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30 mai 2022 1 30 /05 /mai /2022 17:34

Il ne fut pas Tourangeau de naissance (né dans l'Orne en 1759) mais il le devint durant une trentaine d'années, jusqu'à sa mort en fait survenue à Tours en 1839. 

Son nom tombé dans l'oubli (alors qu'il fut un des pionniers de l'égyptologie) reste encore attaché à la commune de Savonnières (Indre et Loire) qu'il habita et dont il fut le maire de 1812 à 1815.

De plus et comme nous le verrons, il fut durant la campagne d’Égypte secrétaire du général Jacques François de Menou qui était, lui, natif de Touraine, à Boussay, village proche de Preuilly-sur-Claise (Indre et Loire).

Son parcours hors norme, assez chaotique, ne manquait pourtant pas d'intérêt et c'est à l'historienne Isabelle MAYAUD, doctorante à l’École des hautes études en sciences sociales, que nous devons de l'avoir remis en lumière au prix de longues et patientes recherches d'Archives.

Et c'était justice.

Je viens de lire sur internet son étude intitulée Guillaume-André Villoteau (1759-1839) et l’Égypte : l'expérience d'une vie parue en 2008 et faisant partie d'un numéro thématique (Circulation des hommes et des idées à l'époque révolutionnaire) des Actes des Congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques : Voyages et voyageurs. Elle m'a passionné et d'autant plus que Savonnières et Preuilly-sur-Claire sont des lieux qui me rappellent ma jeunesse tourangelle.

Je ne pouvais faire autrement que d'en parler sur mon blog.

 

                                             -oOo-

 

Il s'agit de Guillaume André VILLOTEAU né le 6 septembre 1759 à Bellême dans l'Orne.

Rien d'autre sur ses origines.    

Il perdit son père à l'âge de trois ans et demi et fut orienté très tôt vers l'état ecclésiastique. 

Enfant de chœur à l'ancienne collégiale Saint Pierre du Mans, il y fit ses premières études qu'il poursuivit dès l'âge de onze ans au collège des Oratoriens du Mans, après quoi sa famille voulut qu'il entre au séminaire pour devenir prêtre. Mais il s'y refusa et prit la fuite pour devenir vicarier autrement dit musicien d'église ambulant.

Puis il s'engagea pour un temps comme dragon du roi avant de réintégrer sa place au chœur de la collégiale du Mans qu'il quitta de nouveau pour devenir ténor au chœur de la cathédrale de la Rochelle.

Il entra ensuite au collège de Montaigu où il suivit pendant deux ans des cours de philosophie.  

Puis ce furent trois années de théologie à la Sorbonne après quoi il intégra la maîtrise de Notre Dame de Paris en tant que choriste et y devint chef de chœur.

Survint la Révolution. Il dût quitter la maîtrise de Notre Dame et fut recruté dans les chœurs de l'Opéra en 1792 alors âgé de trente trois ans.

Il faut attendre le Directoire (Oct 1795 - Nov 1799) et l'ascension du général Bonaparte pour que sa vie de musicien prenne un tournant décisif avec l'Expédition en Égypte décidée en Mars 1798. 

Cette expédition (appelée aussi campagne) avait d'abord un but militaire : s'emparer de l’Égypte à la barbe des Anglais et leur barrer ainsi la route des Indes. Mais aussi un but scientifique.

C'est ainsi qu'à l' armada de quatre cents navires, 40.000 soldats et dix mille marins partie de Toulon s'étaient joints 167 savants de toutes disciplines, ingénieurs et artistes membres de la Commission des sciences et arts créée spécialement pour accompagner le général Bonaparte et chargée de faire une étude encyclopédique de l’Égypte.  Parmi ceux-ci se trouvaient le géologue Dolomieu, les mathématiciens Monge fondateur de l’École Polytechnique et Jean-Joseph Fourier, le chimiste Berthollet, le naturaliste Geoffroy Saint Hilaire, le botaniste Raffeneau-Delile, l'ingénieur Nicolas Conté du Conservatoire National des Arts et Métiers, mais aussi nombre d'artistes peintres, dessinateurs, orientalistes, littérateurs et puis un musicien et chanteur qui semble avoir été le seul, Guillaume André Villoteau.

Bonaparte avait sollicité le poète et dramaturge Jean-François Ducis, le compositeur Mehul (l'auteur du Chant du départ) et le chanteur d'opéra François Lays mais les trois déclinèrent l'offre. Or il se trouvait que Villoteau doublait Lays à l'Opéra. C'est donc lui qui fut choisi par défaut et sur sa demande. 

Il avait pour cela de bonnes raisons.

D'abord pécuniaire car de ce point de vue sa situation n'était pas brillante. 

S'engager pour l'Expédition valait déjà une coquette rétribution (volontariat) mais pas seulement.  Le maintien du traitement au dernier poste occupé devait être assuré pendant toute la durée de la mission scientifique et versé à la famille (en l’occurrence son épouse) le volontaire devant retrouver sa place à son retour.  En plus il y avait la rémunération des mémoires scientifiques lors de leur parution sans compter la renommée qu'ils devaient attirer sur l'auteur. 

Il semble de Villoteau ne tenait pas tellement à sa place de chanteur d'opéra où il n'était que la doublure du baryton Laye. Il ne s'y voyait pas d'avenir.

Et puis, bien que royaliste, il avait de l'admiration pour le général Bonaparte, héros de l'aventure italienne ;  le suivre en Égypte représentait pour lui un honneur et des perspectives d'avenir prometteuses.

L'instabilité politique du moment était aussi semble-t'il une préoccupation pour lui qui avait déjà été contraint de quitter sa place à la maîtrise de Notre Dame de Paris. 

Il n'avait donc rien à perdre et tout à gagner. 

Du moins le pensait-il. 

Comme il l'écrit lui-même : "Plein d'espoir je m'empressai de me rendre à Toulon."

 

Au moment de s'embarquer Bonaparte s'adressa à ses soldats en particulier ceux de l'armée d'Italie :

"Soldats,

Vous êtes une des ailes de l'armée d'Angleterre.  Vous avez fait la guerre des montagnes, des plaines et des sièges ; il vous reste à faire la guerre maritime.  Les légions romaines, que vous avez quelquefois imitées, mais pas encore égalées, combattaient Carthage tour à tour sur cette mer et aux plaines de Zama. La victoire ne les abandonna jamais parce que constamment elles furent braves, patientes à supporter les fatigues, disciplinées et unies entre elles.

Soldat, matelots,

Vous avez été jusqu'à ce jour négligé ; aujourd'hui la plus grande sollicitude de la République est pour vous.  Le génie de la liberté qui a rendu dès sa naissance la République, arbitre de l'Europe, veut qu'elle le soit des mers et des nations les plus lointaines."

Et il leur avait promis par ailleurs qu'au retour de l'expédition ils auraient de quoi acheter six arpents de terre.

 

 

L'Expédition commença par la prise de l'île de Malte, vingt jours après l'appareillage, suite au refus du Grand Maître de l'Ordre de Malte de le laisser débarquer ses troupes pour une période limitée. 

Treize jours après le départ de Malte, la flotte était en vue d'Alexandrie. 

Avant de débarquer, le général Bonaparte adressa à tous cette proclamation :

« Les peuples avec lesquels nous allons vivre sont mahométans ; leur premier article de foi est celui-ci : « Il n’y a d’autre Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète ».

Ne les contredites pas ; agissez avec eux comme vous avez agi avec les Juifs, avec les Italiens ; ayez des égards pour leurs muphtis et pour leurs imams, comme vous en avez eu pour les rabbins et les évêques. Ayez pour les cérémonies que prescrit l’Alcoran, pour les mosquées, la même tolérance que vous avez eue pour  les couvents, pour les synagogues, pour la religion de Moïse et celle de Jésus-Christ.

Les légions romaines protégeaient toutes les religions. Vous trouverez ici des usages différents de ceux de l’Europe, il faut vous y accoutumer. Les peuples chez lesquels nous allons, traitent les femmes différemment que nous ; mais dans tous les pays celui qui viole est un monstre. Le pillage n’enrichit qu’un petit nombre d’hommes ; il nous déshonore, il détruit nos ressources ; il nous rend ennemis des peuples qu’il est de notre intérêt d’avoir pour amis. La première ville que nous allons rencontrer a été bâtie par Alexandre. Nous trouverons à chaque pas de grands souvenirs dignes d’exciter l’émulation des Français. "

 

Le général Menou fut le premier de ses généraux à débarquer (il devait aussi repartir le dernier).

Il y avait par ailleurs  Kléber, Cafarelli, Desaix et Thomas Alexandre Dumas (Davy de la Paillerie) premier général métisse de l'armée française, père d'Alexandre Dumas et grand père d'Alexandre Dumas fils. 

Je vais ouvrir ici une parenthèse sur ce général Menou qui était, lui, Tourangeau de naissance.

 

                                             -oOo-

 

Jacques François de Menou, baron de Boussay (alias Abdallah Menou) était né le 3 septembre 1750 au château de Boussay, petit village de Touraine proche de Preuilly sur Claise, d'une très ancienne et noble famille originaire du Perche ayant donné plusieurs chevaliers croisés et portant blason de gueules à la bande d'or.

Il entra jeune dans la carrière des armes, fut élu député du bailliage de Touraine aux États Généraux de 1789 et se rallia à la Révolution.  

Il combattit en Vendée.  Promu général de division il participa au siège du faubourg Saint Antoine à Paris puis fut nommé général en chef de l'Armée de l'intérieur. 

Au moment de l'Expédition d’Égypte il commandait l'une des cinq divisions de l'Armée d'Orient.

Il y fera preuve d'une grande valeur, succédant à Kléber assassiné au Caire comme général en chef.

S'étant converti à l'Islam (d'où Abdallah Menou), il épousa une riche musulmane du nom de Zoubeida el Bahouad dont il eut un fils, Jacques Mourad Soliman né à Rosette.

Lors de l'ultime bataille de Canope en 1801 qui se solda par une défaite des Français, il dût se retirer à Alexandrie où il capitula. Contraint de quitter l’Égypte il dût à regret céder au Anglais la pierre de Rosette découverte par le Lieutenant Pierre François Xavier Bouchard en 1799. 

A la Restauration il fut arrêté pour trahison (au départ il était monarchiste) mais libéré peu de temps après. 

Il mourut en Italie en 1810 après avoir été fait comte d'Empire en 1808.

Son nom est inscrit sous l'Arc de Triomphe.

 

                                            -oOo-

 

Revenons-en maintenant à notre homme. 

Il avait été recruté comme chanteur et musicien mais les diverses autres fonctions auxquelles il allait être employé au début et notamment secrétaire du général Menou, ne le satisfaisaient nullement.  Ce qu'il voulait c'est s'attaquer à une "musicographie" de la musique égyptienne ancienne et moderne autrement dit à l'ethno-musicologie comme on dirait aujourd'hui et dont finalement il allait être le père.

Il dut s'en plaindre auprès de Bonaparte car il put s'installer au Caire et y entreprendre ses recherches en la matière non sans être accaparé par d'autres tâches.

S'aidant de manuscrits et prenant contact avec les moines des nombreux couvents orthodoxes, les musiciens locaux et en utilisant leurs instrument, il s'efforça ainsi de comprendre une musique qui au début "lui déchirait les oreilles" (sic).

Il faut dire qu'il ne fut guère encouragé.

Alors que pour beaucoup de savants, l'Expédition d’Égypte fut un réel tremplin vers de brillantes carrières, il n'en fut pas de même pour Villoteau.

A son retour en France en Août 1801 soit au bout de trois ans (beaucoup étaient rentrés avant du fait de l'épidémie de peste qui s'était déclarée) il ne devait connaître qu'une suite de déboires.

Pour commencer la place qu'il occupait à l'Opéra lui avait été enlevée au profit d'un autre et évidemment plus aucune rémunération avait été versée à sa femme. 

La rente qui était promise aux participants scientifiques et artistiques ne lui fut pas attribuée.  Plus exactement il fut rayé de la liste et semble t'il sur intervention de Bonaparte devenu Empereur des Français qui n'avait pas dû lui pardonner de ne pas  avoir chanté la Marseillaise et le Chant du départ lors d'un grand banquet sous prétexte qu'il n'aimait pas la musique militaire.

Il s'en plaignit amèrement mais il n'aurait pas été le seul à subir ce traitement, Villoteau accusant Napoléon d'avoir favorisé les ingénieurs polytechniciens. 

Il se trouvait donc sans ressources ne pouvant compter que sur ce qu'allait lui rapporter la publication de ses différents mémoires sur la musique arabe entrant dans la :

"Description de l’Égypte ou recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l'Expédition de l'Armée française"

cet ensemble de vingt cinq volumes de textes et onze volumes de planches qui fut publié à partir de 1809, véritable monument de l'édition française.

Cette description va d'ailleurs donner naissance à l'égyptologie

Les premiers volumes étaient consacrés à l'Antiquité,  les suivants traitaient de l’État moderne, des activités et de la vie du pays depuis la conquête arabe du VII ème siècle jusqu'à l'occupation française de 1798-1801, les derniers illustraient l'histoire naturelle de la vallée du Nil et de la région de la Mer Rouge.

La contribution de Villoteau s'intitule ainsi :

"De l'état actuel de l'art musical en Égypte ou relation historique et descriptive des recherches et observations faites sur la musique en ce pays, par

                                     M. VILLOTEAU "

C'est une œuvre considérable et très savante qui occupe le Tome XIV de la Description (de l’État moderne).

 

La Première partie (Des diverses espèces de musique de l'Afrique en usage dans l’Égypte et principalement au Caire) comprend :

chapitre I - De la musique arabe.

chapitre II - De la pratique de la musique parmi les Égyptiens modernes.

chapitre III - Chants et danses de quelques peuples de l'Afrique dont un assez grand nombre d'habitants sont fixés au Caire.

chapitre IV - De la musique des Abyssins et Éthiopiens.

chapitre V - De la musique des Coptes.

La seconde partie ( De la musique de quelques peuples de l'Asie et de l'Europe) comprend :

chapitre I - De l'art musical chez les Persans ; chansons persanes et turque.

chapitre II - De la musique des Syriens.

chapitre III - De la musique arménienne.

chapitre IV - De la musique grecque moderne.>

chapitre V - De la musique des Juifs d’Égypte.

 

 

Villoteau disposait d'une propriété en Touraine, à Savonnières, où il se retira jusqu'en 1820 avec sa famille à charge : son épouse et un fils né entre temps plus les parents de son épouse. Mais il dût la quitter pour s'installer à Tours où il vécut dans la pauvreté jusqu'à sa mort en 1839 âgé de quatre vingt ans.  Pour payer les études de son fils, il avait dû vendre toutes les collections qu'il avait rapportées d’Égypte.

Cette propriété à Savonnières était la ferme attenante au château des Mazeraies construit au XVIIIème siècle mais détruit au cours de la seconde guerre mondiale.  Il l'aurait achetée en 1809.

Mais pourquoi dût-il en partir sur ses vieux jours ? 

Lui appartenait-elle vraiment ? Devait-il encore de l'argent au vendeur qui le pressait et qu'il ne pouvait régler ? 

Comment expliquer autrement cette installation en loyer à Tours où, en 1837, il était "malade et dénué de tout" (sic I.M.).

 

L'étude d'Isabelle MAYAUD se termine ainsi :

"A contrario des biographies très souvent édifiantes produites ces dernières années, on trouve donc l'exemple de Villoteau pour qui l'expédition en Égypte signa le début d'une série de déceptions et d'échecs. Mais au delà de la dimension individuelle, ce portrait a permis, je pense, de montrer que l'étude de l'Expédition n'est pas terminée. La formule "formidable réussite scientifique" qui a pour corollaire "brillantes carrières des savants" parait aujourd'hui abusive.  Et après s'être beaucoup intéressée aux parcours individuels couronnés de succès, il serait bon que la recherche contemporaine se penche à présent sur les parcours moins éclatants.  Les échecs individuels sont parfois tout aussi riches d'enseignements..." (N.B - et c'est moi qui souligne)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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