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29 mai 2020 5 29 /05 /mai /2020 15:23

Étant jeune j'ai étudié et beaucoup aimé la littérature anglaise classique notamment les poètes romantiques.

Plus tard, je découvris les "war poets".

Les auteurs français qui ont participé à la première guerre mondiale se sont surtout exprimés en prose alors que, du côté britannique,  ce fut plutôt en poésie. Au point qu'en littérature on les a rassemblés sous le nom générique de "War Poets". Ils y occupent d'ailleurs une place éminente tant par le sujet que la qualité de leurs écrits.

Si, côté français, on trouve de cette époque quelques grands poètes engagés dans la guerre comme Charles Péguy, Guillaume Appolinaire, Alain Fournier (qui débuta par la poésie), bien plus nombreux furent les romanciers comme Jean Giono, Maurice Génevoix, Henri Barbusse, Georges Bernanos, Blaise Cendrars, George Duhamel, etc...

La référence à la guerre n'est certes pas chose nouvelle en poésie.  Déjà "l'Illiade" d'Homère.  Mais pour autant les poètes de la guerre 14/18 ne s'en font pas les chantres car ils en sont d'abord les acteurs eux-mêmes.

Et tous n'en sont pas revenus.

Ils en ont donné une vision réaliste, dure, amère.

Leur patriotisme fut d'abord mêlé de tristesse puis très vite ils en vinrent à condamner le carnage et l'imbécilité de la guerre, la grande pitié de la guerre ("The pity, the great pity of war" - Wilfrid Owen)

Leur liste est longue mais les plus connus sont :

Wilfred Owen, mort à 25 ans sur le canal de la Sambre en Novembre 1918, une semaine avant l'armistice.

Sigfried Sassoon, engagé volontaire à 28 ans mais qui suite à une permission de convalescence refusa de retourner au front, condamnant vigoureusement la guerre.

Robert Graves, engagé à dix neuf ans, devint capitaine dans les Royal Welsh Fusiliers. Il fut un ami de Thomas Edward Lawrence, alias "Lawrence d'Arabie". Auteur notamment de "Good bye to all that".

John McCrae, médecin biologiste, qui s'enrôla dans le corps expéditionnaire canadien, auteur du célèbre poème "in Flanders Fields" en pleine bataille des Flandres près d'Ypres.

Charles H. Sorley, d'origine écossaise, mort à Loos en 1915.

Et je terminerai cette énumération - très limitative - par celui à qui je vais consacrer cet article plus particulièrement :

Rupert BROOKE.

Il naquit le 3 Août 1887 à Rugby dans le centre de l'Angleterre, fils d'un professeur au collège de cette ville où il fut élève lui-même.

Tout en voyageant en Europe il prépara une thèse qui lui valut d'entrer à Cambridge au King's College où il fonda un club de théâtre, la Marlowe Society (du nom du grand poète élisabéthain).  Ses talents de poète et sa belle prestance l'avait rendu très populaire dans le milieu littéraire.  

Puis il voyagea largement comme journaliste aux États-Unis, au Canada et jusqu'en Polynésie, écrivant des récits de voyages pour la "Westminster Gazette".

Sa poésie (notamment ses sonnets) lui attira beaucoup d'admirateurs dont Winston Churchill qui était alors Premier Lord de l'Amirauté et qui favorisa sa mobilisation dans la Royal Navy. Il avait 27 ans et il prit part au siège d'Anvers en octobre 1914.

Puis il prit la mer avec la Mediterranean Expeditionary Force en février 1915, débarqua d'abord en Égypte y suivre un entraînement avant de rejoindre les Dardanelles (opération initiée par Churchill mais qui fut un désastre). Mais par suite d'une infection de piqûre de moustique dégénérant en septicémie, il mourut en route sur un navire-hopital français (le Duguay-Trouin) ancré près de l'île grecque de Skyros (archipel des Sporades), le 23 Avril 1915.  Il fut enterré sur l'île dans un champ d'oliviers où se trouve encore sa tombe car l'escadre devait appareiller sans délai.  Elle n'était à l'origine qu'un tas de roches surmonté d'une croix de bois mais sa mère se chargea après la guerre de la rendre  décente. On y lit cette inscription : "Here lies the servant of God, sub-lieutenant in the English Navy, who died for the deliverance of Constantinople from the Turks." 

Sur son lit d’hôpital il avait écrit ce poème (en forme de sonnet)

Le soldat
 
Si je viens à mourir, qu'il ne reste de moi
Que le souvenir d'un coin de champ qui,
Bien qu'en terre étrangère, restera à jamais anglais.
 
Car enrichie des cendres fertiles d'un corps qui a péri,
Que l'Angleterre avait fait naître,
Avait façonné, instruit, lui offrants ses fleurs à aimer,
Ses sentiers où vagabonder,
Corps anglais respirant l'air anglais
Rafraichi par ses rivières,
Tiédi par son soleil capricieux.
 
Et ce cœur, dépouillé de tout mal,
Battant à l'unisson du rythme éternel,
N'en restituera pas moins quelque part
Les pensées que lui auront inspirées l'Angleterre,
Ses sites, ses bruits, ses rêves heureux,
Ses rires avec des amis et la douceur
Des cœurs paisibles sous le ciel anglais.
 
Dans ce poème, Brooke envisage sa mort à l'étranger car les corps n'étaient pas toujours ramenés dans leur patrie mais enterrés sur place.
Ainsi trouve-t'on, ici et là, des "carrés militaires" notamment britanniques, "champs étrangers" en terre étrangère, mais néanmoins parcelles d'Angleterre où reposent des corps anglais. Et le souvenir qui s'attache à ces lieux restitue en quelque sorte à la Patrie celui de ses enfants qu'elle avait fait naître, grandir, devenir hommes et qui périrent là pour sa cause.  On peut même penser que Brooke allait au delà, songeant à tous ceux dont les corps déchiquetés par les obus étaient restés et resteront à jamais confondus à la terre sur les champs de bataille. 
 Brooke n'en semble pas horrifié ni ne le regrette au fond, mais accepte de ne rester que ce "souvenir dans un coin de champ en terre étrangère". Il faut dire aussi que la guerre n'en était qu'à ses débuts et qu'il n'en avait pas encore beaucoup vu. Mais la maladie et rapidement la mort ne lui laissèrent pas le temps de connaître le front oriental 
 
 
 
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