choses.  Je sais tout à présent sur sa conduite scandaleuse, toutes ses intrigues et, pour comble, l'assassinat de ce pauvre coulonneux par son âme damnée de "Goliath" pour que l'on vous accuse de ne pas être accouru à la rescousse à Montgisard.  Voyez vous, Messire, je suis partagé entre l'horreur qu'elle m'inspire pour celà et l'admiration pour ses soins si tendres, si maternelles, pour cette pourriture vivante que je suis devenu et dont personne ne voudrait se charger.  J'admire qu'elle puisse supporter celà avec un doux sourire malgré tout, malgré la noirceur des actions dont elle s'est rendue coupable.  Messire, à Ashkalon et après, je vous en fait l'aveu, je pensais réellement trouver la mort, je l'appelais de mes voeux, une mort glorieuse qui m'épargnerait la phase la plus pénible de ma maladie.  Mais Dieu ne l'entendait pas ainsi et aujourd'hui je le supplie de me laisser encore un répit, juste le temps de réparer le mal que j'ai fait en ne réagissant pas malgré les soupçons, mon mal n'excusant pas tout, ni mon entourage.  Messire Raimon, vous devez m'aider, il n'y a plus que vous en qui j'ai confiance.
Raimon : Sire je suis prêt à vous aider, vous n'avez qu'à parler.
Baudouin : Alors vous serez mon Régent, dès demain.
Raimon : Mais ... et Messire Guy de Lusignan, votre beau frère ?...
Baudouin : C'est une conspiration, Messire, vous le savez bien.  Ils n'attendent que çà que je sois mort pour que Guy de Lusignan dont le mariage avec ma soeur a été arrangé par ma mère et ses deux amants puisse monter sur le trône et alors ce sera la fin du Royaume...
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Baudouin : Je ne vous ai pas toujours compris non plus concernant vos idées de cohabitation pacifique avec les musulmans.  Certes la guerre incessante est un véritable fléau mais pensez vous réellement que celà soit possible alors que les musulmans ne rêvent que de nous reprendre Jérusalem qu'eux même m'avez vous dit appellent "El Qods", la Sainte ?
Raimon : Je vous répondrai Sire par une autre interrogation : Est-il concevable pour nous, pour eux, que Jérusalem puisse être la Ville sainte partagée par deux croyances, trois en y incluant les Juifs fondateurs historiques du site de Salem ne l'oublions pas?  Que les tenants de ces trois religions puissent y cohabiter en respect l'une de l'autre?... Là est toute la question .



ACTE V (l'an 1186)

Scène I :
Krak de Moab, outre Jourdain, fief de Renaud de Chatillon. En violation de la trêve il ne se fait pas faute de rançonner les caravanes remontant d'Arabie (la Mecque et Médine, lieux saints de l'Islam)
Le chef de ses mercenaires vient de ramener une riche caravane dont il s'est emparé.
Extrait :
Renaud : Félicitations ! Où les as-tu dénichés ?
Chef mercenaire : Pas très loin, au fond d'un oued où ils se reposaient et où nous leur sommes tombés dessus par surprise.
Renaud : Des pertes chez nous ?
chef mercenaire : Aucune.  Quant aux prisonniers (il fait un geste sec du pouce au travers de sa gorge)
Renaud (dans un gros rire) Bien entendu.
Chef mercenaire : Mais il y a des prisonnières
Renaud (très excité) :  Que dis-tu ?  Montre moi çà vite.
Quelques femmes voilées sont blotties les unes contre les autres et se lamentent. Renaud marche sur elles;
Renaud : Silence, chiennes d'infidèles !
Il arrache le voile de la première qui lui tombe sous la main.  Les cris redoublent et les femmes se resserrent autour de l'une d'entre elles comme si elles cherchaient à la protéger.
Renaud (intrigué) : Tiens, tiens !
Il les écarte brutalement pour s'approcher de celle qui se tient au milieu et lui arrache son voile.  La femme le fixe d'un regard fier et prononce quelques mots en arabe d'une voix assurée.  Les autres femmes se sont tues.
Renaud (au chef mercenaire) : Qu'est-ce qu'elles baragouine?
Chef mercenaire : Elle dit qu'elle est la soeur de Saladin et que son frère viendra la délivrer et te tuera de ses propres mains.
Renaud (hilare) Sacrédieu ! Si celà est vrai nous tenons une fortune entre nos mains.  As-tu vu comme elle est fière ?  J'aime çà moi.
Chef mercenaire : nous pouvons vérifier en fouillant les bagages.
Renaud : C'est çà en attendant moi j'emmène ma sultane pour faire mieux connaissance ....


Scène II
Renaud et le chef mercenaire.
Extrait :
Renaud : Je n'ai pas eu le temps de l'empêcher je te dis.  Elle cachait ce petit sylet sur elle et se l'est planté au bon endroit, en plein coeur.
Chef mercenaire : Pardonnez moi Messire Renaud, vous n'auriez pas dû tenter de la forcer.  Aviez vous donc oublié la rançon?... C'était bien la fille de Saladin, elle rentrait de la Mecque.

Scène III
Jérusalem. Baudouin repose sur une litière entouré de rideaux de mousseline à travers lesquels on ne distingue qu'une vague forme.  Des brûle parfums partout pour camoufler l'odeur insupportable.
Raimon de Tripoli se tient debout devant la litière d'où sort très faible la voix du souverain.
Extrait :
Baudouin : Quelle affligeante nouvelle, Messire Raimon ! Décidément ce Renaud de Chatillon est un monstre.  Certes il a été pour beaucoup dans notre victoire j'en conviens mais vous aviez raison en me mettant en garde contre ses débordements incontrôlables.  Comment réparer cette forfaiture à présent ?
Raimon : Cette fois, Sire, plus rien ne peut être réparé.  C'est l'honneur de Saladin qui est en jeu, l'honneur de sa famille et aussi de tout l'Islam.  Voilà qui va réconcilier d'un seul coup toutes les tendances opposées et coaliser tous nos voisins contre nous.  J'avais donné ma parole à Saladin quant au respect de cette trêve.  Nous l'avons trahi et pire encore.  Cette fois l'étendard de la guerre sainte est levé, plus rien ne l'arrêtera tant qu'il n'aura pas repris Jérusalem et nous aura chassés du pays.
Baudouin (d'une voix haletante) : Messire Raimon, je ne me fais aucune illusion, mes jours, mes heures sont comptées.  Je ne verrai pas les évènements à venir.  Que Dieu vous ait en mercy, vous qui êtes le seul à avoir ma confiance, et tout le Royaume.  D'ores et déjà je veux vous faire mes adieux.  N'oubliez pas votre petit souverain qui tant eut à se battre contre lui même, contre son mal... (dans un râle) A Dieu, Messire Raimon !
Bouleversé, Raimon tombe à genoux au pied de la litière contenant ses larmes à grand peine
Raimon : A Dieu, mon Sire !

A ce moment on vient annoncer au roi la mort de sa mère, la reine Agnès.

Voix d'un récitant :
Quelques jours après la reine-mère, Baudouin mourut à son tour.  On dit que Saladin malgré le branle-bat de guerre sainte porta trois jours durant le deuil du petit roi mésel dont il avait admiré le courage.
Baudouinet, devenu Baudouin V, sous la régence de Guy de Lusignan, mourut lui aussi peu après, officiellement de consomption mais pour beaucoup cette mort parut très suspecte ...
Guy de Lusignan, second époux de Sybille, devint donc roi de Jérusalem comme l'avait voulu Agnès.  Il dut se réconcilier avec Raimon de Tripoli car il s'agissait maintenant d'affronter la coalition des armées de Saladin après l'affront qui lui avait été fait par Renaud de Chatillon.

ACTE VI (l'an 1187)
L'armée des Francs s'est regroupée aux Fontaines de Séphorie, entre le lac de Galilée et la mer.  La ville de Tibériade a été prise.  Seule la citadelle tient encore.  L'épouse de Raimon de Tripoli s'y trouve.  Saladin le sait.
Scène I :
Bivouac. Le roi Guy de Lusignan, Balian de Naplouse, Renaud de Chatillon, Gérard de Ridefort sont en discussion quant à attaquer Saladin à Tibériade dont les sépare un désert caillouteux, brûlant et sans eau, piège derrière lequel les attend Saladin.  Raimon est d'avis de différer contre celui du Grand Maître des Templiers Gérard de Ridefort.
Extrait :
Raimon : Sire, le grand maître des Templiers commande l'élite de notre cavalerie, nous ne pouvons nous opposer à cette heure cruciale ayant besoin de toutes nos forces réunies.  Selon lui, et vous le pensez aussi peut-être, je donne l'impression d'exagérer volontairement le risque pour différer l'attaque.  On me suspecte même d'intelligence avec l'ennemi.  Sachez, Sire, que je ne change point d'avis pour autant en refusant de m'opposer céans à Messire de Ridefort... Mais plaise à Dieu que ce soit pour le bien du Royaume !...


Voix d'un récitant :
L'ost des Francs est parvenu péniblement en un lieu appelé "Cornes de Hattin", deux collines rapprochées au milieu d'un paysage désertique et derrière lesquelles s'étend le lac de Tibériade.  Les musulmans les appellent les cornes du diable.  Une faible brise apporte l'odeur de l'eau sans qu'on l'aperçoive.  Raimon de Tripoli et Gérard de Ridefort poussent leur monture jusqu'en haut de la pente, mettent pied à terre et s'avancent avec précaution pour regarder de l'autre côté.  Les eaux du lac scintillent sous les derniers feux du jour.  Sur la rive la pénombre gagne déjà.  Les deux hommes la scrutent et découvrent ensemble que toute l'armée du Sultan est là.  Ils se regardent sans mot dire et reviennent à leur monture.

Scène II
Bivouac.  L'attaque est décidée pour le lendemain aux premières lueurs de l'aube.
Extrait :
Gérard de Ridefort : Enfin, que voulez vous dire ?
Raimon de Tripoli : Disons qu'il (Saladin) connait la folle témérité des Templiers
Gérard de Ridefort : ... et vos idées de cohabitation pacifique !... que celà bouscule.  Vous ne pouvez vous souvenir d'Ashkalon et de Montgisard, évidemment, vous n'y étiez pas ...
Raimon : Alors prions Dieu ensemble, Maitre Ridefort, et vous tous, qu'Il renouvelle demain le miracle de Montgisard.


Voix d'un récitant :
La nuit est tombée.  Un fin croissant de lune est apparu et monte lentement dans le ciel étoilé.  L'armé franque est en prière avant d'aller chercher un peu de sommeil.  Les chapelains distribuent les bénédictions.  Soudain une immense clameur s'élève par trois fois de l'autre côté des Cornes de Hattin : Allah akhbar ! Allah akhbar ! Allah akhbar ! ...
Clameur portée par des milliers et des milliers de voix.
Un long frisson parcourt l'ost des Francs.
Puis c'est le grand silence d'où montent ici et là des gémissements d'hommes saisis par la fièvre et, de temps à autre, les jappements des chacals.

Le jour se lève.  L'armée franque surgit sur la crête entre les deux cornes de Hattin.  En tête, comme un fer de lance, l'élite de la cavalerie templière.  Son but percer le flanc de l'armée sarrasine pour atteindre la rive du lac.  Gérard de Ridefort,  debout sur ses étriers, lève son épée et s'écrie "Dieu le veut ! En avant !", cri repris par toute l'armée qui se rue à l'attaque. Ils sont déjà à portée de flèches des Sarrasins mais ceux ci ne bougent pas encore.
Ils ne purent atteindre le lac.  Derrière le sillage ouvert par les Templiers l'ost franque s'était engouffrée et livrait bataille avec l'énergie du désespoir, à deux pas de cette eau qui leur faisait si cruellement défaut.  Bientôt un vent se leva, glissant sur les eaux du lac et remontant vers les Cornes de Hattin, moment qu'attendaient les Sarrasins pour bouter le feu aux herbes sèches.  Rabattue par le vent les flammes et la fumée forcèrent les Francs à reculer.  C'est alors qu'une seconde vague sarrasine les prenait à revers.  Et le massacre commença.

Du milieu de la mêlée et de la fumée, Raimon de Tripoli put rassembler quelques hommes à lui dont Reginald de Sidon et effectuer une percée au milieu des rangs ennemis.  Parvenu presque miraculeusement de l'autre côté, il se retourna pour constater le désastre.  Il parvint à distinguer le pavillon royal qui soudain s'enflamma, ne voyant plus briller la grande croix d'or.  Le roi était prisonnier, la vraie Croix perdue à jamais.  Le miracle ne s'était pas reproduit.  Il n'y avait plus rien à sauver.  Raimon hésita.  Retourner à la boucherie ou sauver sa vie et celle de ses compagnons... Il pensa à son épouse, Eschive, qu'il reverrait il le savait.  C'est à cause d'elle que Saladin n'avait pas encore enlevé la citadelle de Tibériade.  Alors, la mort dans l'âme, tournant le dos au lac, ils galopèrent en direction de Tripoli.

Scène III
Tente de Saladin. On amène deux hommes hagards, les vêtements en lambeaux et couverts de sang.  L'un d'eux est le roi de Jérusalem, Guy de Lusignan, l'autre est blessé mais néanmoins solidement maintenu par deux costauds, c'est Renaud de Chatillon.
Saladin se fait apporter un gobelet d'eau fraiche qu'il tend à Guy de Lusignan.
Extrait :
Saladin : Je te laisse la vie.  Un roi ne tue pas un autre roi.
Se tournant vers Renaud de Chatillon
Saladin : Quant à toi, voilà ce que je fais ...
Sans qu'il ait eu besoin de leur faire signe les deux hommes maintenant Renaud se sont écartés et Saladin en un éclair a tiré son sabre effilé comme un rasoir et d'un seul coup lui tranche la tête. Puis il crache sur le corps décapité et se retournant vers le roi de Jérusalem horrifié :
Saladin : Votre défaite vous la devez à ce chien.  Demain nous marcherons sur Jérusalem pour y faire la jonction avec nos renforts d'Egypte et çà en sera fini de votre royaume franc.  Maimonide avait raison quand il me disait que le meilleur d'entre vous était Raimon de Tripoli.  Avec lui nous aurions pu, peut être, réussir à cohabiter sur cette terre, sur El Qods... Maintenant c'est bien fini.

EPILOGUE
-
Saladin s'empara de Jérusalem le 4 Octobre de l'an 1187 puis de la plupart des villes.  Il avait libéré Eschive, princesse de Tibériade, l'épouse de Raimon  et l'avait fait escorter jusqu'à Tripoli. Il savait que Raimon avait échappé au massacre mais il ne chercha point à le revoir.  Il mourut peu de temps après à l'âge de quarante huit ans d'un refroidissement mais aussi sûrement de chagrin.  N'ayant pas eu d'enfant avec Eschive (qui en avait deux d'un précédent mariage et qu'il avait adoptés) s'éteignait en Orient la lignée de Raimon de Saint Gilles, comte de Toulouse.
Saladin mourut en 1193, à cinquante cinq ans, à la fin de la troisième croisade qu'avait suscitée en Occident la chute de Jérusalem mais qui avait finalement tourné court.
Saladin et Raimon de Tripoli s'estimaient réciproquement et étaient estimés de leurs adversaires.  Les chroniques franques reconnaissait au sultan qui savait être très cruel de la magnanimité.  Lui du moins ne renouvela pas ce que firent les Croisés lors de leur prise de Jérusalem en 1099 : un abominable massacre de toute la population civile au point dit on que dans les rues on pataugeait dans le sang jusqu'à la cheville. 
Raimon de Tripoli n'était pas le seul parmi les Francs d'Orient à parler l'arabe mais il était incontestablement celui qui connaissait le mieux la culture et les usages musulmans ce qui permettait à Saladin de se sentir à l'aise en sa présence comme avec nul autre. Certains ont prétendu que le Sultan aurait proposé à Raimon de l'aider à prendre Jérusalem et d'en partager avec lui la souveraineté.  C'est sans doute une légende.  Ce qui ne l'est pas en revanche c'est le rêve que nourrissait Raimon d'une politique consensuelle entre Islam et Chrétienté seul moyen possible pour le royaume franc de se maintenir durablement.  Or ce royaume, à la mort de Saladin, n'existait déjà pratiquement plus.
Etrange personnalité que celle de Renaud de Chatillon par qui le malheur arriva.  Cadet de petite noblesse angevine venu en Terre Sainte pour y faire fortune, il se mit d'abord au service d'un baron.  De nature fruste mais doué d'une force peu commune,  sans aucun scrupule, livré à ses instincts violents et criminels, il faisait merveille dans les batailles mais n'en était pas moins extrêmement dangereux.  Son long internement de quinze ans dans les prisons d'Alep avait achevé de lui ôter son peu de raison.  Libéré il devenait une bête fauve.  Il avait épousé Constance, cousine du roi Baudouin III, contre la volonté de celui-ci, et par ce mariage était devenu prince d'Antioche.  Après sa libération contre rançon il épousa la chateleine du Krak de Moab, Stéphanie de Milly, déjà deux fois veuves , retrouvant ainsi le titre de prince. On connait sa fin.
Gérard de Ridefort fut lui aussi fait prisonnier à Hattin mais fut le seul à être libéré par Saladin, tous ses frères templiers furent exécutés et pour cause : constituant l'élite de l'armée franque, le sultan ne tenait pas à les rencontrer de nouveau face à lui. En 1191 il fut fait de nouveau prisonnier lors de la troisième croisade mais cette fois Saladin le fit décapiter.
Guy de Lusignan ne fut roi de Jérusalem qu'une seule année finalement.  Libéré par Saladin il acheta tout bonnement la couronne de Chypre.
Moshé Ben Maimon, alias Maimonide, ce médecin, philosophe et théologien juif née à Cordoue en 1135 mourut au Caire à la cour su sultan à l'âge de soixante dix ans.  S'il fut  le médecin attitré de Saladin et sa famille il n'en était pas moins médecin des plus pauvres.  On lui doit outre ses traités de médecine écrits en langue arabe des traités philosophiques et théologiques cherchant à concilier foi et raison dans son "Guide des égarés" (1190).  Il fut enterré à Tibériade aux côtés  de plusieurs autres rabbis célèbres.
Le cas du personnage central, Baudouin IV, est demeuré singulier dans l'Histoire et dans celle de ce royaume franc de Jérusalem qui ne l'est pas moins, roi lépreux depuis l'enfance et dont le caractère a été diversement présenté. Mais quoi qu'il en soit, dans les conditions où il exerça son court règne, on peut parler à son sujet d'héroïsme et même de sainteté au même titre que Louis IX dit Saint Louis qui mourut de la peste devant Tunis en 1270 à cinquante ans alors qu'il entreprenait la huitième croisade.

Annexe :

Composition du Royaume franc de Jérusalem :

Domaine royal (Jérusalem et ses alentours dans un rayon d'une cinquantaine de kilomètres)
- au sud de Jérusalem :
Comté d'Ashkalon (lié à celui de Joppé ou Jaffa, plus au Nord)
Seigneurerie de Darom (au sud de Gaza)
Seigneurerie de Saint Abraham (autour d'Hébron)
- au Nord de Jérusalem :
Seigneurerie de Césarée (maritime (à distinguer de la Césarée de Philippe en Syrie)
Territoire de Naples (autour de Naplouse)
Seigneurerie de Bessan (autour de la ville actuelle de Bethshaan)
Seigneurerie de Caymont (autour de la forteresse franque de Capharlet)
Seigneurerie de Haïfa
Evêché de Nazareth
Principauté de Galilée (autour de Tibériade)
Territoire d'Acre (Saint Jean d'Acre)
Seigneurerie de Tyr
Seigneurerie de Chateauneuf
(au nord du lac Huleh ou Eaux de Mérom)
Seigneurerie de Thoron
Comté de Sidon
Seigneurerie de Beyrouth
Comté de Tripoli
Principauté d'Antioche



 




 

 
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2 novembre 2008 7 02 /11 /novembre /2008 14:32

J'apprends que le Prix de l'Académie Française 2008 vient d'être attribué à Marc BRESSANT (alias Patrick IMHAUS), 65 ans, pour son roman "La dernière conférence".  Enarque, ex ambassadeur de France en Suède, il est l'auteur de romans et essais, ayant déjà obtenu en 1993 le Prix Jean GIONO créé en 1990 et ayant eu pour premier lauréat l'écrivain québécois Yves BEAUCHEMIN pour "Juliette Paumerleau". Le sujet est celui des grandes conférences internationales avec leurs enjeux diplomatiques et aussi  leurs intrigues personnelles, monde à part, parfois inquiétant où peut se jouer l'avenir du monde. Cette dernière conférence est en fait celle de 1989 s'achevant un mois plus tard avec la chute du mur de Berlin.  En 2007, Marc Bressant a publié (sous son vrai nom, Patrick Imhaus) une biographie de Robinet de la Serve sous le titre "l'énergumène créole" dont je ne sais si elle eut grand succès mais qui me ramène en tous les cas au véritable sujet de cet article.
Car il s'agit d'un personnage réunionnais. 
Le 27 Juillet 1830 éclatèrent les "Trois Glorieuses", révolution parisienne qui renversa Charles X pour mettre à sa place son cousin, le duc d'Orléans, le "libéral" Louis Philippe désormais "roi des Français" (et non roi de France", nuance).  C'était une victoire de la bourgeoisie contre la noblesse et le clergé.  La nouvelle mit trois mois pour parvenir à la Réunion. Le gouverneur de l'époque, Duval d'Ailly, qui n'était en place que depuis quelques mois, nommé d'ailleurs par Charles X, était peu désireux de changement s'appuyant sur ce que l'on appelait "la grande société", celle de la riche aristocratie foncière dont la puissance reposait sur de grandes plantations de cannes (comme les Desbassyns, les de Villèle, ...) Mais à côté se trouvaient de nombreux petits et moyens propriétaires, "la petite société" privés de tout pouvoir économique qui devaient eux réagir à ce vent de libéralisme venu d'outre-mer et tout tenter pour conquérir leur part de pouvoir dans la colonie.  Dès le 15 mai 1831 se constitua une association qui prit le nom de "francs créoles" dont le père fondateur fut précisément l' "énergumène" en question, Nicole Robinet de la Serve qui s'était déjà fait remarquer en 1809 en prenant la tête de la défense de Saint Paul contre la première attaque anglaise.  Il avait par la suite refusé de prêter serment à l'renvahisseur et s'était exilé à Paris.  Favorable à Napoléon il s'était mêlé aux Parisiens qui voulaient interdire l'entrée dans la
capitale aux armées coalisées en 1814.  Sous la Restauration il combattit Louis XVIII dans l'opposition libérale.  De retour dans son île en 1824 il y poursuivit activement sa lutte et c'est à son instigation que se forma dans le secteur de Sainte Suzanne/Saint André une association d'abord secrète dite des "francs créoles" composée de petits/moyens planteurs tels : les de Floris, Dioré, Elie, Abadie, Beaumont, Campenon, Sigoyer, Salesse, Laclos, Robert, Loupy, etc... Pourquoi "franc créole" ? L'idée de base était que l'île constituait une "patrie créole" faisant partie de la France mais présentant des caractères spécifiques de sorte que la lointaine Métropole n'était pas le meilleur juge des intérêts coloniaux.  Pour le "franc créole" peu importait démocratie ou aristocratie, il revendiquait un gouvernement et des institutions fondées sur le pouvoir dominant de la classe moyenne.  Devait y jouir de droits politiques tout Français, créole ou européen, d'au moins 25 ans résidant dans l'île depuis trois ans au moins et ceci quelle que soit sa couleur.  L'esclavage en revanche n'était nullement remis en question, au contraire.  C'était un "fait de société", une institution que "seul le temps et les causes morales pouvaient améliorer"
C'est ainsi qu'en Juillet 1832 eurent lieu les élections du premier Conseil Général de l'île avec pour leader Nicole Robinet de la Serve et, parmi les 36 membres élus, des noms connus comme : Patu de Rosemond, Hubert de l'Isle, Hibon, Vergoz, de Mahy, De Haulme... La société coloniale venait ainsi de franchir un grand pas sans pour autant faire sauter le dernier verrou de l'abolition de l'esclavage. Les gouverneurs ayant succédé à Duval d'Ailly : Cuvelier, de Hell, Bazoche, ne purent rester en place qu'en ne remettant pas en question le système esclavagiste déjà battu (officiellement) en brèche par l'Angleterre.  Le gouverneur Graeb (1846/48) eut le plus grand mal à faire admettre aux colons les mesures transitoires prises en 1845 par Louis Philippe en vue d'une abolition progressive.  Ce n'est qu'avec la révolution de 1848 et l'avènement d'un nouveau régime que les choses changèrent définitivement.
Parmi ces "francs créoles" il faut citer également le nom de Jean Baptiste Zéphirin LESCOUBLE, fils de René Martin de LESCOUBLE de RENOYAL, capitaine des troupes nationales de la Province de Bretagne et de Marie Jeanne ROUDIC, née à Bourbon en 1776.  C'était un planteur de Sainte Suzanne, d'une certaine importance, touche à tout et auteur d'un "journal" fort instructif  dont j'ai déjà parlé et auquel j'ai pensé en ouvrant "l'Echo de l'île".


N.B. Il est à noter que, près d'un siècle et demi plus tard, cette notion de "Patrie créole" fut reprise par un mouvement poétique insulaire ("Créolie")ayant eu pour têtes de file Jean ALBANY et Gilbert AUBRY (qui devait devenir évêque de la Réunion)

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26 janvier 2008 6 26 /01 /janvier /2008 11:13
Quand Louis X (le Hutin) successeur de son père Philippe IV le Bel mourut le 5 Juin 1316, deux ans à peine après son sacre, sa seconde épouse, Clémence de Hongrie, était enceinte.  De son premier mariage avec Marguerite de Bourgogne (compromise dans l'affaire d'adultère de la Tour de Nesle et qu'il fit étrangler dans sa prison au Château Gaillard) il avait eu une fille, Jeanne.  Selon la nouvelle interprétation de la  "loi salique" (qui, initialement, n'excluait les femmes que de la successions  à la terre) et étant de surcroît présumée bâtarde, elle se trouvait donc écartée du trône.  Philippe (dit le Long), frère de Louis X, se proclama régent jusqu'à la naissance de l'enfant qui survint cinq mois après la mort de son père au château de Vincennes.  Ce fut un garçon qui devait porter le nom de Jean Ier.  Philippe le Long avait épousé Jeanne de Bourgogne, une des filles de la redoutable Mahaut, comtesse d'Artois et pair du royaume par jugement royal  de Philippe IV (au détriment de son neveu, Robert III d'Artois). Or Mahaut était fortement soupçonnée d'avoir provoqué la mort de Louis X (d'empoisonnement à 27 ans)  : sa disparition faisait de son gendre le nouveau roi à moins que la reine Clémence mette au monde un fils.  La naissance du petit Jean venait donc ruiner ses espérances de voir sa fille devenir reine de France.   Le nouveau né ne devait vivre que cinq jours, juste le temps d'être baptisé.  Marraine de droit, la comtesse Mahaut avait donc eu l'occasion de tenir l'enfant ... Elle avait pour dame de compagnie, toute dévouée par intérêt,  une demoiselle Béatrice d'Hirson forte experte en magie, potions et poisons divers et de là à penser que celle-ci lui procura un moyen discret d'éliminer l'enfant  ... après le père !... Conclusion un peu hâtive peut être ?... Certes il s'agissait d'un premier accouchement, difficile de surcroît, pour la reine Clémence, très belle mais un peu faible de constitution.  L'enfant apparut pourtant parfaitement viable.  Certes Mahaut était connue pour son caractère intraitable et son ambition démesurée au service de laquelle tous moyens lui étaient bons.  La présence constante à ses côtés de cette mystérieuse Béatrice (qui secrètement poursuivait elle même ses propres ambitions)  accréditait encore la rumeur.  Ce n'est pourtant qu'une quarantaine d'années plus tard que surgit un "fait nouveau" renforçant la thèse du meurtre tout en révélant un étrange secret d'état.  Une affaire qui s'apparente à celle (ultérieure) concernant le petit Louis XVII, officiellement mort à la prison du Temple à l'âge de dix ans mais qu'en réalité on aurait fait évader grâce à une substitution d'enfant avec la complicité du gardien Samson.  Légende ou réalité ?... question demeurée en suspend au rayon des énigmes de l'Histoire. 
Revenons au moment de la venue au monde du petit Jean Ier.  Après la série d'évènements funestes survenus dans le royaume de France depuis la condamnation au bûcher du Grand Maître des Templiers Jacques de Molay et de Géoffroy de Charnay, Précepteur de l'Ordre pour la Normandie, cette naissance apparaissait comme un rayon de soleil capable, chacun l'espérait du moins, de conjurer cette malédiction qu'aurait lancé Jacques de Molay avant de mourir au roi Philippe IV le Bel et ses complices : "Maudits, maudits, soyez maudits jusqu'à la treizième génération de vos races !".  La reine Clémence était totalement épuisée mais heureuse malgré la disparition de son époux.  Tous deux s'étaient demandés si leur union n'allait pas demeurer stérile.   Clémence ne pouvant assurer elle même l'alaitement de son enfant, le vieux  chambellan Hugues de Bouville, fidèle parmi les fidèles de Philippe IV, fut chargé de lui trouver une nourrice sûre.  Il n'eut pas à chercher longtemps s'agissant de Marie de Cressay alors âgée de dix huit ans, fille de chevalier, secrètement mariée à Guccio Baglioni, fils d'un banquier de Sienne apparenté à la riche famille lombarde des Tolomei spécialisée dans la finance internationale. Pas un royaume d'Occident qui n'eut un compte chez les Tolomei.  Leur représentant en France, Spinello, était bien connu à la Cour et de Bouville en particulier car c'est lui qui avait recommandé au chambellan les services de ce  jeune homme dont il répondait (Guccio Baglioni précisément) quand  il dût se rendre à Naples à la tête d'une ambassade chargée de demander, au nom du roi Louis X, la main de Clémence de Hongrie. Ayant appris que Marie de Cressay venait elle aussi d'accoucher d'un garçon, Bouville s'était immédiatement rendu aux environs de Nauphle le Château où elle allaitait son enfant pour la ramener à la cour avec le bébé après l'avoir persuadée de rendre ce signalé service à la reine Clémence, un grand devoir et un grand honneur aussi car son petit Jean (Giannino) allait devenir frère de lait de l'autre petit Jean, futur roi de France.  Mais Bouville flaira une autre menace venant du côté de la comtesse Mahaut.  En tant que marraine légitime elle allait le tenir dans ses bras et, si brièvement que celà puisse être,et même en public, on pouvait s'attendre à tout de sa part avec l'aide efficace de son âme damnée de Béatrice d'Hirson.  Après en avoir discuté toute la nuit avec son épouse, tous deux prirent en conscience une décision d'une extrême gravité : persuadés l'un et l'autre que Mahaut allait tout tenter pour faire disparaitre ce dernier obstacle à son ambition pour sa fille, ils allaient demander à Marie de Cressay de mettre son fils Giannino à la place du petit Jean Ier dans le berceau royal, il en allait de la vie de ce dernier. Les deux bébés étaient blonds, presque de la même taille, la confusion serait parfaite.  Mais ils eurent quand même beaucoup de mal à persuader la jeune femme, excellente mère outre sa capacité d'allaiter deux enfants à la fois, d'accepter ce transfert où son propre fils risquait sa vie ... et obtinrent d'elle qu'elle signe un acte l'engageant sous serment à garder le secret absolu, même en confession, jusqu'à ce qu'elle en soit relevée, voire jusqu'à sa propre mort.  Moyennant quoi une confortable rente lui serait versé ponctuellement pour son entretien et celui de l'enfant.  Sa famille avait refusé Guccio Baglioni comme gendre d'où ce mariage secret.  Elle même, Marie, allait refuser de revoir Guccio, son époux, se sentant incapable de garder contenance devant lui avec ce si lourd secret entre eux deux concernant l'identité de l'enfant. 
Les années passèrent jusqu'au jour où Guccio enleva l'enfant alors âgé de neuf ans pour l'emmener en Italie, à Sienne, où il s'était établi banquier.  Il l'initia au métier dans lequel il s'avéra très doué.  Si bien qu'à sa mort en 1340, Guccio Baglioni laissa à ce fils qu'il croyait être le sien une des affaires les plus florissantes non seulement de la place de Sienne mais des principales capitales financières d'Europe. 
Quatre ans après le décès de son père, Giannino Baglionireçut une curieuse lettre de la part du tribun Cola de Rienzi, gouverneur de Rome, qu'il ne connaissait nullement, l'invitant à venir le voir dans la capitale et ce dans la plus grande discrétion pour une affaire concernant le royaume de France.  Rien moins que celà.  Dans l'instant il pensa qu'il devait s'agir d'une histoire de prêt ou peut être d'une rançon à payer pour le compte d'un grand seigneur prisonnier des Anglais comme celà s'était déjà vu.  Mais c'était de lui même qu'il s'agissait, de sa personne. Après lui avoir posé toute une série de questions, Rienzi finit par mettre genou en terre et s'inclinant lui déclara : "Vous êtes bien le roi de France." .  Guccio ouvrit de grands yeux et demeura muet. "Oui, grandissime seigneur, il y a neuf ans de celà la dame Marie de Cressay est morte..." - "Ma mère ! " l'interrompit Guccio - "Celle que vous croyez être votre mère, mais la veille de sa mort celle ci  s'est confessé à un moine qui a consigné ses dires par écrit.  Cet écrit je l'ai en ma possession, le voici." Rienzi se devait d'instruire Giannino d'évènements vieux de quarante ans s'agissant de la mort de Marguerite de Bourgogne, étranglée au Château Gaillard, du remariage de Louis X avec Clémence de Hongrie, l'ambition démesurée de la comtesse Mahaut, intrigante et criminelle,sa naissance posthume, la nourrice qu'il avait eue en la personne de Marie de Cressay allaitant en même temps son propre fils également prénommé Jean (Giannino).  Pour ce notable de trente huit ans, marié, père de famille, ce fut comme si le ciel lui tombait sur la tête : il apprenait d'un coup que son père n'était pas le sien, que sa mère ne l'était pas non plus, que son vrai père était roi de France, meurtrier de sa première épouse convaincue d'adultère, ayant péri lui même empoisonné !... Il savait depuis son plus jeune âge qu'il avait été frère de lait d'un futur roi qui était mort ... mais voilà qu'on lui annonçait que c'était lui ce roi !... La lecture de la confession de Marie de Cressay lui révéla la substitution d'enfant imaginée par le comte de Bouville pour sauver le petit roi (c'est à dire lui même) et le secret absolu qui lui avait été imposé et qu'elle avait rigoureusement tenu jusqu'à l'article de la mort car personne n'était jamais venu pour l'en délier.   Giannino comprit alors la raison pour laquelle Guccio Baglioni (celui qu'il croyait être son père) n'avait jamais pu revoir son épouse ce qu'il avait amèrement regretté toute sa vie.  C'était à cause de leur enfant mort à la place du petit roi qu'elle lui avait défendu de la revoir.  Elle n'avait jamais connu d'autre homme et Guccio ne s'était jamais remarié à cause de ce fils qu'il croyait le sien.   Il se souvenait d'avoir vu une fois, tout enfant, la reine Clémence (sa mère) qui lui avait donné un petit pendantif en forme de reliquaire que sa mère (adoptive) lui avait fait porter et qu'il portait encore.  Il essaya de se rappeler son visage mais c'était si loin ... il était très beau lui semblait-il.  Elle était morte douze ans après sa naissance.  Il découvrait en même temps le crime monstrueux de cette comtesse Mahaut, sa marraine, ayant d'un coup assassiné un innocent et jeté dans le malheur plusieurs existences : celle de Marie de Cressay ayant sacrifé son enfant et son mari, celle de la reine Clémence ayant cru son fils mort, celle de Bouville et de sa femme, responsables de la substitution et qui en furent tourmentés jusqu'à leur mort, se demandant s'ils n'auraient pas mieux fait de laisser les choses se faire, finissant par douter que le petit roi sauvé puisse un jour faire valoir ses droits légitimes. Mais, passé sa stupéfaction, ce fut là le cadet de ses soucis, il entendait bien continuer son métier de banquier, y élever son fils ainé.  Il ne se voyait pas se lancer en campagne proclamant partout quarante ans après "Je suis le roi deFrance Jean Ier, celui qu'on croit mort !" ... en brandissant la confession écrite d'une certaine Marie de Cressay faute de témoin encore vivant... Qui le croirait ?... 
Deux ans passèrent encore durant lesquels "Giannino di Francia" se tint coi.  Mais il n'avait pas gardé la chose tout à fait secrète pour autant : il en avait parlé à sa femme, à son notaire ... celà suffisait pour que çà finisse par se savoir à Sienne et les marchands colportèrent la nouvelle dans tous les comptoirs italiens.  Or les malheurs étaient grand au royaume de France, à cette époque où le roi Jean II dit le Bon était prisonnier du roi d'Angleterre Edward II.  Paris avait connu une tentative de prise de pouvoir populaire menée par le prévôt des marchands Etienne Marcel, les campagnes étaient sillonnées par de sinistres bandes qu'on appelaient les "Jacques" poussées par la misère et qui tuaient et pillaient sans vergogne.  La papauté d'Avignon était en guerre avec celle de Rome.  L'Anglais régnait  sur presque toute la moitié du pays.  Le Conseil de la République de Sienne, travaillée par les prêches enflammés d'un frère Bartomomeo, finit par s'émouvoir d'abriter dans ses murs le légitime roi de France alors que tout y allait si mal et fit pression sur Giannino pour qu'ils se joignent à eux pour revendiquer ses droits.  Très réticent au début, il finit par céder.  Mais négociants et banquiers qui composaient la majorité du Conseil furent très vite dissuadés d'agir par leurs correspondants français qui, subissant déjà suffisamment de déboires financiers, ne tenaient pas du tout à ce qu'on y ajoutât encore en allant soutenir les prétentions de ce Giannino. Et toute l'affaire retomba à plat.  Giannino aurait dû s'en réjouir mais, étrangement, ce fut le contraire, c'est lui maintenant qui voulait absolument qu'on poursuive l'action.  Il mettait, tardivement, un point d'honneur.  Il allait donc continuer seul, écrivant au Pape Innocent VI, au roi d'Angleterre, de Navarre, de Hongrie, leur joignant document à l'appui.  Seul répondit le roi de Hongrie qui était neveu de la reine Clémence pour lui reconnaitre le titre de roi et l'en féliciter.  Mais c'était tout !... Or Giannino, laissant tomber toutes ses affaires personnelles et sa famille, emportant tout son dossier et une partie de sa fortune, partit pour Buda afin de demander asile à son cousin.  Mais celui ci n'y était pas et il dut attendre tout l'hiver qu'il revienne dans sa capitale.  Interrogé et contre interrogé par lui et plusieurs seigneurs de la cour, on sembla d'abord convaincu de sa légitimité, puis on fit volte face, parlant même d'imposture. Giannino protesta, refusant de quitter la Hongrie, se constituant un conseil présidé par un évêque siennois, recrutant à ses frais une cinquantaine de gentilshommes avec leurs cavaliers et leurs archers. Décidément, il en voulait !...  Le roi Louis de Hongrie finit par l'autoriser à quitter le pays avec sa suite armée.  Il se rendit d'abord à Venise, puis à Trévise, Padoue, Ferrare, Bologne et revint finalement à Sienne, seize mois après, ayant achevé d'épuiser sa fortune.  Il se présenta alors aux élections du Conseil de la ville où il fut élu mais son élection fut invalidée du fait qu'il était fils du roi Louis X et reconnu comme tel par le roi Louis de Hongrie.  On lu ôta même la citoyenneté siennoise.  Mais plus obstiné que jamais il voulut se joindre à la suite du grand sénéchal du royaume de Naples en route pour la France et qui passait par Sienne, faisant valoir que Naples était le berceau familial de sa mère, la reine Clémence, mais le sénéchal lui conseilla plutot d'aller voir le Pape.  Ce qu'il fit mais celui ci refusa de le recevoir, n'avait il pas assez de soucis avec la France et Avignon ... Abandonné par les nobles hongrois qui l'avaient suivi jusque là, Giannino parvint à rentrer en France en s'acoquinant plus ou moins avec des bandes de routiers, errant, quêtant quelqu'argent, essayant d'intéresser les gens à sa cause dans les auberges, passant pour un fou.  Il le devenait positivement, se rendant compte  jour après jour de l'inanité de sa démarche.   Il finit par être arrêté à Aix en Provence pour avoir provoqué un trouble dans la ville. Il s'évada mais fut repris.  Comme il se réclamait haut et fort de sa famille de Naples, berceau de sa mère, on finit par l'y renvoyer et fut emprisonné non loin du Castel Nuovo qu'il pouvait voir du soupirail de sa cellule et que sa mère, quarante six ans plus tôt, avait quitté pour devenir reine de France.  C'est dans cette geôle qu'il mourut quelques mois plus tard. 
Quel destin !... étrange  en vérité !... n'ayant pu échapper, semble-t'il, à la "malédiction" de Jacques de Molay !...

Janvier 2006

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30 septembre 2007 7 30 /09 /septembre /2007 19:22

1492 ou 1421 ? …

 

 

« 1492 » tel était le titre de ce grand film de Ridley Scott sorti en 1992 année du 500ème anniversaire de la découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb.

 

« 1421 » tel le titre du livre de Gavin Menzies qui vient de paraître portant en sous titre ; « L’année où la Chine découvrit l’Amérique ».

 

Voilà un bien gros pavé lancé dans la mare des idées reçues !...

 

Alors … vrai scoop ?... ou vaste canular ?...

 

Voyons les faits.

 

S’agissant de Colomb tout d’abord reconnu officiellement comme le premier à avoir touché le Nouveau Monde. L’existence d’un continent vers l’ouest entre l’Europe et l’Asie avait déjà été pressentie dans l’Antiquité, Platon notamment, Ptolémée.  Des cartes anciennes signalaient aussi la présence d’îles à l’ouest des Açores ce qui prouve que quelques hardis navigateurs avaient bien dû s’y risquer sans pour autant qu’on ait pris la chose suffisamment au sérieux pour tenter l’aventure … jusqu’à Christophe Colomb qui voulut en avoir le cœur net.  Celui-ci se trompa pourtant sur deux points : ne pas avoir tenu compte de l’intuition des Anciens – avoir très largement sous estimé la distance jusqu’aux Indes qu’il fut persuadé, comme l’on sait, d’avoir atteintes par l’ouest d’où est resté le nom de West Indies pour les Antilles chez les Anglo-saxons.  D’autre part et ce depuis une trentaine d’années seulement, les historiens estiment plus que probable que les Vikings avaient déjà touché l’Amérique Centrale et du Sud dès le XIVème siècle alors qu’auparavant on ne les imaginait pas avoir dépassé l’actuelle Terre Neuve (le Vinland).  Ceci dit sans qu’en soit diminué le mérite de Colomb quittant pour la première fois Palos de Moguer avec ses trois caravelles. Ce n’est qu’à son troisième voyage en fait qu’il prit pied sur le nouveau continent qu’il revenait à ses successeurs d’explorer : Americano Vespucci, Jean Cabot, Pedro Alvarez Cabral, Hermann Cortès, Francisco Pizarro, Diego de Almagro, Vasco Nunes de Balboa et d’autres … En résumé, même s’il nous faut tempérer quelque peu l’originalité de la découverte de Colomb, on n’en demeure pas moins « entre Européens » dans l’histoire.

 

Or voilà que cet Anglais de 63 ans, commandant de sous-marin dans la Royal Navy à la retraite, prétend aujourd’hui que les Chinois auraient devancé Colomb de 71 ans et ce dans un livre argumenté fruit de nombreuses années de recherches tant en Chine qu’en d’autres pays d’Extrême orient.  Comment ai-je appris cela ?... sur France Inter dans une émission formidable d’Eric Lange « Allo la planète !... » (De 23h à 01h en Métropole soit de 01h à 02h du matin en ce moment à la Réunion ). Autant vous dire que ce n’est que très occasionnellement (cas d’insomnie) que je peux l’écouter … Dommage  qu’elle ne se situe pas dans un créneau horaire plus accessible.  J’ai voulu en savoir plus vous pensez bien et j’ai cherché.  Voici ce que j’ai appris sur cette étonnante « révélation » point du tout farfelue à la base … après, dame ! on pourra toujours parler d’extrapolation à partir de preuves insuffisantes voire contestables. 

 

Ce qu’on ignore souvent c’est que la Chine a été au XVème siècle sous la dynastie des Ming  une grande puissance navale. L’empereur Zhu Di qui régna sous le nom de Yong Li (1402 – 1424) cherchait à étendre l’influence de la Chine au-delà de ses frontières terrestres mais aussi maritimes. La flotte chinoise (qui sous Kubilaï Khan fondateur de la dynastie mongole des Yuan atteignait déjà 15.000 jonques)  comptait alors de nombreux navires de 4 mâts et de 1500 tonneaux taillés pour la haute mer.  Le 8 août de l’an 1421 quatre grandes flottes (plusieurs centaines de vaisseaux) mises sur pied et commandés par le Grand Amiral, l’eunuque Zheng He, quittaient l’embouchure du Fleuve Jaune (Huang He) avec ordre de l’Empereur de naviguer « jusqu’aux confins de la Terre  ».  Chacune des quatre escadres était commandée par un des quatre plus fidèles vice-amiraux : Hong Boa, Zhou Man, Zhou Wen et Yang Qing. Elles descendirent de conserve la mer de Chine, passèrent le détroit de Malacca pour atteindre Calicut sur la côte sud ouest de l’Inde. Et c’est là, à la limite maritime jusqu’alors connue par la Chine , que le Grand Amiral Zheng He  repartit pour la Chine laissant la flotte aux mains de ses trois vice-amiraux de toute confiance, Zhou Man, Zhou Wen et Hong Bao ayant des années d’expérience du commandement acquises dans de précédentes expéditions hauturières. L’ordre de l’Empereur était nous l’avons vu de naviguer jusqu’aux confins de la Terre et il devait être suivi coûte que coûte.  L’importance de cette armada et de ses équipages tenait suffisamment compte de pertes éventuelles pour que celle-ci soit quasiment assurée d’y parvenir. C’est à partir de Calicut que commença l’incroyable épopée (selon Menzies ?...) qui devait durer trois ans.  Les trois escadres naviguèrent d’abord de conserve à travers l’Océan Indien, franchissant l’actuel cap de Bonne Espérance et remontant les côtes occidentales de l‘Afrique à la faveur des courants jusqu’aux îles du Cap Vert où la flotte chinoise se scinda : Zhou Wen et son escadre mettant le cap à l’ouest pour suivre le courant équatorial en direction des Caraïbes tandis que Zhou Man et Hong Bao  faisaient route  vers le sud ouest en direction des côtes vénézueliennes où ils accostèrent.  Zhou Wen ayant traversé l’Atlantique arriva donc aux Caraïbes où son escadre essuya un violent ouragan qui la mit à mal.  Les rescapés furent déposés à Cuba et Rhodes Island l’escadre de Zhou Wen remontant les côtes américaines vers le Groenland à la recherche du pôle nord semble t’il mais sans y parvenir. Pour le retour en Chine, l’escadre se scinda à son tour. Une partie revint vers les Açores et les îles du Cap Vert pour refaire la route à l’envers tandis que l’autre  allait rentrer par l’Océan Arctique et le détroit de Béring.  Pendant ce temps, Zhou Man et Hong Bao avaient abordé les côtes sud américaines le long desquelles ils descendirent y faisant de fréquentes escales et jusqu’à l’actuel détroit de Magellan (près d’un siècle avant Magellan lui-même !..) où se fit une nouvelle séparation de ce qui restait de la flotte chinoise. Hong Bao se lança en des eaux hostiles vers le pôle sud tandis que Zhou Man  lui franchissait le détroit.  Le courageux Hong Bao et son escadre parvinrent quand même jusqu’à la terre de Graham bordant la mer de Weddell  et en suivant les courants atteignirent les îles Kerguelen d’où ils poursuivirent à travers les quarantièmes rugissants jusqu’à la côte occidentale de l’Australie où ils accostèrent à proximité de Perth actuellement. Plusieurs jonques furent perdues sur cet itinéraire dans les mers du sud. De là Hong Bao regagna son pays par Timor, la mer d’Arafura, les Philippines et enfin la mer de Chine.   Pendant ce temps, poussé par le courant de Humboldt,  Zhou Man après avoir franchi le détroit de Magellan remonta les côtes sud américaines jusqu’à hauteur du Pérou d’où, à la faveur des courants, il mit la barre à l’Ouest traversant tout le Pacifique jusqu’en Australie qu’il aborda aux environs de l’actuel Sydney sur la côte orientale où il installa une garnison avant de poursuivre plus au sud vers la Nouvelle Zélande et revenir ensuite pour retrouver l’Australie à hauteur de Brisbane. Ils y auraient découvert de l’or et de l’antimoine. Avant de remonter vers le nord, Zhou Man scinda son escadre à son tour, chaque demi escadre passant de part et d’autre de la Mer de Corail dont fut dressée une carte assez précise, 250 ans avant James Cook !...  Elles devaient se rejoindre sur la terre d’Arnhem, au nord de l’Australie où l’on débarqua. C’est au cours de leur remontée vers le nord pour retrouver la Chine que Zhou Ma, laissant son subalterne Yang King rentrer en Chine par le plus court chemin,  prit l’audacieuse décision de mettre la barre au nord-est aidé par le courant japonais du kuroshivo pour cingler vers l’Amérique du Nord à travers le Pacifique et accoster au Canada à hauteur de l’île de Vancouver. Il redescendit ensuite le long des côtes ouest américaines jusqu’au Pérou avant de retraverser le Pacifique et, après cette incroyable embardée, rentrer enfin en Chine après plus de trois ans...

 

 

Ainsi donc les Chinois auraient parcouru la terre entière et les cinq océans avant les autres !… De quoi être ébranlé mais est-ce bien prouvé ?… Absolument pas selon la plupart des scientifiques. Pourtant notre homme présente des arguments :

 

-                            Des débris d’épaves chinoises dans les Caraïbes, au large de l’île de Vancouver, en Australie, Indonésie, un morceau de bois portant une inscription en chinois retrouvée à l’île Maurice et différents artefacts disséminés de par le monde.

 

-                            Les explorateurs européens se sont tous référés à des cartes établies bien avant eux et suite à des recherches cartographiques fouillées, le monde était déjà entièrement cartographié dès le début du XVème siècle. Des cartes chinoises de cette époque existeraient au Royal Geographical Society.

 

-                            Sur les plans linguistique, cérémoniel et spirituel, des similarités existent entre culture chinoise et celle d’autres parties du monde.

 

-                            Certaines toponymies.

 

 

A la question : « Pourquoi cette année 1421 avait-elle été choisie pour lancer cette expédition ? » Réponse : Cette année là Pékin devenait capitale au lieu de Nankin et de plus le Temple du Ciel y était achevé. C’était de bon augure et  une façon de bien marquer l’évènement.

 

 

Autre question d’importance : « Pourquoi la Chine après cela n’eut pas la main mise sur le monde mais, bien au contraire,  se coupa du monde extérieur à l’Empire du Milieu ? » Réponse : La plupart des documents et cartes relatant les évènements maritimes de ces années ont été délibérément  détruits (ou cachés) par les fonctionnaires de la Cour suite à un brusque changement de politique étrangère. Une série de catastrophes naturelles entraînant la destruction de temples impériaux et la mort de nombreux sujets fidèles à l’Empereur furent pris pour un avertissement du ciel blâmant cette expédition  autour du monde.  Avec le successeur de Zhu Di la Chine se tourna entièrement sur elle-même et toute allusion aux faits de politique expansionniste bannie des archives. 

 

 

Enfin : « Comment la Chine a-t’elle réagi à ce livre ? »  Réponse : Très surprise de voir ses prétentions d’avoir navigué autour et cartographié le monde avant les occidentaux  confortée finalement  par l’un d’entre eux…  En dépit des destructions massives de documents par les mandarins il en resterait encore sur ces expéditions mais certains spécialistes se montrent plus réservés sur leur ampleur .

 

 

Dans le flou … il est je pense permis de reconstituer une histoire fantastique, passionnante,  mais … sans prétention à la vérité historique faut-il le préciser.  Reste à savoir comment la chose est présentée par l’auteur. 

 

 

Ce qu’il me reste à savoir … en la lisant.

 

 

N.B. : Le Commandant en chef des expéditions  Ming,  Zheng He (1371 – 1433) était né dans une famille musulmane de la province du Yunnan sous le nom de Ma.  Son grand’père et son père portaient le titre de Hadji ayant donc fait le pèlerinage à la Mecque.   Il fut recruté à dix ans pour effectuer son service militaire comme eunuque dans la suite de Zhu Di. En reconnaissance de services rendus à l’Empereur il fut promu chef des eunuques et reçu le nom de Zheng.  Sa tombe se trouve au pied de la montagne du Niushonshan dans la province de Nanjing.  Une statue moderne de lui a été élevée à ChangLe dans le Fujian.

 

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10 janvier 2007 3 10 /01 /janvier /2007 07:47

  lawrence460


                                           INTRODUCTION

La révolte suscitée par Thomas Edward LAWRENCE parmi les tribus du Hedjaz contre la domination ottomane contribua puissamment à la victoire "orientale" des Britanniques sur les Turcs au cours de la première guerre mondiale.  C'est pour elle que cet homme de trente ans avait durement payé de sa personne deux années durant (1916/1918).  Il entra tout vivant dans la légende sous le nom de "Lawrence d'Arabie" ou de "Roi du désert sans couronne" et celà malgré lui.  Son parcours en Arabie lui fit rencontrer une compatriote, aventurière fascinée par l'Orient et passionnée d'archéologie, ayant embrassé la cause arabe elle aussi, Gertrude BELL.  Par ses voyages hors pistes elle avait acquis une très bonne connaissance du terrain et des populations de sorte qu'elle put, plus modestement, jouer un rôle de conseillère dans l'orientation de la politique arabe britannique durant et après le conflit.  Deux trajectoires qui se sont frôlées dans cet Orient où l'un et l'autre nourrissait un rêve, celui d'un grand empire arabe uni, empire jeune face aux vieux empires occidentaux.  Comme LAWRENCE l'a écrit dans ses "Sept Piliers" :

"La jeunesse pouvait bien avoir gagné, elle n'avait pas appris à garder ;  elle se trouvait pitoyablement désarmée devant la vieillesse habile.  Nous bafouillâmes que nous nous étions battus pour un nouveau ciel et une nouvelle terre ;  ils nous remercièrent poliment et allèrent faire la paix mais comme eux l'entendaient."  

Mon propos dans ce qui va suivre, outre celui de retracer brièvement les années arabes de G. BELL et de T.E. LAWRENCE sera de tenter de mettre en parallèle ces deux existences qui, elle demeurant à Bagdad, lui rentré en Angleterre, devaient se poursuivre séparément et autant l'une que l'autre dans l'amertume.   Derrière eux inévitablement se dressera souvent la belle figure de l'émir Fayçal au service duquel tous d'eux s'étaient mis pour le triomphe de sa cause.

 

T.E.Lawrence était féru de musique classique.  Il connaissait personnellement le grand compositeur anglais Edward  Elgar, son contemporain,  dont voici quelques compositions dont  le célèbre "Pomp and circumstance marches".

 

 




 

Première Partie

 

                     T.E.L. qu'en lui même
                         (Stèle
à LAWRENCE)

to S.A.

I loved you, so I drew these tides of men into my hands

and wrote my will across the sky in stars

To earn you freedom, the seven-pillared worthy house,

That your eys might be shining for me

When we came.

 

Death seemed my servant on the road, till we were near

and saw you waiting :

When you smiled, and in sorrowful envy he outran me

and took you apart :

Into his quietness.

 

Love, the way-weary, groped to your body, our brief wage

ours for the moment

Before earth's soft hand explored our shape, and the blind

worms grew fat upon

Your substance.

 

Men prayed me that I set our work, the inviolate house,

as a memory of you.

But for fit monument I shattered it, unfinished : and now

The little things creep out to patch themselves hovels

in the marred shadow

Of your gift.


Sur ce texte poétique, très beau mais obscur, dédicacé à la manière des sonnets de Shakespeare, s'ouvrent les "Sept Piliers de la Sagesse".  On a retrouvé de l'auteur une note manuscrite datant de 1919 ayant dû être le point de départ de cette réflexion sur l'oeuvre de sa vie.  On peut y lire :


  A ?   J'ai oeuvré pour lui acquérir la liberté afin d'illuminer ses yeux tristes ; mais il était mort en m'attendant.  Je me suis donc débarrassé de mon cadeau et, maintenant, nulle part je ne trouverai le repos et la paix

 

Ce paragraphe fait écho  aux deux premiers "versets" du texte préliminaire.  Ce motif "personnel" et "tu" tenait donc à Dahoum à qui Lawrence rêvait d'offrir comme un royal présent la victoire,  la libération de son peuple de toute présence étrangère.  Idéal noble et romantique, bien dans son caractère, et dont il avait besoin pour supporter la vie terriblement éprouvante au physique comme au moral qu'il dût mener au sein des tribus, ce que nul autre Anglais n'aurait été capable de faire.


Lawrence avait d'abord envoyé son texte à Robert GRAVES pour lui demander si de son point de vue il s'agissait de prose ou de vers, ce à quoi le poète avait répondu que c'était en partie de la prose et en partie des vers, on ne pouvait être plus conciliant.  Il s'adressa ensuite et en ces termesà Laurence BINYON auteur d'un poème célèbre inspiré de la guerre "A ceux qui sont tombés..." 

" Je n'ai pas de poésie en moi, pourtant une suite d'évènements dramatiques a tiré de moi, presque contre mon gré, la matière suivante.  Je n'ai pas honte de son contenu car il résume assez bien mon expérience et ce que j'ai voulu dire.  Mais qu'en est-il de la forme ?  C'est très court et je vous serais reconnaissant d'y jeter un coup d'oeil."

La réponse de BINYON dût être rassurante puisqu'il se décida à inclure ce texte poétique dans ses exemplaires reliés des "Sept piliers".


Il s'agit donc d'une sorte de testament spirituel sur ces deux années durant lesquelles il vécût plusieurs vies et qu'il mena durant la guerre du Hedjaz où il évoque son drame, ce "rêve fracassé" (cf BENOIST-MECHIN) dont il ne se remettra jamais.  Véritable poème libre en quatre "versets" à la manière des Psaumes de l'Ancien Testament.  De par son éducation Lawrence avait une très bonne connaissance de la Bible celle ci faisant partie de son bagage culturel par ailleurs extrêmement vaste.


 

S.A. ce sont les initiales de Salem Ahmed, alias Dahoum qui était employé comme ânier sur le site archéologique mésopotamien de Karkémish quand T.E.L. vint y travailler avec l'archéologue HOGARTH en 1911.  L'ayant trouvé plus intelligent et ouvert que les autres il l'avait pris sous sa protection et en avait fait son assistant.  Les deux jeunes gens étaient devenus amis, Lawrence ayant alors 23 ans et Dahoum une quinzaine d'années.  En 1913 il l'avait emmené en Angleterre lors d'un bref séjour.  A la déclaration de guerre, Lawrence quitta pour toujours la Mésopotamie et son ami arabe qui devait mourir des fièvres quelque temps avant la prise de Damas par les forces  chérifiennes, offensive finale de la campagne arabe contre les Turcs.



Depuis son arrivée au Bureau de Renseignements du Caire comme lieutenant, Lawrence rêvait d'aider les Arabes à se libérer des turcs, d'apporter la liberté et la dignité à tous ces villageois syriens exploités pendant des siècles et que Dahoum symbolisait sans doute dans son esprit.  Relisons la dernière page des "Sept Piliers", très révélatrice :

"Damas quand je débarquai en Arabie était loin d'apparaitre comme un fourreau pour mon épée.  Mais une fois que nous eûmes pris la ville je m'aperçus tout de suite que les principaux motifs qui m'avaient poussé à agir n'existaient plus.  Le plus puissant, d'un bout à l'autre de la campagne, avait été un motif personnel que je n'ai pas mentionné dans ce livre mais qui demeura présent je pense à chaque heure de ces deux années.  Les peines et les joies surgissant de l'action avaient beau dominer tous ces jours de lutte, cette secrète impulsion, aussi fluide que l'air, se reformait à chaque fois pour constituer presque jusqu'à la fin une persistante raison de vivre.  Ce motif là était mort en moi avant que nous eussions atteint Damas."

Laissons le poursuivre :

"Venait ensuite le désir pugnace de gagner la guerre lié à la conviction que, sans l'aide des Arabes, l'Angleterre ne pouvait payer le prix de la victoire dans le secteur turc.  Avec la chute de Damas prit fin la guerre orientale, et toute la guerre probablement." J'avais aussi été poussé par une certaine curiosité.  Ayant lu enfant "Super flumina Babylonis..." j'en avais gardé le désir d'être moi même un jour le centre d'un mouvement national.  Nous prîmes Damas et j'eus peur, car ces trois jours de pouvoir arbitraire auraient eu tôt fait de développer en moi une racine d'autorité.  Restait l'ambition historique, motif inconsistant à lui seul.  Encore étudiant à la cité universitaire d'Oxford, j'avais rêvé de forcer l'Asie de mon vivant à prendre la forme nouvelle qu'inexorablement le temps poussait vers nous.  La Mecque devait mener à Damas ; Damas à l'Anatolie puis à Bagdad.  Enfin venait le Yémen.  Illusions penseront ceux aptes à juger que ce que j'ai tenté de faire n'avait rien d'extraordinaire."

 

 

Depuis la parution en 1989 (1994 en traduction française) de l'énorme biographie "autorisée" de Jeremy WILSON, on serait tenté de croire que tout a été dit sur LAWRENCE d'Arabie.  Pourtant des zones d'ombre demeurent et je pense à jamais, le biographe comme le psychologue, voire le psychiatre car il y a un "côté" Lawrence qui relève de la pychiatrie, étant arrivés à bout de ressource.  N'en déplaise aux pourfendeurs de légendes, aux iconoclastes à tout crin, certains personnages issus de l'Histoire resteront toujours entourés d'un certain mystère ... qu'il nous faut bien admettre.  Comme en tout homme il est impossible de ne rien ignorer de ce qui se passe sous un crâne mais c'est d'autant plus vrai s'agissant d'un personnage aussi complexe et déroutant que TE Lawrence.  On a douté même de sa sincérité dans ce qu'il a révélé de lui-même dans les "Sept piliers" notamment dans le chapitre CIII intitulé "Myself" (moi-même ou autoportrait)

Cette partie se référant essentiellement au poème liminaire des "Sept piliers", il me parait nécessaire toutefois de rappeler brièvement quelques épisodes et faits marquants de son enfance et de sa prime jeunesse susceptibles d'avoir influencé le cours de sa destinée.

                                                 
                                         *   *
                                         

 

Thomas Edward LAWRENCE


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(T.E.L. abréviation qu'il utilisait lui même) était né dans le nord du pays de Galles, à Trémadoc, le 16 Août 1888 mais n'avait que quelque mois quand ses parents déménagèrent pour l'Ecosse.  A l'âge de trois ans ses parents durent repartir à nouveau et, après un bref séjour dans l'île de Man et à Jersey, ils finirent par élire domicile en France à Dinard. Quand la famille retourna en Angleterre, TEL avait six ans et pour cet âge avait déjà pas mal bourlingué.  Durant son séjour en France la famille avait vécu sans problème au milieu de la population locale, parlant le français, ne ressentant aucune barrière ou exclusion contrairement à la majorité des Britanniques de l'époque ce qui prédisposera peut être TEL à aller vivre plus tard à l'étranger sans appréhension et à s'adapter à l'atmosphère locale.  En Angleterre on appelait çà "vivre à l'indigène".

Avant d'avoir atteint l'âge de dix ans il eut la révélation de sa naissance "illégitime", secret qu'il fut des cinq frères le seul à connaître et qu'il gardera pour lui ayant surpris partie d'une conversation entre son père et un notaire.  Ce père, Thomas CHAPMAN était issu d'une famille de propriétaire terrien et authentique baronnet d'origine irlandaise.  Il avait épousé en 1873 une jeune fille de son rang, Edith Sarah HAMILTON, dont il eût quatre filles.  Edith CHAPMAN au fil des années fit preuve d'un rigorisme si excessif qu'elle rendait la vie difficile à ses proches.  Thomas CHAPMAN se mit à boire et s'éprit de la jeune gouvernante écossaise de ses quatre filles, Sarah LAWRENCE.  Quand celle ci se trouva enceinte elle dût quitter la maison pour aller habiter Dublin dans un logement loué par Thoma CHAPMAN et où elle donna naissance à un garçon qui fut prénommé Montagu, Robert.  Thoma CHAPMAN continua d'habiter quelque temps avec les siens tout en allant voir Sarah et son fils mais lorsque son épouse eût découvert le pot aux roses il quitta le foyer conjugal pour rejoindre Sarh qu'il emmena avec son fils à Trémadoc (Pays de Galles) où naquit un second fils, Thomas Edward (surnommé Ned)  qui devait avoir trois autres frères : Will, Franck et Arnold.  Plus tard TEL apprit que sa mère était elle même enfant illégitime.  Il faut savoir qu'à l'époque victorienne et notamment àOxford où la famille LAWRENCE était venue s'établir la société était très à cheval sur ces questions de moralité et la "bâtardise" y était presque assimilée à une infamie.  On peut penser que le jeune Ned ait considéré que la découverte qu'il avait faite sur ses origines le rendait complice du silence de ses parents et que, ne pouvant se vanter comme ses camarades de tout un arrière plan familial ancestral, il en vint à se persuader que c'était à lui seul de fonder son identité, une estime de soi, sur des réalisations personnelles.

 A seize ans, lors d'une bagarre en cour de récréation, il se blessa à la jambe mais en dépit de la douleur, pensant que ce n'était pas grave, il continua le programme de la journée comme si de rien n'était.  Ramené chez lui par ses frères le médecin constata qu'il avait la jambe cassée au dessus de la cheville.  Il mit très longtemps à s'en remettre.  Est-ce suite à cet accident, ou tout simplement qu'il tenait de sa mère par la taille, mais contrairement à ses frères il cessa brusquement de grandir quand il eut atteint le mètre soixante ce qui influa sur sa personnalité tout au long de son existence. Pour compenser cette "infériorité" physique alors qu'il était encore lycéen, il commença à se soumettre à de dures épreuves d'endurance (longues marches, longues courses à vélo), à demeurer longtemps presque sans manger ni dormir, à supporter la douleur, autant d'activités qui le mettaient à part des autres garçons mais qui lui permirent très vite d'églaer voire surpasser les plus costauds et se forger une volonté presque obsessionnelle. Cette dure école "de lui même" devait lui être plus tard extrêmement profitable auc ours de ses voyages en Orient et surtout dans la campagne du Hedjaz.

 

Quand il eut 18 ans il fugua, peut être en raison de tensions familiales, sa mère cherchant constamment à connaître ses affaires privées, ayant des idées très tranchées et comme son fils un caractère assez vif.  Il s'enfuit donc pour aller s'engager comme enfant de troupe au plus proche bureau de recrutement qui l'envoya dans une garnison à Falmouth où la brutalité des hommes le choqua profondément. Il ne tarda pas à faire appel à son père pour qu'il le reprenne.  Incident peut être bien que témoignant d'une certaine détermination.

 

Sur le plan des études, TEL était un élève doué, original, servi par une très grande mémoire, mais pas exceptionnel.  Son goût marqué pour l'Histoire médiévale et l'Archéologie orienta tout naturellement ses études universitaires au Jesus College d'Oxford où il fut reçu boursier.  Attiré par l'art militaire du Moyen Age il fit durant ses vacances de longues randonnées en vélo au Pays de Galles et plusieurs fois en France pour visiter les châteaux et les fortifications de cette époque et en tirer la matière d'une thèse.  Pendant les trois années où il fut étudiant à Oxford, il ne cessa de pratiquer l'ascétisme, le végétarisme, s'entrainant à demeurer éveillé très longtemps.  Il entendait  soumettre ainsi son corps à sa volonté et, de fait, en dépit de son aspect fluet, il était devenu d'une résistance peu commune.

 

L'idée de se rendre en Palestine y étudier les châteaux francs lui vint d'une conversation avec le conservateur de l'Ashmolean Museum d'Oxford qui lui aurait suggéré de s'y rendre afin de régler un vieux débat sur l'origine des arches en ogive : furent-elles imitées des Arabes par les Croisés ou étaient-ce plutôt ces derniers qui leur en avaient enseigné la technique?

 

A 22 ans, alors qu'il était encore étudiant, il fréquentait une amie d'enfance, Janet LAURIE, à qui il proposa très sérieusement le mariage.  Or celle -ci n'avait jamais songé à lui, plutôt à son frère William.  Prise au dépourvu, elle repoussa sa proposition en riant.  Il la revit souvent par la suite mais ne lui en reparla jamais.  On ne lui connait aucun autre "évènement" féminin. 

 

Il eut un camarade, Vyvyan RICHARD qui avoua plus tard avoir eu pour lui une attirance homosexuelle tout en précisant qu'il ne c'était jamais rien passé entre eux et que Lawrence lui même ne lui avait pas paru avoir compris quoi que ce soit.  C'est avec ce camarade que TEL rêva un temps de monter une imprimerie consacrée à l'édition de livres rares.

 

Dès ses premiers voyages en Orient il fit le projet d'écrire un livre portant le titre des "Sept Piliers" consacré à sept villes d'Orient qu'il avait (ou allait) visiter.  Il en détruisit les premières pages estimant que son sujet n'était pas mûr.

 

Alors qu'il était engagé dans des campagnes de fouilles archéologiques à

Lawrence et Wooley à Karkemish

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Karkémish en Mésopotamie, Lawrence se prit d'amitié pôur un jeune ânier, Dahoum, qui s'appelait en réalité Salem Ahmed (S.A.) qu'il prit comme assistant et emmena une fois en Angleterre.

 

Juste avant la déclaration de guerre, il reçut une proposition pour se joindre à un groupe dont faisait partie son chef de fouilles, WOOLEY, chargé d'effectuer des relevés topographiques dans le désert de Sin qu'il accepta aussitôt.  On a prétendu qu'il s'agissait en réalité d'une mission d'espionnage.  C'est au retour de cette virée de reconnaissance alors que Lawrence, âgé alors de 26 ans, envisageait repartir pour Karkémish, que l'Angleterre entra dans la "grande guerre".

 

Sitôt terminé son rapport sur l'expédition du Sin, Lawrence avait l'intention de s'engager comme la plupart de ses camarades mais il y eut une telle affluence de volontaires qu'on dût refuser les hommes de moins d'un mètre quatre vingts !  Avec WOOLEY, TEL fit une demande pour être employé au services des Renseignements en tant que spécialiste du Moyen Orient.  On leur répondit positivement à condition que la Turquie entre en guerre.  Finalement Lawrence fut envoyé au Caire e versé à la Section géographique puis au Bureau arabe de Renseignements.

 

Sa connaissance approfondie du pays, de la langue, ses capacités d'endurance physiques assez exceptionnelles le désignèrent bientôt pour une mission de renseignements dans le Hedjaz à la rencontre du Prince Fayçal.  Ce fût le moment décisif, le point de départ de son extraordinaire trajectoire au cours de cette campagne du désert qui allait durer deux ans.  C'est vers la fin de celle-ci, que Lawrence apprit la mort de Dahoum.

 

Ces quelques repères biographiques étant posés, revenons-en à ce poème dédicace dont la langue française, moins concise, ne peut rendre que très imparfaitement l'étrange beauté et qui est à l'image de son auteur : singulier et mystérieux.

 

Le chapitre d'introduction des "7 Piliers" nous éclaire en partie sur sa portée symbolique :

"Tous les hommes rêvent mais pas tous de la même façon.  Ceux qui rêvent la nuit  dans les recoins poussiéreux de leur cerveau, se réveillent pour constater que ce n'était qu'illusion.  Mais les rêveurs du jour, eux, sont des hommes dangereux car ils peuvent suivre leur rêve les yeux grands ouverts et le rendre possible.   Celà je l'ai fait.  J'ai voulu faire surgir une nation nouvelle, restaurer une influence perdue, donner à vingt millions de sémites les base sur lesquelles bâtir un palais de rêve inspiré de leurs sentiments nationaux.  un but aussi élevé faisait appel à la noblesse innée de leur caractère ce qui leur permit de jouer un rôle important dans le cours des évènements.   Mais une fois que nous eûmes gagné la guerre, on m'accusa d'avoir compromis les intérêts pétroliers britanniques en Mésopotamie et ruiné la politique coloniale française au Levant."

 Ce rêve flamboyant comme une épée de Damas Lawrence le poursuivra deux années durant  au cours desquelles lui et ses compagnons vécurent véritablement plusieurs vies tant cette période fut intense en péripéties, véritable épopée de la guerre du désert avec la mort omniprésente, qu'elle vienne de l'ennemi ou du milieu naturel hostile, sous ses formes les plus insidieuses, les plus cruelles, et qui préleva un lourd tribu dans leurs rangs.

 

Mais parallèlement à son combat à la tête de la révolte arabe, plus harassante encore, fut sa "guerre civile" celle qu'il dut mener contre lui même, déchiré entre son engagement auprès des Arabes, sa fidélité à son rêve pour eux d'un grand royaume uni avec Fayçal pour souverain, et la quasi certitude que les promesses obtenues du gouvernement britannique ne seraient pas tenues une fois la guerre finie et gagnée au Moyen Orient et ce en partie grâce à eux.  Pas un jour où le rappel de cette "imposture" dont il était le centre ne vint torture so n esprit.  On peut comprendre dès lors à quel point il ressentit ce besoin non point de se justifier mais d'expulser hors de lui même cette boule de ruminations, d'introspections, d'autocritiques qui s'était formée et avait grossi au point de l'étouffer complètement.  s'il n'avait trouvé un exutoire temporaire dans l'écriture.  L'un de ses biographes a rapporté qu'étant encore un jeune garçon il pensait faire plus tard de grandes choses dans le domaine de l'action et de la pensée.  On croyait généralement qu'on ne pouvait mener les deux de front.  Il le tenta cependant.  Lawrence écrivain "nous a laissé quelque chose d'unique, d'inégalé, encore jamais écrit en langue anglaise."  Ce jugement est de Winston CHURCHILL lui même.


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Il serait trop long de transcrire ici ce fameux chapitre CIII des "Sept piliers" où au soir du 16 Août 1918 alors qu'il vient d'avoir trente ans, Lawrence demeuré seul fait le point sur lui même.  Il est parvenu à la fin ou presque de son action au Hedjaz.  Il refuse toute louange personnelle mais n'est pas modeste pour autant.  Il ne se supporte pas physiquement (sa petite taille le gêne, alors que la tête et les traits sont magnifiques) ni même moralement (trop différent des autres pour en être proches).  Il ne se considère pas comme un soldat, déteste l'Armée  tout en admettant ne pouvoir s'en passer (cocon protecteur) n'ayant rien d'autre (ni ami ni foyer) pouvant le protéger du monde (et de lui même surtout).  Il se défend d'être un homme d'action mais un intellectuel, un homme de réflexion.  Par une sorte de dédoublement de la personnalité, une partie de lui-même regarde l'autre agir en ricanant.  La vie au désert l'a poussé à l' "anormalité" (fascination des cadavres dénudés au clair de lune, bestialité des hommes, goût morbide de la souffrance, ...) à prendre un masque d'indifférence ou de goguenardise pour dissimuler tout sentiment.  Fait d'un tissus de contradictions, il recherche l'intellectualité pure , ignorant toute chair.  Il se défend d'avoir agi véritablement de lui même mais d'avoir suivi le mouvement.  Il faut dire que le personnage rend souvent perplexe.  Sa destinée, certes hors du commun, laisse, quelle que soit l'admiration qu'on puisse avoir pour lui, une impression de gâchis, gâchis de dons exceptionnels, de nobles sentiments, gâchis de la vie tout court qu'il refusa de se laisser aller à vivre.  Sans que celà le rabaisse  dans notre estime, il est difficile de ne pas éprouver à son égard une profonde pitié. 

Certains ont cru voir comme l'aveu d'une relation homosexuelle avec S.A. dans cette lettre où Lawrence déclare à BINYON qu'il n'a point honte du contenu de son texte qui résume selon lui toute son expérience.  Le troisième verset du poème peut il est vrai faire penser à une relation de ce genre.  Mais commençons par le commencement :


1er verset : "ces marées d'hommes" évoquent sans ambiguïté le grand rassemblement des tribus du Hedjaz auquel, soutenu par l'émir Fayçal, Lawrence s'était donné sans compter avant la prise d'Akaba.  Sa volonté d'être aux côtés de Fayçal à la tête de la Révolte s'affichait ainsi clairement aux yeux de tous (Je traçai en étoiles ma volonté dans le ciel).  Le but de son action est symbolisé par "la riche demeure aux sept piliers" allusion biblique au Livre des Proverbes où il est écrit : "La Sagesse a bâti une demeure : elle en a planté les sept piliers" donnant ainsi le titre de l'ouvrage, déjà choisi par Lawrence nous l'avons vu concernant un livre de voyages qu'il enviageait d'écrire sur sept cités d'Orient. Cette conquête, cette riche demeure, tel est "le don" qu'il entend offrir à S.A. (et à son peuple) pour, selon les termes de cette note manuscrite, "éclairer son regard triste."


2ème verset : où il est question de la mort qui "escorta" Lawrence tout au long de sa route, qu'elle viennedu désert ou de l'action guerrière, mort à laquelle il échappa plus d'une fois d'extrême justesse.  Mais "jalouse" celle-ci va frapper son ami qui déjà "souriait" à son approche (alors que Damas était en vue ...)


3ème verset : assez troublant  puisqu'il semble évoquer une liaison physique avec Dahoum alias S.A. mais qui aurait pu aussi bien avoir été purement idéalisée, une métaphore en somme.  Lawrence au demeurant a parlé très librement des pratiques homosecuelles chez les Arabes du désert provoquées par de trop longues périodes d'abstinence.  Durant la campagne du Hedjaz il eut à son service deux jeunes bédouins, Farraj et Daoud, qui périrent tragiquement avant la fin de la guerre.  Qu'il ait pu, au soir d'une étape épuisante et dans le délabrement moral où il se trouvait parfois, avoir trouvé (dans un creux de dune) un peu de chaleur humaine au contact de l'un d'eux,  celà n'aurait guère à nous surprendre et ne nous autoriserait pas de toutes façons à en déduire qu'il était homosexuel,  pas dplus  que de le taxer d' exhibitionnisme pour avoir adopté le costume arabe plus commode et moin voyant.  Ce qui est vrai c'est qu'il ne connut jamais aucune femme.  Ni avant l'étrange épisode de Deraa, ni a fortiori après et sa vie se déroula dans un univers le plus souvent privé de toute présence féminine.  Pourtant, Gertrude BELL rencontrée une première fois à Karkémish et qu'il retrouva au Caire aurait pu être un parti possible pour lui.  Leur grande différence d'âge mise à part ils avaient des points communs.  Lui l'estimait beaucoup.  Elle, archéologue, indépendante, grande voyageuse, l'avait jugé extrêmement intelligent et plus tard c'est elle qui le poussa à sortir son livre alors qu'il hésitait encore à le faire.  elle en avait dit ceci :" Lu et approuvé dans sa totalité à l'exception de la description calomnieuse et mensongère que vous faites de vous même."   Etait-il réellement trop tard pour lui ?... Difficile de répondre étant donnée la complexité du personnage.  L' "esprit" Lawrence détestait l' "homme" Lawrence.  Il eut fallu qu'il s'admit lui même.  Quoi qu'il en soit et pour conclure il semble impossible qu'il ait pu  avoir avec Dahoum une quelconque relation autre qu'amicale, de maître à élève (car il s'était entiché de faire son éducation).  Ils ne logeaient pas seuls tous les deux à Karkémish. A travers la personne du petit ânier c'est à son peuple qu'il s'adresse dans son poème.

 

4ème verset : c'est celui de l'amère désillusion.  les "hommes" m'ont poussé à réaliser l'unification des tribus.  Moi je l'ai voulue pour l'édification d'un Royaume où les Arabes seraient maîtres chez eux et dont Fayçal serait le souverain.  Eux l'ont voulue uniquement pour utiliser cette force pour chasser les Turcs et prendre leur place.  Mon entreprise n'a pas atteint son but ultime.  Elle s'arrête inachevée.  Mon rêve st brisé.

Lawrence n'y a jamais vraiment "survécu" durant les 17 années qui lui restaient à vivre avant qu'à son tour "la mort ne l'emporte dans sa paix "au détour d'une petite route de la campagne anglaise.


        J'aurais imaginé pour lui une stèle, en plein désert, sur laquelle aurait été gravé ce poème-épitaphe et que le vent chargé de sable patinerait lentement... jusqu'à effacement ... 

 

"Heureux ceux dont les actes valent d'être écrits ou les écrits la peine d'être lus : plus heureux encore ceux auxquels il est donné d'allier les deux."  
(lettre de Pline à Tacite citée par Sir Arnold WILSON)


En guise de conclusion de cette première partie :

Depuis ma jeunesse le personnage de Lawrence n'a cessé de me fasciner.  Je le connais assez bien par les livres à commencer par son oeuvre maîtresse : "Seven pillars of wisdom" que j'ai lue et relue dans le texte, la meilleure façon sinon la plus facile (il en existe toutefois plusieurs traductions).  J'avais eu aussi l'occasion de mettre quelques uns de mes pas dans les siens au Moyen Orient, à Beersheva et sur le rivage du golfe d'Akaba.

Avant de se révéler écrivain, Lawrence avait connu l'action.  L'action alliée à la littérature comme il en fut pour Saint-Ex, Hémingway, ... Chez lui deux années mais à elles seules valant autant que plusieurs vies ont sucité sa notoriété, forgé sa "légende".  En réalité il était plutôt le type même de l'anti "héro tel qu'on se l'imagine et c'est bien  plus cet aspect là qui nous le rend attachant, par ses faiblesses mêmes, rien de ce qui est humain ne pouvant nous être étranger. Sa grande intelligence servie par une prodigieuse mémoire et son incontestable courage physique (celui qui domine sa propre peur) ont fait qu'à partir d'un élément quasi fortuit, un simple ordre de mission de rencontrer l'Emir Fayçal au désert, il s'est propulsé au coeur d'un vaste mouvement pour en devenir le moteur et où il fut son propre maître (un peu à son corps défendant), entièrement livré à lui même... mais chevauchant quelles tempêtes !...

Dans la crypte de la cathédrale Saint Paul à Londres, sur un des piliers, se trouve un très modeste buste en bronze de Lawrence avec seulement ces deux dates

355px-Lawrence Bust in St. Paul


Il n'existe pas de stèle à sa mémoire.  Lui même n'en aurait d'ailleurs pas voulu.  Celle que j'aurais proposé, intemporelle, aurait  pu lui convenir ...

 

                             Deuxième partie


 Une sacrée nana ...


Gertrude Margareth Lowthian BELL

bell

naquit en 1868 dans une riche famille d'industriels du Northumberland.  Bien qu'élevée très strictement dans la tradition victorienne, elle fit preuve dès son plus jeune âge d'un esprit rebelle et aventureux.  Très intelligente, elle se passionna très tôt pour l'histoire, la géographie, l'archéologie.  Elle fut l'une des toutes premières femmes à être admises à l'Université d'Oxford où elle s'imposa d'emblée tant par sa supériorité intellectuelle que par ses exploits sportifs.   A 25 ans elle fut l'une des premières à escalader les plus hauts sommets des Alpes.  C'est en 1892 qu'elle fit connaissance de l'Orient en se rendant chez un oncle embassadeur britannique à Téhéran.  Véritable coup de foudre ... à défaut de l'avoir encore éprouvé pour un homme.   Dès lors elle ne devait cesser de parcourir en tous sens ce qui était l'Empire ottoman.  Douée pour les langues (elle en parlait couramment six : le français, l'allemand, l'italien, le persan, le turc et l'arabe) ce qui facilitait grandement ses contacts avec les populations locales, ayant déjà visité toutes les grandes capitales d'Europe ainsi que les Indes et l'Amérique du Nord, on ne la trouvait plus désormais que "nomadisant" entre l'Euphrate et Médine, séjournant dans le Djebel Druze, à Jérusalem, à Jéricho, aux ruines nabatéennes de Pétra (en Jordanie actuelle), étudiant la topologie et tous les principaux sites archéologiques, notant scrupuleusement et au jour le jour ses observations et découvertes dans un journal.  Les voyageurs européens étaient rares à se risquer dans ces régions, aussi ses rapports intéressaient-ils au premier chef le gouvernement britannique.  Peu à peu toutes ses "allées et venues" revêtaient les allures d'une véritable "couverture" d'espionne.  En 1910 elle fit un séjour  en Mésopotamie (l'Irak actuel) à Karkémish, grand centre archéologique dont les premiers vestiges remontaient au cinquième millénaire.  A cette époque, le Docteur HOGARTH, conservateur de l'Ashmolean Museum d'Oxford en dirigeait les fouilles pour le compte du British Museum aidé par l'archéologue Charles WOOLEY qui avait pour assistant un petit jeune homme de vingt trois ans, Thomas Edward LAWRENCE, déjà auteur d'une brillante thèse universitaire sur "l'influence des Croisades sur l'architecture militaire européenne jusqu'à la fin du XIIème siècle" ayant obtenu une bourse de chercheur.  Il semble bien que celui ci ait fait forte impression sur Gertrude BELL par l'étendue précoce de ses connaissances.  Elle avait vingt ans de plus que lui et avait déjà accumulé des années d'expérience. Même si elle ne renonçait pas à tout confort (contrairement à LAWRENCE) au cours de ses expéditions, ni à sa toilette (arborant de larges chapeaux à plumes sous le keffieh, seule concession vestimentaire, portant de riches bijoux voire un boa autour du cou, elle était accoutumée néanmoins à la rudesse de la vie au désert, à ses dangers aussi, une carabine et un révolver dont elle savait parfaitement se servir trouvant bonne place dans ses bagages auprès de flacons de parfum et de vaisselles fines.  Elle mentionna laconiquement dans son journal :

"Rencontré aujourd'hui un garçon intéressant nommé LAWRENCE, un bon voyageur déjà." 

C'est peu mais suffisant pour donner à penser qu'elle avait dû apprécier autant que sa vaste culture, sa façon originale de voyager et son extravagance vestimentaire bien qu'à l'encontre de la sienne.  De son côté,  LAWRENCE avec son humour aurait déclaré que lui et son collègue THOMSON auraient palié leur manque d'expérience face à la "vieille" en :

"... l'écrabouillant d'érudition." (sic)

 En 1907, se trouvant en Turquie, elle fit la rencontre de Charles DOUGHTY-WYLIE, neveu du célèbre écrivain et voyageur britannique Charles Montagüe DOUGHTY, auteur d' "Arabia Deserta" considéré comme la bible des grands voyageurs de ces contrées. Il était déjà marié.  Très éprise néanmoins,  il semble qu'elle ait fait pression sur lui pour qu'il se décide à la suivre. Mais leur liaison (qui dûra huit ans)  devait rester platonique et épistolaire.  Il fut tué en 1915 à la bataille de Gallipoli aux Dardanelles.  Ce fut sa seule et unique aventure sentimentale.

Vers la fin de l'année 1913, Gertrude se trouvait à Damas en train de préparer une caravane pour une grande expédition dans le Nejd, région centrale de la péninsule arabique.  Or pendant ce temps, LAWRENCE et Charles WOOLEY effectuaient une mission de reconnaissance et de mise à jour cartographique dans le désert de Sin, partie centrale de la péninsule du Sinaï, commanditée  par le gouvernement britannique et qui semble bien avoir caché là aussi une opération d'espionnage.  L'expédition que montait Gertrude, officiellement sous les auspices de la Société Royale de Géographie, intéressait aussi le Foreign Office naturellement.  A la mi-décembre elle quittait Damas avec une vingtaine de chameaux, trois chameliers, un cuisinier et deux guides.  La caravane était lourdement chargée de provisions et de nombreux articles devant servir de cadeaux aux tribus qu'elle rencontrerait et qu'il faudrait amadouer.  Miss BELL aimait l'aventure certes mais aussi son confort quand c'était possible, aussi emportait-elle des draps de lin, un lit de camp, une bouillotte et même une baignoire pliante en toile étanche.  A dos de chameau elle portait une longue jupe culotte mais elle s' "habillait" toujours pour aller dîner sous sa tente dans de la vaisselle de porcelaine et avec des couverts en argent, drapée dans un ample manteau de fourrure. 

Au bout d'une semaine, la caravane se fit attaquer par une bande de Druzes à cheval qui eurent tôt fait de désarmer les hommes de Gertrude.  Fort heureusement deux autres cavaliers avaient surgi et avaient reconnu l'un des guides.  Miss BELL discuta en arabe avec leur chef et parvint à récupérer ses armes au prix d'un généreux bakchich.  Sous sa longue jupe culotte, contre sa cuisse, un petit révolver ne la quittait jamais.  La caravane poursuivit sa route pour atteindre le secteur des grands sites archéologiques de Qasr el Azraq, Qasr al Amra et Qasr al Kharaneh, à l'est d'Amman. Elle y demeura plusieurs jours, dessinant des croquis, prenant des relevés topographiques et de nombreuses photos et tous les soirs sous sa tente à la lumière d'une lampe tempête rédigeait des pages de rapport. Cette admirable "couverture" s'accordait tout à fait à sa passion sincère pour l'archéologie qu'elle partageait comme nous l'avons vu plus haut avec celle qu'elle éprouvait pour le neveu de DOUGHTY à qui elle envoyait des lettres enflammées.

En Janvier 1914 la caravane se trouvait sur le territoire de la redoutable tribu  des Howeitat dont, deux ans plus tard, LAWRENCE ralliera le chef, Aouda Abou Tayi,

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figure dominante de toute la campagne du Hedjaz.  Celle-ci se livrait fréquemment à de terribles rezzous ne faisant souvent aucun quartier.  Depuis des jours, Miss BELL n'avait pu déplier sa baignoire portable par manque d'eau.  Consciente du danger et comme elle avait pris l'habitude de le faire, elle décida de l'affronter de face et s'avança jusqu'au campement des Howeitat, se dirigeant tout droit et seule vers la tente noire du chef lequel était en train de dîner.   Passablement interloqué par cette apparition celui-ci l'invita à s'asseoir et à partager son repas, unique femme parmi tous ces hommes farouches rassemblés autour d'un immense plateau chargé d'une montagne de riz et de viande de mouton où chacun plongeait la main.  Miss BELL assurément n'avait pas froid aux yeux qu'elle avait d'un vert magnifique sous une chevelure flamboyante.  Aouda Abou Tayi lui même était conquis.  La politique en Arabie était affaire d'homme mais celà aussi la passionnait et voilà qu'elle se permettait d'en discuter.  L'Arabe d'instinct admire le courage, qu'il soit physique ou moral.  Aouda avait mesuré d'un coup d'oeil celui de cette femme occidentale qu'il tenait pourtant à sa merci, elle et sa suite.  Gertrude n'avait plus rien à craindre pour elle, ni pour ses hommes, ni pour ses biens.  Dans son journal elle parle de cette tribu à sinistre réputation comme  d' :

"un grand peuple"

et de son chef comme d' :

"un leader remarquable et du plus grand avenir."

 Courant Février 1914, la caravane quittait le camp des Howeitat pour se rendre à la mystérieuse cité d'Ha'il après avoir au préalable traversé le terrible désert du Nefoud aux immenses dunes où règne le jour une chaleur infernale.  Au coeur de la péninsule arabique, Ha'il entourée de remparts de terre se trouvait sur la "route de l'encens" qui reliait autrefois le golfe persique à la Méditerranée, halte pour les pélerins de la Mecque.  Mais à l'époque de Gertrude BELL la ville servait de repaire à la tribu des Shammar ayant à sa tête Ibn Rachid lequel était en conflit avec son rival de Ryad, Ibn Saoud, chef de la tribu des Anazeh.  Or si la Grande Bretagne soutenait Ibn Saoud officiellement, elle était avide de savoir si Ibn Rachid constituait véritablement une menace.  L'empire ottoman était déjà en train de vasciller et les Britanniques cherchaient à s'appuyer sur les tribus arabes pour lui porter le coup de grâce.  A vrai dire, c'est là que devait intervenir Gertrude BELL, au risque de sa vie : se rendre compte de ce qu'il en était exactement servie en celà par son expérience, son sens de l'observation, sa connaissance de la langue et des coutumes, son sens de la diplomatie à l'arabe.  Dans son journal elle nota :

"Je me demande parfois si je sortirai vivante de cette aventure ... La première qualité nécessaire au voyageur en Arabie c'est la patience."

Elle en aura besoin ...  et aussi de beaucoup de courage  car elle sera retenue prisonnière deux semaines dans la plus totale incertitude sur son sort et celui de ses hommes car tout le secteur était en ébulition et on s' y livrait à de sanglants règlements de compte. Il n'était plus question pour elle d'atteindre l'autre grande tribu des Saoud qui était elle aussi sur le pied de guerre. Les pistes  du sud étaient coupées.  Elle n'avait d'autre choix que de rentrer au plus vite en passant par Bagdad, sans avoir pu rencontrer les deux grands chefs, Ibn Rachid et Ibn Saoud, à sa grande déception.  De retour complètement épuisée à Damas elle écrivit dans son journal :

"La fin d'une aventure a toujours un goût amer d'autant plus que je n'ai pu accomplir mon projet.  Je ne me suis jamais sentie aussi fatiguée et pourtant je n'arrive pas à oublier le désert et à rêver la nuit que je continue ma route à dos de chameau.  Mais je sens qu'il faut mettre un terme à cette histoire."

 Avant de rentrer en Angleterre elle se rendit à Constantinople pour raconter son périple à l'ambassade britannique qui retransmit aussitôt le rapport au Foreign Office notant que :

"Les tribus placées sous domination ottomane sont désormais livrées à elles mêmes.  Le voyage de Miss BELL qui constitue un exploit remarquable à tous points de vue a suscité ici le plus vif intérêt."

Deux mois plus tard (28 Juin 1914) François Ferdinand d'Autriche était assassiné à Sarajevo marquant le début de la première guerre mondiale.  L'existence de Gertrude devait s'en trouvé bouleversée en ce sens qu'elle allait renoncer à ses expéditions aventureuses pour se lancer ouvertement dans la politique étrangère, voire les intrigues diplomatiques, mettant au service de Sa Majesté ses précieuses connaissances.

T.E. LAWRENCE qui ayant cherché à s'engager dès la déclaration de guerre mais n'avait pu être admis dans une unité combattante à cause de sa petite taille avait trouvé à s'employer comme cartographe dans les services du War Office à Londres où son rapport sur l'expédition dans le désert de Sin avait été remarqué. L'entrée en guerre de la Turquie en octobre lui valut d'être affecté début décembre à l'Etat Major du Caire comme officier de renseignements au Bureau arabe sous les ordres du Capitaine NEWCOMB.  Il s'y trouvait encore quand Gertrude BELL après avoir été quelques mois infirmière bénévole sur plusieurs champs de bataille en Europe fut envoyée (novembre 1915) en mission au Caire où s'élaborait la nouvelle politique arabe du Royaume Uni menacé dans ses intérêts pétroliers.  Même s'il s'y trouvait alors confiné dans un bureau il est impossible que LAWRENCE n'ait pas au minimum entendu parler de l'arrivée de Gertrude BELL au Caire. Et vice versa. Même si LAWRENCE était alors plus connu dans son cercle pour ses excentricités que pour ses points de vue originaux, franchement détesté même par certains officiers d'active, il semble tout aussi impossible que Gertrude ait pu ignorer sa présence au Caire.  Ni l'un ni l'autre n'en parle nulle part or ce n'est qu'à l'automne 1916 que LAWRENCE disparait du Caire pour se rendre au Hedjaz et y rencontrer l'émir Fayçal.  Il n'y reviendra pratiquement plus avant Octobre 1918 pour rentrer précipitamment en Angleterre après avoir remis sa démission au Général ALLENBY lors de son entrée à Damas.  La conférence de 1921 lui vaudra d'y revenir, une autre fois à Amman puis à Djeddah.  Gertrude BELL quant à elle restera attachée au Caire et, après le couronnement de Fayçal en tant que roi d'Irak auquel elle avait assisté, elle ne devait plus remettre les pieds dans son pays.

Fin Octobre 1918 les Turcs demandèrent l'armistice.  LAWRENCE qui, dès lors,  pensait être plus utile en France qu'en Arabie dans les pourparlers (selon son propre aveu à Allenby sa seule présence risquant de les perturber au contraire) fut convoqué par la Commission pour l'Orient du Cabinet britannique.  A sa demande il rédigea un rapport complet sur la genèse de la Révolte arabe, l'évolution du conflit, exposant ses idées pour la paix.  Il réclamait la liberté entière pour le Hedjaz, le mandat britannique en Mésopotamie, la totalité de la Syrie à Fayçal sans aucun contrôle français.  Juste récompense pour la part prise  par les Arabes dans les combats.  En contrepartie, ceux ci accepteraient la création d'un  Foyer national juif en Palestine sous contôle britannique. Le Cabinet accueilla favorablement ces propositions.  En Décembre 1918 Fayçal arriva à Londres où LAWRENCE lui servit d'interprète.

 

l'émir Faysal et sa délégation  (dont  Lawrence en tant qu'interprète) à la Conférence de la Paix (1919)

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Gertrude BELL avait  très probablement dû faire partie de la suite diplomatique. LAWRENCE qui avait refusé de toucher sa solde d'officier durant toute la campagne avait revêtu le costume arabe pour la circonstance et à ceux qui s'en étonnaient il répondit que :

"quand on sert deux maîtres il était juste de porter la livrée du plus faible."

En Janvier 1919 se tint à Paris au Quai d'Orsay la Conférence de la Paix.  LAWRENCE y accompagna Fayçal comme interprète, Gertrude BELL ayant dû faire partie  de la suite.

 

Lawrence et sa légende dans la presse qu'il détestait. 

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En mars 1921 se tint au Caire la Conférence pour les Affaires d'Orient à laquellent participèrent LAWRENCE et Gertrude BELL.  Une photo de famille a été prise à cette occasion au pied du Sphynx où l'on voit, posant à dos de chameau, Gertrude en chapeau et manteau à haut col de fourrure, Lawrence en complet veston et chapeauté, Winston CHURCHILL en lunettes solaires et visiblement fort mal à l'aise sur sa bête ... Nul doute que LAWRENCE dût trouver cette photo grotesque.  Cette conférence devait désigner Fayçal comme souverain d'Irak et c'est à ses côtés à Bagdad que se rangea Gertrude BELL en tant que conseillère spéciale, et ce jusqu'à sa mort. 

Tout comme LAWRENCE, Gertrude BELL avait sincèrement cru que les Arabes pourraient obtenir leur indépendance comme prix de leur action décisive pour chasser les Turcs.  Elle a écrit ceci :

"Mettez-les en face de leurs responsabilités, donnez leur le contrôle de leurs propres affaires, et ils s'en tireront cent fois mieux que nous ne pourrions le faire."

et répliquant au ministre des Affaires étrangères britannique Mark SYKES (co-auteur avec le français Georges PICOT du fameux traité ) qui devait en douter elle crut bon d'ajouter :"L'Oriental ressemble à un très vieil enfant.  Il n'a pas l'esprit pratique, ni la même notion de l'utilité que nous.  Mais ses actions sont gouvernées par des traditions et des principes moraux qui remonte à l'aube des civilisations." Ni elle, ni LAWRENCE, ni les Arabes, étaient censés savoir qu'Anglais et Français avaient conclu un accord secret pour se partager les dépouilles de l'Empire ottoman. Ceux ci  allaient devoir subir la tutelle de la France au Liban et en Syrie, de la G.B. en Irak et en Transjordanie et l'implantation d'un Foyer national juif ...

...  en Palestine.  "Censé connaître" plutôt qu'ignorer totalement s'agissant de Lawrence et Gertrude qui avaient dû finir par se douter de ce qui se tramait dans leur dos, dans celui des Arabes surtoût.  Ce qui fut pour tous les deux (mais bien davantage pour LAWRENCE) l'anéantissement d'un rêve avec le sentiment d'avoir vu leurs idées trahies.  Le reste de leur vie en resta douloureusement marqué.


Conclusion de la seconde partie

 

Gertrude demeura donc à Bagdad proche conseillère de Fayçal nouveau souverain de l'ancienne Mésopotamie jusqu'en 1926 où, un soir, après avoir arrangé sa moustiquaire, elle dût absorber une trop forte dose du somnifère dont elle usait assez fréquemment... (?...) On la retrouva morte le lendemain matin.  Elle avait 58 ans. On parla d'elle comme d'une "reine d'Irak sans couronne", à l'instar de Lawrence (roi d'Arabie sans couronne) une dizaine d'années plus tard.

 

En 1933, à l'âge de cinquante ans, le roi Fayçal d'Irak qui souffrait du coeur mourait dans

 

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un hôpital de Genève.  C'est en lui que LAWRENCE avait trouvé l'homme qu'il cherchait en Arabie, capable d'être le symbole même de la Révolte.  Mince et pâle dans ses voiles blancs, il l'avait comparé à une belle dague.  Fidèles compagnons de guerre, tous deux s'estimaient profondément et restèrent néanmoins amis par la suite.  En apprenant la nouvelle Lawrence écrivit :

"Je pense à sa mort en éprouvant presque du soulagement - tout comme on verrait rentrer au port un bâteau qui est beau MAIS TIENT MAL LA MER, alors que le baromètre est en train de chuter.  Il en EST SORTI INTACT."

 

Neuf ans plus tard, sur une petite route du Dorsetshire, roulant à vive allure, un motocycliste en voulant éviter deux enfants à vélo fit une embardée qui le projeta sur le talu sa tête heurtant un rocher.  Transporté dans le coma au plus proche hôpital il y décéda six jours après sans avoir repris connaissance.  ThomasEdward LAWRENCE ,  "roi d'Arabie sans couronne" venait de disparaitre à son tour.  Il avait 47 ans.

 

 tombe de T.E.L. au cimetière de Morton (Dorset)

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EPILOGUE

Ayant ainsi associés ces deux noms dans le cadre de leur action respective au Moyen Orient avant, pendant et après le premier conflit mondial, il était tentant de poser la question de savoir si eux-mêmes auraient pu le faire concernait leur vie privée.  La grande différence d'âge n'était pas forcément un obstacle.  LAWRENCE était très lié avec le couple SHAW (Bernard et Charlotte) qui n'avait pas eu d'enfant et le considérait un peu comme leur fils, surtout Charlotte qui fut sa confidente.  Gertrude BELL songea-t'elle jamais à se rapprocher de lui ?... elle qui lui avait répondu à propos de son livre qu'elle "l'approuvait à cent pour cent sauf pour ce qui était de la façon dont il se calomniait lui même".  Quant à LAWRENCE il semble bien qu'à la suite de cette mystérieuse affaire de Deraa dont il se sortit par miracle  ses ressorts vitaux s'étaient cassés.  A peine avait il donné sa démission à Allenby qu'il ressentit à quel point, désormais livré à lui même, sa vie serait semblable à celle d'une feuille détachée de sa branche et qui oscille dans le vent avant de tomber à terre pour mourir.  Etait-il encore "récupérable" pour/par sinon l'amour du moins une amitié proche et sincère de la part d'une femme compréhensive avec qui il eut pu avoir suffisamment d'affinités intellectuelles ?... L'union de deux solitudes en somme.  Question qu'aucun biographe me semble-t'il n'a osé aborder et qui restera donc sans réponse.

FIN

 

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